Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/2/3
Séance du 24 décembre 1857.
M. le président du tribunal de première instance est présent.
M. le ministre de l’instruction publique et des cultes écrit pour remercier la Société de l’envoi de sa publication, et lui faire connaître les facilités qu’il accorde, pour favoriser les rapports et les communications entre les compagnies savantes.
M. le Préfet du Tarn annonce que le conseil général, dans sa dernière session, a voté une somme de deux cents francs, pour encouragement à la Société littéraire et scientifique de Castres.
MM. LAFERRIÈRE, De QUATREFAGES et le R. P. LACORDAIRE, écrivent pour remercier la Société de l’envoi du diplôme de membre honoraire ; et MM. ALIBERT et LALAGADE, de celui de membre correspondant.
M. l’inspecteur de l’académie de Toulouse, en résidence à Albi, réclame, au nom de M. le recteur, le concours de la Société pour un vaste travail d’ensemble sur la topographie des Gaules, jusqu’au Vme siècle. L’Empereur, qui a conçu la pensée de cette restauration importante d’un passé si fécond en faits pour notre pays, a confié à M. le ministre de l’instruction publique, la direction d’une publication destinée à combler une lacune regrettable de notre histoire archéologique.
Les principaux points recommandés à l’attention de la Société sont :
1° Envoi d’un exemplaire de tout travail (mémoires ou cartes), imprimé ou manuscrit, sur les questions d’archéologie géographique locale, telles que : reconnaissance des voies antiques, exploration des localités auxquelles les auteurs ont attribué des noms Gaulois ou Romains ;
2° Rectification, par la connaissance intime des localités, des erreurs contenues dans les grands ouvrages géographiques, tels que ceux d’Adrien de Valois et du baron de Walkenaër ;
3° Indication, 1° des villes reconnues antiques ; 2° des centres de population établis à l’époque Gallo-Romaine, tels que oppida et camps retranchés ; 3° de la délimitation des civitates et pagi ;
4° Justification des noms de peuples, provinces et villes, par les citations épigraphiques ;
5° Tracé sur la carte de Cassini des voies romaines, avec désignation des portions existantes et des portions disparues, mais suppléées.
Ces questions sont livrées à chacun des membres de la Société. Quoique le pays Castrais présente des traces non équivoques de l’occupation romaine, il est probable que cette occupation, exclusivement militaire, était bornée à quelques points stratégiques. Peut-être sera-t-il facile de les déterminer. De cette première époque qui suit immédiatement la conquête, jusqu’en 647, date de l’établissement du monastère de St-Benoît, l’histoire locale ne renferme aucun souvenir de faits importants, aucun reste de ces monuments que les Romains, jusqu’aux derniers jours de leur domination, multipliaient autour d’eux. C’est pourtant sur une partie de cette époque que doit porter, d’une manière particulière, l’attention de la Société. Elle veut répondre à l’appel qui lui a été fait. Elle y mettra de la bonne volonté ; et peut-être les recherches et le travail concentrés sur ce point, amèneront-ils quelques indications utiles et quelques résultats précieux.
M. l’abbé BARTHE adresse à la Société un fragment considérable d’un ouvrage qui a pour titre : Nouveau système de mnémotechnie appliqué à l’histoire générale. Le rapport est confié à M. Marignac.
M. COMBES lit une notice biographique sur M. Magloire Nayral, que la Société vient de perdre. La voici :
Un premier vide s’est fait dans nos rangs. Notre doyen d’âge vient d’être emporté par une longue et cruelle maladie. La ville entière, représentée par toutes ses administrations, s’est associée aux regrets d’une honorable famille. Il nous appartenait d’y joindre publiquement les nôtres, mais en les motivant. Voilà la tâche que je viens accomplir aujourd’hui, en énumérant devant vous les principales circonstances de la vie de M. Nayral aîné, notre collègue.
