Traduction par Saint-Germain-Leduc et Aug. Planche.
Librairie de Guillaumin et Cie (2p. 428-455).


CHAPITRE XXXVI.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.


VII. — Du mode de banque aux États-Unis.

§ 1. — Développement graduel du système de banque américain. Ce qu’il était à la fin du demi siècle qui a fini la révolution.

Le système politique des États-Unis tend à la décentralisation. Ainsi fait leur système financier ; mais là comme ailleurs, une politique qui cherche l’extension du trafic aux dépens du commerce produit une perturbation dont les résultats se montrent déjà dans l’établissement d’une centralisation dont, il y a quelques années, on eût regardé la venue comme impossible.

Voici le développement graduel du système de banque dans le demi-siècle qui a suivi la paix de 1783 :

Nombre de
banques.
    Capital.
1811 88 42.000.000 doll.
1816 246 89.000.000
1820 307 101.000.000
1830 328 110.000.000

Avant cette dernière année, l’imperfection des documents ne permet de donner ni le montant des prêts, ni leur rapport avec le capital. De cette date néanmoins nous avons les comptes de 281 banques dont les capitaux s’élèvent à 90.000.000 dollars, — et les comptes nous manquent pour 49 banques dont les capitaux sont 20.000.000 dollars. Les prêts et placements de toute sorte des premières sont 130.000.000 dollars ; et si à cela on ajoute le double du montant du capital des autres, soit 40.000.000 dollars, on obtient un total de 170.000.000 dollars, basé sur un capital de 110.000.000 dollars, — donnant un excédant d’un peu plus que 50 %.

§ 2. — Ses progrès depuis l’or. Forte proportion du capital comparé au montant de placement. Sa supériorité sous ce rapport sur les systèmes français ou anglais.

Pour les périodes plus récentes voici les montants donnés, === — l’item placements comprenant non-seulement les prêts et escomptes, mais les stocks, le fonds réel, et toute autre propriété, excepté les espèces, le mode de placement le moins favorable aux établissements :

  1837.   1843.   1848.   1851.   1854.   1856.
Nombre de banques. 634 691 751 879 1.208 1.300
Capital en millions. 290 228 204 226 301 332
Placements en millions. 560 319 398 464 630 711
-------- -------- -------- -------- -------- --------
Excédant de placements. 270 31 194 238 320 379

Sauf la période qui succède immédiatement à la grande crise financière de 1841-42, le montant des placements se montre dans tous les cas, aussi près que possible, avoir été le double du capital ; tandis, qu’ainsi que nous l’avons vu, les prêts de la banque de France et d’Angleterre ont été trois, quatre, cinq et même dix fois leurs capitaux. Toute grande qu’elle soit, cette différence entre les systèmes américains et européens ne représente encore qu’une partie de la réalité. Du capital des banques anglaises, une très-grande partie se trouve souvent dans des dépenses faites en vue d’assurer les affaires ; et les banques d’Angleterre et de France tiennent l’immeuble, les maisons de banque, etc., non compris dans les situations données ci-dessus ; tandis que dans les banques américaines tous ces placements sont compris. De plus, l’unique capital réel de la banque d’Angleterre se trouve dans son fonds excédant ou reste, de 300,000 liv. sterl., — ce qui est une addition au capital tel qu’il existe partout ailleurs dans les banques américaines et constitue une réserve contre les excédants de prêts ci-dessus.

En ajoutant au capital de 1856, et déduisant d’autre part l’immeuble tenu pour les opérations purement de banque, le capital total de cette année se trouverait monter au moins à 345.000.000

Tandis que les placements dépasseraient à peine 655.000.000

------------------

Ce qui donnerait comme excédant sur les placements 310,000,000


ou environ 90 %. Cet excédant représente le montant total de circulation, et des crédits sur les livres, pour le rachat desquels ces établissements n’ont pas d’espèces dans leurs caves.

§ 3. — La fermeté dans l’action des banques est en raison directe de leur dépendance du pouvoir de fournir les moyens de civilisation, et en raison inverse de leur dépendance des dépôts. Les banques américaines possèdent plus d’éléments de stabilité que celles de France et d’Angleterre.

Le montant de la circulation d’un pays dépendant des mouvements de sa banque, se trouve dans la circulation et les dépôts, moins la quantité d’espèce retenue en main. La première, comme nous l’avons vu dans l’examen du mode de banque anglais, est une quantité presque constante ; tandis que la dernière tend à changer à chaque hausse et baisse du baromètre politique et financier. — La première, — en même temps qu’elle accroît l’utilité de l’or et de l’argent, en donnant plus grande facilité de transférer leur propriété, — est régie strictement par les besoins mêmes de la population ; car n’importe l’extension qu’une banque puisse être en état de donner à ses prêts, elle n’a pas faculté de forcer le capitaliste au crédit de qui les valeurs sont placées, de les convertir en bank-notes. Il le peut s’il le veut, mais il ne le veut que s’il lui plaît ; et tant que l’option reste à lui, et aux autres qui sont dans le même cas ; le montant de la circulation repose sur lui et eux, et non sur la banque. De là vient que dans la circulation la tendance à la fermeté est si grande.

Quant aux « dépôts, » nous rencontrons précisément l’inverse. — l’accroissement de leur montant dépendant du vouloir des directeurs de la banque qui peut, oui ou non, ajouter aux crédits sur les livres. Chaque surcroît grossit le montant du capital privé dans leurs mains, stérile pour ses propriétaires ; et de là vient qu’il y a si grande tendance à l’instabilité dans les prêts dépendants des dépôts. De plus, la bank-note ne fait que faciliter le transport d’une pièce de monnaie existante, — met une simple pièce à même de faire la besogne qui autrement en demanderait cinq ou dix. Le prêt qui est basé sur un dépôt, double le montant apparent de la circulation, — le pouvoir d’acheter restant au propriétaire réel de la monnaie, en même temps qu’il est exercé, et précisément dans la même étendue, par l’individu à qui la banque l’a prêtée.

Cela étant, la tendance à stabilité et régularité se trouvera exister dans le rapport exact de l’excédant des prêts avec sa base, la circulation ; et vice-versa, la tendance à instabilité se trouvera dans le rapport de cet excédant avec sa base, les dépôts. Admettant ceci comme vrai, — et pour qui aura examiné avec soin les faits déjà exposés il ne peut y avoir doute, — nous allons maintenant étudier à quel point les banques américaines, comparées aux banques anglaises, possèdent les qualités nécessaires pour donner stabilité et régularité.

