Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/3/2

II.

Séance du 17 Décembre 1858.


Présidence de M. A. COMBES.

MM. de Grimaldi, Sous-préfet de Castres, et Miquel, président du tribunal de première instance, sont présents.

M. A. COMBES ouvre la séance par l’allocution suivante :

Messieurs,

Les bons exemples sont toujours bons à suivre : sans doute, en se guidant sur autrui, on peut pécher par défaut d’originalité, et renoncer ainsi à ce caractère essentiel des arts, des sciences, de la littérature ; mais en s’appliquant ce que certains ont accompli de bien dans une occasion donnée, en imitant de sages habitudes, en s’appropriant les conquêtes faites par un talent éprouvé, sur la raison et le bon sens, on risque peu de s’égarer.

Voilà, Messieurs, quelle pensée me dominait, lorsqu’à notre dernière séance, après le renouvellement, ou pour mieux dire après la confirmation du bureau, M. le Sous-Préfet en proclamant le résultat, voulait bien accompagner mon nom et celui de mes collègues, d’un commentaire flatteur, trop flatteur pour chacun de nous. Cherchant dans mon esprit comment je pourrais répondre, par la parole, à cette marque de confiance de votre part, à ce témoignage de sympathie, je me disais : la chose devient tous les ans plus difficile ; outre l’ennui des répétitions, l’inopportunité d’un nouveau discours, après ceux qui ont été prononcés dans une solennité toute récente, le danger de trop banales généralités, ou de détails finissant par se perdre dans de fastidieuses énumérations, il y a encore le danger de ne trouver aucun sujet digne de l’attention que vous voulez bien prêter à cette première manifestation annuelle de nos sentiments de reconnaissance. Je prenais donc tacitement, avec moi-même, la résolution de me renfermer dans un silence complet, lorsque deux circonstances sont venues me tirer de peine, en donnant un cours différent à mes idées.

La première, née pendant la distribution ou le classement des brochures adressées par plusieurs institutions littéraires du genre de la nôtre, a reporté mes souvenirs sur la manière dont M. Azaïs inaugurait tous les ans, à Béziers, le renouvellement de ses fonctions de président de la Société archéologique. Après quelques mots de bienveillance ou d’abandon, adressés à ses honorables collègues, il abordait directement une question de linguistique ou d’histoire ; il la traitait dans toute son étendue, avec l’autorité qui s’attachait à son savoir profond, à sa forte érudition, à sa connaissance parfaite d’un pays que, pendant 22 ans d’études spéciales, il avait su révéler à lui-même.

Je n’ai pas les mêmes avantages de talent et de science que M. Azaïs ; mais je suis animé des mêmes intentions. Si je ne puis, comme lui, doter ma ville natale de la statue d’un grand personnage, due au ciseau du célèbre sculpteur David d’Angers, du buste de Vanière de la même main, d’un commencement de musée d’antiquités, d’une bibliothèque bien classée et bien composée, je puis, du moins, déclarer que là tendent tous mes efforts, d’accord avec les vôtres. En attendant, permettez-moi de m’inspirer des actes du président que j’ai pris pour modèle, en commençant cette année de nos travaux par une lecture.

Une seconde circonstance est venue inopinément m’en fournir le sujet. C’est le mémoire communiqué à la Société par M. Canet, secrétaire, au nom de M. Alibert, son auteur. Ce mémoire, vous le savez, a pour objet d’établir historiquement le passé du château de Roquecourbe. Il est clair, précis, méthodique, c’est-à-dire qu’il réunit, à mon avis, les qualités d’une bonne monographie. En pensant à cela, tout en partageant l’intérêt que je vous ai vu attacher au travail de M. Alibert, j’ai songé à transporter sur un même point, le même esprit de recherches locales, de manière à arriver ainsi plus tôt ou plus tard, à l’histoire analytique de l’ancien pays Castrais. La veille du jour de votre première séance, une bienveillante communication avait fait tomber entre mes mains la copie de deux pièces notariées, qui seules, n’ont peut-être pas une grande valeur, mais qui se liant à d’autres, ou se rapportant à la tradition, m’ont paru pouvoir recommander à votre bienveillante attention la production qui va suivre :

M. Combes fait alors l’histoire de la maison de Bourbon-Malause.

La maison de Malause qui a occupé une grande place dans l’histoire du pays Castrais, se rattachait collatéralement au connétable de Bourbon. Elle tirait son origine de Jean II, nommé connétable en 1483, et mort le 1er  février 1488.

La généalogie de la famille de Malause a été donnée par Borel dans son livre des Antiquités de Castres.

Après l’avoir placée au premier rang parmi les plus anciennes et les plus considérables du pays, il ajoute :

« Louis de Bourbon, vicomte de Lavedan, en faveur duquel Lacaze a été érigée en marquisat. » Borel se trompe : Louis XIV, en 1647, deux ans avant la publication du livre de Borel, avait par lettres patentes, érigé Lacaze en comté. Moréri constate le même fait avec plus d’exactitude. Voici comment, d’après lui, la terre de Lacaze et autres possessions comprises dans l’ancien diocèse de Castres, advinrent à la maison de Malause. Henri de Bourbon avait épousé, le 18 mars 1595, Madeleine de Châtons, dame de Lacaze en Albigeois. Elle était fille d’Antoine de Châlons et son héritière, en vertu d’un testament de 1584. Son père, seigneur de Lacaze, avait encore les terres des Graisses, de Sénégats et Vabre, et la baronie de Roumégous. Henri II de Bourbon, porta le titre de baron. C’est en sa faveur que le roi Louis XIII, par les lettres patentes en forme de charte, données à Paris au mois de décembre, érigea et éleva la baronie de Malause en marquisat. Il mourut le 31 décembre 1647, après avoir fait abjuration du calvinisme.

Ses dignités et ses biens passèrent à Louis de Bourbon né en 1607, qui, en 1653, avait épousé Henriette, fille de Guy de Durfort, marquis de Duras. Il mourut en 1667. C’est à lui que l’on doit la restauration du château de Lacaze, qui subsistait encore à peu près intact, au commencement du XIXe siècle.

Situé sur la partie orientale d’un mamelon, au haut duquel s’élève la petite église de Saint-Jean-del-Frech, ce château domine les détours de la rivière du Gijou, se présente en face de riches et belles prairies, et offre tous les avantages d’une position forte, avec les agréments d’une situation pittoresque. Il avait trois tours rondes. Celle du milieu, plus élevée que les autres, servait de donjon. Elles portaient toutes l’écusson armorié de la maison de Malause et de celle de Châlons écartelé : le champ d’azur aux trois fleurs de lys d’or, et les trois épis d’or sur champ d’argent.

