Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/3/1

SOCIÉTÉ
LITTÉRAIRE ET SCIENTIFIQUE
DE
CASTRES (TARN.)

Année 1858—59.

Procès-Verbaux.

I.

Séance du 3 Décembre 1858.


Présidence de M. A. COMBES.

La Société littéraire et scientifique de Castres s’est réunie le 3 Décembre 1858, pour la reprise de ses séances.

M. de Grimaldi, Sous-Préfet de Castres, est appelé à la présidence, pour l’élection du bureau pendant l’année 1858-59.

Le bureau est confirmé à l’unanimité dans ses fonctions.

En conséquence, M. le Sous-Préfet proclame MM. A. Combes Président, M. de Barrau Vice-président et V. Canet secrétaire, pour l’année 1858-59.

Après avoir proclamé la constitution du Bureau, M. le Sous-Préfet félicite la Société des résultats obtenus. Les espérances des premiers jours sont devenues d’heureuses et fécondes réalités. La Société a marché avec assurance et résolution, dans une voie qui doit l’amener au but qu’elle avait, dès les premiers jours, assigné à ses efforts et à son ambition. Elle s’appuie sur une confiance réciproque, sur l’union fraternelle de ses membres, sur une volonté ferme d’accomplir une œuvre utile au pays. Elle a trouvé autour d’elle de la sympathie ; elle a reçu des témoignages nombreux d’intérêt, qui ont dû lui être bien précieux. Ses deux publications ont montré ce qu’elle pouvait faire, et ce qu’elle doit légitimement espérer. Qu’elle persévère, et elle peut compter sur le succès qui ne manque pas à ce qui est vrai, sincère, utile, généreux et désintéressé.

M. le Sous-Préfet remercie ensuite le Bureau du dévouement avec lequel il a proposé, préparé et accompli, ce qui devait faire éviter les difficultés inséparables d’un début, et donner à la Société, après deux ans d’existence, une place honorable parmi des réunions plus anciennes et plus favorisées par les circonstances dans lesquelles elles se sont produites, ou le milieu dans lequel s’exerce leur action.

M. A. Combes prend le fauteuil de la présidence.

M. le ministre de l’instruction publique et des cultes écrit à la Société qu’il vient de lui accorder un exemplaire des éléments de Paléographie, par M. N. de Wailly.

M. le Préfet du Tarn fait connaître à la Société que le conseil général lui a alloué, à titre d’encouragement, une somme de deux cents francs pour l’année 1859.

M. Rocher, recteur de l’académie de Toulouse, adresse à la Société :

1° Un discours prononcé dans la séance solennelle des facultés à Toulouse, le 17 novembre 1856.

2° Une allocution à l’occasion de la remise faite, au nom de l’Impératrice, d’une médaille d’honneur à la directrice de la salle d’asile de Lectoure (Gers).

3° Un discours prononcé dans la séance solennelle des facultés le 6 novembre 857.

4° Un discours prononcé à la distribution des prix du lycée impérial de Toulouse, le 12 août 1858.

5° Un discours prononcé dans la séance solennelle des facultés, le 20 novembre 1858.

M. Marignac, professeur de logique au lycée d’Avignon, membre associé, fait hommage à la Société du discours qu’il a prononcé à la distribution des prix le 12 août 1858.

M. Lalagade, médecin à Albi, membre correspondant, offre à la Société des Études théoriques et expérimentales sur le virus vaccin d’enfant et de revacciné. La Société en renvoie l’examen à M. Bénazech.

M. Alibert, membre correspondant, fait hommage à la Société de sa notice sur M. l’abbé Paulhé.

M. l’abbé Corblet envoie un numéro de la Revue de l’Art chrétien. La Société charge M. l’abbé Boyer d’en faire l’examen.

M. Dardé, avoué à Carcassonne, adresse une brochure sur Sorèze, et divers opuscules. L’examen en est renvoyé à M. de Barrau.

M. Batiffol, professeur au lycée de Toulouse, écrit à la Société pour lui faire hommage de la deuxième partie du Choix d’expressions latines. La Société charge M. V. Canet du rapport.