Les prêts des premières, non basés sur le capital actuel, montent à environ 310.000.000 doll.
Leur circulation actuelle est probablement d’environ 160.000.000
Ce qui laisse, comme montant des prêts basés sur dépôts, 150.000.000

Le montant total des prêts dépendant de la quantité variable, celle qui, dans son extension entière, double la monnaie au commandement d’individus, — ne s’élève donc qu’à 150.000.000, ce qui est moins que le montant de tels prêts fait par les dix banques par actions de Londres, dont tout le capital n’est que de 18.000.000 dollars. En y ajoutant les prêts semblables faits par la banque d’Angleterre, les banques de province de toute nature et les banques écossaises, nous trouverons que l’élément d’instabilité dans les banques anglaises est en quantité cinq fois plus forte que dans les banques américaines. Et même, ceci ne représente pas exactement les faits, et par la raison que tandis que la quantité ne croît qu’en proportion arithmétique, le risque d’oscillation croît en proportion géométrique. Une banque avec un capital de 1.000.000 dollars, peut sainement calculer que les crédits sur ses livres ne tomberont jamais au-dessous de 200.000 dollars ; et tant que le montant de ses prêts, basé sur ses crédits, se limite à cette somme, il ne peut jamais y avoir d’oscillation nécessaire. Laissez-le cependant s’étendre à 400.000, et il y aura nécessité probable pour une oscillation considérable. Étendez-le à 600.000, la nécessité d’une oscillation deviendra certitude. Portez-le 1.000.000 dollars, il y aura haut degré de probabilité que l’oscillation nécessaire sera telle que les clients seront ruinés et la banque elle-même anéantie avec toutes ses ressources. La quantité de l’excédant n’a fait que quintupler, mais le danger d’instabilité s’est accru d’un millier de fois. Instabilités et insécurité s’accroissent ainsi avec l’accroissement du pouvoir des banques de négocier sur les capitaux particuliers laissés temporairement dans leurs mains, tandis qu’elles diminuent selon que les prêts de ces établissements se restreignent de plus en plus à leur pouvoir de fournir la circulation. D’après quoi, le comble d’instabilité se trouverait en Angleterre, tandis que le degré le plus voisin de stabilité se montrerait dans les banques de New-England ; — l’une présentant le degré le plus rapproché connu de la centralisation la plus haute, et les autres présentant la décentralisation la plus parfaite.

§ 4. — Faible rapport de la circulation à la production, comparé à ce qui existe dans les deux pays sus-nommés.

Centralisation et esclavage vont toujours de compagnie ; il en est de même pour décentralisation et liberté.

Plus l’action locale est parfaite, plus instantanément la demande de capital suivra la production et moindre sera le pouvoir des banques de négocier sur les dépôts qui gisent stériles pour leurs propriétaires. Plus l’action locale est parfaite, plus aussi grandira le pouvoir d’association et moindre sera le rapport des instruments de circulation, — soit espèces d’or ou d’argent, soit notes circulantes — aux opérations de la communauté et au montant du commerce. D’après quoi, la circulation des États-Unis se trouvera représenter un moindre nombre de journées de travail que celle d’Angleterre ou de France, comme le prouvent les faits suivants :

    Les espèces de France sont estimées à 3.500.000.000 francs.
    La circulation et les dépôts de la banque — moins les espèces actuellement dans ses caves — peuvent être évaluées à.[1] 400.000.000
    Ce qui donne un total de 3.900.000.000

Ou environ 110 francs par tête, — une somme représentant probablement 80 journées de travail rural.

    La quantité d’espèces dans la Grande-Bretagne
est probablement
40.000.000 liv. st.
    La circulation est[2] 31.000.000
    Les dépôts sujets à être réclamés à l’instant
sont probablement.
60.000.000
____________ Total. 13.000.000
    D’où, déduisant pour les espèces tenues ordinairement par la banque, de 11.000.000
    Nous avons pour la circulation 120.000.000 liv. st.

Ce qui fait environ 4 liv. 10 s. par tête ou l’équivalent de 45 journées de travail à 12 sh. par semaine.

    Le montant des espèces aux États-Unis, dans les banques et en dehors d’elles, thésaurisées et en circulation, est probablement 160.000.000 doll.
    En y ajoutant, pour le montant des prêts pour les banques, basé sur leurs circulations et dépôts 370.000.000 doll.
    Nous avons un total de 530.000.000 doll.

Ce qui donne environ 20 doll. par tête, ou équivalent de 30 jours de travail rural[3].

    Le capital de toutes les banques de New-England, au nombre de 491, est 112.000.000 doll.
    En allouant à chacune pour profits excédant seulement 6.000 doll. on aurait 115.000.000
    Leurs placements de tout genre, billets, notes, stocks, immeubles de banque, etc., sont 181.000.000
    L’excédant est 57 % et monte à 66.000.000
    D’où déduisant pour espèces en caves 7.000.000
    Nous obtenons, comme surcroît à la circulation résultant de l’existence des banques 59.000.000.
    La circulation brute est 46.000.000 doll., mais la nette ne monte probablement pas à plus de 42.000.000
    Laissant comme quantité de circulation résultant du doublement des capitaux particuliers déposés seulement 17.000.000
    Le montant de circulation et de dépôts remboursables sur demande peut être évalué à environ 60.000.000
    À quoi l’on peut ajouter pour les espèces en circulation dans la population 3.000.000
    Ce qui donne un total de 63.000.000 doll.

Comme circulation en usage dans une communauté de 3.200.000 âmes, le montant par tête est au-dessous de 20 dollars, représentant environ 25 journées de travail rural.

Ainsi la circulation de France représente le travail de ___ 80 journées.
Celle d’Angleterre 45
Celle des États-Unis au plus 30
Celle de New-England 25

Et c’est dans cette dernière que nous trouvons le plus des éléments de stabilité.

§ 5. — Économie supérieure du système américain.

Le montant de métaux précieux que l’on suppose exister en France sous forme monnayée est d’environ 100 francs par tête.

Représentant le travail de plus de 70
Dans la Grande-Bretagne environ 2 liv. — représentent. 20
Dans les États-Unis au plus 5.50 doll. — équivalent à. 8 1/2
En New-England 3 doll. — représentent moins de 4

La circulation de France est la plus coûteuse. C’est là que la monnaie est utilisée à un moindre degré par les notes de circulation — que le besoin d’un instrument amélioré d’échange se fait sentir, — et que le rapport de la circulation à la production est le plus élevé. La thésaurisation cependant y est très-pratiquée ; les révolutions fréquentes, le manque d’institutions locales pour les placements petits et temporaires tendent à la fois à produire cet effet. On peut mettre en doute si la quantité de monnaie dans l’usage actuel va même à moitié de la somme à laquelle on l’estime ordinairement et qui est donnée ci-dessus.