Dans la direction du midi, le château était précédé d’une cour dont la porte extérieure fortifiée, renfermait un corps-de-garde et était défendue par des fossés très-profonds, que l’on passait sur un pont-levis.

L’habitation n’avait aucun caractère particulier. Elle supposait par sa construction l’époque de Henri III, mais sans ornements. Les pièces intérieures n’étaient pas belles, mais elles étaient de vaste dimension, et semblaient attester par là plutôt que par tout autre signe, la grandeur du maître.

Les accessoires du château, renfermés dans une même enceinte formée de murailles à créneaux et à mâchicoulis, étaient destinés à l’habitation des nombreuses personnes attachées au service de la maison de Malause. Le mobilier était abondant, commode, mais peu somptueux : et Louis de Bourbon, marquis de Malause, comte de Lacaze, Vabre, Viane et Gijounet, baron de Chaudesaigues, seigneur de Favars, Saint-Germain, Las Vergnes, Roumégous, Cadoulle, Réalmont, Las Graisses et Rouquayrols, capitaine des chasses de Sa Majesté en Auvergne et en Languedoc, riche de 56,000 livres de revenu, vivait dans son château avec toutes les commodités de la vie et une profusion véritable, mais sans ces inutiles superfluités qui sont le caractère des habitations de nos jours. La chasse et la pêche fournissaient sa table : et après l’abondance qui était son seul luxe, il aurait pu cependant étaler 436 livres de vaisselle d’argent, ainsi qu’il résulte d’un inventaire détaillé dans lequel toutes ces indications sont fournies.

Cet inventaire fort minutieux ne mentionne pas la présence d’un seul livre : mais les armes y étaient en grand nombre, fort riches, et plusieurs d’entre elles rappelaient des souvenirs que les Bourbon-Malause conservaient avec orgueil dans leurs traditions de famille.

Outre le château de Lacaze, les Bourbon-Malause en possédaient plusieurs autres d’une moins grande importance comme position militaire, mais qu’ils étaient obligés de conserver pour leurs fortifications. Celui de Rouquayrols acquis de messire Balthasar de Siméon et de dame Madeleine de Brignac, le 21 août 1655, se trouve désigné dans une note de 1674, en ces termes qui en donnent une grande idée : « Plus, la terre et seigneurie de Rouquairols, joignant le comté de Lacaze, où il y a un très-beau château fort ajusté et très-bien meublé, ressemblant à un palais enchanté. »

Il faut avouer que les détails ne répondent pas à cette splendide énonciation. Les biens qui en dépendaient étaient cependant considérables et devaient donner un revenu important. En y joignant différentes métairies, la terre et seigneurie de Vabre, le château de la Ginié, et les fiefs possédés dans les baronies de Sénégats, de Montredon et de Massuguiés, on arrive à une somme de 30,700 livres. Le marquisat de Malause en Quercy, celui de Miremont dans l’Auvergne, la baronie de Chaudesaigues et autres terres dans lesquelles les Bourbon-Malause avaient le droit de haute justice, complétaient le revenu total de 56,000 livres.

Louis de Bourbon mort le 1er  septembre 1667, fut transporté dans son château de Lacaze. Il eut pour successeur Guy-Henry, son fils, qui devint colonel du régiment de Rouergue et brigadier des armées du roi, après avoir servi sous Turenne, son grand-oncle. Il se fit catholique en 1678 et mourut le 18 août 1706.

Guy-Henry III de Bourbon apporta au sein de la montagne, de somptueuses améliorations. Il fit orner de portraits les grandes salles du château de Lacaze et y établit une magnifique orangerie. Il fit de grands frais de culture et organisa des chasses presque royales. Un de ses frères, Armand, quittait la France à la suite de la révocation de l’édit de Nantes, et un autre, Louis, fut tué à la bataille de la Boyne en 1690. Pendant ce temps, Guy-Henry III ajoutait à son patrimoine toutes les possessions de l’illustre maison de Cardaillac. Son orgueil s’en accrut : il refusa de produire les lettres de noblesse devant les commissaires du roi, et voulut même supprimer la barre significative de son écusson. Un arrêt du Châtelet vint mettre fin à ces prétentions.

Le dernier représentant de cette illustre maison fut Louis-Auguste, colonel du régiment d’Agenois, infanterie.

Il vécut et mourut à Castres dans l’hôtel Frascaty, bâti peu de temps auparavant, par M. Gauthié de Boisset. Ses restes furent portés dans l’église de Lacaze, et renfermés dans un mausolée en marbre noir. Ils furent jetés au vent au moment de la révolution, moins peut-être par un sentiment de haine, que par un sentiment de cupidité. On fit servir à des usages domestiques le métal que renfermait son mausolée.

Au nom de Louis-Auguste se rattachent diverses anecdotes qui font peu d’honneur à son caractère et à ses habitudes. Sa succession fut recueillie par la comtesse de Poitiers, seigneuresse de Lacaze et de Labruguière. À sa mort, le duc d’Escars obtint les titres honorifiques des Malause, et les biens furent distribués aux proches parents de la dernière héritière.

M. A. Combes termine ainsi :

Voilà l’histoire de la maison seigneuriale des Bourbons de Malause, d’après ses derniers rapports avec le pays Castrais : voilà les faits à l’aide desquels on peut étudier le rôle de ces hauts et puissants seigneurs, nobles par leur extraction, plutôt que par la volonté du prince ; voilà, Messieurs, comment j’ai voulu profiter de cette première réunion, afin d’apporter une nouvelle pierre à l’édifice intellectuel que nous cherchons à élever, en liant la gloire de nos ancêtres, à la bonne renommée qui peut un jour se répandre sur leurs descendants.

Mais pour cela, Messieurs, nous avons besoin d’être entendus, d’être compris, d’être appréciés suivant nos intentions. Celui qui voudrait voir en nous des littérateurs désœuvrés, faisant de l’art pour l’art, contemplant avec admiration ou rejetant avec dédain les événements du passé, sans autre pensée que de les voir servir à un vain spectacle, celui-là se tromperait. Nous ne sommes pas seulement nous-mêmes ; nous sommes un peu les autres, vivant de leur vie, nous rendant un meilleur compte de cette vie et de ces idées, afin de leur donner, par la concentration, plus de force et de retentissement.

