Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/2/2

Séance du 11 décembre 1857.


Présidence de M. A. COMBES.


M. le président du tribunal de première instance est présent.

Le R. P. Lacordaire écrit pour remercier la Société du titre de membre honoraire qu’elle lui a conféré dans la séance du 7 août.

Sur la proposition du bureau, la Société décide que la lettre restera annexée au procès-verbal.

M. A. COMBES prononce l’allocution suivante :

Messieurs,

Je prends la parole comme président de votre bureau renouvelé. Je tiens à vous remercier de l’honneur que vous avez bien voulu me faire pour la seconde fois. Cet honneur, je le partage avec mes collègues, et comme eux, j’en suis fier. Il nous prouve tout au moins que la direction imprimée par nous aux travaux de la Société, pendant la première année de son existence, a été bonne.

À ce mot de direction, je m’arrête, et je me demande si en effet, nous avons bien rempli, à cet égard, la tâche qui nous était imposée. Je me demande surtout s’il n’existe pas quelques moyens qui puissent nous faire espérer de l’accomplir encore mieux que nous ne l’avons fait ? Je me demande enfin si notre autorité que vous avez cru peut-être raviver, en la confirmant de nouveau, n’a pas besoin, par cela même, de se retremper aux sources d’une pleine et entière confidence de ma part, à l’effet de garantir à chacun des membres de notre association, la liberté que notre règlement admet en principe, et sans laquelle cette autorité deviendrait bien vite ou trop gênante ou illusoire.

Permettez-moi donc, Messieurs, de jeter en avant quelques idées sur les devoirs de notre, bureau, tels qu’ils sont définis par un article des statuts, et tels qu’ils me semblent devoir être compris par nous tous, dans l’intérêt le plus immédiat de l’œuvre que nous avons entreprise.

Notre Société repose sur une intention générale et généreuse : le besoin d’étudier soi-même, le désir de faire étudier les autres ; elle a pour but d’empêcher les tentatives particulières de se produire en pure perte, ou avec trop d’efforts ; elle tend à ramener à l’unité, un système d’investigations qui, trop éparpillé dans ses éléments, faute d’impulsion, finit presque toujours par la fatigue, ou l’inanité.

Sans doute, malgré leur solitude, plusieurs hommes de notre pays ont entrepris des travaux considérables, poursuivi de longues recherches, accompli de nombreuses explorations ; sans doute quelques bons résultats sont déjà provenus d’œuvres ou d’inspirations tout-à-fait personnelles ; mais est-ce à dire que ces travaux, ces recherches, ces explorations, ces résultats, n’eussent pas été, dans certain nombre de cas, plus faciles, plus prompts, plus remarquables peut-être ; que tout cela n’aurait pas gagné en retentissement, en portée utile, avec une association d’efforts, que le pays semblait repousser jusqu’à ce jour, et qui pourtant lui est devenue indispensable ?

Nous l’avons compris les premiers, Messieurs ; nous avons, avant tout les autres, inscrit sur nos drapeaux, cette vieille et banale devise : l’union fait la force, et déjà nous en ressentons pour nous-mêmes les effets salutaires.

Croyons-le cependant, ces effets seront plus sensibles, lorsque nous aurons accepté, dans toutes ses conséquences relatives, le principe de la direction, principe que votre bureau représente, et dont il ne se départira pas, tout en respectant les volontés libérales, les dispositions naturelles, les goûts instinctifs de chacun des membres de la Société.

Ainsi il a fait dans la première année de son existence, et lorsque, malgré les tâtonnements inséparables de nos débuts, nous avons vu un mouvement d’études se manifester, nous avons cherché à le tourner vers les recherches locales ; nous sommes allés de cette manière au devant de la recommandation de M. le Recteur de l’académie, recommandation accueillie par vous avec toute la déférence que mérite une haute expérience littéraire et scientifique.

Ainsi, il y a peu de jours, je présentais à mes collègues, une série de sujets, dont la coordination pourrait amener, dans un temps plus ou moins prochain, la connaissance complète de l’histoire castraise, hommes et choses, monuments et événements, faits généraux et particuliers, c’est-à-dire l’appréciation positive d’un passé, qui pourrait de la sorte servir de règle pour l’avenir.

Ainsi, moi-même, j’ai voulu donner l’exemple de ma manière de comprendre la direction, en inaugurant la reprise de nos travaux, par des recherches archéologiques, sur l’état matériel de notre ville, en attendant que je puisse les compléter par des notions historiques sur les noms propres et les prénoms.