Il naquit à Castres le 24 octobre 1789 : il fut baptisé le lendemain à la paroisse de N.-D. de la Platé, sous les prénoms de Magloire-Jean. Le premier de ces prénoms, peu usité dans le pays, a donné lieu souvent à de plaisantes conjectures ; son origine est pourtant très-sérieuse. Il s’agissait de placer le nouveau-né sous la protection du saint du jour de sa naissance ; on fixait ainsi cette époque importante de la vie, à l’aide d’un patronage éminemment catholique. Le second prénom, Jean, constatait la filiation paternelle, en même temps qu’il rappelait le saint paroissial.
Magloire Jean Nayral, fils d’un père négociant originaire, de Saint-Affrique en Rouergue, comme on disait alors, vint au monde le jour même où l’on apprenait à Castres les détails des journées des 5 et 6 octobre, ce premier nuage jeté sur le soleil de notre révolution de 1789, jusques-là d’un éclat si pur, d’une splendeur si glorieuse. Il devait en subir les fâcheuses conséquences ; car si Rousseau avait pu enseigner à nos mères les devoirs de l’allaitement, il ne les avait pas encore prémunies contre les émotions révolutionnaires bien autrement capables de compromettre la santé des enfants, que le sein d’une nourrice étrangère. Magloire Nayral dut à ces émotions une première maladie qui, empêchant le développement d’une partie de son corps, le voua de très-bonne heure aux travaux sédentaires.
Son éducation primaire fut suffisante. Il la reçut dans une de ces écoles à méthodes individuelles, où l’on apprenait pourtant à lire, à écrire, à compter, c’est-à-dire tout ce qu’il est nécessaire de savoir dans toutes les conditions, et ce qu’il sera un jour honteux d’ignorer, quelle que soit la position dans l’échelle sociale. À ces notions nécessaires s’ajoutaient alors quelques connaissances qu’on pourrait appeler de luxe, et qui pourtant ont déterminé plus tard bien des vocations ; c’étaient les fables de Lafontaine ou de Florian, l’Épître à mon habit de Sedaine, le songe d’Athalie ou le récit de Théramène, toutes choses que les enfants s’appropriaient avec plaisir, qu’ils récitaient dans le cénacle de la famille, toujours sûrs d’y être applaudis, et dont le souvenir restait inaltérable en eux.
Tel fut le bagage littéraire avec lequel Magloire Nayral aborda le collège. Il entra d’abord dans une institution secondaire de Castres ; là il commença un cours de latin et de grammaire française, enseignés parallèlement par des maîtres séparés. Deux ans après, il fut envoyé comme élève à l’école de Sorèze. Cet établissement, célèbre autrefois, reprenait de jour en jour sa réputation européenne, à l’aide d’un admirable plan d’études, introduit par les Bénédictins, agrandi et perfectionné par les deux frères Ferlus.
Cinq ans suffirent à Magloire Nayral, pour y puiser une instruction à peu près complète, suivant la carrière à laquelle il se destinait. Ainsi il apprit la littérature française, le latin, l’italien, l’histoire, la tenue des livres de commerce et la musique ; et il apprit tout cela, non d’une manière superficielle, comme on l’a dit souvent par prévention contre les élèves de Sorèze, mais avec le talent d’écrire élégamment en vers et en prose, mais doué de la facilité nécessaire pour traduire les principaux auteurs romains, en même temps qu’Alfieri, dont il se montrait, comme M. Cavaille son maître, le grand admirateur, mais en obtenant le diplôme de membre de l’Athénée d’émulation, ce qui exigeait deux pièces de vers présentées au jugement de cette société littéraire, dans un temps où elle jouissait, même en dehors de l’école, d’un crédit considérable, mais possédant une science musicale telle que nous l’avons tous entendu jouer sur la flûte les concertos les plus difficiles de Devienne, et tenir sa partie dans les exécutions philharmoniques, avec une solidité de talent à toute épreuve.