La circulation anglaise est très-coûteuse, mais moins que celle de France ; — la monnaie y est plus utilisée au moyen de notes. Le rapport qui existe entre elle et le travail est élevé, sa tendance à l’instabilité est donc très-grande.

Moins coûteux qu’aucun des deux, et avec plus de titres à la stabilité, le système des banques américaines en général est localisé à un haut degré ; mais c’est dans New-England que nous trouvons la moins coûteuse, la plus utile et la plus stable de toutes les circulations du monde. Plus la liberté est parfaite, plus forte est la tendance à la stabilité, et moins il en coûte, comme on en a la preuve en passant des États du Sud et de l’Ouest, vers ceux du Nord et de l’Ouest[4].

§ 6. — La fermeté dans sa valeur propre est le desideratum d’une circulation. Tendance du système américain dans ce sens.

Ce qui est surtout à désirer dans un système de circulation c’est la fermeté dans sa propre valeur, — qui en fasse une mesure des changements dans la valeur des autres choses. C’est le cas pour les mesures de pesanteur et de longueur, comme le prouve abondamment le soin extrême avec lequel on a cherché à se pourvoir d’un étalon auquel rapporter toutes les aunes, tous les poids, et tous les autres instruments qui s’emploient pour déterminer les quantités de drap, fer, sucre, coton et autres articles qui passent de main en main. Que les aunes viennent à varier en longueur, ou que les poids d’une livre viennent à peser les uns seize onces, les autres douze, ils perdront toute leur utilité, — employés seulement par ceux qui désirent acheter à la longue mesure et vendre à la courte, — et qui par là s’enrichissent aux dépens de leurs voisins sans méfiance. De quelle importance presque infiniment plus grande doit donc être le besoin de fermeté dans l’instrument au moyen duquel nous comparons les valeurs de la terre, du travail, des maisons, des navires, du sucre, coton, tabac, et autres utilités et objets ! C’est la quantité essentielle d’une circulation, et l’avantage résultant pour la communauté de l’usage de cet instrument, doit être en raison directe du degré auquel elle existe.

La fermeté, la solidité, se trouvant dans le monde physique en raison de la largeur de la base à la hauteur de l’édifice, il en sera de même dans le monde financier ; — car il n’existe qu’un seul système de lois pour régir toute la matière, n’importe quelle forme elle revête. Le plus haut degré de fermeté se trouvera donc dans le système américain, et le plus haut degré d’instabilité dans le système anglais. » Un diagramme figure l’une qui présente autant de hauteur que de base, tandis que l’autre présente huit fois plus de hauteur que de base.

L’un décourage l’association locale et par là favorise la centralisation ; l’autre cherche à favoriser l’association locale, et c’est dans ce sens que l’on arrive toujours à la fermeté d’action.

La différence observée ici entre les deux grandes masses, n’est pas moins manifeste quand nous comparons les différentes parties du système des États-Unis. Chaque État, — et il y en a trente et un, — détermine lui-même les conditions moyennant lesquelles ses concitoyens peuvent former des banques, et dans plusieurs cas les restrictions et les obligations diffèrent considérablement. Ainsi, par exemple, Rhode-Island, en 1852, à 71 banques ou une banque par deux milles âmes de sa population, — le droit d’ouvrir boutique pour négoce de monnaie ayant toujours été exercé là avec une liberté inconnue dans aucun autre pays du monde. Leur capital était 14.037.000 dollars, et si nous y ajoutons plusieurs fonds de réserve, — montant à 839.000, — nous obtenons un total de 14.876.000 dollars, tandis que toute leur propriété, immeuble compris, ne montait qu’à 19.486.000 dollars, — n’étant que 30 % au-dessus de leurs capitaux actuels. Comme il y a là une large base pour un édifice de peu de hauteur, il s’en suit que les oscillations de la valeur de la propriété résultantes de l’action des banques de Rhode-Island ont été trop insignifiantes pour mériter qu’on en tienne la moindre notice.

C’est tout à fait l’inverse en Pennsylvanie, — un état où l’on suppose avantageux à la sécurité de l’action banquière, la centralisation de pouvoir dans les mains des directeurs d’un petit nombre d’institutions hautement favorisées. Le nombre des banques en 1850, était 63, — c’était une pour 40.000 âmes de la population. Leurs capitaux allaient à 20.357.000 dollars, — soit, 8 dollars par tête ; tandis que ceux de Rhode-Island faisaient près de 100 dollars par tête. Leurs prêts et escompte montaient à 44.000.000 dollars, mais le total des placements n’était que 50.000.000 dollars, — donnant un excédant de non moins de 150 %, à quoi correspondait un degré moindre de fermeté. Dans un cas, point de circonstances qui puissent rendre nécessaire un changement d’action montant même à 5 % ; tandis que dans l’autre il faudrait un changement de presque 50 %, pour ramener les banques au degré de sûreté que présentent habituellement les banques de Rhode-Island.

Connecticut avait, en 1850, 53 banques, une pour 7.000 âmes de sa population. Leurs capitaux étaient 9.907.000 dollars, soit 24 dollars par tête. Leurs placements montaient à 19.624.000, — donnant un excédant d’environ 60 %. Virginie avait, à la même époque, 6 banques, une pour 240, 000 âmes. Leurs capitaux étaient 1.824.000 dollars, — soit 7 dollars par tête ; leurs prêts étaient 19.624.000 dollars, ou près du double des capitaux.

Si nous comparons New-England avec New-York en ce moment, nous avons dans l’un 491 banques, avec 112.000.000 dollars de capitaux et 181.000.000 de prêts, tandis que dans l’autre nous avons 338 banques avec 85.000.000 dollars de capitaux et des placements de toute sorte montant un peu moins de 220.000.000. Dans un état la décentralisation est presque parfaite, tandis que dans l’autre il y a centralisation presque aussi complète, créée au moyen d’une loi pour favoriser la liberté de l’action banquière. Dans l’un la stabilité est presque parfaite, tandis que l’autre présente un modèle d’instabilité.

Missouri, avec une population de 700.000 âmes, a une banque dont le capital est 1.269.000 dollars, et les placements presque le quadruple. C’est ici, le lecteur le peut voir, tout à fait le contraire de ce qu’on rencontre en Rhode-Island, — l’un présentant tous les caractères de stabilités comme associés à la liberté ; tandis que dans l’autre se trouvent ceux d’instabilité, comme une conséquence de la restriction.

