Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/3/3

III.

Séance du 31 Décembre 1858.


Présidence de M. A. COMBES.

M. le président donne lecture d’une lettre de M. le Préfet du Tarn, relative à la brochure contenant les procès-verbaux de l’année 1857—58.

Un bulletin de la Société académique des Hautes-Pyrénées est renvoyé à l’examen de M. Cumenge.

Mme  veuve Grillon, imprimeur, et MM. Pagés et Balaran, lithographes, offrent à la Société un calendrier pour l’année 1859.

M. A. Combes fait remettre à chacun des membres de la Société un exemplaire de son roman historique intitulé : la Peste et les Fortifications, chronique castraise, du temps du cardinal de Richelieu.

M. Parayre communique à la Société le dessin d’une pierre sculptée, trouvée dans la maison de M. Prat, rue Nauzinauquières. Cette pierre représente les armes de France entourées de deux branches de laurier. On lit au-dessus la date de 1590.

M. l’abbé BOYER lit un rapport sur une livraison de l’Art Chrétien.


Ce recueil est à sa troisième année. Rédigé principalement par des ecclésiastiques, patroné par un grand nombre d’évêques, il est destiné aux archéologues et aux artistes. Par des études sérieuses, des observations savantes et des indications variées, il fera mieux comprendre et mieux apprécier un passé trop oublié. Il répandra le goût et les connaissances de l’art le plus élevé dans ses inspirations, le plus louable dans ses produits, et le plus utile par l’influence qu’il exerce sur les savants et sur les masses. L’homme d’étude voudra le consulter sur des questions d’histoire, de religion, de mœurs, de croyances. Il sauvera de la destruction ou de l’oubli, une multitude d’objets précieux qui existent souvent ignorés. Il dirigera bien des restaurations et présidera à la construction ou à l’ornementation de plus d’un monument, dans un siècle dont la mission semble être de rendre justice aux âges passés, et de réparer les ruines de tout genre, amoncelées par le siècle qui l’a précédé.

M. l’abbé Boyer, après cette appréciation d’ensemble sur le but de la Revue de l’Art Chrétien, analyse les principaux articles du numéro adressé à la Société. Il en fait remarquer la riche variété et l’intérêt. Œuvre sérieuse, soignée à tous les points de vue, elle a semblé, dès ses premiers pas, appelée à prendre une place honorable parmi ces publications où l’on est toujours sûr d’apprendre quelque chose, et dans lesquelles se trouvent des explications et des renseignements que l’on chercherait en vain même dans les ouvrages spéciaux. C’est l’avantage incontestable qu’offrent les travaux qui résultent d’une collaboration étendue et consciencieuse. C’est le mérite de la Revue, c’est la garantie de son succès.


M. V. CANET rend compte du Cours de Géographie pour les écoles du département du Tarn, par M. Cros, secrétaire en chef de la sous-préfecture de Castres.

Ce petit ouvrage a les qualités essentielles à un livre destiné à renseignement. Il est simple, clair, méthodique. M. Cros, dans une longue et intelligente pratique, a remarqué les inconvénients qui résulteraient pour les jeunes élèves des classes primaires, du procédé habituellement suivi pour la démonstration de la géographie. On comprend que lorsque les études doivent être poussées jusqu’à un certain point, et arriver au développement de l’enseignement secondaire, on puisse dès les premiers moments, s’occuper des différentes parties du monde, et leur accorder l’attention spéciale que réclame l’étude de l’histoire. Lorsque au contraire le temps est borné, et que l’instruction ne doit pas dépasser le niveau primaire, il importe de suivre une autre méthode et d’obtenir, le plus promptement possible, un ensemble de notions d’un caractère utile. La vie du plus grand nombre des enfants qui fréquentent les écoles primaires, ne doit pas s’étendre au-delà d’un certain cercle. C’est là que doit s’attacher particulièrement leur attention. Les connaissances générales offrent leur intérêt comme elles ont leur utilité : mais lorsqu’il n’est pas possible de tout réunir, pourquoi ne se bornerait-on pas à des études de détail relatives à ce qui est immédiatement sous les yeux ? Il y a sous ce rapport une lacune regrettable ou une direction fâcheuse. Ce que connaissent le moins les enfants, c’est le pays dans lequel ils vivent. Ils sont également étrangers à son organisation ecclésiastique, administrative, judiciaire, civile, financière et militaire. Ils ne se rendent compte ni des institutions qui nous régissent, ni de la manière dont s’exerce, se divise et s’applique cette action générale qui constitue le gouvernement d’un pays. Lorsque ces notions n’ont pas pénétré de bonne heure dans l’intelligence, il est rare qu’on les recherche plus tard, ou qu’on en reçoive une idée vraie et complète. Voilà pourquoi la méthode de M. Cros parait appelée à rendre des services véritables.

