Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/1/13

Séance du 15 Mai 1857.


Présidence de M. A. COMBES.


M. le maire assiste à la séance.

M. le sous-préfet a transmis au président l’arrêté suivant de S. E. le ministre de l’instruction publique, relatif à la demande formée par la Société :

Le ministre secrétaire d’État au département de l’instruction publique et des cultes,

Vu la demande formée par la Société littéraire et scientifique de Castres (Tarn) ;

Vu la lettre du préfet du Tarn en date du 12 janvier et du 14 avril 1857 ;

Vu le rapport du recteur de l’Académie de Toulouse, en date du 1er mars 1857,

Arrête :

Article 1er. La Société littéraire et scientifique de Castres est autorisée à se constituer définitivement.

Article 2. Les statuts de ladite Société, annexés au présent arrêté sont approuvés. Il n’y pourra être apporté de modifications qu’avec l’assentiment du ministre de l’instruction publique et des cultes.

Fait à Paris, le 2 mai 1857.

Signé : Rouland.

La commission, nommée dans la séance précédente, s’est transportée à Roquecourbe le jeudi 7 mai. M. A. Combes donne lecture d’un rapport sur les recherches auxquelles elle s’est livrée, de concert avec M. Alibert, membre correspondant.

Toutes les indications fournies par le travail de M. Alibert ont été reconnues d’une exactitude parfaite. Les nouvelles explorations n’ont donné lieu à la constatation d’aucun fait important : elles ont permis d’appeler l’attention sur des détails secondaires, qu’il n’était peut-être pas inutile de signaler, afin de les lier plus tard aux découvertes qu’amèneront probablement des fouilles plus profondes et plus étendues.

La commission a constaté l’existence d’une urne entière, de forme oblongue, avec évasement supérieur, sans anses, entourée à la naissance du col d’une guirlande en creux, dentelée, sans caractère régulier : elle a examiné des ossements de petite dimension, qui se trouvaient mêlés, en grande quantité, à la terre environnante. Aucun de ces ossements ne paraît avoir subi l’action du feu. Les pierres qui couvraient les vases ne portent aucune trace de travail. Elles n’ont pas été extraites des environs, et ont dû être portées d’une certaine distance. Ni monnaies, ni médailles, ni fragments d’armes, ni ornements, n’ont été trouvés sur le terrain exploré.

Il n’est pas possible, sur ces simples indications de fixer, même approximativement, l’époque où ces urnes ont dû être enfouies dans la terre. Il est certain qu’elles n’ont aucun caractère qui puisse permettre de les rapporter à la domination romaine. Seraient-elles antérieures ? Mais les Celtes ou les populations primitives de la Gaule, dont nous avons encore quelques tombeaux ou dolmen, n’avaient pas l’habitude d’enfermer dans un espace aussi étroit les restes de ceux qui n’étaient plus. Ces urnes contiendraient-elles des ossements que l’on aurait voulu conserver, après les avoir enlevés à la terre qui les avait d’abord reçus ? Ce sont de simples conjectures que des découvertes postérieures permettront sans doute d’éclaircir, mais auxquelles il faut se borner, faute d’une explication appuyée sur des indications plus précises.

Il n’est pourtant pas inutile de consulter Borel sur cette question. Son témoignage ne manque pas d’importance pour tout ce qui regarde le passé de notre pays. On lit à la page 59 de ses Antiquités de Castres, que, non loin de Saint-Jean de Vals, sont des coteaux « pleins d’urnes, et où on a trouvé beaucoup de médailles antiques. » Or, le plateau de La-Calle qui renfermait les restes nouvellement exhumés, touche d’un côté à Saint-Jean de Vals. Peut-être y a-t-il dans toute cette contrée, des richesses archéologiques encore inconnues, et que quelques fouilles dirigées avec intelligence mettraient facilement au jour. Le même fait avait été signalé auparavant par Nautonier de Castelfranc, dans la Mécométrie de l’aimant, imprimée à Venès, chez l’auteur, en 1603.

Il résulte évidemment de ces observations, et de quelques découvertes faites de nos jours, que la domination romaine s’était manifestée aux environs de l’endroit où est Castres aujourd’hui, par des établissements plus ou moins considérables, mais évidemment reliés entre eux, suivant les habitudes d’une stratégie formulée et appliquée comme une science complète. L’existence d’un camp ou d’un lieu fortifié, à Saint-Jean de Vals, semblerait incontestable, d’après les indications fournies par Borel. Le plateau de La-Calle, heureusement situé comme point de défense et d’observation, n’aurait-il pas pu avoir servi aux populations indigènes ? Des ossements seraient, dans ce cas, la seule marque de leur séjour qu’elles y auraient laissé. L’on sait pourtant que les populations primitives de la Gaule n’enfermaient pas dans des urnes les restes des morts.