M. Clos, professeur à la faculté des sciences de Toulouse, adresse un mémoire intitulé : Pourret et son histoire des Cistes. Ce mémoire a paru dans la publication faite par l’Académie impériale des sciences de Toulouse. La Société en confie l’examen à M. de Larambergue. Un second mémoire de M. Clos, sur l’origine des champignons, sur la truffe et sa culture, sera pour M. de Larambergue l’objet d’un rapport.

M. Montpellier, libraire, fait don à la Société de l’Histoire du Pays Castrais, par M. Marturé, avocat.

Cet ouvrage, en deux volumes, publié à Castres en 1822, sera pour M. V. Canot l’objet d’une étude spéciale.

M. le ministre de l’instruction publique et des cultes s’adresse à la Société, pour lui demander de concourir à la préparation d’un Dictionnaire géographique de la France.

La Société décide que MM. V. Canet et Martin seront proposés à M. le Ministre, comme disposés à entreprendre ce travail pour l’arrondissement de Castres.

M. Balayé, négociant, offre à la Société une médaille en argent, frappée en 1750, par la ville de Paris, à l’occasion du quatrième renouvellement de la charge de prévôt, en faveur de Me Basile de Bornage, conseiller d’état ordinaire, commandeur, grand-croix de l’ordre de St-Louis.


M. ALIBERT, membre correspondant, adresse à la Société un précis historique sur le bourg, le château et le village de Roquecourbe.

La petite ville de Roquecourbe située à 9 kilomètres de Castres sur l’Agoût, tire son nom d’une roche de nature schisteuse, près de laquelle elle est bâtie, et dont la partie la plus saillante semble se pencher sur la rivière. Rupes curva, Roca curva, Roca corba ; c’est ainsi qu’on la trouve successivement désignée dans les cartulaires, les reconnaissances de fiefs, les lettres patentes et autres titres, dont les plus anciens remontent au règne du roi Jean (1350-1364.)

Aucune date certaine, soit de son origine, soit de son existence, ne peut être assignée, avant le commencement du xiiie siècle. À cette époque, lorsque Simon de Montfort, chef de la croisade contre les Albigeois, devint comte de Castres, la seigneurie de Roquecourbe passa dans cette famille, qui en prit possession dans la personne de Guy de Montfort son frère. On voit dans l’histoire du pays Castrais, que Philippe II de Montfort, petit-fils du précédent, vice-roi de Sicile, seigneur de Castres, fit son testament dans le château de Roquecourbe en 1270, avant de partir pour la dernière croisade. Il mourut le 28 septembre de la même année, sous les murs de Tunis, où venait d’expirer le saint roi Louis IX.

Cinquante ans après, en 1319, par une requête datée de Roquecourbe, et adressée au roi Philippe-le-Long, Éléonore de Montfort supplie ce prince de recevoir à hommage le comte de Vendôme son fils.

Il existe dans les archives de Roquecourbe une pièce qui constate la sollicitude d’Éléonore pour les habitants de cette ville. Elle est datée de 1327. C’est un grand parchemin écrit en latin. Il renferme, entre autres privilèges, celui-qui fut accordé le 21 juillet de cette année aux habitants de Roquecourbe, par Éléonore de Montfort, comtesse de Vendôme et de Castres : De ne contribuer à aucun frais, soit de pierre, soit de bois, pour le rétablissement du pont de Roquecourbe.

À l’histoire d’Éléonore, se rattache une chronique qui attribue dans le pays la construction du pont de Roquecourbe à une grande princesse habitant anciennement le château. Cette noble dame, désolée de la perle de son fils qui s’était noyé en passant, dans un bac, la rivière débordée, fit construire un pont entre la ville et le rocher sur lequel on voit les ruines du vieux manoir féodal.

Il ne manque à cette anecdote pour acquérir l’autorité d’un fait authentique, que le nom des personnages, la date de l’événement, et la preuve de la mort par submersion du fils de la châtelaine. Sauf cette dernière particularité, Roquecourbe possède par l’existence de son pont, la preuve historique d’un fait fondé sur une tradition de plus de cinq cents ans.

Au reste, le château de Roquecourbe semble avoir été destiné à abriter de grandes infortunes.

