Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/2/5

Séance du 22 janvier 1858.


Présidence de M. A. COMBES.


M. Miquel président du tribunal de première instance est présent.

M. Alibert membre correspondant assiste à la séance.

M. Remacle, préfet du Tarn, membre honoraire, remercie la Société de l’envoi de sa publication. Il lui témoigne sa sympathie pour l’œuvre qu’elle poursuit, et lui exprime ses regrets de ne pouvoir participer d’une manière plus active à ses utiles travaux.

La session de 1858, pour les Congrès des sociétés savantes, s’ouvrira à Paris le 5 avril et sera close le 15. Le bureau invite la Société littéraire et scientifique de Castres à s’y faire représenter. Outre les questions de sciences physiques et naturelles, d’agriculture, d’histoire, d’archéologie et de beaux-arts, le Congrès portera d’une manière spéciale son attention sur ces deux points : 1° quels sont les travaux dont les sociétés académiques des provinces doivent particulièrement s’occuper, et quel est le meilleur plan à suivre pour la réalisation de ces travaux. 2° Quel est le caractère et l’utilité des mémoires présentés sur les différentes branches des sciences naturelles et des sciences historiques.

M. PARAYRE offre un échantillon de sulfate de chaux trouvé au bas de la côte de Sicardens.


M. V. CANET remet au nom de M. Combeguille les manuscrits d’Alexis Pujol, médecin, mort à Castres le 15 septembre 1804.

En confiant à la Société les originaux des mémoires publiés, et les études inédites faites par M. Pujol, sur une science qu’il avait si profondément méditée, M. Combeguille tient à conserver au centre même d’où Alexis Pujol n’a pas voulu sortir, tout ce qui peut contribuer à établir sérieusement et par de nouveaux titres, une valeur et des services qui ne sont pas contestés.

Alexis Pujol aimait Castres. Ses manuscrits devenant la propriété de la Société, constateront, pour ainsi dire, même longtemps après sa mort, l’affection qu’il a toujours montrée à un pays dont il est l’honneur et où il a fait tant de bien.

La Société charge le bureau de transmettre à M. Combeguille, avec l’expression de son respect pour la mémoire d’Alexis Pujol, ses remerciements pour le témoignage de sympathie et de confiance dont elle vient d’être l’objet.

M. Bénazech est chargé du classement des manuscrits confiés à la Société par M. Combeguille. Ce classement sera suivi d’un travail d’ensemble sur les œuvres d’Alexis Pujol, et d’études particulières sur quelques points spéciaux. Les services rendus par ce célèbre médecin ne sont pas bornés au petit centre où il a exercé son action et passé sa vie. Peut-être n’a-t-il pas été étranger à certains mouvements qui sont devenus les indices ou les précurseurs de systèmes nouveaux. Il importe de mettre en lumière tous ces faits, et de conserver à la place qu’il doit occuper, un homme dont le nom a une juste célébrité, et dont les œuvres eurent un grand retentissement.

La Société déclare vacantes les places laissées libres dans son sein par la mort de M. Nayral et le départ de MM. Tillol et Marignac.

Il sera pourvu ultérieurement à ces remplacements.

Conformément à l’article 5 du règlement, MM. Tillol et Marignac, sont classés comme membres associés.


M. ALIBERT, membre correspondant, lit un mémoire sur M. l’abbé Paulhé, fondateur et directeur de l’établissement de la Fage.

S’intéresser à l’histoire de son pays ; fouiller dans son passé pour en exhumer quelques-unes de ces richesses archéologiques, qui sous l’apparence d’une valeur purement locale, suffisent quelquefois pour mettre sur la voie d’une découverte importante, ou pour remplir une lacune regrettable, c’est un travail trop négligé jusqu’ici, et auquel la Société littéraire et scientifique de Castres a convié tout le monde autour d’elle. C’est pour répondre à cette pensée, que M. Alibert communique une notice sur l’abbé Paulhé, et sur son institution de la Fage. Cet homme et cette institution, à raison de l’importance de leur rôle passé, devraient avoir leur place dans toutes les monographies du pays. Et pourtant leur nom même était presque entièrement inconnu, à quarante ans à peine d’intervalle. Notre contrée que l’on a si souvent accusée d’être pauvre en hommes et en institutions, s’est montrée jusqu’ici peu jalouse de repousser cette accusation. Elle pouvait cependant le faire victorieusement, en classant toutes ses richesses, et en ouvrant la galerie à ses détracteurs. C’est ce que vient de faire M. Alibert pour l’abbé Paulhé.