Tout est donc contradiction dans les conjectures que l’on peut faire aujourd’hui, au point où se sont arrêtées les recherches. Pour aller plus loin, et former une opinion réfléchie, une solution raisonnable, il faut attendre les fouilles ultérieures.

La commission a profité de son excursion, pour visiter une éminence sur laquelle s’est plusieurs fois arrêtée l’attention des archéologues. Le point culminant est entouré de murs dont on peut suivre la direction sur trois faces. Le côté occidental présente une espèce de chevet, au milieu duquel a été percée une ouverture de très-petite dimension, au-dessus du niveau du sol. Les murs sont construits de pierres schisteuses, arrachées sur les lieux, et portant des traces nombreuses de coloration par l’oxide de fer. Elles sont liées entre elles par un mauvais ciment : en quelques endroits, elles sont seulement superposées.

Il résulte des témoignages recueillis, que, dans l’intérieur de l’espace entouré par les murs, et sur la pente de l’éminence vers le nord, on a trouvé de tombeaux, ou plutôt de grands cercueils de pierre. La forme est exactement pareille à celle des objets de même nature, découverts à Castres, dans l’ancien cimetière de l’abbaye de Saint-Benoît. C’est une excavation oblongue, avec une retraite circulaire à l’extrémité. Dans cette partie, ont été trouvés des débris de poterie, mêlés à une terre très-grasse, pouvant provenir de la décomposition de quelque viscère humain.

Cet endroit est désigné sous le nom de Sainte-Juliane, et la tradition populaire rapporte qu’il y avait autrefois un établissement religieux. Cependant, les auteurs de l’Histoire du Languedoc ne mentionnent nulle part Sainte-Juliane ; ce nom ne se trouve pas dans la liste des anciennes églises du diocèse de Castres ; Borel n’en dit rien, et les cartes terrières du pays Castrais ne portent à l’endroit indiqué, aucune désignation, quoiqu’elles ne négligent jamais de noter les lieux auxquels l’opinion publique ajoute une importance quelconque.

L’éminence de Sainte-Juliane domine un hameau appelé Saint-Martin. Cette agglomération a une existence ancienne. Ce que la tradition appelle un monument religieux, monastère ou abbaye, n’aurait-il pas été un cimetière, adjacent, suivant l’usage, à une église ? Ce ne peut être, dans l’état actuel, qu’une supposition, mais elle semble réunir toutes les conditions de la plus complète probabilité.


M. V. Canet explique un fait qu’il n’avait qu’énoncé dans la séance précédente, par rapport au procès engagé entre l’évêque et le chapitre de Castres. Au milieu des phases par lesquelles cette affaire était passée, elle se trouvait tout-à-coup, et sans motif apparent, enlevée au parlement de Toulouse, et soumise à celui de Provence. Les parlements étaient pourtant des cours souveraines ; aussi ce changement de juridiction pouvait-il paraître une violation des règles établies.

Il résulte des recherches faites dans les auteurs qui se sont spécialement occupés des conflits entre les diverses autorités religieuses, qu’un arrêt du parlement de Toulouse avait été cassé et annulé par le Conseil-d’État, qui avait renvoyé les parties à se pourvoir par-devant la chambre supérieure ecclésiastique d’Aix. C’est alors qu’intervint cet arrêt appelé célèbre dans l’histoire de l’Église de France. Il fut rendu le 19 janvier 1608, et contenait un règlement, toujours invoqué depuis comme décision définitive, dans les contestations du même genre, entre deux puissances dont les points de contact étaient si nombreux et les intérêts si souvent confondus.


M. Marignac lit un mémoire sur la bibliothèque de Castres.

Après avoir rappelé qu’un des principaux objets que s’est proposé la Société littéraire et scientifique en se fondant, a été d’interroger les archives et les bibliothèques publiques et particulières, afin de mettre en lumière les richesses historiques et archéologiques que possède notre pays, il montre que la première source à laquelle elle devait naturellement aller puiser, c’était la bibliothèque de Castres. Malheureusement, lorsqu’elle est allé frapper à sa porte, elle n’a trouvé personne pour l’y introduire, ni aucun moyen de connaître les éléments dont elle se composait. Depuis, l’autorité municipale a confié à M. Marignac le soin de réorganiser et de conserver la bibliothèque. Il vient rendre compte à la Société du résultat de ses premières recherches. Il annonce qu’il ne donnera dans cette séance que la première partie de son travail, qui présente l’histoire de la bibliothèque de Castres, depuis son origine jusqu’à nos jours, se proposant de faire connaître dans une seconde partie, les principaux ouvrages dont elle se compose, et les ressources qu’elle peut offrir pour les travaux de la Société.