La fermeté dans la circulation s’accroît, nous le voyons, en raison de la liberté avec laquelle les hommes satisfont à leur désir naturel d’association avec leurs semblables ; et avec son accroissement nous voyons partout décliner le pouvoir de cette partie de la communauté qui vit aux frais de ses semblables. Les actionnaires de la banque de France obtiennent le triple du taux d’intérêt ordinaire, tandis que les propriétaires du capital dont ils se servent sont forcés de se contenter de la simple sécurité pour le retour de ce capital, sans intérêt. Les propriétaires des banques par actions en Angleterre reçoivent d’énormes dividendes, tandis que les dépositaires doivent se contenter de 3 %. La banque d’Angleterre donne 10 % de dividende, et, rien à ses dépositaires. Les banques de Pennsylvanie donnent 10 et 12 %, ou le double du taux légal. Celles de Massachusetts donnent sept ; tandis que les actionnaires en Rhode-Island reçoivent une moyenne de six, — c’est exactement le taux d’intérêts payés par ceux qui empruntent. Plus la liberté d’association en affaires de banque est parfaite, moins les obligations imposées sont nombreuses ; plus forte est la tendance à l’égalité des droits, plus sûre est la circulation et moins elle coûte,

§ 7. — Chiffre insignifiant des pertes pour les banques américaines sous le système d’action locale, avant 1837. Pertes énormes pour la population anglaise par les faillites des banques privées.

Le nombre moyen des banques dans New-England, de 1811 à 1830, a été de 97, et l'on a compté en vingt-cinq ans 16 faillites, — soit deux tiers de 1 % par année. Le capital moyen a été d’environ 22.000.000, dollars, le capital des établissements qui ont failli a été 2.000.000 dollars, soit trente-six centième de 1 0|o par année. La perte qu’à subie la communauté ne peut pas avoir dépassé de beaucoup 500.000 dollars[5], — donnant une moyenne annuelle de 20.000 dollars, ou un onzième de 1 % du capital des banques et pas même un millième de 1 % sur les opérations facilitées par elles. Le risque attaché aux transactions avec les banques de New-England, pour une période de plus d’un quart de siècle, a monté en moyenne à moins d’un dollar par chaque cent mille dollars, sauf Connecticut, — où une faillite a donné lieu à beaucoup de fraude et à une perte considérable, — le risque n’a pas monté à deux dollars pour un million.

En New-York, de 1807 à 1837, le nombre des banques a été en moyenne 26, et il y a eu 16 faillites, c’est une moyenne annuelle de moitié de 1 %. Le capital a été en moyenne 16.000.000 dollars, et celui des établissements qui faillirent a été 3.500.000 dollars, — donnant environ sept huitièmes de 1 % par an. Les pertes cependant, comme dans Massachusetts, tombent généralement sur les actionnaires et non sur leurs créanciers. Mais il y a eu deux faillites entre 1825 et 1837, de sorte que dans cette période la moyenne annuelle a été moins que moitié de 1 % sur le chiffre qui existait en 1830. L’une d’elles a payé toutes ses dettes et n’a donné de perte que pour ses actionnaires. Le risque attaché à négocier avec une banque, ou à recevoir une bank-note, ne peut pas être estimé avoir dépassé trois dollars par millions de dollars, et peut-être même pas plus d’un seul dollar par chaque million de dollars, des transactions que ces établissements ont aidé à accomplir.

En Pennsylvanie, le nombre des banques a été en moyenne 29, et celui des faillites 19, — donnant une moyenne de 2 1/2 % par année. Presque toutes ont eu lieu dans la période qui suivit la fin de la grande guerre européenne, et sauf trois, toutes d’un chiffre insignifiant se trouvent dans la période de 1820 à 1837. Le capital moyen des banques d’États, de 1811 à 1830, a été 15.000.000 dollars, et celui de celle qui ont failli a été 2.000.000 dollars, ou moitié de 1 % par année.

Le nombre moyen des banques dans ces États, de 1811 à 1830, a été 163. Le nombre total des faillites a été 56, — donnant une moyenne de 2 1/4 par année, ou 1 et 3/8 % La capital moyen a été 55.000.000 dollars, à quoi il faut ajouter moitié de celui de la banque des États-Unis[6], formant un total de 72.000.000 dollars. Les capitaux de celles qui ont failli étaient 10.000.000 dollars, — donnant une moyenne annuelle d’un peu plus de moitié de 1 %. Dans les années de 1822 à 1837, leur montant excédait à peine 2.000.000 — donnant une moyenne annuelle d’environ 133.000 dollars, ou 1.800 dollars pour chaque million du capital. La plus grosse perte essuyée par ceux qui ont traité avec les banques qui ont failli, ou par ceux qui ont eu leurs bank-notes, durant la période entière, ne peut pas être estimée avoir dépassé 3.000.000 dollars ; et probablement n’avoir pas même atteint la moitié. En admettant le montant toutefois, cela ne fait pas la cinq centième partie de 1 % sur les transactions des particuliers avec ces établissements, et donnerait un risque de 1 dollar par chaque 50.000 dollars. Dans les dernières quinze années de la période, il ne dépasse pas 5 dollars pour 1 million, et il est douteux qu’il ait dépassé 1 dollar.

Dans aucun pays, il ne s’est accompli une telle masse de transactions d’une manière aussi avantageuse pour la communauté et moyennant une aussi faible perte ; il s’en est suivi que le taux d’assurance sur les dettes des particuliers aux banques ou des banques aux particuliers, a généralement été plus bas que dans aucun autre pays du monde.

Si nous prenons l’Union en masse, le nombre moyen des banques que présente cette période a été de 242, et le nombre total des faillites 167, dont les trois quarts au sud et à l’ouest de l’État de New-York, — la proportion croissant avec la diminution de population et de richesse. La moyenne annuelle des faillites a été 2 ou 3/4 % ; tandis que le nombre des faillites des banques privées en Angleterre, dans la période de 1814 à 1816, a été de 240, et plus de 25 % du tout. Même entre 1821 et 1826, — une période où rien n’est survenu d’extraordinaire, la moyenne anglaise a été presque aussi forte que la moyenne américaine durant un quart de siècle, où l’on a passé de la paix à la guerre et de la guerre à la paix, — où le monde a été agité par des événements prodigieux qui tenaient à la grande guerre en Europe et à la paix qui la suivit. Un exemple frappant de l’avantage attaché à la liberté dans l’exercice du pouvoir d’association, comparé au système de monopole de l’Angleterre, c’est qu’à partir de la première fondation de banques en Amérique jusqu’à l’année 1837, il y a eu chez elle presque un tiers de moins de faillites qu’en Angleterre, dans les trois années de 1814 à 1816. De plus, s’il est vrai, comme on l’a établi, que les pertes du négoce dans ce dernier pays montent à 50.000.000 livres sterling par an, on pourrait affirmer en toute sûreté que toutes les pertes subies par les actionnaires, les porteurs de bank-notes, les dépositaires et les personnes ayant reçu de fausses bank-notes, n’ont pas aujourd’hui, à partir du premier défrichement dans le pays, monté au dixième des pertes ordinaires annuelles qui résultent des faillites privées en Angleterre.

