Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/1/14

Séance du 29 Mai 1857.


Présidence de M. M. NAYRAL.


M. Tillol dépose, au nom de M. Tarnier, docteur ès-sciences, examinateur pour l’École spéciale militaire, les ouvrages suivants :

Éléments d’Arithmétique,
Éléments d’Algèbre,
Théorie des Logarithmes,
Éléments de Trigonométrie.

M. Tillol examine chacun de ces ouvrages, dont il fait connaître la méthode et le mérite. Il insiste, d’une manière particulière, sur l’Algèbre et la Trigonométrie. Ces deux ouvrages sont le développement complet de toutes les matières exigées pour le baccalauréat ès-sciences. Ils se distinguent par une grande simplicité dans l’exposition, par une clarté et une élégance de style qui rappellent les grands maîtres.

Il peut paraître étrange que l’on ait à louer des qualités sans lesquelles il ne saurait exister de livre véritablement classique. Cependant, si l’on étudie la plupart des publications qui parviennent à s’introduire dans l’enseignement, on comprendra que ces mérites sont rares aujourd’hui ; et l’on restera convaincu que la langue dans laquelle écrivaient les Lacroix, les Biot et les Poinsot, véritables maîtres et grands modèles, n’est pas la langue dont se servent ceux qui ont la prétention d’être utiles à la jeunesse.

M. Tarnier, qu’une longue pratique de l’enseignement et une rare aptitude pour la science des examens mettait, plus que personne, en mesure d’écrire des livres élémentaires et complets à l’usage des élèves, a heureusement triomphé de toutes ces difficultés. Son Arithmétique a été le premier exemple d’un rare succès. Son Algèbre arrivée, en peu d’années, à la troisième édition, présente des améliorations nombreuses et importantes, qui sont la mesure des efforts faits par l’auteur pour assurer à son livre le plus haut degré d’intérêt et d’utilité. Les théories développées avec soin, des exemples bien choisis, empruntés à la physique, à la chimie, à la cosmographie, maintiendront à cet ouvrage le rang qu’il a conquis dès sa publication. M. Tarnier s’est attaché à lever certaines difficultés qui arrêtent trop souvent les élèves, soit dans la discussion des formules, soit dans les questions de maximum, qui sont traitées avec une étendue que l’on ne trouve pas ailleurs.

La deuxième édition de la Trigonométrie est un ouvrage presque nouveau, pour le fond et pour la forme. L’auteur avait dû d’abord se préoccuper de l’extension que la discussion des formules avait prise dans les examens. Pour satisfaire à ces exigences, il publia un traité complet de Trigonométrie analytique qui laissa bien loin tout ce qui avait paru sur cette matière. Les modifications introduites dans l’enseignement par le nouveau plan d’études, ont dû faire supprimer quelques théories devenues inutiles, et rarement accessibles à la plus grande partie des élèves. M. Tarnier a introduit à la place, sous le nom modeste d’applications, un cours de géométrie pratique, qui est presque un traité complet sur la matière. De nombreuses figures intercalées dans le texte, représentent d’une manière exacte, les instruments dont les élèves ont à se servir. Leur usage est expliqué avec une netteté qui ne laisse rien à désirer, tant sous le rapport de la théorie, que pour les petits détails, dont l’observation scrupuleuse assure l’exactitude des résultats.

Ainsi, indépendamment du mérite qui distingue les ouvrages de M. Tarnier, ou doit reconnaître et louer en eux un caractère d’utilité pratique, qui les rend précieux pour l’enseignement. L’étude des éléments est plus importante qu’on ne le croit généralement, pour le progrès de ceux qui s’adonnent aux sciences mathématiques. Si l’on s’est habitué de bonne heure à une méthode rigoureuse, si l’on a plié son esprit aux procédés des grands maîtres, on marche plus sûrement et l’on va plus loin, dans la voie qui mène à la connaissance des résultats acquis, et aux découvertes spéculatives ou aux applications pratiques. M. Tarnier a déjà, sous ce rapport, rendu des services ; il semble appelé à en rendre de plus grands encore.

Sur le rapport de M. Tillol, et la proposition du bureau, la Société décerne à l’unanimité, à M. Tarnier, le titre de membre correspondant.