C’est à ce point de vue que je me place, pour solliciter de mes collègues une coopération plus active, une assiduité plus grande, une diffusion plus étendue, en un mot ce concours sur lequel ils m’ont appris à compter, pour le développement de notre œuvre toute d’abnégation, de dévouement, d’harmonie, et de véritable patriotisme.

M. Athanase Coquerel fait hommage à la Société d’un volume intitulé : Jean Calas et sa famille. L’examen est renvoyé à M. A. Combes.

M. Gros, secrétaire en chef de la sous-préfecture de Castres, offre à la Société la seconde édition de son Cours de Géographie. M. V. Canet est chargé d’en rendre compte.

M. A. Combes dépose pour la bibliothèque de la Société, les ouvrages suivants dont il est l’auteur :

1° Étude historique sur Jean-Sébastien de Barral.

2° Histoire de Sorèze.

3° Connaissances locales.

4° Statistique de l’arrondissement de Castres.

5° Écrits divers.

M. H. Combes offre :

1° Un traité de l’éclairage au gaz.

2° Les paysans français.

3° De la médecine en France et en Italie.

4° De la classification des maladies.

La Société accueille avec reconnaissance, conserve avec soin et classe avec la plus grande attention, les livres ou objets divers qui lui sont offerts pour sa bibliothèque ou pour ses collections.

Grâce à la sympathie que sa pensée a trouvée dans toutes les parties du département, elle peut considérer, dès aujourd’hui, le succès de sa tentative comme assuré. On a compris de tout côté, les avantages qui peuvent résulter d’une centralisation des efforts dirigés vers un même but : la glorification du passé dans tout ce qui a pu contribuer à son amélioration et à ses progrès. Il est regrettable que des efforts généreux soient oubliés ou méconnus, que des services réels soient dédaignés, que des œuvres importantes par leur objet, ou d’une valeur réelle, restent dans une obscurité complète. Et pourtant, on le sait, il y a dans la gloire de chaque localité, quelque chose qui semble rejaillir sur chacun de ses habitants. On se sent heureux et fier de pouvoir nommer les hommes, signaler les œuvres, ou conserver le souvenir des monuments de toute sorte qui se rattachent à l’histoire du pays au milieu duquel on vit. Il résulte de cette connaissance plus intime, une espèce de solidarité qui devient avantageuse pour tous, et dont le présent recueille les bienfaits, en attendant qu’il les lègue à l’avenir.

C’est cette pensée qui augmente l’intérêt attaché par la Société à la bibliothèque du Tarn et à ses collections. À mesure qu’elle verra se développer son action, elle trouvera, dans l’appui qui résultera pour elle de ce travail dont elle sera le contre, le moyen de pénétrer plus profondément et d’aller plus loin dans l’histoire du pays. Chaque étude nouvelle, chaque recherche, révèle des faits dont on ne soupçonnait pas l’existence, des détails dont on ne connaissait pas la vérité, ou des hommes dont on avait méconnu l’influence ou peut-être nié la valeur. Ainsi peu à peu, grâce à cette réunion d’efforts, les erreurs sont attaquées, les injustices se réparent et les lacunes se comblent.

À mesure qu’un ouvrage, un titre, un document quelconque est communiqué à la Société, elle tient à constater le parti qu’il est possible d’en tirer, et elle consigne, dans ses procès-verbaux, ce qu’elle croit utile de conserver et de faire connaître, dans un intérêt général. De ces détails isolés, se formera peu à peu un ensemble où viendront prendre place tous les faits relatifs à l’histoire du pays, et qui fournira des renseignements précis à ceux qui voudront étudier, ou les événements généraux, ou un point quelconque de ce passé que l’on connaît si peu, et que, dans l’intérêt de la vérité, comme dans celui de la science, il serait si important de pénétrer jusque dans les parties les plus obscures, et de dégager dans ses époques les plus incertaines et les moins caractérisées.

M. Valette offre, au nom de M. Foncès, ingénieur civil, des échantillons minéralogiques qui doivent prendre place dans les collections de la Société.

Ces échantillons sont :

1° Domite, ou roche volcanique du genre rachyte, formant le Puy-de-Dôme.

2° Fer carbonaté lithoïde, des houillères de Brassac (Puy-de-Dôme).

3° Empreintes de fougères dans le schiste houiller.

4° Cristaux de pyroxène noir, volcanique.

5° Empreintes végétales sur argile houillère.

6° Pyroxène noir sur scorie.

7° Granit calciné.

8° Péridot vert sur basalte.

9° Grès houiller.

10° Péridot rouge sur une roche de basalte.

11° Empreintes végétales sur schiste houiller.

12° Roseau sur schiste houiller.

13° Empreintes de roseau sur schiste houiller noir.

14° Empreintes diverses sur schiste.

Ces divers échantillons proviennent de Brassac (Puy-de-Dôme.)

La Société vote des remerciements à M. Foncès.


M. CALVET, docteur en médecine, adresse à la Société un mémoire hygiénique sur la population ouvrière de Castres. Ce mémoire est divisé en trois parties. La première renferme une étude sur l’alimentation considérée sous le rapport de l’influence qu’elle peut exercer sur les corps.

L’alimentation est une des nécessités de la vie de tous les êtres animés. C’est par l’assimilation des substances étrangères, que le corps grandit et se développe. Les appareils qui président à la fonction de la nutrition sont nombreux et variés : cette fonction elle-même est fort complexe. Il doit donc y avoir dans la nutrition et dans les efforts qu’elle demande au corps, une influence directe, puissante et souvent décisive sur la santé. L’observation établit cette vérité d’une manière incontestable.

Les bases de la nourriture sont à peu près les mêmes pour tous les peuples, malgré des différences fort nombreuses au premier abord. Il y a pourtant, dans une même nation, des conditions particulières, dont l’influence doit se faire sentir irrésistiblement, des degrés divers dans l’usage des aliments, qui doivent amener certaines conséquences dont la raison est facile à trouver.

Ainsi, pendant que le régime animal domine chez une nation, la nation voisine semble être attachée, soit par goût, soit par nécessité, au régime végétal. En France, la consommation de la viande n’est pas la même dans le nord et dans le midi. Certains aliments dont l’usage est très-répandu en quelques endroits, sont presque inconnus dans d’autres. La nourriture de la partie aisée ou riche de la population n’est pas la même que celle des ouvriers qui gagnent au jour le jour le salaire nécessaire à leur existence.

Ces observations rendent intéressante l’étude de l’alimentation, considérée comme une des causes les plus puissantes d’action sur la santé de l’ensemble d’une population, et de chacune des fractions qui la composent.