D’un autre côté, les traditions s’affaiblissent : l’esprit de famille semble perdre tous les jours quelque chose de son action bienfaisante. Rien ne remplacera assurément ce que l’on apprenait, sans s’en douter autrefois, au foyer domestique. Cette histoire traditionnelle qui se transmettait sans effort, qui se contrôlait sans difficulté, n’existe plus, et il est fort à craindre qu’elle ne revive pas. Mais il est des notions que l’école peut donner, et qui permettent de ne pas ignorer complètement ce qu’ont été les lieux où l’on doit passer sa vie.

Ce cours commence par des notions générales sur le monde, les divisions d’eau et de terre, les définitions des différents termes en usage dans la géographie. Il se continue par une étude détaillée sur le département du Tarn et ses quatre arrondissements. Cette étude renferme la situation du canton, quelques détails sur le chef-lieu, le nombre et le nom des communes, des renseignements sur le passé historique des divers lieux, sur le commerce, l’industrie, l’agriculture, les curiosités, la nature du terrain, les produits minéralogiques. Le chapitre suivant est consacré à l’organisation intérieure, dont les détails apparaissent avec ordre et offrent un tableau complet. La France avec ses divisions, ses bassins, se présente ensuite. Ses départements sont classés d’après leur position naturelle relative à la mer, aux montagnes, aux fleuves, aux rivières. Après quelques notions générales sur les cinq parties du monde, le cours de géographie se termine par une notice statistique sur les villes d’Albi, de Castres, de Gaillac, de Lavaur et de Mazamet. Cette notice simple, précise et complète, n’est qu’un appendice ; et à ce titre, elle semble rejetée avec raison à la fin du livre. Cependant elle eut eu plus naturellement sa place dans l’étude successive des quatre arrondissements du département du Tarn. Elle semble rompre l’unité et nuire à cette gradation si bien ménagée, qui est un des mérites du livre de M. Cros.

Ce cours de géographie est depuis quelque temps adopté dans un certain nombre d’écoles. Il n’aura pas été inutilement appris par les élèves, ni vainement expliqué par les maîtres. On a remarqué bien souvent qu’un grand nombre de personnes qui ont conservé un souvenir très-précis de l’histoire grecque et de l’histoire romaine, sont hors d’état de dire ce qui s’est passé dans leur patrie. La France a subi, sous ce rapport, pendant bien longtemps, une influence à laquelle il serait bon d’échapper. On n’aime bien et d’une manière durable, que ce que l’on connaît. Les élèves des écoles primaires du Tarn auront appris dans la géographie de M. Cros, à se rendre compte de ce qui les entoure, et à conserver des souvenirs du passé des lieux qu’ils habitent ; ils s’y attacheront davantage. Ce sera un bien : ce sera un bon résultat auquel la Société littéraire et scientifique de Castres sera heureuse d’applaudir ; car c’est auprès des jeunes générations, une partie de la mission qu’elle essaie de remplir, en s’attachant, par tous les moyens dont elle dispose, à remettre en lumière ce qu’on a le tort de traiter trop dédaigneusement, ou d’oublier avec une trop persévérante négligence.