Avec ou pour mieux dire malgré ces agréments, il rapporta de Sorèze une éducation professionnelle comme il la fallait pour diriger, à peine majeur, une maison de commerce. Cette maison venait d’éprouver de terribles vicissitudes. Magloire Nayral, associé avec son frère, était destiné à la relever, et à s’en faire une source de fortune ; par là il devait conquérir le moyen d’accomplir un de ces actes commerciaux que les constitutions politiques et les codes modernes ont toujours placé au premier rang des actes les plus honorables de la carrière industrielle.
Magloire Nayral, négociant depuis 1810 jusqu’en 1830, ne renonça pas à la littérature. Il en fit son occupation secondaire, mais jamais interrompue. Dans ces moments de loisir que d’autres hommes de sa profession employaient à des plaisirs de société ou à des distractions coûteuses, il recourait à ses auteurs classiques, il passait avec eux les plus beaux moments de sa jeunesse. Toutefois à cette époque, il forma une de ces liaisons qui influent puissamment sur la direction d’une carrière, il connut Daubian, versificateur en langue vulgaire ; c’était son voisin de résidence ; il le fréquenta quelque temps, et il apprit de lui ou des autres membres de sa famille, une infinité de particularités sur l’histoire locale ; ces particularités, il les utilisa plus tard dans son œuvre la plus importante.
En 1822 parut à Castres une modeste feuille d’annonces judiciaires. Ce fut l’occasion, pour plusieurs de nous, d’écrire sur divers sujets tout-à-fait étrangers à la politique. Magloire Nayral déposa là ses premières compositions. Quelques articles de lui sur les versificateurs du dernier siècle, et sur Mme Balard qui venait de mourir, furent principalement remarqués. On y reconnut bien vite les qualités de sa plume facile, consciencieuse, et de son talent éminemment explorateur.
Sur ce terrain, il se rencontra avec un homme qui fut le pourvoyeur pour ainsi dire de ses explorations, et lui fit obtenir en 1829 le diplôme de membre correspondant d’une société philotechnique ; il se nommait Auguste de Labouïsse ; il habitait Castelnaudary ; il possédait une bibliothèque de dix mille volumes, composée principalement des vieux écrivains français et méridionaux. Magloire Nayral puisa là en toute liberté, et de manière à se ménager une ample provision de documents pour un livre, dont la pensée première lui fut inspirée par les travaux de critique auxquels nous nous livrions alors.
Le pays Castrais venait d’enfanter un historien. M. Marturé, avocat, avait trouvé dans la bibliothèque de son père les mémoires manuscrits de Gaches et de Madiane. C’était l’histoire de notre ville de 1555 à 1629. M. Marturé crut la rendre complète en y ajoutant au commencement une analyse de l’ouvrage de Dom Vaissette, en ce qui concerne cette partie de l’ancienne province du Languedoc, et en la terminant par de longues phrases contre le fanatisme, à propos du célèbre procès de Sirven.
La petite feuille d’annonces judiciaires de la ville de Castres s’attaqua la première à cette production ; il ne lui fut nullement difficile de démontrer combien elle était peu instructive, peu exacte, peu recommandable par le style ; en même temps le critique indiquait d’autres sources très-abondantes, auxquelles un annaliste Castrais pourrait puiser dans le but d’être à la fois patriotique et impartial.
Magloire Nayral sut profiter de ces indications. Le premier, (je me trompe) le second dans notre pays, il connut les mémoires de Faurin et du baron d’Ambres, mémoires faits pour rectifier les erreurs de ceux de Gaches et de Madiane. Il trouva là des détails positifs pour une série d’articles sur les personnages historiques qui avaient marqué aux temps des guerres civiles. Ces articles, réunis plus tard, suivant l’ordre alphabétique, et complétés par des articles analogues sur les hommes célèbres des autres époques, ont formé les quatre volumes publiés de 1833 à 1837, sous le titre de Biographie et Chroniques Castraises.