La nourriture de la population ouvrière de Castres se compose de pain, de millas, de riz, d’un peu de viande et de quelques autres substances accessoirement employées. Le pain de l’ouvrier est le plus souvent composé d’un mélange de plusieurs farines, dont le tamisage est en général trop grossier. La qualité est cependant bonne. Plus la farine est purifiée, plus la digestion du pain est facile, car il est débarrassé de ces parties ligneuses que n’attaquent pas les forces digestives, et qui deviennent un corps étranger fatigant pour l’estomac. La farine de froment contient de 18 à 24 pour cent de matière nutritive. C’est le gluten qui en forme la plus grande partie, avec la fibrine végétale. L’amidon et le sucre qu’elle renferme lui donnent la qualité d’aliment respirateur. Le pain doit être bien levé et bien cuit : il vaut mieux un peu rassis que frais. Les farines diverses de seigle, de maïs, de pommes de terre, qui entrent quelquefois dans sa composition, lui enlèvent une partie de ses conditions nutritives.

Le maïs, détrempé dans l’eau, forme une bouillie consistante, fort en usage dans la campagne, et qui entre pour une proportion considérable, dans l’alimentation des ouvriers de Castres. Il contient 12 pour cent de gluten ou d’albumine végétale. Ainsi, le millas n’a pas la valeur du pain. La digestion en est souvent difficile. Il convient particulièrement aux ouvriers dont la profession s’exerce au grand air, et demande un déploiement considérable de forces musculaires. Ceux qui travaillent dans des ateliers, les tisserands surtout, peuvent avoir à craindre ses effets, quoiqu’il ne soit pas prouvé comme le prétendent certains auteurs, que l’usage du maïs produise par lui-même la pellagre.

Le riz est venu depuis quelques années augmenter le nombre des denrées alimentaires que leur prix met à la disposition de l’ouvrier. On n’est pas d’accord sur la quantité de substance nutritive qu’il renferme. Cependant, comme le sucre et l’amidon entrent en proportion considérable dans sa composition, il est facile à digérer, et il ne parait pas amener pour ceux qui en font un usage habituel, les conséquences qui résultent ordinairement d’une nourriture presque exclusivement végétale.

La pomme de terre joue un rôle important dans l’alimentation des ouvriers. Les parties nutritives sont en petite quantité : aussi faut-il un volume considérable pour satisfaire l’estomac. C’est ce qui rend l’usage de la pomme de terre quelquefois fatigant pour ceux dont la vie se passe dans les fabriques.

La famille des légumineuses produit dans les environs de Castres les pois, les fèves et les haricots. Ces légumes sont mangés rarement frais par les ouvriers, à l’exception des fèves dont ils font une grande consommation. Cuites à l’eau et assaisonnées, elles sont assez nourrissantes, par la caséine végétale qu’elles renferment. Elles sont d’assez facile digestion, et il serait à désirer que leur culture fut étendue aux environs de Castres. Elle contribuerait à rendre plus facile et moins chère, l’alimentation de l’ouvrier pendant un espace de temps assez long.

Les différentes espèces de choux sont d’un grand secours pour les ouvriers. Sans doute, ses qualités nutritives sont peu abondantes, mais la digestion en est facile, ce qui le rend précieux dans une alimentation composée presque exclusivement de matières qui demandent à l’estomac un certain effort. La carrotte est plutôt employée comme condiment, que comme nourriture. À cause de la quantité de matière sucrée qu’elle contient, et qui se dissout par une longue ébullition, elle peut être rangée dans la classe des aliments respirateurs. À ces divers végétaux on peut joindre la laitue et l’oseille qui ne sont pas d’un grand usage.

Deux espèces de condiments sont employés pour ces différents aliments qui constituent la plus grande partie de ceux qui soutiennent l’existence de l’ouvrier : le sel et le poivre. Le sel ou chlorure de sodium, se dissout dans l’estomac ; il stimule les organes digestifs et augmente la sécrétion des liquides indispensables à la transformation des matières alimentaires. D’un autre côté, le chlore et le sodium pénètrent dans l’intimité des tissus et concourent, par les changements qu’ils subissent, ou les nouvelles combinaisons auxquelles ils donnent lieu, à la reproduction de ces mêmes liquides. Le poivre, sans avoir les mêmes avantages, est un stimulant dont l’action, quand elle est sagement limitée, excite utilement les organes de la digestion.

La viande est le meilleur des aliments. Ses proportions nutritives sont supérieures à celles de toutes les autres substances. La farine de froment se rapproche, sans doute, par ses qualités favorables, de la viande de porc et de celle de veau qui ne donnent qu’une quantité inférieure à celle du mouton et du bœuf. Mais on peut établir, d’une manière générale, que la viande renferme, en substances propres à réparer les pertes du corps, et à le maintenir en bon état, le double de ce que donne le régime végétal. Cet avantage est généralement reconnu. Il faut donc que la nécessité seule fasse préférer pour les ouvriers, une nourriture moins substantielle, à celle qui augmenterait leurs forces, en demandant à leur estomac un travail moins long et moins fatigant. Les économistes se sont préoccupés de cette question, et ont recherché les moyens propres à rendre l’usage de la viande plus général. Les moyens qu’ils proposent sont complexes, et ils se lient d’une manière étroite aux problèmes les plus importants de l’agriculture.

Il est certain que l’usage ordinaire de la viande est plus répandu dans quelques parties de la France que dans d’autres. Il en résulte des disproportions considérables, sinon dans la durée de la vie, du moins dans la nature et dans la puissance du travail. Or, tous les efforts des économistes quand ils s’occupent de l’alimentation, doivent aboutir à la rendre aussi saine et aussi réparatrice que possible. La nourriture qui rend l’homme plus fort, qui demande à ses organes moins de travail, qui offre le plus petit volume avec la plus grande quantité de substances propres à être assimilées au corps, est la meilleure. La viande offre tous ces avantages. Son usage doit donc être conseillé. Mais la viande est aussi la plus chère des denrées alimentaires, et si elle doit finir par donner au corps une plus grande puissance, elle demande aussi des sacrifices qui ne sont pas toujours en proportion avec le salaire de l’ouvrier.

Une augmentation dans la production serait un premier moyen de porter remède à cet état qui préoccupe sérieusement les hommes habitués à étudier de près les besoins des populations. Des efforts ont été tentés dans ce but, et ils ont déjà obtenu des résultats. Mais ils peuvent, ils doivent aller plus loin et, s’ils se généralisent, l’agriculture y gagnera, et avec elle, la santé publique.

