Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/1/12

Séance du 1er Mai 1857.


Présidence de M. A. COMBES.


MM. le sous-préfet de Castres et le président du tribunal de première instance assistent à la séance.

Le bureau du Congrès scientifique de France écrit que la 24e session s’ouvrira à Grenoble, le 3 septembre 1857. Il engage la Société littéraire et scientifique de Castres, à déléguer un ou plusieurs de ses membres pour la représenter. La nature des travaux dont s’occupe le Congrès, l’impulsion qu’il a déjà imprimée aux études archéologiques, doivent donner un grand intérêt à ces réunions et assurer leur succès. La Société, sans donner de délégation spéciale, serait heureuse de voir quelques-uns de ses membres unir leurs efforts à ceux de tant d’hommes à qui la science doit d’utiles progrès, et notre histoire nationale de nombreuses découvertes, sur les origines d’un passé pendant trop longtemps obscur ou incompris.


M. V. Canet lit une note sur un procès entre le chapitre et l’évêché de Castres. Ce procès peu important par les intérêts engagés, a son origine au XIVe siècle, et n’est terminé que par la révolution française. Il prend toutes les formes, épuise toutes les juridictions et revient sous un aspect nouveau, toutes les fois qu’il semble terminé par une transaction, ou par un arrêt souverain. Évidemment le caprice, cause trop ordinaire de beaucoup de procès, n’entre pour rien dans celui-ci : l’intérêt seul, n’explique pas cette longue persistance, et surtout ces transformations inattendues, par lesquelles les deux parties échappent tour à tour aux obligations qui leur sont imposées. Il semble qu’il y ait dans ce débat, plutôt le désir de provoquer une décision qui fasse loi dans la matière, que l’espérance de se soustraire à une charge ou de conquérir un avantage. Le ton des mémoires faits des deux côtés, semble d’ailleurs donner raison à cette explication, en élevant le débat à la hauteur d’un principe, et en l’arrachant à tout ce qui pourrait porter l’empreinte d’une rivalité haineuse.

En 1317, le pape Jean XXII érigea en évêché l’abbaye des Bénédictins de Castres, et la communauté des religieux, en chapitre cathédral. La bulle d’érection contient toutes les précautions usitées en pareille matière, afin d’éviter à l’avenir des contestations. Le nouvel évêché est doté de 5,000 livres de rente, dont 4,500 doivent être payées par l’évêque d’Albi, jusqu’à ce qu’il ait cédé les dîmes de certaines paroisses qui, à l’avenir, ne relèveront plus de lui : 500 livres doivent être payées par le chapitre.

En 1318, le chapitre, pour se libérer, cède à l’évêque différents biens, et les dîmes perçues dans toute l’étendue de la paroisse de Belle-Celle et de N.-D. de la Platé, son annexe.

En 1339 il est érigé une vicairie perpétuelle pour le service de ces deux paroisses. L’évêque Jean d’Armagnac, établit une pension pour la dotation de cette vicairie. Paul III sécularise, en 1535, le chapitre cathédral de Castres. Parmi les dignités qu’il érige est celle de trésorier, dont les revenus sont unis, l’année suivante, à la manse capitulaire.

Des difficultés s’étaient déjà élevées. La même bulle, en supprimant la vicairie perpétuelle de Saint-Jean de Belle-Celle et de la Platé, et en réservant au trésorier et au vicaire perpétuel alors en exercice, la jouissance de leur bénéfice, ne put y mettre fin.

En 1550, à la mort du vicaire perpétuel, le chapitre prit possession des deux paroisses, et les fit desservir par des vicaires amovibles, comme il y avait été autorisé par la bulle d’union de Paul III. Mais un arrêt du parlement de Provence, en 1608, arrêt appelé célèbre par les écrivains ecclésiastiques, constate qu’il s’était élevé des contestations entre l’évêque et le chapitre. Ces contestations renouvelaient la question soulevée, ou plutôt la difficulté engagée dès les premiers temps.