Deux ans avant cette première époque, Magloire Nayral avait résigné sa profession de négociant, pour prendre les fonctions de juge de paix. C’était en ce moment une récompense accordée à ses opinions libérales, qui dataient de son éducation sorézienne et qui ne s’étaient jamais démenties. Non que Magloire Nayral se fût jamais laissé entraîner à des actes d’exaltation, comme l’un et l’autre des deux partis politiques avaient à s’en reprocher alors ; mais parce que, en diverses occasions, il n’avait pas craint de proclamer hautement, en vers sagement pensés, les principes qui portent encore parmi nous la date de l’année de sa naissance.
Négociant ou juge de paix, Magloire Nayral ne se départit pas un instant de ses travaux littéraires. Pourtant il ne s’en fit jamais une occupation exclusive. Il ne comprenait pas (j’avoue partager le même défaut d’intelligence,) que le goût des lettres put devenir un métier. Il croyait, comme moi, que les sciences et les arts pratiques ne peuvent jamais s’en séparer, et que, sous toute forme, pour si poétique qu’on la suppose, il y a toujours un fonds de raison et de réalité, prêt à se traduire en œuvres d’utilité quotidienne.
C’est aussi pour cela que les titres académiques ou les récompenses accordées par les sociétés savantes ne lui ont pas manqué. Nommé tour à tour, après, l’envoi de ses écrits, membre correspondant de la société archéologique et de l’académie des sciences de Toulouse, de la société de statistique de Marseille, de la société philomatique de Perpignan, des sociétés des sciences du Bas-Rhin, de Bordeaux, d’Agen, de Marseille et de l’Athénée du Beauvoisis ; honoré d’une médaille d’or par S. M. l’Empereur pour un chant sur le baptême du Prince Impérial ; lauréat cette année de la société archéologique de Béziers, après un premier essai dans l’art des vers patois, essai inspiré par nos travaux de linguistique, Magloire Nayral était parvenu à une bonne réputation littéraire. Cette réputation, il la devait autant à son érudition classique, profonde, étendue, qu’à son obligeance à concourir, par tous les moyens en son pouvoir, aux œuvres des associations du genre de la nôtre. Jamais un appel fait à cette obligeance, soit au nom de ses parents ou amis pour leurs fêtes de famille, soit dans ces solennités publiques que vivifient un peu, quoi qu’on en dise, les couplets ou les alexandrins, ne le trouva en défaut. Sa facilité, fruit de quarante ans d’exercice, se prêtait à tout.
Ainsi, il participait aux nombreux conseils administratifs qui le comptaient au nombre de leurs membres. Il y assistait avec une exactitude remarquable ; il se chargeait volontiers de travaux que d’autres auraient dédaignés ou traités avec négligence. Secrétaire du comité supérieur d’instruction primaire en 1839, secrétaire souvent du conseil municipal pendant vingt-cinq ans, secrétaire du comice agricole de Castres depuis 1851, membre du conseil d’arrondissement, du bureau d’administration du collége, de la commission de statistique cantonale, etc., son esprit clair et méthodique, sa rédaction simple et fidèle, rendaient sa coopération précieuse ; en même temps ces qualités jointes à un caractère éminemment conciliateur, à une nature essentiellement inoffensive, ont pendant vingt-huit ans, marqué honorablement l’exercice de ses fonctions de juge de paix.