§ 8. — Les banques de New-England sont un peu plus que de grandes institutions d’épargne. Forte proportion de leur capital au montant des prêts. Fermeté de leur action. La fermeté décline à mesure que l’on s’avance vers les États à population peu dense de l’ouest et du sud.

En New-England, il n’existe point, à la lettre, de capital qui ne soit employé à l’avantage de ses propriétaires. La somme entière en dépôt, et en circulation, est peu au-dessus de celle nécessaire pour l’usage journalier. La classe d’individus qui, en Écosse, place leurs capitaux en dépôt, devient, en New-England, actionnaire et reçoit comme dividende le même taux d’intérêt que paye l’emprunteur, — les dépenses sont payées par le profit de circulation. Il n’y a donc là par conséquent que le frottement d’une bonne locomotive sur un chemin de fer bien construit. Voici quelques documents qui montrent à quel point ce système tend à mettre en activité les petites sommes de capital qui pourraient autrement rester oisives et stériles.

Un relevé fait avec soin dans toutes les banques de Portsmouth, New-Hampshire, au nombre de 6, et comprenant une masse de 11.045 actions, a montré qu’elles étaient possédées par :

Actions
Femmes 2.438
Artisans 673
Fermiers et laboureurs 1.245
Banques d’épargnes 1.013
Marchands 2.038
Tuteurs 630
Biens-fonds 307
Institutions charitables 548
Corporations et État 157
Fonctionnaires du gouvernement 438
Marins 434
Négociants 191
Hommes de loi 377
Médecins 336
Ecclésiastiques 220
---------
11.405

Six autres banques de cet État ont montré la même répartition de la propriété dans les différentes classes.

Le nombre total des actionnaires de la banque d’Utica, New-York était, et est peut-être encore, de 191, parmi lesquels :

28 Fermiers.
18 Marchands.
15 Tuteurs de biens, exécuteurs ou gardiens.
45 Femmes, en général célibataires ou veuves.
1 Ecclésiastique.
9 Hommes de loi.
1 Médecin.
9 Fabricants.
4 Ingénieurs civils.
3 Fonctionnaires de la banque.
2 Officiers de la marine des États-Unis.
1 Courtier.
1 Église presbytérienne, École de district.
17 Personnes âgées, retirées des affaires.
27 Inconnus, résidant hors de l’État.
191

Plus d’un quart du stock entier du capital des banques dans l’État de Massachusetts, appartenait, il y a quelques années, à des femmes, des tuteurs, gardiens, exécuteurs, administrateurs, et à des caisses d’épargne. La répartition était ainsi :

Montant de stock
appartenant à des
Femmes 3.834.011 doll. 83 cents
Tuteurs 2.625.616 67
Gardiens 588.045 17
Caisse d’épargne 2.255.554 33
Exécuteurs et administrateurs. 692.519 17
____________
9.995.747 17

Le mode de banque en New-England est un système de caisses d’épargne. En Angleterre, on a jugé désavantageux d’avoir des établissements de banques par actions avec des coupons de 5 livres et 10 livres, parce qu’ils pourraient « dégénérer » en pures caisses d’épargne « dans lesquels les domestiques des deux sexes et les petits marchands placeraient leur argent. » Les banques avec responsabilité illimitée ont vif désir de présenter des noms « d’hommes de rang et de fortune comme actionnaires, » le crédit de l’institution résultant de la faculté qu’ont les créanciers de s’adresser aux fortunes particulières. Les banques de responsabilité limitée invitent « les petits marchands » et même « les domestiques de tout sexe à devenir actionnaires, — le crédit de l’institution dépendant de l’étendue de son capital et non du rang et de la fortune des propriétaires. Les premières désirent négocier avec de gros opérateurs, tandis que les dernières placent le capital à la disposition « des petits marchands ou d’artisans honorables, » — les mettant ainsi à même de suivre la voie des hommes par qui ils ont été employés.

Les banques de Massachusetts ont reçu en dépôt les fonds excédants de la population, et les ont remboursés sur demande ou les ont transférés du compte d’un tel à un autre compte. Elles ont fourni un intermédiaire de circulation plus convenable que l’or. La population de cet État a joui des avantages résultant d’un système de crédit supérieur aux systèmes d’aucune autre partie du monde, excepté Rhode-Island ; leur travail en a reçu autant d’assistance que des routes à barrières et des chemins de fer, et le péage à payer a été insignifiant. Durant une longue période d’années, les propriétaires du stock des banques ont reçu l’intérêt commun (6 %) pour l’usage de leur capital ; et, en outre, chaque établissement a reçu en moyenne 5.000 dollars par année pour payement de ses dépenses, et pour pertes encourues en faisant les affaires de la population. Une commission d’un centième de 1 %[7], sur les transactions facilitées par elles aurait monté au triple de cette somme. Les actionnaires rendent à la communauté de nombreux et importants services — en donnant, pour cautionnement de gestion fidèle, tout le montant de leurs intérêts respectifs dans l’établissement. La sécurité ainsi limitée, ils rendent ces services sans qu’il en coûte rien. Augmentez leur responsabilité, leurs exigences se rapprocheront de celles des banques par actions d’Angleterre.

Si de New-England nous passons au Sud, nous trouvons augmentation constante dans les dividendes des propriétaires des banques par actions et une augmentation également constante de la quantité de capital non employé, restant dans les caves de la banque sous la forme de dépôts, pour être employé au bénéfice des banques elles-mêmes, et à l’exclusion entière de ceux à qui il appartient. Comme on peut naturellement s’y attendre dans de telles circonstances, la circulation devient plus coûteuse, à mesure qu’elle perd davantage de son caractère essentiel de monnaie, — celui qui la qualifie pour servir d’étalon, — la stabilité dans sa propre valeur.

§ 9. — La centralisation accrue dans les vingt années dernières produit fermeté moindre dans la circulation monétaire ; — ce qui se doit attribuer à la poursuite d’une politique qui vise à édifier un trafic étranger aux dépens du commerce domestique. Le maintien d’une circulation saine et stable est incompatible avec l’existence d’une balance défavorable de négoce. Cette balance est défavorable par rapport à tous les pays purement agricoles.