M. Grasset, capitaine du génie, lit un rapport sur un mémoire déposé par M. Tillol dans la séance précédente.

M. Tillol s’est proposé d’appliquer la méthode de Descartes à l’étude des propriétés segmentaires dont la théorie joue un rôle si important dans la géométrie moderne. Partant de ce fait, que les propriétés des courbes ou des surfaces ne sont que l’expression graphique de fonctions symétriques, il cherche à interpréter les relations auxquelles le conduit le développement de certaines fonctions qu’il examine. Il emprunte à l’analyse infinitésimale, ses procédés rapides pour arriver au but ; et, comme vérification de la méthode, il en déduit plusieurs théorèmes connus de Carnot, Brianchon et Sturm.

Une partie de ce travail est consacrée à l’examen de quelques-unes des propriétés dont jouissent les courbes d’intersection des surfaces. C’est ainsi que M. Tillol est amené à énoncer les théorèmes suivants :

Lorsque deux surfaces algébriques du degré (m), ont (n) sections planes communes, les autres courbes qui résultent de leur intersection sont situées sur une surface du degré (m-n).

Lorsque d’eux surfaces du degré (m), ont (m-1), sections planes communes, l’autre intersection est plane.

Lorsque une surface du degré m, passe par m (m-l) des intersections de 2m, plans donnés, elle passe généralement par m autres intersections.

Lorsque les côtés d’un polygone gauche sont rencontrés par une surface du degré (m), le produit des segments déterminés sur les côtés, et comptés à partir des divers sommets du polygone, est égal au produit que l’on obtient en parcourant le polygone dans un ordre inverse.

Dans le cas d’un surface plane, on obtient le théorème de Carnot.

M. Grasset conclut ainsi :

M. Tillol s’est proposé, depuis longtemps, de faire rentrer les démonstrations variées et géométriques des propositions de la géométrie supérieure, dans le grand cadre de l’analyse cartésienne. Le travail qu’il nous a soumis, et qui emprunte un attrait particulier à un judicieux emploi des coefficients indéterminés, permet d’espérer que cette tentative ne sera pas stérile. On ne s’arrête pas dans la voie où il est entré. Un progrès en amène un autre, quand la pensée génératrice est féconde par elle-même ; Il sera possible, sans nul doute, grâce à la méthode suivie par M. Tillol, de composer un ensemble bien harmonisé, aisément accessible au plus grand nombre, et sur lequel les imaginations d’élite s’appuieront pour doter de richesses nouvelles le domaine de la science.


M. Nayral offre à chacun de ses confrères un exemplaire de la pièce en vers patois, qui lui a valu un rameau d’argent, dans le concours ouvert par la Société archéologique de Béziers.

Dans cette épitre, pleine de verve et d’originalité, M. Nayral venge la langue méridionale des attaques dont elle est l’objet. Méconnue parce qu’elle est trop peu étudiée, exposée tous les jours à de nouveaux dédains, parce qu’elle est dénaturée dans les mots qui la composent, dans les tournures qui lui sont propres, dans son génie particulier, elle a droit, comme expression toujours vivante d’une nationalité qui n’est plus, comme idiome riche et fécond, à nos respects et à notre sympathie. M. Nayral s’attache à montrer, sous une forme neuve et brillante, combien sont grandes les ressources dont elle peut disposer : il fait mieux, il montre par l’emploi qu’il en sait faire, par l’heureux parti qu’il en tire, combien elle se plie à tous les tons reproduit avec souplesse toutes les nuances, tour-à-tour gracieuse et énergique, grave et légère, toujours harmonieuse, toujours docile aux caprices d’une imagination inépuisable.

La Société écoute avec un vif intérêt la lecture de l’ouvrage couronné. Elle y retrouve avec plaisir, comme une application des études théoriques dont elle a suivi les développements, et qui lui ont permis de porter son attention sur les principes constitutifs de la langue et sur les changements qu’elle a subis.

La Société accepte avec reconnaissance l’hommage de l’auteur.


Le bureau a reçu de M. Henri de Lamouzié un mémoire d’une assez grande étendue, sur les reliques de Saint-Vincent le lévite. Ce sujet, digne d’attention en lui-même, tire un intérêt nouveau de la vénération dont ces restes sacrés ont été l’objet dans la ville de Castres.