Magloire Nayral, pendant la dernière année de son existence, déjà compromise par l’âge qui aggravait les infirmités de toute sa vie, ou par les souffrances de la dernière heure, a donné la preuve de ce que peuvent l’amour ou l’habitude du travail intellectuel et la puissance des lettres, ces grandes consolatrices, comme s’exprime Cicéron. Associé, un des premiers, et afin de voir se réaliser disait-il, le rêve de toute sa vie, à notre œuvre littéraire et scientifique, il est venu fournir son contingent à quatre séances consécutives, après n’avoir jamais manqué qu’aux deux qui ont précédé sa mort de quelques jours. Il nous a lu d’abord un mémoire sur les Poésies mêlées, mémoire rempli de faits, inépuisable d’érudition, résumant des recherches très-difficiles à faire, surtout dans un pays comme le nôtre qui manque de bibliothèques, et poursuivant une idée de détail dans ses éléments les plus analytiques. En second lieu, il nous a fait connaître le commencement d’un ouvrage qu’il intitulait lettres sur des riens, et dans lequel il se proposait de dessiner par leurs individualités les plus excentriques, les hommes célèbres ou de la littérature ou de l’histoire ; enfin il avait promis à nos futures réunions l’histoire complète de la chambre souveraine, dite de l’Édit, depuis 1595, époque de son établissement, jusqu’au jour où elle fut supprimée, en 1670.
Magloire Nayral s’occupait toujours de versification française. À part un discours d’une certaine étendue, prononcé au mois d’août dernier, à la distribution des prix de notre collége, il venait de composer une Épître à Voltaire et une Épître à Alfred de Musset avant sa mort. Celle-ci seulement est arrivée à ma connaissance. Dans cette œuvre qui a dû se ressentir nécessairement du mauvais état de santé de son auteur, une grande idée semble l’avoir préoccupé par-dessus toutes les autres, l’idée de ramener certaine littérature de nos jours aux vrais principes de la morale, en l’arrachant à des croyances trop exclusivement sensualistes.
Là se trouvent ces deux vers d’une pensée charmante et très-juste ;
Aux femmes pardonnons de perfides caprices :
Elles ont leurs défauts, nous leur donnons nos vices.
Voici la fin de cette pièce ; je la reproduis ici avec l’intention de démontrer que tout en conservant ses croyances classiques, Magloire Nayral avait, sous le rapport du style, déjà subi une certaine transformation à la lecture d’Alfred de Musset, et peut-être aussi au contact de quelques membres de notre Société un peu moins orthodoxes que lui. Je n’aurai pas besoin de faire remarquer la tendance éminemment religieuse qui y domine.
Aigle Musset, vois donc tes jaloux à tes pieds ;
Par l’éclat de ta gloire ils sont humiliés,
Mais c’est, lorsqu’on entend résonner sur ta lyre,
Les chants harmonieux que le bon goût inspire,
Purs d’alliage, et tels que ceux qu’avec ferveur
Au ciel les chérubins font retentir en chœur.
Ce n’est point Don Paez, héros de corps-de-garde,
Et contre le remords incessamment en garde ;
Ni Suzon, cette infâme et lâche obscénité
Où la religion n’est qu’une impiété,
Où des prêtres sans foi parlent meurtre et débauche ;
Ni les marrons du feu, ni Portia, ni Mardoche,
Ni cette Namouna que méconnut Hassan,
Poème où tu te ris du Christ et du croissant,
Où tu parles enfin de tout excepté d’elle ;
Ni ton Franck qui toujours trame une horreur nouvelle,
Qui lassé des plaisirs, de la gloire et du sort,
Voulut n’ignorer rien, et, vivant, être mort ;
Monstre incompréhensible et moraliste étrange,
Autre Faust, dont l’amour causa la mort d’un ange.
Là, parmi des horreurs et des atrocités,
On trouve, je l’ai dit, de sublimes beautés.
Le scorpion, l’aspic aux piqûres mortelles
N’ont-ils pas sur leur corps quelques nuances belles ?
De tes stériles vœux, oh que j’aime les chants !
Que l’amour de la gloire y parle en vers touchants !
Que j’aime aussi le saule, où l’on voit ta Georgette
Ivre de souvenirs en peupler sa retraite,
Sous les cloîtres glacés, dans ces paisibles lieux,
Errer pâle, rêveuse, à pas silencieux,
Étoile sans rayons, fleur souffrante et chérie,
Que dans un seul baiser le zéphire a flétrie,
Et qui, se ranimant par un dernier effort,
Brille d’un chaste amour, puis s’éteint sans remord.