En 1424, il fut témoin d’un événement suivi d’un grand deuil, qui dut laisser dans le pays de douloureuses impressions. Une autre femme du même nom et de haute lignée, Éléonore de Bourbon, fille unique de Jacques de Bourbon et de Béatrix de Navarre, se mariait dans son château de Roquecourbe, à Bernard d’Armagnac qui fut comte de Castres. De ce mariage naquit l’infortuné Jean d’Armagnac, duc de Nemours, qui périt sur l’échafaud, victime autant de ses propres imprudences, de ses fautes et de son ingratitude, que de la politique ombrageuse et de la volonté inflexible de Louis XI.

Quelque temps après, ce prince ayant marié Marie d’Albret sa cousine, qui avait reçu en dot la seigneurie de Roquecourbe, et trente mille livres de rente, à Bouffil de Juges, celui-ci, par un acte daté de Castres, le 22 septembre 1494, fit donation entre vifs du comté de Castres, et des baronies de Roquecourbe, de Lombers, etc., qui en dépendaient, en faveur d’Alain, sire d’Albret, son beau-frère, et de ses héritiers.

Cette baronie et le comté de Castres furent réunis à la couronne le 10 juin 1519.

Roquecourbe, par son voisinage de Castres, se trouva mêlée à tous les événements de quelque importance qui eurent lieu à l’époque désastreuse des guerres religieuses. La ville tenait, en général, pour les religionnaires ; le château pour le parti catholique.

En 1560, Antoine Martin, seigneur de Roquecourbe, était à la tête des catholiques. Il avait à Castres, près de la tour d’Empare, une maison que Bouffard-Lagrange fit démolir, comme pouvant servir à battre la ville.

En 1561, un colloque ou assemblée provinciale se réunit à Roquecourbe. Ce fut le signal d’un armement général.

Le 7 octobre 1572, le château de Roquecourbe, où commandait le capitaine Tournoi, fut pris par les habitants, et malgré la tentative de la Crouzette qui était venu de Castres pour le reprendre, il resta au pouvoir des calvinistes.

Ce fut, sans doute, peu de temps après cet événement, qu’il commença à être démantelé. Toutefois, en 1573, Bouffard-Lagrange et son frère Bouffard-Lagarrigue, partirent de là pour aller s’emparer de la ville de Castres qui était au pouvoir des catholiques. Le 6 octobre de la même année, Bouffard-Lagrange quitta Roquecourbe avec la troupe calviniste qui composait la garnison : il arriva à Burlats dans la nuit, appliqua des échelles entre le pont et le moulin, et s’empara de la place que commandait Missègle.

En 1580, Henri de Turenne prit les châteaux de Lacam, Montfa, etc., aux environs de Roquecourbe. Cette place ne fut pas épargnée. On peut voir encore dans ses archives, trois lettres patentes écrites sur parchemin et signées, la première, par ce même Henri de Turenne (14 juin 1580), les deux autres par Henri de Bourbon, marquis de Malause (20 juillet 1621) et par Henri de Rohan (11 novembre de la même année). Ces trois chefs du parti protestant enjoignent aux habitants de Roquecourbe, de démolir entièrement les masures du château, où il serait facile, disent-ils de se fortifier et d’incommoder la ville, quoique depuis trente ou quarante ans, il ait été de tout point inhabitable.

C’est un certain Jean de Bonnet qui est chargé de l’exécution de ces ordres. On donne permission aux habitants de faire servir les matériaux provenant de ces démolitions, à réparer les fortifications de la ville. Ces trois lettres patentes sont datées de Castres. À celle de Rohan sont encore attachées les armes de cette famille. Ce qu’elles offrent de particulier, c’est que celle de Turenne est antérieure de 41 ans aux deux autres, et que néanmoins elles sont toutes les trois conçues en termes presque identiques.

Les ordres donnés dans cette occasion, durent être rigoureusement exécutés, car on ne voit plus aujourd’hui de ce château, qu’un pan de muraille percé d’une meurtrière, du côté opposé à la ville.

Lors de la paix de 1622, Antoine de Thomas, seigneur de Roquecourbe, fit partie de la députation Castraise envoyée au roi Louis XIII.

L’un des grands capitaines de ce prince, Condé, le père du vainqueur de Rocroy, avait, pendant les hostilités, ravagé les environs de Castres, de Roquecourbe et de Lautrec.

À partir de cette époque, le pays est pacifié, et il y a absence d’intérêt dans l’histoire de ces petites localités. Leur importance était, en général, tellement dépendante de celle de leur château, qu’après sa démolition, leur rôle dans les événements du jour est complètement nul, ou singulièrement amoindri. On ignore même quels furent dans une période d’environ cent ans, les seigneurs de la baronie de Roquecourbe.