Le système américain pourvoit à localiser le capital, au bénéfice de son propriétaire et de ceux qui devront fournir intérêt, tandis que les deux systèmes, tant de Londres que de France, pourvoient à le centraliser dans Londres et Paris pour y être employé par des intermédiaires qualifiés de banquiers, qui empruntent de l’argent à bon marché et le prêtent à haut prix. Sous le système américain, pleinement développé, on trouverait partout de petits établissements agissant comme les caisses d’épargne, ainsi que c’est aujourd’hui le cas en New-England. Sous les autres systèmes, les épargnes du pauvre travailleur de Cork ou de Limerick doivent aller se placer dans les fonds du gouvernement ; comme le sont en France celles de l’ouvrier de Sedan et de Rouen, du journalier de Provence ou du Languedoc. La décentralisation tend vers la fermeté, et pourtant le dernier demi-siècle n’a pas vu moins de deux suspensions de toutes les banques du pays ; et dans une autre occasion, plus de moitié ont dû en venir là. De grands établissements, comme la banque des États-Unis et la banque Girard, ont été entièrement anéantis, et les actionnaires ruinés ; grand nombre de plus petits ont perdu presque tout leur capital. Pourtant examinez le mouvement général des banques partout où vous le pouvez, vous trouvez les prêts assez petits, comparés avec leur capital réel, pour nous autoriser à attendre une fermeté qui puisse assurer à la population plus de régularité dans la circulation qu’il ne s’en trouve en aucun autre pays, et aux actionnaires, sécurité presque entière contre un danger sérieux. La cause de tout cela se trouve dans la proposition suivante :

La monnaie ne peut avoir cette stabilité de valeur qui est nécessaire pour faire d’elle un convenable étalon de valeur, dans tout pays qui n’a pas en sa faveur une ferme et régulière balance de négoce payable en métaux précieux.

Qu’il en doive être ainsi, le lecteur le concevra facilement. Ces métaux sont nécessaires à plusieurs usages dans les arts. Ils sont sujets à se perdre, en même temps que de tous les autres objets ils se prêtent le plus à la manie de thésauriser ; et thésaurisés ils sont complètement inutiles à la communauté. C’est pour le moment comme s’ils avaient cessé d’exister. De plus les espèces sont sujettes à perdre de leur poids par le frai, comme s’en aperçoivent si bien ceux qui ont à se servir des petites pièces d’argent anciennes. Pour répondre à ces inconvénients un influx de métaux précieux est aussi nécessaire que l’est un influx de blé ou d’huile, de soie ou de coton, dans les pays qui ne sont pas producteurs de ces denrées.

D’après quoi, il est clair qu’un pays ne peut continuer d’une manière durable à employer l’or et l’argent comme circulation, s’il a contre lui une ferme balance de négoce. Quelque quantité qu’il en ait, et quelque faible que soit l’excédant qu’il en exporte, cet excédant, joint à la consommation, réduira graduellement la quantité au point d’amener la défiance et la thésaurisation, — chaque pas dans ce sens étant un pas d’accélération constante. Tout riche qu’est le Brésil, il se sert de certificats de papier au lieu d’espèces. Toute riche en or qu’est la Californie, le prix de la monnaie y est énorme et a conduit à la répudiation de ses dettes. La valeur du papier monnaie russe s’est bien soutenue pendant plusieurs années de guerre, mais elle a tellement tombé après la paix de 1815 et l’établissement d’une liberté comparative du négoce, que quatre roubles-papier ne s’échangent que contre un rouble argent. La Turquie, qui ne le cède à aucun de ces pays pour les avantages naturels, perçoit ses revenus en denrées, tandis que le gouvernement altère la monnaie d’année en année. Le Portugal a été mis en faillite par le traité de Méthuen, qui a pourvu à cette exportation de produits bruts qui devait conduire infailliblement à l’exportation de son stock de métaux précieux. L’Espagne a exporté ses matières brutes, — envoyant avec elles la production de ses mines du Mexique et du Pérou. La France fit de même sous l’empire du traité de 1786, et causa par là une révolution. La balance du négoce, toujours favorable à l’Angleterre, l’a mise à même de se servir d’espèces d’or et d’argent ; et cela à un degré inconnu à aucun autre pays du monde. Toute l’expérience prouve que la balance du négoce doit être contre les pays qui exportent leur production brute, — que les métaux précieux doivent s’écouler de ces pays — et que ces pays doivent, en poursuivant cette politique, abandonner l’idée de se servir de l’or et de l’argent comme d’un étalon de la valeur.

Raisonnant maintenant a priori, nous arrivons, — et cela inévitablement, — aux mêmes résultats. Un pays non-producteur des métaux précieux doit se dispenser de leur usage, ou doit les importer. Pour atteindre ce dernier but, il doit établir en sa faveur une balance de négoce payable en ces métaux. S’il manque à la faire, il doit cesser de les employer dans les arts, et doit à la longue renoncer à s’en servir comme étalons auxquels rapporter les valeurs. Il serait absurde de prétendre soutenir le contraire, et pourtant c’est à cela que tendent les professeurs de l’économie politique moderne, qui suivent la voie de Hume et d’Adam Smith, relativement à cette importante question.

§ 10. — Instabilité de la politique américaine. Périodes de protection et de libre-échange alternant entre elles. La prospérité, compagne invariable des premières ; et la banqueroute pour le peuple et l’État, la compagne des autres.

La politique des États-Unis a été très-variable, — tendante, à l’occasion et pour de courtes périodes, à arrêter l’exportation des matières brutes et de l’or. En général, cependant, la tendance a été dans la direction contraire, ce qui a eu pour conséquence la suspension et la faillite des banques dont nous venons de parler. Ces désastres ont eu lieu, pour la première fois, dans la période de 1817 à 1834, lorsque les produits manufacturés eurent entrée libre, et que les espèces sortirent librement ; pour la seconde fois, dans l’année calamiteuse qui précéda l’acte passé en 1842[8] Sauf ces deux époques, il est douteux que toutes les faillites des banques de l’Union, dans les trente années de 1816 à 1846 aient monté à la millième partie de 1 %, ou que les pertes de la population, par les banques, aient monté même à la millionième partie de 1 du total des affaires qu’elles ont facilitées. Les pertes qui résultent de l’usage des navires, rien qu’en une année payeraient cent fois les pertes causées par toutes les banques du pays, pendant un siècle, — en exceptant les six années qui finissent en 1824 et les cinq qui finissent en 1842.