Que j’aime aussi tes nuits, ta lettre à Lamartine,
Et tes autres écrits d’une essence divine !
Mais je ne puis souffrir ces barbares auteurs
Qui sont moins tes rivaux que tes imitateurs.
Je ne lis plus leurs vers, ni ne veux les entendre :
Il faut les épéler deux fois pour les comprendre,
Ainsi n’écrivaient point nos classiques auteurs
Qu’on appelle aujourd’hui pédants ou radoteurs.
Je me nourris du miel de leurs douces paroles,
Et ne fréquente point les nouvelles écoles.
Tu nous dis quelque part que Dieu n’est qu’un vain nom,
Que la vertu n’est plus qu’un masque de bouffon,
Que l’enfer et le ciel, le vice, l’innocence,
Sur un égal niveau maintiennent la balance :
Ton cœur irrésolu, par cela seul puni,
N’en fait pas plus de cas que d’un point sur un i.
De l’irréligion tremble d’être victime,
C’est un arbre qui croit sur les bords d’un abîme.
Il ne donne jamais qu’un funeste produit ;
Le doute en est la fleur, l’athéisme le fruit.
De tes admirateurs tu reçois des couronnes ;
Je ne sais si, plus tard, l’éclat dont tu rayonnes,
Entourera ce front où, fauchés par le temps,
Un fleuve impétueux et qui bondit, superbe, S’engloutit dans un gouffre et disparaît sous l’herbe. Des astres scintillants, des globes radieux, Au plus beau de leur cours s’éclipsent, dans les cieux. Soudain au plus grand bruit succède un vide immense ; Pour toi le présent fuit et l’avenir commence. Prends garde, et songe bien que la postérité, Pèse un auteur au poids de sa moralité.</poem>
Tels sont, Messieurs, les traits principaux de la vie de Magloire Nayral. À vouloir les rattacher tous à une idée synthétique, je me vois forcé de transcrire tout alinéa d’une excellente appréciation, de son talent, faite par un de nos collègues communs.
Voici ce qu’a écrit M. V. Canet dans un journal de la localité :
« M. Nayral aimait son pays. Il avait pour Castres un sentiment patriotique dont, les petits centres nous offrent aujourd’hui peu d’exemples. L’honneur de sa ville natale le touchait ; sa gloire passée lui semblait rayonner jusqu’au présent. Il était jaloux de son avenir. Je reste dans ma petite ville, disait Plutarque, afin de ne pas la rendre plus petite encore. C’est un sentiment pareil qui a inspiré à M. Nayral le plus important de ses ouvrages par son étendue et son mérite. »
J’ajoute : Né à Castres dans une position d’aisance et d’honorabilité qu’il s’appliqua toujours à maintenir ; ne s’étant presque jamais éloigné de cette résidence dont il appréciait, mieux qu’un autre, tous les avantages ; aimant les habitants de Castres, leur ville, ses monuments, les événements passés ou présents dont elle avait été le théâtre, pour ce qu’ils devaient donner à chacun d’utilité ou d’agrément, Magloire Nayral se montra toujours patriote dans le meilleur, sens du mot. Il refléta ainsi le sentiment de progrès, de civilisation, de morale publique que ce mot inaugurait, lorsqu’il l’entendit prononcer, lorsqu’il apprit à le répéter dans le commencement de sa vie. Il resta constamment fidèle à ses premières impressions. On en retrouve les traces dans ses divers ouvrages, Biographie Castraise, Chroniques locales, Mélanges et Voyage à Royan, en prose et en vers, Épîtres ou Discours sur divers sujets littéraires ou politiques, Odes et Couplets de circonstance, La Maladrerie de Burlats, roman historique, Un jeune homme comme il y en a tant, tableau de mœurs, l’un et l’autre inédits ; tout cela se résume dans une double pensée : amour de la littérature légère pour son caractère essentiellement français, étude du pays dans ses notabilités et ses institutions. Cette synthèse n’en vaut-elle pas une autre ?