Saint-Vincent le lévite avait reçu le martyre en 304, à Valence en Espagne. Sa vie, les circonstances de sa mort, les événements extraordinaires qui la suivirent, donnèrent à ses reliques une grande importance, et les entourèrent des témoignages de la piété la plus vive. Elles furent conservées dans une petite chapelle hors des murs de Valence, et l’on y fit des pèlerinages de toutes les parties de l’Espagne.

En 542, Childebert Ier, troisième fils de Clovis, déclara la guerre à Amalaric, roi des Wisigoths, mari de sa sœur et son bourreau. Il mit le siége devant Valence, dont il ne s’éloigna que sur les prières de l’évêque, après avoir reçu, comme rançon de la ville, la tunique et un bras de Saint-Vincent. De retour à Paris, il construisit dans les prairies voisines de la ville, une église dédiée à l’apôtre de l’Espagne. Auprès de l’église, s’éleva bientôt un monastère qui prit le nom de Saint-Germain-des-Prés, mais dont le patron fut Saint-Vincent le lévite.

En 761, les chrétiens chassés de Valence par les Arabes, emportèrent par mer, selon Fleury, ces précieuses reliques, jusque dans la province d’Algarve, au Cap-Sacré, qui prit dès lors le nom de Cap Saint-Vincent. Elles furent ensuite transportées au monastère autour duquel s’est formée la ville d’Oviédo.

Cependant le corps tout entier du saint martyr n’avait pu être enlevé. En 855, Hildebert et Audalde, prêtres et moines de Conques, au diocèse de Rodez, partirent, à la suite d’une vision, pour retirer ce qui avait été enseveli sous les débris de la chapelle bâtie aux portes de Valence. Audalde parvint, non sans peine, à retrouver le cercueil qu’il reconnut à l’inscription et à des signes particuliers. Il enleva ce dépôt précieux. Senior, évêque de Saragosse, crut de son devoir d’empêcher un moine français de s’emparer de reliques appartenant à l’Espagne. Il les retint. Audalde de retour à Conques, fut chassé comme moine vagabond, et se retira auprès de Gilibert ou Gilbert, abbé de Castres.

En 863, il partit de nouveau pour l’Espagne, avec des recommandations de Salomon, comte de Cerdagne, pour le roi de Cordoue, Mahomet fils d’Abdérame, qui agit auprès d’Abdéla, roi de Saragosse, pour contraindre l’évêque à rendre le trésor qu’il s’était approprié.

Le voyage d’Audalde fut heureux et le succès complet. Audalde revint à Castres ; et les reliques qui opérèrent plusieurs miracles sur la route, furent reçues dans le monastère et dans la ville avec un pieux respect et une vénération que les années n’affaiblirent pas.

Tous ces faits sont racontés dans les plus grands détails, avec cette simplicité qui est le plus sûr garant de la vérité, par Aimon, chroniqueur contemporain.

Des doutes se sont cependant élevés. L’authenticité des reliques a été mise en doute. Lisbonne, Oviédo et Castres les ont revendiquées. Des témoignages irrécusables établissent que chacune de ces villes a possédé des reliques de Saint-Vincent le martyr. Le fait est démontré par des affirmations et des preuves contemporaines, par une tradition constante et la vénération publique. Pourquoi n’a-t-on pas compris que les titres invoqués par chacune de ces villes n’enlevaient rien aux autres ? Les reliques avaient été, dans l’origine, partagées entre plusieurs églises de Valence ; elles prirent une direction différente à l’époque de l’invasion des Maures, et lorsque leur établissement durable, dans l’ancien royaume des Wisigoths, eut enlevé tout espoir prochain de restauration religieuse et patriotique.

Le reliques de Saint-Vincent amenèrent de nombreux pèlerinages au monastère de Castres. L’année même de leur translation, Élisagar, évêque de Toulouse s’y rendit, accompagné de son clergé et d’un grand nombre de fidèles. Borel raconte que, « l’an 879, Louis II, le bègue, étant fort malade, fit un vœu à Saint-Vincent, qu’il fit exécuter, la première année de son règne, par Frodoin, évêque de Barcelonne, qui porta le poids de vingt-deux livres d’argent audit couvent, et le bailla à l’abbé Rigaldus et à Guiraud, pour l’achêvement de l’église Saint-Vincent. »