Ce n’est qu’en 1720, que les registres de la communauté de Roquecourbe font mention d’une somme de 60 livres que la ville s’imposa, pour faire sculpter et placer sur le clocher, les armes du seigneur de Belle-Isle.

Au moment de la révolution, la famille de Palamini possédait les terres et les titres attachés à la baronie de Roquecourbe.

Le précis historique sur la ville et le château de Roquecourbe, par M. Alibert, est suivi d’une pièce de vers patois intitulée : Lou Castel dé moun endrex. La Société décide qu’elle sera annexée au procès-verbal.

Lou Castel dé moun endrex.

Anciennoment y’abio dins uno espèco d’ilo,
Un castel que lou temps et la guerro cibilo
Oou démantibulat ; y’a pas que lous rétals.
Lous homés et lou temps oou faït as pus brutals.
Lous homés, oh ! déourien né rouxi de bergougno,
Lous homés, ba sabez, anan bité en bésougno,
Pu bite qué lou temps. Lou temps et lou martel
Tantya sé sou benxats dé nostré biel castel.
Es aqui qué dourmis, lou froun dins la poussièïro,
El, dount l’oumbro aoutrés cops barrabo la rébièïro.

Oh ! qui t’a bist el qui té bex,
Paouré castel dé moun endrex,
Coussi lou temps nous destrantaillo !
Quand dins sa ma brandis sa daillo,
L’homé n’es pas qu’un embélex,
Un castel ès mens qu’uno paillo.

Bénez, bénez et trestasen,
Séguissez-me su la montagno ;
Bous moustrareï, cami fasen,
A fa dé castels en Espagno.
À qui, dins aquel carrieïrou
Ount gayrébé digus nou passo,
Mé semblo bésé lou Barou
Que douno dé soun cor dé casso.
Entendi la boix das piqurs,
Entendi lous crits dé la muto,
Et quand tout prend la débarrulo,
Couflé coumo lou réï dé curs,
El s’en tourno dins sa cahuto.

Aqui, sus aquel roc que capuso lou temps,
Et qué lou temps aoura, bou’n mettez pas en péno ;
Lou temps ès trop brénous, a trop missantos dents
Per abé pas rasou dé tout ço qu’entéméno ;

Aqui de moun castel bési mounta las tours,
Entendi dins las nious la raouco birouletto,
Pès quatre bents dal cel on dirio qu’a dé plours ;
On dirio qué sé plant coumo l’éfant qué tetto.

Oh ! qui t’a bist et qui té bex,
Paouré castel dé moun endrex !
Quatre muraillos arrasados,
Dé toun orgul aqui lou xas.
Aco’s égal ya dé pésados
Que lou temps n’esfaçara pas.

Aqui, sus aquel roc, un xoun, dis la chroniquo,
Ya d’aquo pla ioungtemps, Philippo dé Mountfort,
Abant dé s’embarqua per la terro d’Afriquo,
Faguet soun testomen dé mort.
Noble guerrier dé la croisado,
Fier coumpagnou dé Sant-Louis !
El s’atudet dabant Tunis,
Coumo s’atudo la fusado,
Ou la bélugo qué finis.

Un xoun, dins la mêmo démoro,
Uno princesso dé Bourboun,
A d’Armagnac, Eléonoro
Dounet sa ma, joinguet soun noum.
Fatal hymen ! uniou funesto !
Your fil, b’abez lexit béléou,
Nemours, anguel pourta sa testo
Xoust la pigasso dal bourréou.

Mais mé maïni qu’aïci ma muso
A dé garlémos dins lous els.
Biren lou ful. L’homé s’abuso,
Se créï qué touxoun on s’amuso
Et qué tout ris dins lous castels.

Moun castel es bési d’aquel d’Adélaïdo.
L’Agoût per escouta Marbiel et sa cansou,
A flana dins Burlats aourio passat la bido ;
Courrissio xou’l castel d’apassou, d’apassou.

Muso das troubadours, qué ta lyro dourmio !
Mé gardareï fort pla dé troubla soun répaous,
Ya pas pus à Burlats ni Marbiel, ni sa mio ;
Lou temps, coumo pertout, ya passexat sa faous.