Une réglementation dans la vente, a paru aussi devoir donner satisfaction à des plaintes générales. Les essais divers et nombreux tentés jusqu’à présent n’ont amené dans les grands centres d’où doit partir le mouvement, aucun résultat définitif : mais on peut espérer que toutes ces tentatives ne resteront pas inutiles. Lorsque l’attention se porte sur des objets de cette nature, quand elle est soutenue et éclairée par une expérience de tous les jours, il est rare qu’elle reste stérile.

L’étude de la viande considérée dans ses conditions nutritives, soulève naturellement toutes ces questions. Dans l’intérêt de la santé publique, dans l’intérêt plus particulier des classes laborieuses, il serait à désirer, que les travaux entrepris amenassent dans le prix de la viande une baisse qui, sans nuire aux intérêts de l’agriculture, pût mettre cet aliment à la portée du plus grand nombre : si les conditions d’une bonne hygiène consistent à réduire au plus petit volume les matières confiées à l’estomac, tout en conservant les principes nécessaires à la nutrition, à la digestion et à la respiration, il faut dire que la viande les réunit toutes au plus haut degré.

Toutes les qualités de viande ne renferment pas la même quantité de matière nutritive. Le bœuf occupe le premier rang ; le mouton, le veau et le porc viennent ensuite. Les vieux animaux constituent une nourriture d’une digestion plus difficile, à cause de la rigidité de la fibre musculaire. Les jeunes sont meilleurs pour l’estomac, à cause de la gélatine qu’ils renferment ; mais leur puissance nutritive est plus faible.

Le bouillon de bœuf constitue un extrait de viande auquel on a donné le nom d’osmazome. La nature de cette substance n’est pas bien déterminée. L’osmazome contient beaucoup d’azote, ce qui rend ses qualités nutritives considérables. Outre la gélatine, le bouillon renferme encore de la graisse qui est entraînée après quelques modifications subies dans l’estomac, et transportée par les vaisseaux lymphatiques dans le sang qui la dépose en nature dans le tissu cellulaire. Elle y reste en dépôt pour subvenir, en cas de nécessité, à la combustion opérée dans l’intérieur du corps, et nécessaire à l’entretien de la chaleur animale.

Ces différentes observations sont applicables, en tenant compte de la quantité des substances nutritives, à toutes les espèces de viandes. Celle dont l’usage est le plus accessible aux ouvriers de Castres est la viande de porc. Ils la mangent salée et très-rarement seule.

Le poisson frais n’entre pas dans leur alimentation. La sardine salée et le hareng sont fréquemment employés. C’est une nourriture indigeste et dont la puissance nutritive est très-faible. Cependant, comme elle est accompagnée ordinairement d’une quantité de pain ou de millas, elle produit un résultat salutaire, en sollicitant la sécrétion d’une plus grande quantité de suc gastrique, et devient ainsi indirectement utile à la digestion.

À ces aliments principaux se joignent un grand nombre de substances qui n’ont qu’un rôle accessoire dans la vie de l’ouvrier. En les examinant pour reconnaître les avantages qu’elles offrent ou les inconvénients qui résultent de leur emploi, il n’est pas possible de déterminer exactement le rôle qu’elles jouent, et l’action qu’elles exercent sur la santé des ouvriers. Un fait ressort pourtant de toutes ces observations, c’est que, le régime végétal est la règle, et le régime animal l’exception, pour l’alimentation de ce qui constitue l’ensemble des ouvriers de Castres.

La boisson a son importance dans l’économie intérieure de l’homme. Elle exerce son influence sur l’organisme, et agit d’une manière heureuse ou défavorable sur l’état du corps.

L’eau est la boisson la plus usuelle. Celle de Castres est-elle bonne au goût et à l’estomac ? C’est une question depuis assez longtemps jugée, pour qu’il ne soit pas nécessaire de la poser d’une manière sérieuse. L’eau des puits devrait être peu employée, parce qu’elle n’offre pas les avantages de celle qui a coulé au grand air. Celle de l’Agoût réunirait toutes les conditions d’une boisson agréable et bienfaisante, si elle était dépouillée des substances étrangères qu’elle reçoit en trop grande quantité. Aussi la population tout entière, a-t-elle accueilli avec faveur la promesse de la réalisation prochaine d’un projet trop ancien. En demandant à l’Agoût la quantité d’eau nécessaire pour donner satisfaction aux besoins de la ville de Castres, on a pris le moyen le plus sûr et la solution la plus conforme aux données de la science. Cette eau filtrée par un moyen quelconque, mais énergique, serait un véritable bienfait ; et si tout le monde s’en félicite, peut-être est-il permis à ceux qui recherchent les causes dont l’action peut être puissante sur la santé publique, de saluer avec joie cette promesse, et de remercier l’administration assez prévoyante pour réunir les moyens d’exécution, et assez dévouée aux véritables intérêts de la ville, pour avoir la volonté ferme et persévérante d’arriver à une réalisation.

Les ouvriers boivent rarement du vin. Ils avaient dû y renoncer complètement dans les années qui viennent de s’écouler : et cette privation a été fâcheuse pour ceux d’entre eux dont le travail est pénible, et demande un grand développement de forces musculaires. Pris modérément et avec une sage distribution, le vin exerce une influence bienfaisante. Pris en quantité, après une privation de quelques jours, il provoque un état qui n’est pas toujours immédiatement fâcheux, mais dont les conséquences sont en général funestes.

La bière est une boisson de luxe. Quant aux spiritueux, employés dans de rares occasions et à petite dose, ils agissent d’une manière favorable : mais l’abus est bien près de l’usage.

Les propositions qui se déduisent naturellement de cette première partie du mémoire doivent concourir, avec l’étude de la topographie de Castres et de sa température, à un ensemble d’observations et de conséquences qui seront résumées dans la dernière partie du travail de M. Calvet.


M. V. CANET rend compte d’un bulletin adressé par la Société archéologique de Béziers.

Ce bulletin renferme d’abord une notice sur le dessèchement de l’étang de Montady. Ce travail considérable qui a donné à la culture une surface de plus de 500 hectares, est attribué aux Romains. Du reste, ce n’est pas un fait isolé, et toutes les fois que des difficultés vaincues ont amené d’importants résultats ou créé de nouvelles sources de richesses, la tradition nomme invariablement les Romains ; tant est grande l’idée qui est restée dans les esprits de leur puissance !