M. CALVET, docteur en médecine, adresse à la Société la seconde partie de son mémoire sur Castres, étudié au point de vue médical. Après avoir démontré les effets de l’alimentation, il étudie la topographie de la ville, afin de constater l’influence que ces deux causes réunies exercent sur la santé des habitants.

Les causes prédisposantes des maladies se trouvent pour la plupart, dans l’action exercée sur le corps humain par le régime, la position topographique et la constitution atmosphérique des lieux habités. Si l’alimentation détermine une tendance à certains désordres, on a pu, de tout temps, constater que les maladies présentent des caractères spéciaux, non seulement suivant les divers pays, mais encore dans un même lieu, suivant les saisons. C’est ce qui explique l’importance particulière attachée de nos jours à l’étude des moyens à mettre en œuvre, pour combattre ou détruire les influences fâcheuses qui se produisent, par l’effet de causes diverses, dans les habitations ou dans les ateliers. S’il n’est pas possible de se soustraire à l’action générale d’un climat, il est facile cependant de neutraliser ce qui tient à des conditions particulières de position relative, ou de disposition intérieure. Cette question des logements insalubres est, depuis longtemps l’objet de l’attention des économistes ; et la médecine peut, tous les jours, en constater l’importance. On est d’accord sur le principe, et si les applications ne sont pas encore ni aussi radicales, ni aussi étendues que les intérêts des populations l’exigeraient, c’est qu’il y a toujours loin de la reconnaissance d’une vérité, à l’emploi des moyens qui doivent lui donner sa puissance et son efficacité.

La ville de Castres est située à 0° 4′ 45″ de longitude ouest, et à 43° 35′ 44″ de latitude nord. Elle est donc à deux degrés et demi environ au-dessous de la partie moyenne de la zone tempérée. Elle est construite dans une plaine qui offre une pente assez marquée dans la direction du nord au midi. Du côté du nord, et sur la rive droite de la rivière, la plaine se développe dans le sens de la largeur, où elle présente une étendue de 5 à 6 kilomètres : sa longueur ne dépasse pas 2 kilomètres. Elle se termine au pied de la dernière assise des montagnes du Sidobre. La végétation prend à ce point un aspect, tout à fait différent de celui qu’offre la plaine : à une riche variété succède une uniformité que des efforts intelligents feront probablement disparaître dans peu d’années. De vastes plantations ont été entreprises, et si elles sont destinées à ajouter à la fortune du pays, elles ont aussi un rôle à jouer dans sa constitution atmosphérique.

Au midi, la plaine prend un développement considérable ; à l’est, s’élèvent les assises superposées de cette chaîne qui atteint rapidement une hauteur considérable et porte le nom de Montagne-Noire. Au nord et au sud, s’étendent deux vastes rameaux de cette chaîne. À l’ouest de Castres, le plateau de Saint-Jean vient, par une pente assez douce, expirer au pied des premières maisons.

Le sol de Castres est formé d’une couche de terrain d’alluvion dont la profondeur est variable. Au-dessous, s’étend un lit de sable : la charpente est généralement formée par des carbonates de chaux. De distance à distance, se présentent quelques gisements de gypse. Vers le nord, sur les bords de la rivière, on retrouve les traces d’une mine de lignite que la médiocrité des résultats ne permet pas d’exploiter.

Les rues sont en général étroites et tortueuses. Les maisons qui les bordent sont assez élevées, de manière à empêcher le soleil de pénétrer jusqu’au sol. L’air circule difficilement : aussi l’humidité et les boues séjournent. L’existence de quelques jardins au milieu des vieux quartiers, diminue un peu les effets fâcheux de cette mauvaise disposition. Les maisons y sont en général mal construites ; leur distribution intérieure est peu favorable à la santé, les ouvertures sont insuffisantes.