Lou temps es un brutal dé fa tant dé rabaxé,
Et l’homé millo cops encaro pus brutal.
Lou temps limo sans brux. Per fa maït dé tapaxé,
L’homé aluco lou fioc, et forxo lou métal.

Lou temps, malgré sa dent murtrièïro,
Aourio bélèou dé moun castel
Laissat escrits sur qualquo pèïro
Un noum coumo lou dé Marbiel.
Mais un xoun la guerro s’allumo ;
Adiou castel. D’un trait dé plumo
Malaouso, Turenno, Rohan,
Sinnou cad’un sur un pargan
L’ordré d’abattré sas muraillos.
Per célébra sas funéraillos,
Dal miex dé sas démoulitious
Sourtiet la Bilo dé Dious.


M. le Président annonce que M. Maffre, curé de St-Benoît, nommé chanoine à Albi et M. Sourrieu, proviseur du lycée de Cahors, deviennent membres associés.

MM. l’abbé Grasset, curé-archiprêtre de St-Benoît et F. Roux, principal du collège, sont nommés membres ordinaires de la Société.


M. PARAYRE entretient la Société d’une particularité remarquable relative à la grotte appelée le Trou du Calel.

Au nord-est de Sorèze, s’élève une montagne argilo-calcaire, appelée le Causse. Sur son plateau, qui présente une superficie de plusieurs hectares, s’ouvrent de nombreuses excavations. La plus considérable et la plus étendue est appelée le Trou du Calel. Elle a été décrite par Faléry, Borel, Lenormant, Massol et le docteur Clos. Il ne reste rien à dire, après ces études faites à des points de vue différents, et avec une exactitude qui permet de concevoir une idée complète des lieux décrits. Mais aucun de ces auteurs n’a signalé le dépôt considérable qu’elle renferme, de déjections de chauve-souris. On peut voir, cependant, à cent cinquante mètres environ de l’ouverture, dans la première grande salle, une grande quantité de poudre noirâtre, friable, peu consistante. Cet amas paraît avoir une épaisseur de deux mètres, sur une longueur de dix.

Examiné avec la loupe, ce guano a présenté des débris d’élitres de coléoptères, qui ont conservé encore la variété de leurs couleurs. C’est donc aux Chéiroptères insectivores que doivent être attribuées ces déjections qui sont restées jusqu’à présent sans emploi, et dont il pourrait cependant être fait usage pour l’agriculture.

M. Ernest Baudrimont a étudié dix-sept espèces de guano, et a constaté leur valeur comme engrais, à cause de la quantité de matière animale qu’ils renferment. M. Hervé-Mangon a fait rechercher avec soin les gisements de déjections des chauve-souris ; et l’analyse chimique des divers échantillons qu’il a reçus, a donné pour résultat, la constatation qu’ils renferment en azote, le cinquième en poids des matières organiques qui s’y trouvent. Le phosphate de chaux s’y présente en très grande abondance.

L’analyse chimique faite par M. Parayre, des déjections trouvées dans la grotte du Calel, a donné les résultats suivants :

Cent grammes de cette matière, incinérés dans un creuset de porcelaine, ont répandu une forte odeur de substance animale brûlée. Le produit de cette opération a donné en matières fixes ou cendres, trente grammes. Des phosphates de chaux, de magnésie et de soude, s’y présentent dans des proportions considérables. On a pu constater aussi la présence de chlorures et de sulfates de chaux, de traces d’alumine, de silice et de fer.

Dans ces conditions, ce guano pourrait être d’une grande utilité pour les propriétaires du voisinage. Sans doute, l’extraction n’est pas aisée, à cause de l’entrée de la grotte, et de la pente rapide qu’elle présente tout d’abord ; mais il y aurait dans l’emploi de ces matières d’assez importants avantages, pour que l’on dût chercher à surmonter ces difficultés. Un pareil engrais a une grande puissance, sous un petit volume. Les résultats obtenus seraient certainement considérables, et une véritable richesse ne resterait pas improductive dans le voisinage de terres qui leur devraient un accroissement précieux de fertilité.