Louis VII envoya au monastère une somme d’argent pour contribuer aux dépenses occasionnées par l’achat d’une châsse d’argent où les reliques du saint furent enfermées. Enfin, l’illustre historien de Saint-Dominique, et le restaurateur de son ordre en France, constate la dévotion particulière de l’apôtre des Albigeois pour les reliques de Saint-Vincent. On sait que, devant la châsse où elles étaient enfermées, s’opéra un miracle raconté par tous les historiens du temps. Gaches rapporte que, lorsque les protestants pillèrent l’église qui contenait ces objets d’une longue et pieuse vénération, ils ne trouvèrent dans la châsse qui les contenait que des os d’agneau ou de chevreau qui furent brûlés. Ce récit n’a aucun caractère de probabilité. Si la châsse n’avait renfermé que des ossements d’animaux, on se serait bien gardé de les brûler. On les aurait conservés dans un but facile à comprendre.

D’un autre côté, il n’ait pas probable que les reliques aient pu être soustraites aux protestants ; car, lorsque le 17 mai 1630, l’évêque et le chapitre retirés à Lautrec, rentrèrent à Castres, ils n’auraient pas manqué d’exposer de nouveau à la vénération des fidèles un pareil trésor. Tout établit qu’elles furent brûlées avec l’église qui les avait si longtemps renfermées.

La Société écoute avec un vif intérêt la lecture de ce mémoire remarquable par les faits qu’il renferme, leur enchaînement, leur discussion, et une forme nette, vive, d’une simplicité élégante unie à une sobriété que l’on trouve rarement, à un pareil degré, dans les productions de la jeunesse.

Elle charge le bureau de transmettre à M. Henri de Lamouzié ses remerciements et ses félicitations.


M. Raymond Ducros lit la première partie d’une étude sur l’art céramique.

Il recherche d’abord les origines de cet art qui remonte aux premiers temps du monde. L’utilité journalière de ses produits, l’abondance des matières premières, la facilité des opérations principales, établissent rationnellement son antiquité. Les témoignages historiques, les débris nombreux de poteries de toute sorte, trouvés sur divers points du globe, et mêlés aux monuments de toutes les époques, sont des preuves suffisantes d’une existence qui se manifeste comme une des premières créations de l’industrie humaine.

Le travail et la perfection des ouvrages de terre suivent les développements de la civilisation. À mesure que les peuples avancent dans la voie des progrès, à mesure qu’ils créent de nouveaux moyens de donner satisfaction à leurs besoins ou à leurs désirs, ils se montrent plus difficiles pour les objets dont ils font un usage de tous les instants. Le résultat acquis ne leur suffit pas : ils veulent aller plus haut et plus loin. Ainsi, l’expérience devient une excellente maîtresse, dont la voix est écoutée et dont les conseils sont féconds.

Il est facile de suivre, chez tous les peuples, le développement de cet art qui devient à la fois, la manifestation des habitudes de leur vie intérieure, et la preuve de certaines coutumes, dans lesquelles revit avec vérité, l’ensemble de leurs croyances, ou l’influence de leurs lois. Ce sont des témoignages du passé, dont les archéologues peuvent tirer parti, afin de pénétrer plus profondément dans les détails d’une existence intime qui ne nous est pas suffisamment révélée par les actes dont l’histoire garde le souvenir. L’histoire, d’ailleurs, peut être falsifiée par l’ignorance ou par la passion des hommes : les exemples n’en sont que trop nombreux. Au contraire, ce que la terre a enfoui, objet d’utilité ou de luxe, reste pour nous, comme un témoignage irrécusable que nous pouvons consulter, avec d’autant plus de sécurité, que l’origine n’est pas suspecte.

Dans la partie de l’Asie occupée primitivement par les hommes, et où se formèrent, après leur dispersion, de puissantes monarchies, les découvertes modernes mettent au jour, avec les briques, des vases de toute sorte. Il a été possible de les reconstruire et de constater qu’ils portent, dans leur forme, comme dans les procédés de leur fabrication, des traces non équivoques d’un perfectionnement considérable. L’homme n’arrive pas, du premier coup, à des œuvres d’un certain mérite. Il faut, dans les arts de l’imagination, comme dans les arts manuels, qu’il féconde par le travail, ses premiers essais, qu’il ramène à une règle ses tentatives hasardées, qu’il formule enfin, pour diriger sa conduite, les lois dont il a fait d’abord, à son insu, l’application.