Eh bien, Messieurs, dans tout cela, croyez que nous serons heureux les uns et les autres, de nous sentir mutuellement soutenus par l’idée commune, par un but mutuellement partagé, par une vue d’ensemble, dont chacun sera appelé à recueillir et à coordonner les détails. Croyez que bien des ennuis nous seront épargnés, si nous savons nous ; diviser le travail suivant nos aptitudes diverses, suivant nos spécialités professionnelles, en d’autres termes, suivant ce que chacun de nous aura appris après l’avoir étudié.

C’est là cette division du travail que les économistes de nos jours ont tant exaltée, mais en l’appliquant seulement à l’industrie. Pourquoi en serait-il autrement de sa précieuse influence, quand il s’agit des œuvres de l’esprit ? Est-ce que toutes les intelligences sont égales, et ne faut-il pas avoir faussé jusqu’aux éléments les plus vulgaires du sens commun, pour nous faire croire que tout homme est propre à tout ?

Pitt disait : « J’ai fait beaucoup de choses dans ma courte vie, parce que je n’ai jamais voulu en faire qu’une à la fois. »

Un misanthrope moderne a exprimé cette pensée : « Un supplice de damné dans ce monde, c’est d’être obligé d’exécuter un travail qui répugne à notre nature, à notre éducation, à nos intérêts. »

À nous, Messieurs, d’adopter avec résolution, avec prudence toutefois, le premier de ces principes afin d’éviter autant que possible les positions fausses. Travailler sans confusion, travailler avec agrément, voilà la double pensée qui doit guider notre autorité, afin d’indiquer à chacun de nos collègues un objet d’investigation en harmonie avec ses tendances intellectuelles ou sa disposition acquise. Voilà la sanction que je demande pour cette direction dont j’ai cherché à vous expliquer l’essence et la vertu dans une causerie fraternelle.


M. C. VALETTE offre à la Société une tête de Christ trouvée dans la sacristie de Salles, petite ville située entre Cordes et Monestiés. Ce fragment d’une valeur incontestable au point de vue artistique, appartenait probablement à une statue de même matière, de même origine et de même style, que les ornements du Jubé de Ste-Cécile à Albi. La présence d’une œuvre de ce caractère et de ce mérite à Salles, s’explique par le voisinage du château de Combefa qui appartenait aux seigneurs archevêques d’Albi. En 1784, les habitants de Monestiés obtinrent de Mgr de Bernis, cardinal archevêque, l’autorisation de transporter dans la chapelle de l’hôpital, la sépulture du Christ, magnifique composition, intacte encore aujourd’hui, et digne par ses proportions, aussi bien que par la pureté des formes et la hardiesse de l’exécution, d’une étude sérieuse, et d’une admiration réfléchie. Il n’est pas étonnant que la petite église de Salles ait été dotée à cette époque, ou antérieurement, d’une de ces œuvres que les corporations de sculpteurs, où se cachaient modestement de grands artistes, jetaient à profusion sur leur passage, sans les revendiquer par un nom, sans les marquer d’un signe.

Le mérite de ce fragment est incontestable. Le dessin a cette rectitude et cette pureté qui portent l’empreinte d’une étude approfondie et d’une observation minutieuse. L’expression est saisissante. Ce n’est pas la douleur humaine avec ses mouvements tourmentés qui déforment la nature. C’est une douleur divine. Sous des traits calmes, sous des lignes sans contraction, se dégage avec une vérité frappante, quelque chose qui n’appartient pas à l’homme, et qui révèle, avec un éclat incomparable, le rédempteur sous les traits du crucifié. L’exécution des détails est irréprochable. Le raccourcissement de la face qui indique d’une manière assez évidente les dimensions restreintes du corps tout entier, est un précieux indice pour le classement de cette statue. « Toutes les sculptures du XVme siècle, dit M. le baron Taylor, sont courtes, et cela par opposition aux premières statues mérovingiennes qui étaient très élancées. Les unes ouvraient la marche des arts du moyen-âge ; elles étaient sveltes : celles-ci étaient fortes parce qu’elles allaient le fermer. »

On remarque en différents endroits des traces de peinture. Ce serait un point de plus de ressemblance, entre ce fragment et les statues du Jubé de Ste-Cécile. On sait l’usage que les sculpteurs du moyen-âge faisaient des peintures, et le parti qu’ils en tiraient pour l’effet de leurs compositions. Peut-être même les anciens avaient-ils employé ce procédé. Ils peignaient leurs colonnes et probablement aussi quelques-unes de leurs statues. Il est d’ailleurs positif qu’ils avaient des statues formées de métaux différents et qui devaient, par conséquent, présenter une certaine variété de couleurs. La Minerve de Phidias dont nous avons une description minutieuse, était composée de manière à laisser à chacun des éléments qui entraient dans sa constitution, son caractère particulier.