L’étang de Montady a été desséché en vertu d’une charte de 1247. L’auteur de la notice, M. l’abbé Ginieis, publie cette charte, et la fait précéder de l’examen de toutes les opinions émises, ou des diverses descriptions faites par des voyageurs et des géographes. Ce travail est très-intéressant. L’article suivant est un mémoire présenté par les consuls de Béziers dans un procès contre les consuls de Gignac, relativement à la fertilité respective de leurs terroirs, et à la répartition proportionnelle de l’impôt. Ce mémoire date de 1462. Il renferme des faits locaux assez importants, et donne une idée complète sinon de la répartition de l’impôt, du moins des revenus de quelques corps. On a souvent étudié la question de l’impôt : malheureusement les documents n’ont jamais été assez nombreux, ni assez complets, pour permettre cette comparaison d’où doit jaillir la vérité. Plusieurs mémoires du genre de celui que renferme ce bulletin, seraient une précieuse indication.

La séance publique du 13 mai 1858 occupe la dernière partie du bulletin.

M. Carou, président, traite dans son discours des élections faites à Béziers en 1789, pour les États-généraux. Ce travail, stérile au premier aspect, se développe sous l’investigation savante et la pénétrante observation de M. Carou. Si les renseignements sont purement locaux, ils touchent pourtant à des questions générales, et permettent de suivre la formation successive des diverses parties qui maintenaient dans l’ancienne constitution française une puissante unité, au sein d’une variété dans laquelle nous ne voyons trop souvent que du désordre. L’état des communes, celui des paroisses et celui des fiefs, sont successivement indiquées. Il en résulte une très-intéressante exposition historique qui se termine par la désignation des noms des députés.

M. Camp, principal du collège de Béziers, a présenté dans la même séance un rapport sur des lettres inédites de Mairan. Il est toujours intéressant de revenir sur la vie des hommes qui ont contribué à l’illustration d’un pays ; leur mémoire y gagne : le respect ou l’affection qu’ils inspirent s’agrandit, l’émulation devient plus vive, et des vues nouvelles, des indications précieuses peuvent surgir des détails les plus insignifiants en apparence.

M. Camp a tiré un grand parti de cette étude sur les lettres inédites de Dortous de Mairan. Il accompagne ses citations d’ingénieux commentaires, de fines observations, d’inductions savantes. La physionomie de Mairan, ses préoccupations, la direction de son esprit, tout cela se dégage simplement, facilement, de ce rapport plein de faits utiles et de considérations élevées.

Le dernier travail de ce bulletin est le rapport sur le concours de 1858.

La Société Archéologique de Béziers n’a rien perdu de son éclat, et ses solennités conservent toujours le même attrait. Elle continue à exciter de nombreuses et honorables ambitions. Le rapport de M. Gratien Cabanes est plein d’intérêt, et s’élève par une tendance naturelle, à des considérations d’un ordre supérieur. C’est en cela que semble consister véritablement la valeur d’un rapport. Borné à un simple exposé, sans toucher à des questions morales, à des considérations littéraires, il n’aurait qu’une valeur relative. Animé par des idées générales, par cette critique vraiment créatrice qui modifie et refait, il devient une œuvre importante. Parmi les noms cités dans ce rapport, la Société littéraire et scientifique de Castres trouve avec plaisir celui de M. Combes, son président, mentionné honorablement pour une étude sur la langue romane.

La Société, archéologique de Béziers a adressé aussi un bulletin contenant deux pièces en vers patois, qui complètent la réimpression utile et intéressante du Théâtre recueilli en 1664, par Jean Martel. Celle publication sera l’objet d’un travail spécial.


M. DE LARAMBERGUE donne lecture d’un rapport sur une notice de M. le docteur Clos, intitulée : Pourret et son histoire des Cistes. Cette notice relative à la vie et aux travaux de Pourret, a pour but de faire connaître la priorité de ce botaniste, dans la découverte et la description de plusieurs plantes inconnues à son époque.

Pourret naquit à Narbonne en 1754. Doué d’une rare aptitude pour l’observation, et d’une activité infatigable, il connut bientôt toutes les plantes du midi de la France. Il passa plusieurs années à Montpellier, puis dégoûté de l’étude de la médecine, il entra à 29 ans dans les ordres sacrés, et se montra successivement à Paris, directeur des magnifiques collections d’histoire naturelle du cardinal de Brienne, à Barcelonne, professeur d’histoire naturelle à l’université, et enfin à Madrid, sous-directeur du jardin botanique.

Les renseignements et les travaux de Pourret contribuèrent à la publication des flores de Gouan, Lapeyrouse, Wildenow. Il fournissait des matériaux à Linné qu’il lui écrivait : Nullas litteras tam avidè exspecto ac tuas. C’est sur l’invitation de Linné qu’il a travaillé à la refonte de certaines familles de plantes du midi de la France, et notamment de celle des Cistes.

Pourvu d’un canonicat à Orense, puis de la charge de chanoine trésorier dans l’église de Santiago de Gallice, Pourret n’en continua pas moins ses études favorites. Il fut enlevé à la science en 1818. Il légua son herbier d’Espagne à l’école de pharmacie de Santiago, et son herbier général, un des plus magnifiques, suivant l’expression de Lapeyrouse, est devenu la propriété du muséum d’histoire naturelle, qui l’a dispersé dans ses collections.

M. le docteur Clos signale des mémoires imprimés de Pourret sur différentes familles de plantes et sur la flore Narbonnaise. Parmi ses manuscrits demeurés inédits, M. Clos indique des itinéraires pour herboriser dans les Pyrénées, la Chloris narbonnensis, la Chloris hispanica, et enfin le projet d’une histoire générale des Cistes. Ce dernier travail avait été adressé en 1783, à l’académie des sciences de Toulouse.

L’histoire générale des Cistes comprend la mention ou la description de 22 espèces, dont 6 ou 7 nouvelles pour la flore de France. M. Clos se livre à une discussion minutieuse sur l’histoire et la synonymie de chacune d’elles. Il fait ressortir l’antériorité et le mérite des découvertes du botaniste narbonnais, et rattache, par le moyen de l’hybridation, aux espèces de Cistes décrits par Pourret, plusieurs espèces ambiguës qui ont reçu des noms modernes.

Il y aurait un travail de réparation et de restitution à faire. Pourquoi les différentes espèces de Cistes découverts, classés et décrits par Pourret ne conserveraient-ils pas son nom ? Pourquoi ne témoigneraient-ils pas de ce que lui doit la science ? La propriété doit être sacrée en tout, et la revendication pour chacun de ce qui lui est dû, est une des prescriptions de la justice.