M. Marignac commence par constater qu’avant 1789, bien que les archives municipales fussent très-considérables, puisqu’elles ne formaient pas moins de mille registres, Castres ne possédait pas de bibliothèque communale. Les seules bibliothèques importantes où les hommes voués à l’étude pussent alors trouver un aliment à leur légitime curiosité, appartenaient aux établissements religieux. Ces bibliothèques étaient au nombre de quatre :

1° Celle des Jacobins ou Frères prêcheurs qui avaient succédé aux droits des Bénédictins et hérité de leur bibliothèque, telle qu’ils étaient parvenus à la reconstituer depuis le xiie siècle, époque à laquelle un terrible incendie leur avait dévoré, au rapport des chroniqueurs du temps, plus de onze mille manuscrits. Ces manuscrits remontaient aux premiers temps de l’ère chrétienne, car dès le viiie siècle, suivant le récit de Borel, relaté dans la Biographie Castraise de M. Magloire Nayral, ils étaient confiés à la garde d’un moine nommé Jacques d’Austria, né en Autriche en 729, de l’une des plus puissantes familles de ce pays, homme d’une vaste érudition, et auteur de plusieurs traités sur la musique, la géométrie, l’histoire naturelle, l’histoire universelle, les annales de Saint-Benoit, etc.

2° La bibliothèque du Chapitre de Saint-Benoît, établie dans la rue de son officialité, adjacente à l’église du même nom, et désignée encore de nos jours sous le nom de rue des Grosses, à cause du dépôt des archives ou grosses des actes qui réglaient les droits et les intérêts du Chapitre.

3° La bibliothèque des Cordeliers, qui occupaient l’ancien couvent dont les bâtiments sont aujourd’hui affectés au collège communal. Ce couvent a compté pendant huit ans au nombre de ses moines le célèbre Rabelais, dont, par de patientes recherches, il ne serait peut-être pas impossible de retrouver encore quelques écrits dans les archives publiques ou particulières du pays.

4° La bibliothèque de Mgr Quiqueran de Beaujeu, mort évêque de Castres en 1735, et dont les livres, par succession, passèrent à Mgr de Royère, dernier évêque. Cette bibliothèque était établie dans le pavillon du palais de l’évêché qui sert aujourd’hui de presbytère, et où avait été transférée l’officialité. Au nombre des livres qui la composaient, il y a lieu de remarquer ceux qui provenaient de la succession du ministre Colbert, dont la bibliothèque, avec le reste du mobilier, fut vendue à Paris vers l’année 1705. Ces livres furent achetés par Mgr de Beaujeu, qui se trouvait alors dans la capitale, pour procéder aux travaux préliminaires de son installation comme évêque de Castres, et aux formalités à remplir pour obtenir l’achèvement de la cathédrale, telle qu’elle existe aujourd’hui, et qui fut inaugurée en 1718.

Telles étaient les principales richesses littéraires et scientifiques qui existaient à Castres avant 1789. Pendant la révolution, ces bibliothèques furent spoliées, après que les registres manuscrits qu’elles contenaient eurent été livrés aux flammes comme renfermant des titres féodaux. C’est de leurs débris, que se forma la bibliothèque communale, lorsque, par le fait de la révolution, les couvents et les autres établissements religieux, furent devenus propriétés de l’État, et que la ville de Castres eut acquis de ce dernier, au prix de 54,000 fr., le palais de l’évêché, avec son mobilier, dont faisait partie la bibliothèque de Mgr de Beaujeu.

M. Marignac présente ensuite le tableau des vicissitudes de toute sorte par lesquelles passa la bibliothèque formée d’abord à l’hôtel de la sénatorerie, à Frascati, ensuite transportée à la maison commune, où elle occupait trois salles : celle de l’ancien tribunal de commerce, celle des statues et celle du comice agricole ; réduite de plus de moitié dans la période de 1815 à 1830, pendant laquelle ses salles furent d’abord envahies par le conseil de discipline de la garde nationale, et servirent ensuite aux audiences du juge d’instruction ; enfin restaurée en partie depuis lors par les soins des diverses administrations municipales qui se sont succédé à la tête de la commune, notamment par celles de MM. Alby et Mahuzié, avec le concours de M. de Falguerolles, député de l’arrondissement.

M. Marignac termine ce premier travail en faisant connaître à la Société que, malgré les terribles épreuves par lesquelles elle est passée, la bibliothèque compte environ 4,000 volumes, dont plus de 580 grand in-folio, autant d’in-4°, près de 900 in-8o, 1,400 in-12, quelques in-18, et 24 volumes d’atlas ; de plus, elle renferme plusieurs collections précieuses, notamment celles des Pères de l’Église, celle des auteurs grecs édités par Firmin Didot, celle des voyages autour du monde, et des travaux topographiques très-importants, entr’autres le grand ouvrage sur l’Égypte et la carte de France dressée par les soins de l’état-major.