M. Valette termine sa note par l’expression d’un vœu. Quoique le pays Castrais ne soit pas fort riche en productions antiques, ne serait-il pas possible de réunir quelques débris épars qui risquent de disparaître complétement ? Ne serait-il pas facile, surtout, de former, en peu de temps, une collection qui s’enrichirait de tout ce que les membres de la Société pourraient découvrir ? Les musées les plus importants et les plus riches ont commencé modestement. L’idée qui les a formés, timide d’abord, s’est bientôt enhardie, développée et étendue. On sait les résultats féconds qu’elle a produits sous l’action d’une volonté persévérante, et d’un zèle que les obstacles ne rebutent pas.

Déjà, à propos d’une inscription sauvée de l’oubli ou de la destruction, la Société s’est engagée dans la voie d’une sollicitude active pour les monuments du passé. Il s’agit maintenant d’y marcher avec résolution et constance. Les résultats ne se feront pas attendre, et la Société se créera un titre de plus à la gratitude du pays dont elle aura préservé les monuments et recueilli les souvenirs.

La Société accueille avec empressement un vœu qui répond si bien à l’intention de ses fondateurs. Elle classera avec soin, dans le local affecté à ses séances, tout ce qui lui paraîtra digne d’attention et d’intérêt. Quoique bien moins nombreux qu’ailleurs, les matériaux ne manqueront pas, et peut-être seront-ils en réalité plus abondants qu’il n’est permis maintenant de le supposer. D’ailleurs, la réunion dans un même lieu, leur donnera une valeur nouvelle, et l’on n’aura plus à déplorer la perte ou la dispersion d’objets qui intéressent comme souvenirs et comme monuments historiques.


M. PARAYRE lit une note sur des champignons vénéneux qui, dans les premiers jours de novembre, ont fait périr quatre personnes à Senaux, canton de Lacaune.

Ces accidents sont malheureusement trop nombreux. Il est regrettable qu’ils soient toujours le résultat d’une imprudence ou d’une fausse sécurité. Les espèces vénéneuses se distinguent des autres par des caractères si peu tranchés, qu’il est bien difficile, à moins d’une attention scrupuleuse, et d’une grande habitude, de saisir les différences qui les séparent. Les champignons qui ont amené de si funestes résultats, ont été transmis à M. Parayre par M. le docteur Bon, de Pierre-Ségade. Malgré leur état de végétation très avancée, il a été possible de constater les caractères suivants : Pédicule cylindrique, plein, blanc sale, légèrement bulbeux à sa base, présentant quelques fragments de son volva, chapeau de couleur nacrée, verdâtre, replié. Ses lames d’inégale longueur, rougeâtres, forment presque un collier autour du pédicule, d’une élévation de 6 à 8 centimètres.

Ces caractères suffisent pour permettre de reconnaître une espèce d’agaric bulbeux, qu’il a été impossible de désigner plus exactement.

M. Parayre se propose de reprendre plus tard l’examen de ces champignons, afin de recueillir et de publier les renseignements qui sont de nature à mettre les populations en garde contre des accidents si déplorables.

On peut rapporter les principales espèces de champignons vénéneux aux genres amanita et agaricus. Leur principe toxique réside dans leur eau de végétation. Le docteur Ponchet a fait une série d’expériences qui lui permettent d’établir ce fait d’une manière positive. L’eau dans laquelle des champignons reconnus vénéneux avaient bouilli, a été donnée à des chiens, qui sont morts à la suite d’une gastro-entérite. Ces mêmes champignons donnés ensuite à d’autres chiens, n’ont amené aucun résultat fâcheux.

Aussi, recommande-t-on, pour toutes les espèces de champignons indistinctement, des précautions nombreuses qui leur font rendre toute l’eau qu’ils renferment, et éloignent, ainsi sûrement toute crainte. Il serait à désirer que ces procédés fussent connus partout et recommandés. Ils ont pour eux l’autorité de l’observation scientifique et de l’expérience.

La Société demande à M. Valette de dessiner les différentes espèces de champignons qui renferment des principes vénéneux. Ces dessins seront, autant que possible, mis à la disposition des communes de l’arrondissement de Castres, avec des recommandations qui aideront peut-être à éviter, quelques accidents. La représentation coloriée du champignon, à diverses époques de son développement, permettra de désigner sûrement ceux qui sont dangereux ; et si une confusion fâcheuse laissait pénétrer dans les familles ce mets trop souvent fatal, les précautions prises le rendraient complètement inoffensif.