Ce travail dicté par le cœur suffira pour montrer de quelle puissance d’action peut disposer, pour le bien, l’homme qui a un grain de foi, et la charité d’un apôtre.

Au sein de la contrée connue sous le nom de Rouergue, à quelques kilomètres d’Alban, dans le Tarn, on trouve une modeste habitation servant de logement à une famille de bons cultivateurs et à l’exploitation d’un petit bien, leur unique domaine. Là naquit le jeune Paulhé en 1749. Aujourd’hui cette habitation est redevenue ce qu’elle était à cette époque. Il a suffi d’un homme pour accomplir sur ce petit théâtre de véritables prodiges. M. Alibert prend le jeune Paulhé à l’époque où il quitte la Fage, pour aller faire ses études au collége d’Albi. Les particularités du départ excitent déjà le plus vif intérêt en faveur de ce pauvre petit pâtre des montagnes qui change sa houlette pour les rudiments de la langue latine, et qui, tout avide qu’il est d’orner son esprit, tremble d’avoir fait un mauvais choix, en renonçant à cette modeste condition dans laquelle il avait plu à la Providence de le faire naître.

Cependant l’élève marche de progrès en progrès. Il devient l’objet d’un intérêt particulier de la part du cardinal de Bernis qui lui fait une petite pension. Il ne fut pas perdu pour l’homme de la Fage cet acte de générosité du Prélat ; car il semblait plus tard que l’abbé Paulhé acquittât une dette, en faisant arriver au complément de leurs études, grâce à son inépuisable et toute paternelle bienfaisance, une foule de jeunes gens pauvres.

L’abbé Paulhé est prêtre : mais, au début de son ministère, il se trouve en présence des événements de 93. Confesseur de la foi au milieu de son troupeau, il tient tête à l’orage ; mais il faut céder : bientôt réduit à fuir, à se cacher pour échapper à la persécution, il accepte les chaînes plutôt que de se laisser ébranler, et de présenter le spectacle d’une honteuse et criminelle défection. Enfermé avec tant d’autres victimes de la fureur révolutionnaire, d’abord à la chartreuse de Saïx, ensuite à l’île de Rhé, il ne fut rendu à la liberté qu’après la chute de Robespierre. Lorsque le calme se fut un peu rétabli, le vertueux Paulhé qui, dans sa profonde humilité, n’abordait le ministère paroissial qu’avec un saint effroi, ouvrit à la Fage une petite école. Voilà l’origine de cette célèbre institution qui a jeté un si vif éclat, et rendu de si nombreux et si importants services.

L’abbé Paulhé accueille d’abord quelques enfants pauvres dans une habitation isolée, au milieu d’une espèce de solitude, au centre d’une contrée sévère, presque sauvage ; et les élèves arrivent par centaines. Ils se pressent dans les bâtiments qui forment l’habitation de la famille, dans ceux qui servent à l’exploitation de la ferme. Granges, bergerie, tout est envahi. Les lits sont enlevés tous les matins pour laisser le local libre pour les classes. 300 élèves sont distribués dans ces bâtiments qui n’ont subi qu’une légère transformation ; car l’abbé Paulhé n’écoutant que les mouvements de la charité qui l’anime, réserve ses petits bénéfices pour aider les familles pauvres dont les enfants lui sont présentés. Il se ferait un crime de tarir cette source, pour satisfaire sa vanité, en élevant de vastes constructions, ou en les appropriant avec quelque luxe.

Les élèves de la Fage se rappellent cette grange, cette bergerie où, sur des bancs à peine solides, viennent s’asseoir côte à côte, et l’élève et le professeur ; ils sont fiers de ces souvenirs, ils les rappellent avec orgueil. Bien des prêtres n’ont pas fait d’autre séminaire que celui de la Fage ; il en est sorti des prélats, d’illustres magistrats, des hommes distingués dans toutes les carrières, qui ont honoré, qui honorent encore leur profession.