M. Léonce ROUX communique à la Société une note sur la durée de l’incubation chez la tortue mauresque.

L’expérience faite par M. Roux est intéressante à deux points de vue différents : d’abord comme preuve de fécondation rarement observée dans nos contrées, ensuite, comme exemple de la longue durée de l’incubation naturelle chez les reptiles chéloniens. Ainsi, des œufs pondus vraisemblablement dans la première quinzaine de mai, trouvés le 14 juin, n’étaient pas éclos à la fin d’octobre.

« Les tortues femelles, dit Lacépède, s’accouplent quoiqu’elles n’aient pas acquis la moitié de leur grandeur ordinaire ; mais les mâles ont acquis presque tout leur développement, lorsqu’ils s’unissent à leurs femelles. » Le fait est faux, du moins en partie. La femelle qui a pondu les œufs sujets de cette observation, a bien à peu près la moitié de sa taille ; tandis que la tortue qui a fécondé les œufs était encore fort petite. Ce même naturaliste qui confond évidemment sous le nom de tortue grecque deux espèces bien distinctes, la tortue grecque et la tortue mauresque, a commis une autre erreur, lorsqu’il a dit qu’elle ne pond que quatre ou cinq œufs. Ceux qui ont été trouvés étaient au nombre de quatorze ou de quinze. Un tiers environ de ces œufs a été clair.

Un de ces œufs ouvert avec soin, présenta un embryon déjà formé et très reconnaissable. Les yeux fort grands, formaient à eux seuls, presque toute la tête, fort grosse elle-même. Le corps avait sa forme caractéristique ; mais les divisions de la carapace n’étaient pas encore formées : les quatre membres étaient distincts : mais tout était tellement gélatineux qu’il fut impossible de rien conserver. Ainsi, les œufs étaient fécondés, et l’embryon avait supporté sans périr, les pluies glaciales des derniers jours de mai.

Ces œufs avaient été placés dans du sable sec, à un endroit convenablement exposé. Deux mois après (20 août), un second œuf ouvert, montre un petit complètement formé, long d’environ 25 millimètres, présentant très distinctement ses membres, sa queue et toutes les pièces de sa carapace, dont chacune portait déjà la tache noire que l’on voit dans les individus adultes. La tête n’était pas en proportion avec le développement du reste du corps.

Une troisième expérience fut faite le 15 octobre. Le progrès de l’incubation était encore plus manifeste. La tortue occupait presque en entier la capacité de l’œuf, et elle ne différait en rien d’un individu vivant. Seulement, sa carapace était rugueuse et chargée de petites aspérités. L’absorption du vitellus était presque achevée, et l’éclosion de tous les petits semblait assurée. Malheureusement, la température s’abaissa subitement de plusieurs degrés pendant les deux nuits suivantes. L’embryon complètement développé et par conséquent plus sensible, ne pouvait supporter un aussi brusque changement. Les œufs furent alors portés dans un lieu chauffé. Probablement l’embryon était déjà mort. Peut-être aussi, la non réussite tient-elle à ce qu’ils ne furent pas uniformément chauffés.

Il résulte de cerre expérience que les œufs de la tortue mauresque peuvent être fécondés dans nos contrées, et que leur éclosion sera assurée, toutes les fois que les circonstances atmosphériques le permettront, c’est-à-dire lorsque, vers la fin de l’incubation, il ne surviendra pas de trop brusque abaissement de température. Mais le point le plus remarquable qui reste constaté après cette observation, c’est la durée excessive de cette incubation naturelle.


M. C. VALETTE lit une note sur le daguerréotype considéré dans ses rapports avec les arts d’imitation.

Le daguerréotype est-il utile à l’art du dessin ? Quels sont les avantages qu’il peut lui procurer ?

Ces deux questions ont une importance réelle, non pas seulement au point de vue du métier, comme on l’a trop dit, mais au point de vue autrement sérieux, autrement important de l’art.

Il est certain que le daguerréotype, et après lui la photographie, ont apporté des avantages nombreux dans le domaine des sciences, des arts et de l’industrie. Ils sont assez connus, pour qu’il ne soit pas nécessaire de les énumérer. Cependant, le daguerréotype peut-il remplacer, comme on l’a dit, le dessin et la peinture ?