M. ALIBERT, membre correspondant, adresse à la Société des observations sur l’état de l’atmosphère pendant deux années. Ces observations recueillies avec beaucoup de soin, rigoureusement contrôlées, fournissent des indications d’un grand intérêt pour le pays. Elles seront l’objet d’un rapport de M. Tillol.
M. R. DUCROS lit un travail sur un procès entre les habitants de Saïx et le chapitre de St-Benoît de Castres, leur seigneur suzerain. Ce procès remarquable à plusieurs titres, eut lieu en 1530, au sujet des droits seigneuriaux.
Cette petite ville dont le nom, en latin de Saxis, est dû à la nature rocheuse du terrain sur lequel elle est bâtie, vit sa prospérité grandir rapidement grâce à la richesse du sol, et à la proximité d’un couvent célèbre, la Chartreuse de Saïx, fondé sur l’autre rive de l’Agoût, en 1359. Dès 1129, Bernard Aton, vicomte de Carcassonne, avait cédé tous les droits qu’il possédait sur l’alleu de Saïx, au monastère de St-Benoît, qui vit ainsi compléter son domaine seigneurial, déjà enrichi par des donations importantes de plusieurs rois de France.
Il eut été curieux de suivre les efforts tentés par les habitants de Saïx pour échapper à la domination directe du monastère, pendant tout le cours du moyen-âge. Il est certain qu’il y eut des contestations ; et il est impossible que les idées d’indépendance n’eussent pas de manifestation dans toutes les réunions d’hommes un peu nombreuses. Les documents manquent ; mais le mémoire objet du travail de M. Ducros, prouve que la tentative de 1530, n’était pas un effort isolé. Les moines, car les bénédictins de Castres ne furent sécularisés que quelques années plus tard, en 1555, quoique leur couvent eut été érigé par Jean XXII en Chapitre cathédral par la bulle d’érection de 1317, avaient rendu le joug des habitants de Saïx aussi léger que possible. Ils n’avaient pourtant négligé aucune occasion de constater leurs droits ; et ce n’était pas une précaution inutile, dans une organisation où tout était sujet à contestation, à cause des rivalités d’intérêts et de la multiplicité des juridictions. Lorsque le Chapitre fut forcé de faire reconnaître ses droits d’une manière positive, la question s’engagea sur un terrain nouveau. La lutte fut plus vive, parce qu’un élément plus actif et plus puissant venait prendre sa place et réclamer sa part.
Le roi François 1er pressé par les besoins des finances sans cesse renaissants, à cause des prodigalités d’une cour fastueuse, et des dépenses de la guerre, fut obligé de recourir à des expédients. Un des plus radicaux et des plus efficaces, fut la réunion à la couronne de tous les domaines qui en avaient été détachés à titre gratuit, par lui ou par ses devanciers. Le duché de Berry donné à vie à sa sœur bien-aimée, la reine de Navarre, fut seul excepté de cette mesure. Le roi ne reconnaissait comme aliénations à titre onéreux, que celles qui avaient été faites pour les besoins de la guerre, à dix pour cent d’intérêt, pourvu encore qu’on en apportât un titre authentique. Grande fut l’appréhension des titulaires de seigneuries dont une longue possession formait le seul droit, et, par contre, l’espérance de tous ceux dont le plus vif désir était d’obtenir la réunion au domaine direct de la couronne. Sans doute les habitants de Saïx manifestèrent leurs préférences d’une manière un peu trop marquée, car le Chapitre crut devoir prendre des mesures pour constater ses droits. Il envoya un frère du monastère, avec des ouvriers, pour faire graver ses armes sur les portes de la ville. Excités par leurs consuls, les habitants les chassèrent avec injures et voies de fait.
