Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/2/4
Séance du 8 janvier 1858.
M. Miquel président du tribunal de première instance est présent.
M. l’inspecteur d’académie, en résidence à Albi, transmet à la Société le programme des questions qui doivent être discutées dans les diverses sections du Congrès scientifique d’Auxerre. Il l’invite à se faire représenter à cette solennité littéraire qui s’ouvrira le 2 septembre 1858.
La Société examine rapidement les diverses parties du programme. Les questions qu’il renferme sont relatives aux sciences physiques et naturelles, à l’agriculture, à l’industrie, au commerce, à la médecine, à la chirurgie, à l’histoire, à l’archéologie, à la philosophie, à la littérature et aux beaux-arts. Il sera pris, ultérieurement une décision pour l’envoi de délégués.
La Société impériale archéologique du midi de la France adresse la dernière livraison de ses mémoires qui renferme une monographie de l’abbaye de Granselve par M. Jouglar. Ce travail sera l’objet d’un rapport. La Société en charge M. V. Canet.
M. BATIFFOL, professeur au lycée de Toulouse, fait hommage à la Société d’un volume qu’il vient de publier sous le titre de : Choix d’expressions latines avec notes explicatives pour l’intelligence des auteurs latins. La Société en renvoie l’examen à M. V. Canet.
M. PARAYRE dépose un échantillon de grès trouvé à Sicardens, près de Castres.
M. MARIGNAC rend compte d’un système de mnémotechnie soumis à la Société par M. l’abbé Barthe, aumônier de l’hôtel-Dieu de Gaillac.
La mémoire est une des plus belles et des plus utiles facultés ; elle entre comme élément essentiel dans la plupart des opérations intellectuelles. Sans la mémoire, toutes nos autres facultés deviendraient inutiles. Cette importance explique et justifie les efforts tentés de tout temps par des hommes amis des progrès utiles, pour trouver une méthode simple et facile, de soumettre la mémoire à des procédés qui rattachent à un centre commun, les objets qui lui sont confiés.
Les deux premières qualités de tout système de mnémotechnie sont la simplicité et la généralité. Le système de M. l’abbé Barthe réunit-il ce double mérite ?
Dans son travail qui a une grande importance et un développement considérable, M. l’abbé Barthe fait l’historique des tentatives par lesquelles on a essayé de discipliner et d’aider la mémoire. Chacune ces tentatives repose sur des autorités respectables, et semble avoir ajouté quelque chose à la partie expérimentale. Deux procédés servent de base à M. l’abbé Barthe. Appliqué à reproduire les dates et les faits historiques, il substitue aux chiffres les lettres de l’alphabet. Ces lettres forment des mots qui, dans un ordre déterminé, composent des phrases faciles à retenir. Ainsi se trouvent rappelés à la fois le fait historique et la date. Ce procédé n’a pas le mérite de la nouveauté. Mais les modifications qu’il a subies semblent le rendre plus facile, en éloignant des combinaisons bizarres et forcées.
Le second procédé revient à peu près à celui de Simonide. Il consiste à former un carré composé de 49 cases qui gardent entre elles un ordre déterminé et renferment, dans un rang méthodique, les faits dont on veut garder le souvenir.
Telle est la partie technique du travail de M. Barthe. La seconde partie consiste dans l’application du système à un grand nombre d’histoires particulières.
Un vers renferme la date et le fait historiques. Trois règles générales servent à reconnaître les lettres qui ont une valeur numérique. 1° Les dates de quatre chiffres sont représentées par les deux premières consonnes du dernier mot du premier et du second hémistiche. Ainsi dans ce vers :
Dieu dit : et l’horison parut calme et serein.
Les lettres ayant une valeur numérique sont r, s, s, r qui, d’après la règle établie, représentent 4004, date de la création du monde, par rapport à l’ère chrétienne.
2° Dans les dates de trois chiffres, les lettres à valeur numérique sont la première consonne du dernier mot du premier hémistiche, et les deux premières consonnes du dernier mot du second.