M. GRASSET, capitaine du génie, lit un précis historique de la découverte et de la démonstration du mouvement de la terre. Ce travail amènera l’exposition des expériences nombreuses qu’il a faites depuis plusieurs années à l’aide du pendule, et qui lui ont déjà permis de constater d’importants résultats.

La première idée de la rotation de la terre sur son axe et de sa révolution autour du soleil, remonte à Pythagore. Elle resta parmi les doctrines secrètes de ses disciples. Le système des apparences prévalut pour le reste du monde, et Ptolémée, joignant à ses propres observations, le résumé de la science de son temps, le formula dans une théorie complète des mouvements célestes. Les Arabes transmirent ces notions à l’Europe occidentale qui les admit jusqu’au commencement du XVe siècle, où le cardinal de Cusa fit revivre l’idée pythagoricienne.

En 1543, l’année de sa mort, Copernic, chanoine de Thorn, donnait un corps à une idée vivace mais vague, qui s’était perpétuée à travers vingt siècles. En plaçant le soleil immobile au centre de notre système planétaire, en faisant tourner autour de lui, d’Occident en Orient, les planètes Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter et Saturne, en donnant à la terre une rotation journalière autour d’un axe toujours parallèle à lui-même, il expliqua toutes les apparences des mouvements célestes, par un mécanisme dont la simplicité contrastait avec les complications obligées du système de Ptolémée.

Galilée adopta et professa ce système. Ce n’était pourtant qu’une théorie, et les astronomes pratiques qui n’ont à observer que les mouvements relatifs des astres, trouvèrent plus commode de conserver à la terre le centre du mouvement. De 1580 à 1597, Tycho-Brahé, astronome danois, célèbre par ses découvertes sur le mouvement de la lune, par l’introduction de la réfraction dans les observations astronomiques, par ses études sur les comètes, composa un système mixte dans lequel il supposait, avec Ptolémée, le soleil et la lune tournant autour de la terre fixe ; et, avec Copernic, les autres planètes exécutant leur révolution autour du soleil emporté lui-même dans le mouvement de la terre.

Képler modifia le système de Ptolémée, et découvrit les trois fameuses lois qui portent son nom. En 1609, Longo-Montanus admit le mouvement annuel du soleil autour de la terre ; mais il adopta pour l’explication des jours et des nuits, la rotation de la terre sur son axe fixe.

Enfin, Newton découvrit la loi de la gravitation, et établit sur cette base, le système complet de l’organisation céleste ; et comme les moyens de calcul employés ne lui suffisaient pas pour l’exposition de sa vaste conception, il créa un nouvel et puissant instrument de démonstration et de recherche, le calcul infinitésimal.

Newton démontre que les planètes décrivant des courbes autour du soleil, doivent être attirées par son action. La seconde loi de Képler, celle de la proportionalité des aires aux temps, lui fait conclure que ces courbes sont des ellipses dont le soleil occupe un des foyers. Il établit que la force de la gravitation est la même pour toutes les planètes, proportionnelle à leurs masses, et en raison inverse du carré de leurs distances au soleil. Enfin, considérant les planètes pourvues de satellites comme formant des systèmes partiels, analogues à celui du soleil avec ces planètes, il formule le rapport des masses des planètes et du soleil.

Cette admirable série de déductions d’une loi si simple dans sa formule, si féconde dans ses conséquences, prouvait que cette loi était une de celles qui ont été données à la matière par une toute-puissance essentiellement intelligente, et dont il est possible de reconnaître et de retrouver l’action.

Cependant, une impulsion initiale a dû être communiquée à l’origine des temps et dans des conditions diverses, à chaque corps de notre système planétaire. Cette hypothèse obligée du système Newtonien qu’il sera peut-être donné un jour au génie humain de pénétrer et de réduire à des termes également simples, provoqua une longue opposition. Les heureuses applications de la théorie de la gravitation à de nombreux et sérieux problèmes, tels que l’aplatissement de la terre, les marées, les perturbations des planètes par leur action réciproque, la firent triompher du système des tourbillons formulé par Descartes, et défendu encore par Fontenelle. Elles lui donnèrent bientôt une domination sans partage sur la science astronomique moderne.