Il appartenait à un homme de conscience et de talent, à un successeur de Pourret, dans la société savante qui reçut ses premiers travaux, d’appeler l’attention sur ce fait, et de revendiquer pour ce savant modeste, la restitution de ses découvertes. La voix de M. le docteur Clos sera entendue et une injustice sera réparée.

Sur la proposition de M. de Larambergue, M. le docteur Clos, professeur à la faculté des sciences de Toulouse, est nommé membre correspondant de la Société.


M. DE GRIMALDI, sous-préfet de Castres, lit un mémoire sur les causes de la dépopulation des campagnes, aux environs de Castres, et sur les moyens d’y remédier.

C’est avec raison que les économistes se préoccupent depuis plusieurs années de deux faits : d’une tendance marquée à un décroissement dans la population, et des émigrations nombreuses qui risquent de détruire l’équilibre, en dépeuplant les campagnes, et en jetant dans les villes des familles qui ne sont pas assurées d’y trouver leur subsistance.

Le décroissement de la population est-il réel ? La question est fort controversée, et les économistes sont arrivés sous ce rapport à des conséquences directement contraires. Il semble que lorsqu’on appuie ses opinions sur des chiffres, le doute ne puisse pas être permis ; mais il y a tant de manières de les classer, de les combiner, de les confondre, que toutes ces ressources ne laissent pas toujours à la vérité le moyen de se produire. Aussi discutera-t-on longtemps avant d’avoir obtenu une solution. Cependant l’attention portée sur cette question peut avoir des conséquences heureuses. La connaissance de la cause du mal n’est-elle pas la première condition, pour le choix et l’application du remède ?

S’il y a dans la société une espèce de trouble, si la population diminue sur certains points, pour prendre ailleurs un accroissement démesuré, si elle ne paraît plus attachée aux lieux où vivaient ceux qui l’ont précédée, si elle se déplace avec une facilité déplorable, il y a des causes qu’il pourrait être intéressant et utile d’étudier. Pour le décroissement dans la population, en le considérant dans son principe même, on touche aux questions les plus vives, et aux faits les plus intimes de la vie morale. Cette étude ne peut pas être liée à d’autres : elle a besoin d’être envisagée seule, pour être bien comprise : elle réclame une place à part, comme tous les grands faits sociaux dont les conséquences se prolongent pour le progrès, l’immobilité ou la décadence de la société. Cependant, sans envisager la question à ce point de vue élevé et général, qui peut amener aux considérations les plus graves et les plus puissantes, il est possible d’étudier avec un certain intérêt, le mouvement qui se produit dans la population renfermée dans des limites circonscrites. C’est ce qu’a fait M. de Grimaldi, en examinant dans quelle mesure s’est produite l’émigration pour l’arrondissement de Castres, quelles sont les localités dans lesquelles le mouvement s’est manifesté avec le plus d’intensité, enfin quels sont les remèdes efficaces qui peuvent être opposés à un mal dont il est du devoir de chacun de se préoccuper.

Le dénombrement de 1856 a constaté que la population a diminué dans 78 communes, sur 92 dont se compose l’arrondissement de Castres. Cette diminution est de 7,764 habitants. Elle a augmenté de 2,029 habitants dans 64 communes : 13 cantons sur 14 ont subi une diminution. Un seul, celui de Castres, a gagné 1,247 habitants. La diminution a varié dans une proportion de 97 à 7 pour mille. Saint-Amans-Soult est à la tête de cette liste, qui se termine par Labruguière.

Les cantons qui ont le plus perdu sont ceux de la montagne, ceux surtout qui se trouvent situés sur la limite des départements de l’Aude, de l’Hérault et de la Haute-Garonne, dans lesquels des travaux publics considérables étaient en voie d’exécution : d’un autre côté, dans les cantons industriels, la dépopulation des petites localités a été compensée par une augmentation au chef-lieu.

Quelles sont les causes de ce mouvement ? Elles sont générales et particulières.

Parmi les causes générales, on peut placer en première ligne la rigueur du climat et l’aridité relative du sol. Les neiges de l’hiver, les pluies du printemps obligent à des chômages plus ou moins considérables, mais toujours fâcheux, parce qu’ils rendent impossible l’économie. Les salaires sont d’ailleurs peu élevés. De là les émigrations régulières, mais momentanées, dans les plaines du Languedoc, pour le travail des vignes, la moisson et la vendange. Les effets de ces émigrations, fâcheuses d’ailleurs pour la santé et la moralité des familles, exercent aussi leur influence sur les dispositions des habitants qui se transplantent plus facilement, après quelques voyages, dans la contrée où ils trouvent un climat plus doux et un travail plus lucratif. Il y a disproportion, en effet, entre le salaire que les ouvriers de la campagne retirent chez eux, et celui qu’ils peuvent trouver dans un pays plus riche. Ils ne se rendent pas compte que ce salaire plus avantageux, est largement compensé par des inconvénients, des dangers et des nécessités de nouvelle espèce : ils ne voient que la somme rémunérant une journée, et ils abandonnent ainsi facilement une terre à laquelle, d’ailleurs, il faut bien le reconnaître, ni les souvenirs, ni les liens de famille ne peuvent plus les rattacher.

La cherté des subsistances qui, pendant plusieurs années, a pesé cruellement sur les petits cultivateurs, les artisans et les ouvriers, a contribué à déplacer la population et à la jeter, soit dans les centres industriels, soit vers les grands ateliers de travaux publics. Ce déplacement ne s’est pas effectué en une seule fois. Il a été progressif : d’abord le chef de famille a tenté un nouveau moyen de subvenir à ses besoins, puis peu à peu la famille l’a suivi, dans l’ordre de l’âge ou de l’aptitude au travail.

Dans les cantons de la montagne, la transformation progressive de l’industrie a rendu la situation plus fâcheuse encore. Avant l’emploi des machines destinées à carder et à filer le coton et la laine, les fabriques de Castres, de Mazamet, de Vabre, de Bédarieux, de Lodève, fournissaient un travail assuré pendant le chômage des travaux de la terre. Les différents membres de la famille y trouvaient un salaire qui s’ajoutait utilement à celui des occupations ordinaires. Les femmes et les enfants concouraient ainsi aux dépenses communes. Les premières, plus stationnaires par leurs goûts et leurs habitudes, pouvaient ainsi plus facilement résister à des projets de déplacement. Les seconds s’accoutumaient à une vie régulière et laborieuse. Ils ne pouvaient songer de bonne heure à quitter des lieux où leur existence était assurée. L’industrie en manquant à ces populations, les a laissées moins attachées à leur pays.