En 1683, le sieur Vidal dévoluta en cour de Rome la vicairie perpétuelle de Saint-Jean de Belle-Celle et de la Platé. Il obtint un jugement des requêtes qui le maintenait en possession. Le chapitre lui en fit titre en 1686, et lui adjugea 300 livres pour sa congrue. Il demanda aux seigneurs évêques de Castres de contribuer au paiement de cette congrue, en qualité de co-décimateur, conformément à la déclaration du 29 juin 1686.

Au mois de mars 1715, intervint un accord entre le chapitre et Mgr de Beaujeu, évêque de Castres, au sujet de cette contribution. Cet accord fut rompu, par suite de démarches faites au nom du chapitre. L’affaire s’engagea au parlement de Toulouse. Le 4 juin, fut rendu un arrêt, qui condamna Mgr de Beaujeu au paiement de la congrue du vicaire perpétuel de la Platé, de ses vicaires et des autres charges, au prorata des fruits décimaux qu’il percevait dans la paroisse, avec arrérages de onze années, depuis la prise de possession de l’évêché. Des experts furent nommés, et une transaction fut passée en 1718.

L’arrêt et la transaction reçurent leur exécution jusqu’en 1762. À la suite d’un dissentiment entre le vicaire perpétuel et le chapitre, l’évêque fut assigné devant le sénéchal pour intervenir dans le procès, en qualité de co-décimateur et déduire ses intérêts. Ils furent condamnés. Le chapitre paya seul, dès lors, la pension au vicaire, et Mgr de Barral se borna, jusqu’à sa mort, à continuer une contribution ordonnée par l’arrêt de 1716, et réglée par la transaction de 1718.

Mgr de Royère voulut payer la même contribution. Le chapitre s’y opposa, ne considérant pas comme un engagement ou comme une reconnaissance, l’oubli momentané de ses droits. C’est à propos de cette dernière contestation soulevée en 1774, que le chapitre fit rédiger un mémoire dont M. V. Canet a donné la substance. Rien dans les pièces conservées encore aux débris des archives de l’église de Saint-Benoît, ne fait connaître les événements postérieurs. L’affaire fut continuée jusqu’au moment où tout changea en France. La constitution civile du clergé et la confiscation de ses biens, mirent fin à cette longue contestation.

Il est regrettable que les documents de toute nature, bulles, arrêts, décisions, sentences, déclarations, arbitrages indiqués ou cotés dans le mémoire, n’aient pas été retrouvés. Quelques-unes de ces pièces auraient eu de l’importance et de l’intérêt pour notre histoire locale. D’autres, quoique appliquées à un fait particulier, auraient pu servir à déterminer, par un nouvel exemple, les principes, les règles et les usages suivis en matière de droits et d’obligations dans l’Église de France.

Au point de vue purement local, l’histoire de ce procès, si elle eût pu être complète, et appuyée sur les documents qui étaient entre les mains des parties, aurait permis peut-être d’expliquer comment l’abbaye de Belle-Celle, située à peu de distance de Castelnau de Brassac, et dont la fondation remonte à Saint-Benoît d’Aniane, était devenue une paroisse et avait pour annexe l’église de N.-D. de la Platé, dans Castres. Les revenus de l’évêché, du chapitre et des deux églises nous auraient été connus à des époques différentes ; il y aurait eu de l’intérêt à les étudier dans leurs rapports avec les charges qui leur étaient imposées. Quelques papiers de Saint-Benoît n’ont pu être encore examinés. Peut-être jetteront-ils quelque jour sur des questions qui ne manquent pas d’importance, pour une Société jalouse de rechercher tout ce qui tient au passé du pays Castrais.


M. Alibert, pharmacien à Roquecourbe, adresse à la Société un rapport sur une découverte récemment faite aux environs de cette ville, et qui lui paraît digne d’attention.

À un kilomètre de Roquecourbe, sur la route de Castres, s’élève un plateau qui domine la vallée de l’Agoût. Il est borné au nord par une dépression de terrain qui le sépare de la métairie de Granusse, où la tradition rapporte qu’on voyait autrefois un manoir féodal, dont il ne reste aucun vestige. À l’ouest, s’étendent des buttes naturelles qui lui donnent l’aspect d’un vaste polygone. On trouve sur son périmètre, le double Mas d’Enfau, le château de Lacam ou de La-Calle et le domaine des Fossés.