L’Agoût est bordé de filatures, de papeteries, d’ateliers de teinturier, de mégissier, de tanneur. Les exhalaisons qui s’échappent de ces diverses maisons, peuvent exercer une influence funeste sur la santé. Il en est de même des industries qui travaillent la laine. Les précautions prises à l’intérieur, la disposition des ateliers, une bonne ventilation, peuvent jusqu’à un certain point, neutraliser les influences délétères, dont il est cependant nécessaire de tenir compte, si l’on veut réunir toutes les causes qui, directement ou indirectement, agissent sur la santé publique.

Les variations de température ne sont pas très-marquées. Il est possible cependant de constater quelques retours assez brusques ; mais ils sont loin de ressembler à ces changements profonds que l’on observe dans d’autres pays, et qui doivent exercer sur le corps une action nuisible.

Les montagnes qui entourent le bassin au centre duquel Castres est bâti, ne peuvent pas être sans influence sur la température. La hauteur de quelques-unes d’entre elles et les forêts qui les couvrent, amènent la formation de vapeurs qui se résolvent en pluie.

Lorsque les vents d’est, sud-est, nord-est qui sont connus sous la dénomination générale de vent d’autan, ont cessé de souffler, la pluie survient ordinairement. Voici comment pourrait être expliqué ce fait. De Saint-Pons, part une chaîne non interrompue de hauteurs qui forment les plateaux de La Salvetat, d’Anglès et du Margnés. Elles se terminent par une large croupe qui s’élève peu à peu jusqu’au pic de Montalet, et s’étend dans la direction de l’est à l’ouest, sous la dénomination de montagnes de l’Espinousse, pour aller se confondre avec le Larzac, ramification importante des Cévennes. C’est une immense muraille qui sépare brusquement les plaines du Bas-Languedoc, des pays arrosés par l’Agoût, le Tarn et l’Aveyron. Les vapeurs élevées de la mer, des étangs, des cours d’eau et des rosées abondantes, chassées par les vents d’est, sud-est, nord-est, trouvent un centre d’attraction très-puissant, qui les relient sur la ceinture de ces hauteurs. De là elles envoient des rayons étendus, qui se développent sous l’influence de vents violents.

Si ces vents cessent de souffler, et que les vents opposés les remplacent, les vapeurs se condensent par le refroidissement qu’occasionne ce passage, et elles retombent en pluie. La pluie est particulièrement entretenue par le vent du sud-ouest. Le vent du midi est très-rare.

Il résulte de ces observations qu’il existe à Castres des causes d’insalubrité, qu’elles dépendent de l’agglomération des maisons et de certaines industries, que le climat, également à l’abri d’un froid très-rigoureux et d’une chaleur excessive, est en général peu sujet à de brusques variations.


M. Raymond DUCROS rend compte des livraisons de Juin, Juillet, Août et Septembre, de la Société de la Lozère.

Le pape Urbain V est toujours l’objet des savantes et infatigables recherches de M. T. Roussel. Il n’est pas une seule des époques, un seul des actes de cette vie qu’il n’ait étudiés, mis en lumière et jugés. L’ensemble de ces travaux sera important pour l’histoire.

Des études d’archéologie religieuse présentent un intérêt réel.

M. T. Roussel prouve que l’épithète de Gavach employée en général en fort mauvaise part, n’a pas son origine dans le nom des anciens peuples du Gévaudan, des Gabali, dont César loue le caractère énergique et belliqueux. Ce mot dont l’étymologie est inconnue, aurait servi à désigner les habitants de quelques cantons de Lot-et-Garonne, où seraient venues des colonies du centre. Ces colonies mal vues, auraient été désignées avec haine et mépris par leur propre nom, qui, employé bientôt par les Espagnols, serait devenu synonyme de malpropre et lâche.


M. C. VALETTE lit la seconde partie de son travail sur le daguerréotype, et l’influence qu’il doit exercer sur les arts d’imitation.

Quels sont les éléments sur lesquels opère le daguerréotype ? Peut-il, comme le dessin, perfectionner la forme, suivant les traditions accréditées par les siècles ?