Ces réflexions se présentent naturellement, dès qu’on porte son attention sur les premières manifestations de la vie artistique d’un peuple. L’étude des poteries les met en relief d’une manière sensible. Si tous les peuples ne sont pas arrivés au même point de perfectionnement, il est facile d’établir qu’ils sont passés par les mêmes phases, et qu’ils ont toujours obéi à la même loi divine du travail.

La civilisation venue de l’Asie, où se concentrèrent les premières traditions, et où l’homme, près de son berceau, semblait conserver un souvenir plus profond de sa grandeur primitive, est reçue en Égypte où elle acquiert un caractère de gravité dont tous les monuments portent l’empreinte. Les vases en terre, découverts dans les ruines, les figures tracées sur les obélisques, sont la vivante image de cette sagesse froide et inflexible que l’antiquité s’accorde à reconnaître au peuple égyptien.

Les Grecs lui empruntent des dieux, des lois, des principes de gouvernement, des habitudes, des procédés de fabrication. Ils donnent ensuite à tous ces emprunts, la tournure particulière de leur génie national. Les exigences de leur vie, les cérémonies de leur culte, les amènent à l’invention ou au perfectionnement de vases de toute dimension, de toute forme. Heureusement doués pour les arts, ils impriment à leurs œuvres un caractère qui ne s’efface pas, et qui ne permet pas de les confondre avec ce que les autres peuples produisent, sous l’influence pourtant féconde, de leurs leçons et de leurs exemples.

C’est à eux que nous devons les belles poteries dites étrusques. Leurs colonies, leurs ouvriers isolés, le commerce, les portèrent sur tout le littoral de la Méditerranée, et répandirent en même temps la connaissance de leur nom et la domination de leur génie. Destinées aux usages domestiques, ou objets d’art placés dans les temples, dans les édifices publics, dans les maisons particulières, ces poteries se rattachent toutes à un même procédé de fabrication : elles sont évidemment inspirées par le même génie. On a, sans doute, plus particulièrement appelé vases étrusques, ceux dont le fond est rouge, avec des dessins noirs ou blancs, et vases grecs, ceux dont le fond est noir, avec des dessins rouges : mais l’origine est la même, et la Grèce peut les revendiquer tous.

Aussi parfaite pour la partie céramique, mais moins délicate sous le rapport des ornements, la poterie romaine, d’un beau rouge, d’un caractère uniforme, a suivi le peuple conquérant dans toutes les parties du monde. Appliquée aux usages domestiques, aux cérémonies du culte, à la conservation des cendres de ceux qui n’étaient plus, elle est parvenue jusqu’à nous, car la terre garde fidèlement les dépôts qu’on lui a confiés. Les études sont complètes sous ce rapport : elles ont pu être faites sur un grand nombre de points, et elles ont été vérifiées par des découvertes qui se sont produites dans des conditions tout à fait différentes.

Après la décadence de l’empire romain, l’art céramique est entraîné dans la dissolution générale. Ces œuvres si belles par leur caractère, si parfaites dans leur fabrication, entourées d’un soin si scrupuleux, sont remplacées par d’informes ustensiles suffisants pour les conquérants nouveaux, jusqu’au moment où, à peine sortis de la barbarie, ils veulent tout le luxe et toute la magnificence des vaincus.

L’art ne se relève pourtant pas : c’est qu’il faut à l’art des conditions nombreuses pour garantir son existence et assurer ses progrès. Le génie créateur ne suffit pas : il faut qu’il soit sûr de trouver écho et sympathie. C’est ce qui explique la faiblesse et la mort apparente, à certaines époques, des manifestations les plus grandes et les plus belles de l’intelligence et de l’imagination de l’homme. Mais il arrive un moment où la situation change ; et l’on est aussi heureux, aussi fier de la fécondité nouvelle, qu’on avait pu être triste et découragé, un moment, de la stérilité précédente.

M. R. Ducros examinera, dans un second travail, l’ère moderne, en étudiant les procédés de fabrication, et en constatant par quels progrès rapides ou successifs, on a pu arriver jusqu’aux œuvres remarquables produites de nos jours.