L’art vit d’étude et d’inspiration. Il procède par choix, et combine des effets différents et éloignés, pour les réunir sur une même scène, sur un même point. Ainsi, il n’est pas la représentation exacte de la nature ; il prend en elle ce qui lui convient et dédaigne ou repousse le reste. Sans doute, ces préférences ne sont pas arbitraires, mais elles sont réelles ; et si l’on peut dire que des productions bien comprises et heureusement exécutées sont la nature, on ne peut pas dire qu’elles soient toute la nature. Le daguerréotype, au contraire, opère mathématiquement ; il produit l’identité de la forme, il représente son modèle jusque dans les détails les plus intimes, dans les traits les moins sensibles. La nature entière obéit à son objectif, et tout ce qu’elle renferme peut venir docilement graver son image, en quelques secondes, sur le cuivre, le verre, ou le papier.

Voilà d’abord une différence. S’il s’agit de l’exécution, de sa promptitude et de sa fidélité, il n’y a pas de doute sur la supériorité du daguerréotype. Mais on ne fait pas de l’art dans un intérêt étroit et égoïste. Le daguerréotype après avoir saisi la nature peut la propager sans doute, et multiplier les épreuves ; mais il a recours à l’art et il demande à la gravure de reproduire ce qu’il a si heureusement surpris à la nature. Pour être graveur ou lithographe, il faut être dessinateur. Ainsi, le dessin arrive comme complément nécessaire, indispensable, du daguerréotype. Il a été facile de s’en apercevoir, même au milieu de ce premier mouvement des esprits que l’inquiétude saisit, que les nouveaux résultats transportent, et qui ne s’ouvrent pas ainsi toujours à la vérité.

Pour le portrait, une bonne photographie est un guide sûr. Elle évite au modèle de longues et ennuyeuses séances, et elle garantit une exactitude parfaite. Le peintre d’histoire ne quitte pas son atelier, pendant que le photographe va chercher au loin l’image fidèle d’un champ de bataille, la vue d’un monument, le caractère exact d’un costume.

Le paysagiste n’a plus besoin de confier à son souvenir les sites qu’il a choisis : l’image qu’il en a saisie lui permet de les transporter sur la toile, avec la confiance que donne une certitude complète, sur la plus exacte fidélité.

Ainsi, la photographie est devenue un des éléments du progrès des arts d’imitation. Elle donne la précision mathématique du galbe, et montre le clair obscur dans tous les secrets de sa magie. C’est le cas de rendre hommage à l’école Ingriste. Lorsqu’on appliqua le daguerréotype au portrait, tout le monde remarqua l’analogie de ses résultats avec la manière de M. Ingres. Aujourd’hui que la photographie est allée plus loin, l’identité a remplacé l’analogie, et cette épreuve est venue rendre un hommage éclatant au génie de notre grand dessinateur.

Les expéditions maritimes se servent encore heureusement du daguerréotype, pour le relevé des côtes ; on l’emploie pour le dessin des terrains stratégiques, et la science médicale vient lui demander encore la reproduction d’une opération chirurgicale et celle d’une préparation anatomique.

D’autres applications se produiront encore, et sans aucun doute elles multiplieront les bienfaits du daguerréotype. Mais doit-on déduire de tous ces faits la ruine d’un art qui est la base d’un grand nombre de professions ? L’étude du dessin perfectionne le goût des ouvriers : elle complète leur instruction professionnelle. Pour les gens du monde, il forme le goût et leur prépare un agréable délassement. Nul n’est indifférent à la joie d’une création, et lorsque le crayon ou le pinceau a fait naître un visage, un site ou une scène, il y a pour l’auteur, d’assez grandes satisfactions, pour qu’il ne considère pas froidement l’art qui les lui a données.

Ainsi, l’art et le daguerréotype peuvent être dans une hostilité momentanée. Il a pu se produire des craintes exagérées à côté d’espérances trop hautes et trop absolues. Mais après un temps plus ou moins long d’incertitude, tout s’équilibre : les choses s’établissent par leur propre poids, les exceptions disparaissent, et chaque application de l’esprit prend la place à laquelle lui donnent droit sa nature et ses mérites. La photographie aura eu cependant pour effet, de débarrasser la société de ces artistes équivoques qui ne se sont jamais doutés de la dignité de l’art ; il ne nous restera que ces hommes éminents dont l’admirable génie fixe sur la toile les fastes de l’humanité, ou semble avoir arraché à la nature toutes ses ressources pour la peindre et la reproduire.