Le daguerréotype rend les objets avec une précision irréprochable : mais la nature humaine n’offre pas toujours un degré suffisant de perfection dans ses détails ; et c’est pour arriver à sa plus noble expression, que les artistes grecs se servaient de plusieurs modèles dont ils combinaient les parties, pour former un ensemble qui répondit à leur idée. Ainsi l’art avait des préférences, et ces préférences n’étaient pas arbitraires. Il s’agissait de prendre ce que la nature offrait de plus satisfaisant, pour les yeux et pour l’esprit. Ce principe posé, l’art a dû subir les règles dont les maîtres avaient fait, dans leurs chefs-d’œuvre, une éclatante application. Ainsi, s’est établie la tradition qui règne en souveraine dans toutes les créations de la pensée humaine.

La forme primitive avait dû être épurée par un choix intelligent. L’habitude de ce choix forme le goût, par lequel, dans toutes les œuvres de l’imagination, quelle que soit leur forme, on discerne le vrai du faux, et l’on distingue jusqu’aux plus légères nuances. Voilà l’art véritable. Si la peinture, par exemple, consistait à reproduire, sans choix et sans exclusion, tout ce qui existe, aurait-elle ce caractère élevé, cette puissance d’action qu’elle exerce par des œuvres savamment combinées, mais harmonisées dans leur ensemble, et fidèles par leurs détails, à cette admirable proportion des parties qui, suivant Winckelman, est le caractère essentiel du beau ?

Sans doute, tout a son côté poétique. Le laid même trouve crédit. On n’a pour s’en convaincre, qu’à considérer quelques œuvres littéraires écloses à la suite du mouvement romantique, et certaines compositions artistiques qui n’ont pas reculé devant les scènes les plus repoussantes et les réalités les plus hideuses. Mais ce n’est pas dans des singularités qu’il faut chercher le vrai. Le beau en tout est toujours un peu sévère, a dit M. de Bonald. On le comprend, lorsqu’on suit le travail d’exclusion que doit faire l’esprit, pour arriver à donner au beau la forme par laquelle il plaît à l’esprit, non pas seulement d’une manière passagère, mais par les caractères véritables d’une forme inaltérable.

Est-ce à dire que le beau manque de souplesse et de mouvement, comme on n’a pas craint de le lui reprocher ? Non certainement. La variété est une des conditions essentielles de son existence ; la variété ne naît pas d’un mouvement irréfléchi, ni de brusques et singuliers rapprochements. Où trouvez-vous plus de variété que dans les bas-reliefs du Parthénon ? Et pourtant, dans un grand nombre de scènes de ce véritable poëme taillé dans le marbre, le caractère, l’attitude, le costume des personnages sont les mêmes. Chacun ne vit-il pas pourtant de sa vie propre, et ne trouve-t-on pas dans l’ensemble cette variété sur laquelle l’esprit se repose toujours avec plaisir ?

Ainsi, l’art ne doit pas être réduit au rôle inférieur qui résulterait pour lui de reproductions faites sans intelligence, sans goût et sans traditions. Il n’a de grandeur véritable et de beauté réelle, que par une sage inspiration, au service de laquelle il met une forme régulière sans raideur, pure sans recherche, et variée sans singularité.

Quels sont les éléments du daguerréotype ? Il a pour modèle la nature telle qu’elle est, et l’image qu’il produit est la représentation exacte de ce qui est. Il lui est donc impossible de modifier son œuvre, quelle qu’elle soit, par le goût et par l’inspiration. Si ses œuvres se généralisaient, il en résulterait évidemment une déviation du sentiment du beau. On s’habituerait bientôt à tous les types, on ne discernerait plus les différences même les plus tranchées, le beau se confondrait avec le laid, le sublime avec le trivial, et à plus forte raison, ces nuances intermédiaires qui donnent au goût tant de jouissances, disparaîtraient pour jamais.