Enfin dans certaines localités, l’application du régime forestier aux bois communaux, a privé de ressources un certain nombre de familles qui, de temps immémorial, avaient vécu du produit de ces bois qu’elles exploitaient à leur profit. Elles sont allées chercher un travail qui ne devait pas manquer de quelque temps, et un salaire relativement très-considérable, dans les grands travaux des chemins de fer de l’Hérault.

Telles sont les causes diverses qui ont provoqué ou favorisé le mouvement d’émigration parmi les ouvriers et les agriculteurs. Quelques-unes de ces causes doivent disparaître, et il semble que les populations deviendront dès lors plus stationnaires. Cependant il y a des causes permanentes, comme la rigueur du climat, l’infertilité du sol, les chômages forcés, la suppression de certains travaux industriels, qui doivent continuer à agir d’une manière puissante. Mais d’un autre côté, la diminution des naissances indique, peut-être en même temps, un affaiblissement moral et un appauvrissement graduel ; le déplacement devient plus facile, il passe dans les mœurs. Tout cela constitue un fait économique des plus importants, et auquel il importe de s’arrêter, toutes les fois que l’on veut étudier les mouvements qui se produisent au sein de la société, et les diverses influences sous lesquelles elle marche.

Mais il ne suffit pas d’avoir signalé les causes de l’émigration et la proportion dans laquelle elle s’est produite : il importe de rechercher les remèdes par lesquels peut être combattu ce fléau, dont les ravages déjà fort étendus menacent de s’accroître encore.

Si le cultivateur abandonne le lieu où il est né, c’est qu’il n’y trouve pas une existence assurée. On est frappé, en parcourant les montagnes des environs de Castres, de la dénudation des versants. Non seulement une immense étendue de terre ne produit rien, mais l’absence de toute culture et de la végétation, enlève tout point d’appui à la couche végétale, et compromet les récoltes inférieures, en les laissant sans abri contre la violence destructive des vents du sud et de l’ouest, et l’action funeste des neiges et des pluies torrentielles. Le reboisement se présente donc comme le premier moyen indiqué pour augmenter la production de certaines terres, créer des revenus dans d’autres, et par conséquent répartir, dans une plus large proportion, les moyens d’existence. Ces plantations seraient faites aux frais des communes, dans les terrains qui leur appartiennent, et les pauvres cultivateurs qui se jetteraient avec résolution dans cette voie, trouveraient certainement un encouragement et des secours.

D’un autre côté, la culture est arriérée. Les améliorations ne s’introduisent que péniblement, et le plus souvent, elles deviennent impossibles à cause des dépenses qu’elles exigent. La chaux, ce précieux amendement, commence à être connue dans la montagne. Les gisements y sont nombreux : l’exploitation est facile et peu coûteuse. Il suffirait de quelques encouragements pour multiplier les fours à chaux, et rendre par conséquent plus accessible, par le rapprochement et l’effet naturel de la concurrence, un moyen assuré d’amélioration agricole. Des primes, des récompenses multipliées qui donneraient du courage et de la persévérance au travail intelligent et actif, à la lutte vigoureuse contre un sol ingrat et difficile, attacheraient de nombreuses familles à leurs travaux, et par un espoir séduisant, comme par un résultat précieux, empêcheraient une émigration dont on a presque toujours à déplorer les suites.

Certaines industries particulières à l’arrondissement de Castres peuvent encore fournir un moyen de retenir les habitants des centres populeux de la montagne. À Montredon, à Labruguière, à Roquecourbe, de nombreuses familles agricoles privées du travail de la terre, vivent en grande partie de la fabrication des bonnets de laine et des bas travaillés à la main. Si ces industries étaient encouragées par des commandes, si de nouveaux débouchés leur étaient offerts, la fabrication, en s’étendant, apporterait dans les familles un peu plus d’aisance. Ces occupations sont facilement accessibles aux membres trop souvent inutiles. Leur travail, quelque minime que soit d’ailleurs la rémunération, serait un lien qui les rattacherait au sol natal.

Ces remèdes tiennent, pour ainsi dire, à la contrée elle-même : il en est un autre dont le gouvernement dispose et qui, le jour où il pourra être appliqué, assurera, pendant de longues années, le bien-être des populations les moins favorisées de la montagne. C’est l’exécution de grands travaux d’utilité publique, et particulièrement d’un chemin de fer, depuis trop longtemps et trop instamment sollicité, pour qu’il ne soit pas le vœu et l’espérance de tous. On sait tout ce que peuvent de semblables créations, pour le développement de la richesse publique. Autrefois, lorsqu’on voulait créer ou rétablir la prospérité dans une province, on creusait des canaux, on rendait les fleuves navigables, on abaissait les barrières, on supprimait les obstacles qui s’opposaient aux échanges de l’industrie et à la libre circulation des produits agricoles. Aujourd’hui, les chemins de fer sont devenus l’instrument le plus puissant des transformations économiques : ils excitent la production, ils multiplient les échanges, ils donnent un prix réel à des objets dédaignés ou méconnus. D’un autre côté, la construction elle-même, semble la transition facile et inévitable pour l’augmentation des salaires. Leur insuffisance est reconnue aujourd’hui : cependant l’agriculture ne peut pas faire de plus grands sacrifices, et l’industrie elle-même a besoin de toutes ses ressources. Si la construction d’un chemin de fer devenait favorable à l’ouvrier, en fournissant l’occasion d’augmenter dans une juste mesure son salaire, l’exploitation aurait bien vite créé pour le propriétaire, le progrès dans le revenu, qui peut établir un équilibre satisfaisant pour tous les intérêts. L’industriel serait entraîné dans la même voie, et il jouirait des mêmes avantages. Le résultat obtenu se maintiendrait, car les salaires, sans conserver le niveau auquel les aurait fait arriver une surexcitation momentanée, s’arrêteraient dans une proportion qui les éloignerait également de l’insuffisance actuelle, et d’une exagération qui serait funeste à tous les points de vue.

La création d’un chemin de fer qui desservirait l’arrondissement de Castres, peut donc être considérée comme un des moyens les plus efficaces et les plus sûrs d’arrêter un mouvement déjà fâcheux, dans les conditions où il se produit, et dans les proportions auxquelles il est arrivé ; mais qui, en prenant un plus large développement, deviendrait inévitablement compromettant pour les intérêts de l’agriculture et de l’industrie.