Alors comme aujourd’hui, le pays s’appliquait à amener une exportation de matières brutes qui épuisait le sol ; et alors comme aujourd’hui les métaux précieux prenaient le même chemin qu’elles. La politique empêchait l’usage des espèces d’or et d’argent ; elle nuisait à l’existence du crédit ; et il s’ensuivit que la thésaurisation se propagea tellement dans les années de 1837 à 1840, que l’envoi considérable d’espèces par la banque d’Angleterre, en 1838, ne produisit pas le moindre effet pour rétablir la confiance perdue. Il en est de même aujourd’hui. La quantité d’or dans le pays est plus grande qu’il n’a jamais été, mais cet or est dans les caves de la trésorerie, à cause du manque de confiance dans les banques, ou bien il voyage du sud au nord, ou de l’est à l’ouest, ou bien il se thésaurise dans des cachettes ; mais, — et par la simple et claire raison que la confiance n’existe pas, — il n’est pas dans la circulation. Tout le monde s’attend à une explosion pareille à celle des époques de 1817, 1820 et de 1837-42 ; et tous ceux qui le peuvent prennent leurs précautions.

C’est précisément l’inverse que nous rencontrons lorsque la politique du pays tend à élever les prix des matières premières indigènes et à en arrêter ainsi l’exportation. Sous le tarif de 1838, le prix de la farine avait acquis une stabilité telle, qu’il ne fut ici nullement affecté nonobstant les oscillations extraordinaires des marchés étrangers’. Sous ce tarif les métaux précieux arrivèrent et la confiance fut complète. Changement de politique, et l’on cesse d’ouvrir des mines, de construire des fourneaux et la confiance disparaît. Sous le tarif de 1842, la monnaie devient abondante — non à cause d’un large surcroît d’importation, mais parce qu’à l’instant même le crédit se rétablit tant public que particulier. L’or et l’argent qui avaient été thésaurisés, et par conséquent annihilés pour un temps reparaissent, pour répondre aux usages auxquels ils sont destinés.

Tous les faits que présentent l’histoire des États-Unis peuvent être invoqués à l’appui de cette assertion, que : le pays qui maintient une politique tendant à favoriser l’exportation des matières premières doit infailliblement amener contre lui une balance de négoce qui nécessité l’exportation des métaux précieux, et doit renoncer à leurs services comme mesure de valeur.

Ces faits peuvent se résumer ainsi :

Protection cesse en 1818, léguant à Libre-échange un commerce qui donnait un excédant d’importation d’espèces, — un peuple chez qui existait une grande prospérité, — un large revenu public, — une dette publique en décroissement rapide.

Libre-échange cesse en 1824, léguant à Protection un commerce qui donne un excédant d’exportation d’espèces, — un peuple appauvri, — un revenu public en déclin, — une dette publique s’accroissant.

Protection cesse en 1834-35, léguant à Libre-échange un commerce qui donne un excédant d’importation d’espèces, — un peuple plus prospère qu’on en eût encore connu, — un revenu tel qu’on jugea nécessaire d’émanciper de tout droit le thé, le café et plusieurs autres articles, — et un trésor libre de toute charge pour compte de dette publique.

Libre-échange cesse en 1842, léguant à Protection un commerce qui donne un excès d’exportation d’espèces, — une population ruinée et ses gouvernements discrédités, — un trésor public en faillite, et mendiant partout des prêts au taux le plus élevé d’intérêt, — un revenu perçu et dépensé en papier-monnaie non-remboursable — et une très-grosse dette publique à l’étranger.

Protection cesse en 1847, léguant à Libre-échange un commerce qui donne un excès d’importation d’espèces, — un peuple en haute prospérité, — les gouvernements d’États remis en crédit, — un rapide accroissement des affaires, — un large revenu public — et une dette étrangère qui va en décroissant.

Depuis ce temps la Californie a fourni en or des centaines de millions de dollars, dont la presque totalité a été exportée ou est sous les serrures dans le trésor public et les caisses particulières ; d’où il résulte que le commerce est paralysé — que le prix de la monnaie dans les villes commerçantes est depuis des années entre 10 et 30 %, — et que l’endettement vis-à-vis les nations étrangères s’est accru au point que pour acquitter rien que l’intérêt, il faut une somme égale à l’exportation moyenne de subsistances à tous les pays du monde.

§ 11. — Les primitives administrations fédérales s’abstiennent d’intervenir dans les institutions locales. Accroissement de centralisation depuis l’adoption de la politique qui donne au trafic la suprématie sur le commerce.

Les documents que nous venons de donner sur les faillites des banques, les services rendus par elles à la communauté et le prix auquel elles les ont rendus se bornent, en général, comme le lecteur l’a vu, à l’époque antérieure à 1836. Jusqu’alors l’intervention du gouvernement fédéral dans les opérations de banque, et dans le négoce de monnaie, s’était bornée à la création d’une grande banque centrale, calculée devoir occuper, par rapport aux établissements de banques locales, une position presque analogue à celle qu’il occupe lui-même par rapport aux États dont se compose l’Union. Depuis lors, cependant, tout a changé, — le gouvernement qui adopta pour la première fois la politique du libre-échange ayant aussi et presque simultanément entamé contre les institutions locales, le crédit en général, et l’usage des billets au porteur, une guerre qui n’a point encore cessé. L’un tendait à favoriser l’exportation des matières brutes et des métaux précieux qui prennent nécessairement le même chemin. L’autre chercha à favoriser l’usage de l’or et de l’argent et à expulser les billets au porteur ; et voilà pourquoi depuis vingt ans il y a eu effort presque incessant pour accomplir un objet qui, sous le système existant, ne peut s’accomplir. Pour augmenter l’usage des métaux précieux, il faut un excédant d’importation. Le gouvernement a cherché à augmenter leur usage sous un système qui cause un excédant d’exportation ; et comme l’objet ne peut aucunement s’atteindre, rien d’étonnant que l’histoire du mode de banque américain pour le dernier demi-siècle soit marqué par une ferme extension du pouvoir exécutif, — tendant à annihiler les droits de l’État et à détruire les pouvoirs du peuple.

Les conséquences sont un rapide accroissement de centralisation dans le gouvernement fédéral, par rapport à l’Union en général, — et dans les gouvernements d’États par rapport à leurs propres institutions, — et dans la capitale commerciale, New-York, par rapport à son autorité sur la valeur de la terre, du travail et de la propriété de toute sorte dans l’Union entière.

Cette centralisation se manifeste dans le gouvernement fédéral par un effort incessant pour diminuer l’utilité de la monnaie en interdisant l’usage des billets au porteur, — objet qu’on a un si vif désir d’atteindre, que tout récemment le secrétaire de la trésorerie a proposé d’annihiler le pouvoir des États en cette matière, en imposant des taxes fédérales sur les notes émises par des banques qui tiennent leur existence sous des lois locales.