Ces craintes ne sont pas exagérées. Le daguerréotype voudra profiter de sa popularité, et l’on sait jusqu’où peut entraîner le désir de plaire, uni à l’appât de l’argent. Si la photographie ne donnait que des portraits, si elle se bornait à la reproduction des chefs-d’œuvre de la peinture, de la statuaire et du dessin, elle aurait de bons résultat, car elle propagerait les saines doctrines, en multipliant les moyens d’épurer le goût. Mais il ne peut en être ainsi. La faveur populaire l’entraîne. Elle se jette dans le genre, et il est facile de prévoir déjà jusqu’à quel point elle s’avancera. La peinture historique n’a rien à craindre encore de la photographie, comme moyen d’imitation ; mais on doit redouter l’influence qu’elle exercera nécessairement sur le style. Il faut si peu de chose ! et si un ouvrage a quelquefois suffi pour opérer une révolution dans le goût, combien ne doit-on pas craindre la multiplicité de ces œuvres qui pénètrent partout ?

Aussi n’est-ce pas sans raison, que les véritables artistes suivent avec crainte le développement de la photographie. Ce n’est pas pour eux une question de concurrence, mais une question d’art.

Elle est assez importante pour préoccuper ceux qui ont fait de l’art l’occupation de leur vie.


M. V. CANET rend compte des droits et priviléges de la communauté de Castres, contenus à l’hommage rendu au roi par les consuls, le 9 Juillet 1613. L’original de ces libertés forme un volume in-4° de 47 pages, en parchemin. Borel paraît ne pas l’avoir connu, quoique son livre soit de 1649. Il réduit à 13 articles, les priviléges de Castres, et il prétend avoir résumé tout ce qu’ils renferment d’important. Depuis, si ces libertés ont été invoquées dans certains différends survenus entre la commune de Castres et la couronne, il n’en a pas été donné de texte complet. Il importe cependant, lorsque l’on s’occupe de reconstituer les corps trop peu connus encore, malgré les travaux faits de nos jours, de pouvoir s’appuyer sur des témoignages authentiques.

L’hommage de 1613 fut fait par devant Messire Pierre de Madron, seigneur de St-Jean, trésorier général de France en la généralité de Toulouse, et Pierre de Lacger, juge ordinaire. Les consuls Fréjeville, Lavergne, Raynaud et Albert, étaient assistés de Messire Daniel de Ligonnier, docteur et avocat en la cour et la chambre de l’édit. Voici cette pièce qui donnera plus tard lieu à quelques observations.

Art. 1er . Les habitants de la ville et consulat de Castres ont la faculté de faire paître leur bétail, par tous les herbages et pâturages de la ville et université.

Toute personne ayant maison ou possession dans le consulat, peut y demeurer comme bon lui semblera, seul ou avec sa famille, avec ou sans bétail.

Art. 2. Chacun peut cueillir des glands ou autres fruits sauvages, en emporter sur la tête, mais sans bétail, tant qu’il pourra. Cette liberté est reconnue dans les appartenances du consulat, et dans les bois de Boissezon, d’Augmontel, de Castelnau, de Belfortès.

Chacun peut également cueillir des châtaignes et autres fruits, et mener paître son bétail dans ces bois, à condition qu’il retourne, la nuit, dans sa maison.

Art. 3. Chacun peut user à la volonté des eaux des rivières et fontaines pour naviguer, pêcher ou boire.

Art. 4. Tout habitant peut, sans permission de personne, prendre du bois dans ces mêmes forêts, et l’apporter dans la ville, pour son usage, qu’il soit destiné à être brûlé ou à servir à des constructions.

Art. 5. Chacun peut tenir un salin, à condition de payer tous les ans au roi deux sétiers de sel.

Art. 6. Aucun habitant ne doit ni péage ni leude, pour avoir acheté ou vendu quelque chose dans la ville.

Il y a une réserve pour la porte de l’Albinque, pour laquelle il est dû au roi sept sols ramondens, et pour le pont d’Agoût soixante sols tournois.