3° Dans les dates de deux chiffres, les lettres numériques sont toujours les deux premières consonnes du dernier mot du vers.
Le travail de M. l’abbé Barthe, sans être irréprochable, est une œuvre consciencieuse qui suppose de nombreuses et patientes recherches, une connaissance complète de l’histoire générale et un esprit ingénieux. Cette première communication est de bon augure pour un précis d’histoire universelle auquel il travaille depuis plusieurs années, et qu’il a le projet de soumettre à l’examen de la Société.
Le bureau est chargé de transmettre à M. l’abbé Barthe les remercîments de la Société pour son intéressante communication.
M. TILLOL fait un rapport sur les observations météorologiques communiquées par M. Alibert, membre correspondant.
Ces observations faites avec soin sont précieuses. Il est regrettable qu’elles soient isolées, et ne s’étendent pas au-delà de deux années. Elles fournissent des points intéressants de comparaison avec les données de l’observatoire de Toulouse. Les inductions que M. Alibert tire des indications barométriques et thermométriques sont justes. Il serait à désirer que, dans la ville de Castres et aux environs, des observations quotidiennes fussent consignées avec soin, afin de pouvoir être comparées à celles qui sont transmises tous les jours, de divers points de la France, à l’observatoire de Paris. Ces renseignements rapprochés finiraient peut-être par mettre sur la voie de la découverte d’une loi qui échappe, jusqu’à présent, aux travaux et aux méditations des savants.
Les différences entre les environs de Castres et Toulouse ne sont pas sensibles. La moyenne mensuelle est presque identiquement la même. Les phénomènes météorologiques se produisent dans les mêmes conditions, et conservent le même caractère de durée ou d’intensité.
Le travail de M. Alibert forme un ensemble d’indications dignes d’intérêt. La Société espère qu’il continuera ses observations et qu’il contribuera ainsi à combler une lacune regrettable. C’est le propre des esprits comme celui de M. Alibert, de porter leur attention sur des objets trop négligés, et de laisser partout la trace d’une investigation intelligente, et d’un jugement aussi sûr que pénétrant.
M. A. COMBES lit la monographie du palais des anciens évêques de Castres, depuis le commencement du règne de Louis XIV, jusqu’en 1789.
Il établit d’abord les raisons qui amènent ces prélats à abandonner leur première résidence située près de l’hôtel de ville, à côté du château des seigneurs, et le reste de la ville agglomérée au Castel-moutou !
En 1665, Michel de Tubœuf, transféré de l’évêché de St-Pons à celui de Castres, entreprit de construire un nouveau palais épiscopal. Le 20 mars 1666, des lettres patentes du roi, pourvurent à cette dépense, au moyen d’une imposition extraordinaire de 24,000 livres, pendant quatre ans, sur les contribuables du diocèse.
Les travaux commencèrent d’après les plans de Jules Hardouin Mansart. En moins de huit ans, l’édifice put être inauguré, et les armoiries de Michel de Tubœuf s’élevèrent sur la porte des offices où elles se voient encore. Il n’y eut plus depuis, qu’à niveler les terrains, comme l’indiquent les fondations en partie découvertes vers le nord, et la hauteur insolite du seuil de la porte cochère qui sert d’entrée aujourd’hui au bureau central de l’octroi.
La construction du palais épiscopal profita de toutes les ressources qu’offrent les environs de Castres, en fait de bons matériaux ; elle trouva dans le pays d’intelligents conducteurs des travaux ; enfin elle donna lieu à plusieurs procès entre l’évêque et le Chapitre, à raison de leurs droits respectifs sur le sol qui devait servir aux bâtiments.
Michel de Tubœuf présida à tout, et il jouit plusieurs années de son œuvre. Il entreprit immédiatement après, de coopérer, de concert avec le Chapitre de St-Benoît, à l’édification de la cathédrale ; mais il mourut à Paris le 16 mai 1682, ne la laissant qu’à deux cannes d’élévation.