Vers le centre du plateau, des ouvriers défonçaient un champ appartenant à M. Cumenge. À la profondeur de 30 centimètres, leur outil mit à découvert des vases de terre qui se brisèrent sans effort, et ne laissèrent entre les mains de l’ouvrier, qu’une poignée de terre à laquelle étaient mêlés de petits os. Les travaux continuèrent et permirent à M. Alibert de réunir des fragments de poterie, des ossements de petite dimension, et des morceaux de grès rongés par le temps et irrégulièrement percés de petits trous. Les vases étaient découverts tout entiers ; ils se brisaient sous la main. Ils ne portaient la trace d’aucun vernis ; leur forme était tout-à-fait rudimentaire, renflée dans le milieu, écrasée vers le bas, sans anse et à large ouverture. Placés sur une ligne droite, d’une largeur de trois mètres et d’une longueur indéterminée, ils étaient emboîtés l’un dans l’autre ou isolés, posés verticalement, sans pied ni support d’aucune espèce. Deux de ces vases ont pu être conservés entiers. Ils ont été trouvés sous des blocs de grès, liés l’un à l’autre. Une large pierre de nature schisteuse, que les efforts de trois hommes pouvaient à peine soulever, couvrait une grande urne à deux anses, ou plutôt à deux oreilles, qui dépassaient les bords supérieurs. Une baguette en terre, engagée par chacune de ses extrémités dans les deux anneaux, paraissait destinée à maintenir le couvercle. Il n’en existe que des débris, parmi lesquels a été trouvée une aiguille en cuivre rouge.

Aucun squelette n’a été découvert dans le champ ni aux environs. Un vase unique, de la forme et de la capacité d’un long cuvier, renfermait un certain nombre d’ossements de grande dimension. Il n’a pu être conservé, et les débris qu’il a laissé échapper ne sont pas suffisants pour permettre de hasarder une conjecture quelconque.

M. Alibert se borne à la reproduction de ces faits. Des recherches plus étendues seront dirigées d’une manière régulière et avec une attention scrupuleuse, lorsque la récolte aura été enlevée. Peut-être sera-t-il possible alors, grâce à des indications nouvelles, de déterminer l’époque à laquelle doivent remonter ces vases, et de fournir des renseignements sur les habitants primitifs d’une contrée qui paraît renfermer plus de témoignages du passé, qu’on ne l’a cru pendant bien longtemps.

La Société a écouté avec un vif intérêt la lecture de ce rapport. Elle serait heureuse de voir, dans les centres qui environnent Castres, des hommes intelligents et studieux, porter leur attention sur tout ce qui peut servir à l’histoire locale. En offrant à leurs recherches un asile dans ses publications, en les associant eux-mêmes à son œuvre, elle voudrait encourager les travaux et vulgariser les découvertes. Trop de restes du passé ont disparu sans laisser de traces. Il importe de sortir de cette indifférence, ou plutôt de rompre définitivement avec ce dédain. M. Alibert a donné un bon exemple qui ne peut manquer d’être suivi. La Société lui vote des remerciements et lui confère le titre de membre correspondant.

Une commission, composée de MM. A. Combes, Cumenge, Tillol et Canet, est chargée de se transporter à Roquecourbe, et de recueillir, avec le concours de M. Alibert, tous les renseignements qui peuvent mettre sur la voie de nouvelles découvertes.


M. A. Combes lit, comme appendice à son travail sur la langue romane, quelques questions dont la discussion complète les opinions émises ou les détails donnés sur les phases diverses, les œuvres les plus importantes, et les noms les plus célèbres d’une littérature trop peu connue. Il y joint des citations qui permettent de suivre les changements par lesquels elle est passée, et d’apprécier, dans des genres d’un ton et d’un caractère différents, les richesses d’un idiome trop dédaigné.