Art. 7. Les consuls peuvent élire des forestiers pour garder les vignes, bois et pâturages. Ces forestiers sont entièrement à la disposition des consuls.

Art. 8. Si quelqu’un a été condamné au fouet, au bannissement, à une peine corporelle ou à la mort, tous ses biens meubles et immeubles passent à ses héritiers.

Il n’y a d’exception que pour les crimes d’hérésie et de lèze-majesté.

Art. 9. Nul ne pourra être arrêté et mis en prison pour dettes ou pour crimes légers, s’il donne caution.

Art. 10. Ceux qui se battent jusqu’à effusion de sang, sont punis de 60 sols d’amende. S’il y a eu trahison et danger de mort, la punition est laissée à la discrétion du juge.

Art. 11. Celui qui sera mis en prison et trouvé innocent, ne paiera rien au geôlier. S’il est trouvé coupable, il paiera un sol, et s’il est condamné à mort ou à la perte d’un membre, le geôlier aura ses habits.

Art. 12. Nul ne peut être dessaisi de son bien, meuble ou immeuble, par la cour ou official, sans connaissance de cause.

Art. 13. Celui qui aura été condamné au bannissement pour homicide, rapt de fille ou de femme, ne peut être rappelé qu’après avoir payé l’amende et fait réparation aux parents ou amis de la personne tuée ou ravie. L’amende est déterminée par les consuls et leur conseil.

Art. 14. Si quelqu’un achète publiquement un objet dérobé, il ne sera tenu à le rendre, qu’après qu’on lui aura remboursé ce qu’il aura payé.

Art. 15. Chacun peut prendre des gages de sa dette.

Art. 16. Le bailli doit prêter serment dans la maison commune, en présence des consuls, entre les mains du seigneur de la cour, ou de son lieutenant. Il doit promettre de bien remplir sa charge, de ne prendre ni lui ni sa famille, aucun don, de demeurer cinquante jours dans la ville après être sorti de charge ; s’il possède des biens immeubles dans le consulat, il paie comme les autres. Le serment est renouvelé si le bailli reste plusieurs années en charge.

Art. 17. Le jour de la fête de la Circoncision, l’élection des consuls est faite par le conseil. Créés par les officiers du roi, ils prêtent le serment ainsi que le conseil nouveau. Ils promettent fidélité au roi. Ils s’engagent à observer et faire garder les libertés et franchises de la ville, à être fidèles dans leurs charges, et à rendre bon compte de leur administration.

Art. 18. Les consuls ne peuvent sceller du sceau de la ville aucun instrument ou lettres concernant les intérêts publics, ou portant obligation, qu’avec le consentement de l’université ou de la plus grande partie des habitants.

Art. 19. Les consuls et leur conseil peuvent examiner les notaires qui se présenteront pour prêter serment. Ils doivent recevoir ce serment sans exception, à moins qu’il ne fût prouvé qu’ils sont indignes de leur charge.

Art. 20. Les consuls ont le droit de nommer et de destituer un trompette ou guet.

Art. 21. Ils ont la surveillance dans tout le consulat, des mesures du blé, du vin, de l’huile, des draperies, de tous les poids, sans avoir besoin de recourir à la cour des officiers du bailli. Ceux-ci n’ont le droit de se mêler des poids et mesures, que dans le cas de négligence ou de connivence des consuls.

Art. 22. Les consuls peuvent augmenter ou diminuer le prix du pain selon la valeur du blé. Ils ont le droit d’imposer des amendes aux boulangers, s’ils manquent aux obligations de leur état. Chacun peut vendre son vin au prix qu’il voudra, et à la mesure qu’il aura choisie, à moins qu’il ne l’ait fait crier. Alors, il est sujet à la loi.

Art. 23. Les consuls ont intendance sur les bouchers, et sur le bail des boucheries. Tous les ans, les bouchers s’obligent par serment devant eux. S’ils vendent la chair d’un animal qui n’a pu aller sur ses pieds à la boucherie, ils sont condamnés à une amende de sept sols ramondens et à la confiscation : si la viande est corrompue, les consuls doivent la faire jeter et punir les bouchers à leur arbitre.