M. Combes fait remarquer à ce sujet qu’il semble avoir été dans la destinée de tous les évêques de Castres, moins un seul, depuis la construction de leur nouveau palais, de mourir ailleurs. Michel de Tubœuf à Paris, Augustin de Maupeou à Auch, Quiqueran de Beaujeu à Arles, de Barral à Montpellier, Marc de Royère en Portugal. M. de Lastic de Saint-Jal est seul mort à Castres, et a été enterré dans le sanctuaire de son église cathédrale.
Ces évêques, depuis Michel de Tubœuf, ne changèrent rien aux dispositions du monument élevé par Jules Hardouin Mansart. Seulement, ils s’appliquèrent à y ajouter des accessoires d’utilité ou d’agrément.
Le parterre est dû à Augustin de Maupeou ; il a été fait sur les dessins de Lenôtre ; une magnifique orangerie et un grand potager ont été dirigés par M. de Barral ; enfin une vigne fût plantée par M. de Royère, sur des terrains achetés par lui, et qui arrivaient jusqu’à la fontaine de St-Roch.
Les dispositions intérieures étaient complètes et parfaitement appropriées à leur destination. Dans la cour d’honneur, se trouvaient à droite la chapelle, les salons secondaires et la chambre habituelle de l’évêque ; à gauche, le pavillon de l’officialité, les logements des subalternes, et autour d’une seconde cour, les cuisines, le garde-meuble, les écuries, les remises, etc. Des deux côtés du vestibule, aboutissaient les salles de réception, les chambres d’apparat ou les cabinets d’étude.
Tout cela était admirablement meublé et garni d’ouvrages d’art, parmi lesquels on citait plusieurs tentures des Gobelins, une belle table de marbre et des tableaux, dont deux de Van-Dick ; les autres étaient plus remarquables par les sujets que par l’exécution.
M. Combes termine ainsi :
« Il reste une dernière particularité à rappeler par rapport au palais épiscopal.
« En entrant dans la cour d’honneur, on aperçoit à droite, appuyée partie au mur intérieur, partie au vieux clocher, une petite maison n’ayant qu’une pièce, et garnie, au temps des évêques, d’un mobilier complet évalué, suivant les inventaires, à la somme de 75 livres 4 sols. Ce réduit était habité par le portier, concierge, suisse ou appariteur de Mgr l’évêque de Castres.
« Un de ces évêques, Mgr de Barral, venant de dire sa messe, fixa un jour son attention sur un étranger qu’il avait plusieurs fois remarqué à l’église, où il se montrait d’une piété exemplaire. L’ayant mandé, il apprit de lui qu’il était Suisse, que, né à Fribourg, il avait abjuré le protestantisme pour se faire catholique, que mal vu à cause de sa conversion, par ses anciens coréligionnaires, il exerçait le métier de colporteur, afin de passer dans son pays le moins de temps possible ; qu’à chaque voyage il y retrouvait moins de confiance, plus d’irritation, par suite plus de misère, tandis qu’il éprouvait un plus grand désir de persister dans sa foi nouvelle. Le prélat fut touché de cette position. Il offrit au pauvre Suisse de le garder auprès de lui. Il le nomma portier de son palais épiscopal. Il le maria peu de temps après ; et, le 2 octobre 1757, dans cette loge de portier, de ce pauvre citoyen de Fribourg, qui n’avait conservé de son pays natal que ce nom comme sobriquet, de cet homme qui refusait une lettre de 24 sols de port, parce qu’il n’avait pas cette somme pour la payer à la poste, naissait un enfant destiné à mourir un jour baron de l’Empire français, inspecteur général des ponts-et-chaussées, officier de la légion d’honneur, chevalier de l’ordre de St.-Michel, directeur pendant vingt ans des immenses travaux de la rade de Cherbourg, et époux d’une princesse qui lui avait apporté une dot de 1,500,000, francs de rente. »