Ces élèves ne pouvant tous être logés dans un local si exigu, étaient placés dans les fermes et les hameaux voisins. Les plus aisés y étaient reçus comme pensionnaires ; d’autres moins privilégiés de la fortune, s’associaient pour l’achat des denrées de première nécessité qu’ils mettaient en commun : véritable réunion fraternelle où régnait la plus grande cordialité unie à une simplicité, digne des premiers âges. Ces élèves disséminés sur tous les points de la contrée, dans un rayon de quelques kilomètres autour de l’établissement, se rendaient, deux fois par jour, à la Fage où se faisait la classe, sous la conduite d’un élève, qui avait mérité par son exactitude et son ardeur au travail, cette marque de confiance de la part de leur maître commun. C’était toujours un ecclésiastique, car le plan d’études de la Fage embrassait, outre les classes de latin et de belles-lettres, un cours complet de philosophie et de théologie. De cette diversité d’études résultait une harmonie parfaite. Admis le plus souvent à titre gratuit, l’étudiant en philosophie ou en théologie était en même temps professeur d’une classe de latin, et rendait ainsi à l’établissement l’équivalent des soins qu’il en avait reçus, et dont il continuait d’être l’objet. L’abbé Paulhé avait ainsi réalisé la plus heureuse application du mode mutuel, qui, comme tant d’autres inventions, a eu besoin de passer deux fois la Manche, pour obtenir parmi nous la vogue dont il a été l’objet. On sait que longtemps avant que ce système nous fût apporté d’Angleterre, sous le nom de méthode de Lancaster, Mme  de Maintenon l’avait introduit à St-Cyr ; et plus tard Louis XVI en avait encouragé l’application dans un établissement dirigé en 1780, par le chevalier Paulet, au fort de Vincennes.

Avec une pareille organisation, on comprend comment cet homme infatigable a pu suffire à tous les détails. Il était l’âme de ce vaste ensemble si bien coordonné dans toutes ses parties. Il présidait à tous les exercices, visitait toutes les classes et faisait observer partout une rigoureuse discipline que tempérait une paternelle sollicitude.

Tel était celui dont un inspecteur de l’Université disait, après une première visite à la Fage : « Quand je pense aux prodiges dont j’ai été témoin lors de mon inspection à la Fage, je n’ose prononcer, sans me découvrir, le nom de l’homme vénérable qui a pu les accomplir avec d’aussi faibles moyens. »

L’abbé Paulhé fut enlevé inopinément à ses élèves, en 1820, aux vacances de Pâques. Pendant 37 ans, ses cendres sont restées ignorées dans le cimetière de sa paroisse. Elles viennent d’en être retirées par la piété de ses élèves qui les ont renfermées dans un modeste monument élevé au centre du village d’Alban. C’est le 9 juillet 1857, qu’a eu lieu cette translation solennelle. Mgr l’Archevêque d’Albi, assisté de deux grands vicaires, à la tête de plus de 200 prêtres et d’un grand nombre de laïques, presque tous élèves de la Fage, a béni le monument et la dépouille mortelle de cet homme de bien.

M. Alibert assistait à cette touchante cérémonie. Il a été témoin de la profonde vénération qui est restée, après 40 ans d’intervalle, au cœur de la population de ces montagnes pour l’homme qui en a été la Providence. Il a cru qu’il serait utile de consigner les souvenirs évoqués dans cette pieuse cérémonie. Les hommes qui ont été grands sans cesser d’être modestes, et en voulant demeurer obscurs sont rares ; il est bon de parler d’eux afin de donner au monde un imposant spectacle, et de lui offrir d’utiles exemples. Chacun le comprenait en présence de ces restes précieux, et le sentiment populaire a des manifestations qui ne trompent pas. Ce jour là, les travaux ont été suspendus : les habitants de ces campagnes ont mis leurs habits de fête, et quand on leur demandait où ils accouraient avec tant d’empressement : nous allons assister, disaient-ils, à l’enlèvement du corps d’un saint.


M. V. CANET rend compte d’une publication adressée à la Société par M. Batiffol, professeur au lycée de Toulouse. Cette brochure, qui n’est qu’un fragment d’un ouvrage considérable, est intitulée : Choix d’expressions latines. Elle est accompagnée de notes explicatives renfermant des variantes nombreuses, et des détails de toute sorte, relatifs à l’état intérieur d’un peuple dont on étudie beaucoup la langue, mais dont on connaît trop peu la constitution sociale.

M. Batiffol a voulu être utile aux élèves. Il a pu constater les risques que couraient les études latines, au milieu de cet enseignement multiple rendu nécessaire par les besoins et les tendances de notre époque. Il s’est demandé s’il était bien possible, avec les moyens ordinaires, d’emporter de ses classes une connaissance sérieuse d’une langue si riche en ressources de toute sorte, et consacrée par tant de chefs-d’œuvre. Il a cru qu’un tableau restreint, dans lequel l’élève pourrait étudier le latin dans son essence même, dans ses principes constitutifs, dans son génie propre, serait un secours puissant et efficace. Les langues s’apprennent par comparaison. Ce sont les ressemblances ou les dissemblances qui gravent plus profondément dans la mémoire les expressions et les termes, les locutions, particulières et ce qu’on pourrait appeler les images natives d’un idiôme. Si les élèves sont habitués, de bonne heure, à pénétrer dans l’essence même d’une langue, en consultant l’emploi qu’en ont fait les écrivains les plus accrédités, ils la comprendront mieux, ils s’en pénétreront davantage, et ils retireront de cette étude de comparaison qui forme la grande et utile gymnastique intellectuelle du collége, des résultats importants et sérieux.