Art. 24. Les consuls ont la surveillance des chemins et des rues. Ils ont autorité pour juger toute controverse entre les habitants, en raison des édifices et autres choses civiles.

Art. 25. Les consuls peuvent punir à leur discrétion ceux qui achèteront au marché avant midi, avec l’intention de revendre.

Art. 26. Si un étranger a offensé un habitant, il ne peut entrer dans la ville, qu’après avoir donné satisfaction selon le jugement des consuls.

Art. 27. Les consuls peuvent changer les deniers ramondens en deniers tournois.

Art. 28. Les consuls peuvent prononcer les peines suivantes :

Pour avoir fait entrer du bétail dans des vignes ou possessions d’autrui, y avoir mangé, ou en avoir emporté quelque chose, deux sols et un denier mailhe.

Si le délinquant porte un sac, il paiera sept sols, un denier ramondens, ou sera mis au collier et courra la ville avec le larcin.

S’il a mangé du fruit dans un jardin, il donnera sept sols, six deniers tournois, et s’il ne veut pas payer, il courra la ville tout nu et sera mis au collier. S’il portait des gerbes ou autres charges, il paiera trente sols, un denier mailhe ; s’il avait un sac ou panier, l’amende sera de soixante sols un denier mailhe. L’enlèvement d’un bœuf ou d’une bête grosse, est puni de cinq deniers : des chèvres ou des oies trouvées dans un pré, donnent lieu à une condamnation de deux sols un denier, le jour, et de sept sols un denier, la nuit. Les bouviers qui feront paître dans les blés ou prés, paieront sept sols un denier.

Art. 29. Les consuls ont le privilège par leur propre autorité et sans licence d’autres officiers, d’imposer une amende à ceux qui feront dommages aux jardins juxta cruces civitatis existentes. Si les déliquants ne peuvent pas payer, les consuls et leur conseil peuvent leur imposer la peine corporelle du fouet.

Art. 30. Les consuls ont le droit de tenir un poids pour faire peser le blé porté au moulin, et la farine qu’on en rapporte.

Art. 31. Les consuls ont intendance sur les mesures à blé de la place publique : ils font prêter serment aux portefaix qui en font le service.

Art. 32. Les consuls peuvent mettre des tabliers à la place, en laissant une rue suffisante.

Art. 33. La maison commune, située au lieu de la Couverte, achetée de Pierre Ramond de Touraine, ne sera point ôtée de la ville et université, pourvu que l’on paie la censive accoutumée aux seigneurs.

Art. 34. Les émoluments, en pâte ou en argent des fours de la ville, appartiennent à l’université.

Art. 35. Les consuls peuvent vendre le droit de pêche sur l’Agoût.

Art. 36. Vingt-huit hommes sont choisis tous les ans par les consuls et leur conseil. Douze parmi eux sont présentés au roi ou à ses officiers. Dans ce nombre doivent être choisis les quatre consuls. Les officiers s’assemblent alors dans l’auditoire de la Tour Caudière, et selon l’ancienne coutume, ils font l’élection et la marque des consuls.

Nul ne peut être nommé consul pour la seconde fois qu’après être sorti depuis six ans de charge. L’intervalle pour les membres du conseil est de deux ans. Ces règles sont applicables à toute la famille.

Un consul ou conseiller doit avoir demeuré dix ans dans la ville : pour être nommé consul, il faut avoir été du conseil, n’être pas débiteur de la communauté de plus de trois livres. L’élection ne doit jamais être faite de nuit.

L’encan dépend des consuls qui en perçoivent les émoluments pour la communauté.

Art. 37. La ville a trois foires : le premier jeudi de carême, le jour de la fête de Saint-Julien d’août, et le jour de Saint-Nicolas en décembre.

Art. 38. Elle a trois marchés : le mardi, le jeudi et le samedi.