Il était désirable cependant qu’une preuve matérielle vint sanctionner cette conquête de l’intelligence. On reprit l’expérience de Newton fondée sur le principe que : si les déplacements relatifs sur un corps transporté parallèlement à lui-même dans l’espace, doivent s’effectuer comme si le corps était en repos, il n’en est pas de même, lorsque le mouvement de ce corps n’est pas parallèle à lui-même. Dans les rotations qui se produisent au sein de ces sortes de mouvements, les différents points de la masse ayant des vitesses différentes selon leur distance à l’axe, on peut, par la comparaison des vitesses de deux de ces points, constater le mouvement du système général.

Après des expériences qui ont amené quelques résultats pour la première solution du problème, on a recherché d’autres moyens basés sur l’inertie de la matière, et l’on a eu recours à un précieux instrument d’investigation auquel sont dues, en grand nombre, les plus belles découvertes des temps modernes : le pendule.

Depuis longtemps, on avait remarqué qu’un pendule simple, lancé dans un plan vertical, ne s’y maintenait pas et formait des ellipses en s’élargissant vers la gauche. Les membres de l’académie del Cimento de Florence avaient constaté ce fait. Le marquis de Poli alla plus loin. Il en rechercha la cause, et l’attribua au mouvement de la terre. Il établit son opinion par la comparaison de la durée des oscillations du pendule, suivant le méridien et le plan vertical perpendiculaire. Si ses idées se détournant du but qu’il s’était primitivement proposé, s’étaient attachées à l’opinion qu’il émettait, par occasion et en passant, il était sur la voie d’une preuve expérimentale.

En 1821, M. Dubuat étudia la loi des amplitudes et des durées des oscillations, d’un pendule simple établi à la surface de la terre, eu égard à sa rotation et à sa révolution autour du soleil. Il conclut : 1° que la durée des oscillations est indépendante du plan dans lequel le pendule oscille ; 2° que dans un lieu quelconque, un pendule abandonné au repos, suivant la verticale, doit spontanément se mouvoir vers l’est et osciller ; 3° que le nombre des oscillations est plus grand vers midi et moindre vers minuit. Il propose de démontrer le mouvement de la terre par l’oscillation spontanée d’un pendule très-long et par la différence des temps marqués vers midi et vers minait, par une horloge, pour une durée réelle constatée au moyen d’un garde-temps très-exact.

Ces expériences sont difficiles à exécuter à cause des nombreuses conditions d’exactitude qu’elles demandent, et de la précision qu’elles exigent. Elles sont peu concluantes, par suite de l’exiguité des résultats qu’elles produisent. Elles étaient oubliées, lorsqu’elles ont été reprises, en 1851, par M. Foucault.

Ce jeune physicien ayant observé le déplacement constant d’un pendule libre vers la gauche, attribua, conformément aux dernières expériences, ce déplacement à la rotation de la terre sur son axe. Il pressentit que la déviation régulière du plan d’oscillation pouvait être rendue sensible à tous les yeux dans un temps très-limité. Il établit dans le Panthéon un pendule composé d’un fil métallique de 50 mètres de hauteur, supportant une sphère du poids de 28 kilogr. Le pendule déviait constamment à gauche, et chaque degré bien sensible d’un vaste cadran était parcouru, en quatre minutes.

L’idée mère de cette expérience est qu’un poids suspendu par un fil, immobile et soumis à la seule action de la pesanteur, étant écarté de la verticale et abandonné à lui-même, sans impulsion latérale, doit se mouvoir suivant un plan, et s’y maintenir. Si le pendule s’en écarte, c’est que le champ de l’opération se meut.

Une seconde idée, c’est qu’en vertu de la force d’inertie de la matière, la déviation devait être, au pôle, égale à la rotation de la terre, c’est-à-dire, uniformément de 15 degrés à l’heure, et nulle à l’équateur.

La question fut soumise à M. Binet : les expériences furent faites simultanément, et les deux savants arrivèrent séparément à la même loi exprimée par la formule suivante :

Le point oscillatoire tourne graduellement autour de la verticale du point de suspension, avec une vitesse angulaire constante. L’azimuth du plan mesuré du nord vers l’est, de l’est vers le sud, etc., s’accroît uniformément ; la vitesse constante est exprimée par la rotation angulaire de la terre, multipliée par le sinus de la latitude du lieu de l’observation.

Ainsi, par son expérience éclatante à tous les yeux, exécutable en tous les points accessibles de la terre, avec les ressources communes, M. Foucault avait justifié, après 26 siècles, la témérité de Pythagore, renversé le pénible échafaudage de Ptolémée, confirmé les croyances enthousiastes de Copernic et de Galilée, donné aux sublimes conceptions de Newton la consécration qu’il ambitionnait, et délié, de nos jours, l’opinion publique de sa foi obligée dans les hautes, mais incertaines présomptions du calcul.