Le Choix d’expressions latines est divisé en décades. Une locution latine correspond à une locution française. Ainsi, les points de contact des deux langues sont faciles à saisir, et leur génie se révèle peu à peu, par une pratique constante, mais sans efforts et sans contrainte. Les remarques qui correspondent à chacun des termes de la décade établissent des rapprochements entre les différents écrivains : elles indiquent les conditions de la constitution politique ou sociale de Rome qui se révèlent par le langage : elles donnent enfin sur les mœurs et les coutumes, sur la littérature et la philosophie, la religion et la guerre, la législation et les usages journaliers, des renseignements précieux. La langue est l’image vivante d’un peuple, puisqu’elle est l’interprète de sa vie intellectuelle et morale. Une connaissance profonde des mots qui la composent, des tours qui lui sont propres, des formes qui reproduisent habituellement les conceptions de l’esprit, les mouvements du cœur, les tendances de la civilisation, sera donc uniquement le fruit d’une longue méditation, et amènera d’utiles conséquences.

La publication de M. Batiffol parait digne, à ce seul point de vue, d’une attention sérieuse. Elle est précieuse en ce qu’elle présente, presque sous la forme et avec les avantages réels du dictionnaire, sans les inconvénients qu’il offre à la jeunesse, un répertoire sinon complet, du moins considérable, bien classé, et formé par une critique sage et éclairée. L’élève qui l’aura étudiée avec soin, y trouvera des ressources nombreuses pour l’intelligence des auteurs, et des révélations inattendues, lorsqu’il voudra traduire sa pensée dans une langue dont il ne connaît trop habituellement que les mots et la forme grammaticale.

En apprenant ces expressions rangées par ordre alphabétique, rattachées entre elles par une certaine similitude, il pénétrera dans le génie de Rome, il se trouvera porté dans une société qui ne lui cachera rien. Si nous descendons de Rome par notre langue, si nous nous rattachons à elle par les caractères généraux d’une civilisation fondée sur les principes qu’elle a fait triompher après la destruction du monde païen, il est utile que nous apprenions, de bonne heure, les différences profondes qui nous séparent d’un état social tombé sous sa propre corruption, et que nous sachions tout ce que nous lui devons.

Ces considérations ne seront pas accessibles, sans doute, aux élèves que M. Batiffol avait en vue quand il a publié son recueil ; mais elles semblent naître naturellement d’une première étude ; elles reparaissent avec plus de force après une observation attentive. L’élève trouvera dans ce Choix d’expressions, un aliment à sa mémoire. Il se pénétrera de la substance de ces grands écrivains ; il lui sera plus facile de les comprendre et de les traduire. Il deviendra familier avec le génie de chacun d’eux, comme avec les conditions essentielles de la langue. Un mot fera revivre pour lui un usage ; une phrase contiendra une appréciation, un rapprochement mettra en relief une idée morale. Lorsqu’il sera obligé d’écrire en latin, au lieu de demander au secours toujours ingrat et rebutant du dictionnaire, des idées qu’il n’a pas et des mots qui lui manquent, il n’aura qu’à recueillir ses souvenirs, et chacun des grands écrivains de Rome viendra docilement lui apporter un tribut précieux. Il se servira d’eux comme de son bien propre, il se nourrira de leur substance, et se parera sans effort de leur richesse.

Ainsi, connaissance plus profonde et plus facile de la langue latine, intelligence plus rapide des écrivains qui ont fait sa gloire, pénétration successive des éléments qui entraient dans la constitution sociale antique, tels sont les fruits directs ou indirects, mais toujours assurés, que l’on retirera de l’étude d’un livre modeste par son titre, et plein de bonnes indications, de précieux renseignements. Le Choix d’expressions latines sera utile. Cette gloire en vaut bien une autre ; et ce succès, pour être ordinairement moins envié, n’en semble que plus désirable.

La Société charge le bureau de faire parvenir à M. Batiffol ses remerciements pour l’hommage qu’elle a reçu, et ses félicitations pour la manière dont il a compris et exécuté un travail qui lui semble, dès maintenant, appelé à rendre aux études d’importants services.