Le Chapitre ne pouvait reculer sans abandonner toute autorité, et sans condamner lui-même ses prétentions. Il appelle ses vassaux devant le sénéchal de Toulouse et Albigeois, et les fait condamner à reconnaître sa domination. Ce premier et important succès ne reste pas isolé. L’appel au parlement de Toulouse donne encore raison à ses prétentions. Cet arrêt rendu en latin malgré les Ordonnances du roi François 1er, renferme quelques détails curieux sur l’étendue des droits seigneuriaux ; il prouve, par sa rédaction barbare, la sagesse de l’édit qui proscrivait l’emploi de la langue latine dans les actes publics.
Un conseiller est nommé pour procéder à son exécution verbale et réelle. La pièce que ce travail a pour but d’analyser, n’est autre que le procès-verbal de cette double exécution, qu’une transcription en 1721, pour les besoins d’un nouveau procès, a sauvé de l’oubli.
M. Michel de Pira le conseiller commis, procède, dans la cour du Parlement même, à l’exécution verbale dans le courant de janvier 1532, et attend une sommation nouvelle, pour se transporter sur le lieu objet de la contestation, et remplir la dernière formalité exigée par la procédure de cette époque, l’exécution réelle.
Mais les commissaires nommés pour procéder à la réunion des domaines à la couronne, ont fait avancer leur œuvre. Ils délèguent leurs pouvoirs au sénéchal de Toulouse et Albigeois, pour l’étendue de la sénéchaussée. Celui-ci, à son tour, charge le juge de Villelongue, de procéder à la réunion dans sa jugerie. En, conséquence, le lieutenant du juge, Me Raymond Favarel, docteur en droit, avocat à la cour royale de Puylaurens, se rend le 14 mars, sur la place publique de Saïx, et, en présence des consuls, d’un grand nombre d’habitants, et du bailli nommé par le Chapitre, fait lire d’abord par le procureur du roi de la jugerie, ses lettres commissionnaux. Il constate ensuite que Saïx tombe sous le coup de l’édit royal, et déclare qu’il procède immédiatement à la réunion. En témoignage, il fait prêter serment aux consuls, au nom du roi, entre ses mains, et fait placer les armes royales sur les portes de la ville, comme signe de la prise de possession.
Cet acte solennel semble trancher la question en faveur des habitants de Saïx, et contre les prétentions du Chapitre. Cependant la procédure précédente continua son cours, et peu de temps après, le conseiller Michel de Pira se transporte à Castres, et entend les parties, qui exposent de nouveau leurs prétentions. L’avocat de Saïx dit que la situation faite par la réunion à la couronne, désintéresse ses clients, qui ont prêté serment au roi. L’avocat du Chapitre fait abstraction de tout ce qui n’est pas l’arrêt de la cour lui-même, et demande l’exécution réelle, pure et simple de cet acte judiciaire. Il obtient gain de cause. Les consuls de Saïx sont obligés de prêter de nouveau serment au Chapitre, dont les armes remplacent séance tenante, celles du roi. Une amende de cent marcs d’or menace tout contrevenant aux dispositions de l’arrêt.
Il est pourtant, fait allusion dans cet acte à la réunion de Saïx au domaine. Une disposition dernière dit que l’exécution de l’arrêt a lieu sans préjudice des droits provenant de cette réunion, ce qui semble détruire cette exécution de l’arrêt de la cour, en même temps qu’on y procède.
Dès ce moment il n’est plus question de contestation judiciaire entre les habitants de Saïx et le Chapitre, ni d’intervention royale pour l’exécution de l’édit de François 1er. Quelques années après, Saïx joue un rôle important dans les guerres de religion qui désolent le pays Castrais. Sa garnison catholique incommode les protestants à tel point, qu’à deux reprises ils mettent le siége devant la ville, et en février 1570, ils s’en emparent après la fuite de la garnison, et la détruisent par le feu. Saïx ne joue plus dès lors aucun rôle dans l’histoire du pays Castrais. Les droits du Chapitre se transforment en redevances pécuniaires, qu’il perçoit jusqu’à la révolution de 1789.