Dans les États elle se manifeste par une série constante de restrictions sur l’usage des billets au porteur, et par l’établissement de ce qu’on a appelé lois de banques libres, en vertu desquelles les institutions locales sont tenues de placer de larges portions de leur capital dans les fonds centraux, et de soumettre toutes leurs affaires à la révision de commissaires d’État.

Dans la principale cité commerciale, elle se manifeste par des oscillations incessantes, — les extensions et les resserrements se succédant à brefs intervalles, et donnant faculté à ceux qui dirigent les établissements de cette cité d’affecter jusqu’à des centaines de millions de dollars, la valeur de la propriété — excitant à un moment et paralysant à un autre, le commerce de tous les États et villes de l’Union.

La centralisation tend toujours à détruire individualité et liberté ; et nulle part ceci n’est plus évident que dans les opérations financières des États-Unis. Le gouvernement fédéral cherche à détruire le pouvoir des États, en matière de circulation. Les gouvernements d’États dictent aux établissements locaux le mode de placement de leurs capitaux ; et la cité centrale paralyse le commerce par un resserrement des opérations de ses banques, tel qu’elles équivalent à moins qu’une seule journée de la production du sol et du travail du pays.

La quantité d’espèces nécessaires étant une quantité fermement croissante, tandis que son utilité en est une décroissante, les effets se manifestent dans un accroissement sans pareil de la classe des hommes intermédiaires, — agissant en qualité de courtiers, banquiers, changeurs de monnaie et autres semblables, et vivant aux dépens de ceux qui travaillent à produire et demandent à consommer. Les palais de ces personnages croissent rapidement en nombre et en splendeur, et dans la même proportion croît la hideuse misère dans les cités négociantes.

§ 12. — La stabilité de la circulation monétaire, dans l’Union, se trouve exister en raison directe de la liberté d’association pour la création de banques locales. Le système américain est plein d’anomalies, — l’action locale tendant vers la paix, le commerce et la liberté ; tandis que l’action centrale tend vers la guerre, le trafic et l’esclavage.

De toutes les institutions d’une communauté, il n’en est pas de capable de rendre une plus grande somme de services, et pourtant de moins comprise ou de plus calomniée, — et en général de plus redoutée, — que les banques. Chaque communauté a besoin d’un comptoir à monnaie, ou d’une place qui facilite relation entre ceux qui possèdent la monnaie et ceux qui, — ne l’ayant pas, désirent l’obtenir. Un individu cherche à avoir son petit stock en lieu sûr, un autre demande un mandat pour monnaie a payer sur une autre place ; un troisième veut avoir un billet au porteur qui lui épargne la nécessité de porter de l’or ou de l’argent, qui tous deux sont beaucoup plus lourds que le billet. Le propriétaire de mille dollars ou de mille livres sterling, les place dans une banque, qui les paye par dix, vingt, trente, cinquante ou cent petites sommes de l’exact montant désiré, — épargnant ainsi à son client beaucoup de travail et tout risque de perte. Dans les premiers âges de société, ces services se payent par une commission sur les sommes déposées et retirées ainsi ; mais plus tard les banques viennent à fournir la facilité plus grande de billets au porteur pour l’usage desquels elles ne prennent rien, — l’outillage de commerce venant à coûter moins à mesure qu’il se perfectionne.

Dans les diverses petites communautés qui vont s’accroissant aujourd’hui dans les États de l’Ouest, il y a une foule de petits capitalistes qui se préparent les uns à acheter une maison, ou un terrain, ou une petite ferme, les autres à ouvrir une boutique. Tous ces gens, en attendant, ont désir que leur monnaie fasse quelque profit, — ce qui grossirait leur petit stock. Pour la communauté elle-même il est désirable que les accumulations du tailleur et du charpentier, — les petites fortunes de la veuve et de l’orphelin, — les épargnes du docteur et de l’ecclésiastique, — soient tenus en opération active. En combinant leurs efforts, ces petits capitalistes ouvrent un comptoir dans le but de prêter leur monnaie, et de fournir à la population du voisinage un lieu de sûr dépôt pour telles portions de leurs capitaux respectifs qui peuvent de temps à autre se trouver sans emploi. Le stock, se trouvant possédé par actions, est facilement transférable, — le cordonnier, une fois prêt à bâtir sa maison, vendant son action au tailleur ; le commis, une fois prêt à ouvrir boutique cédant son intérêt à l’ecclésiastique. Le capital social étant pour ceux qui négocient avec lui sécurité de remboursement, personne ne croit nécessaire de cacher ou d’ensevelir son petit stock. La banque, ainsi organisée, aide le fermier à acheter son engrais, le boutiquier à obtenir plus de marchandises, — le maître maçon à obtenir des briques et de la charpente, — les petites épargnes du voisinage trouvant ainsi à s’employer activement sur le lieu où elles ont été faites. Pour acquitter les dépenses de gestion, les banquiers doivent réclamer quelque chose en échange de l’utilité qu’ils fournissent en recevant, gardant et remboursant à la volonté des propriétaires, les sommes déposées chez eux ; ou bien ils doivent se payer sur l’intérêt qui provient de leur usage. L’avantage qui dérive de l’existence d’une banque est la facilité avec laquelle les petites sommes peuvent se placer temporairement et être rappelées, — la communauté néanmoins profitant par le fait que toute sa richesse se trouve activement employée. Si le laboureur refuse à son voisin de lui prêter son cheval, il ne pourra lui emprunter sa charrette, et si les propriétaires de petites sommes de monnaie les gardent dans de vieilles chaussettes, ils trouveront difficilement à emprunter quand le besoin s’en fera sentir pour eux-mêmes.

Le comptoir de monnaie ainsi formé constitue une petite banque d’épargnes pour le capital désengagé ; comme les champs, les maisons, les terrains constituent des banques semblables dans lesquelles est placé ce qui autrement serait le travail perdu de leurs propriétaires. Avec le temps, — les emplois venant à se diversifier, — il y a à chaque degré de progrès dans ce sens, diminution de la quantité de monnaie nécessaire, — le fermier échangeant alors directement avec le tanneur et le cordonnier, et le chapelier avec le marchand de sucre et de café, — n’ayant à payer en monnaie que la balance. Moins de capital est alors nécessaire pour l’entretien de l’instrument d’échange de la main à la main ; plus de capital et de travail peut être donné à la production et le rendement des deux augmente de beaucoup, — résultat à l’accomplissement duquel le petit comptoir de monnaie a largement contribué.

Le propriétaire de monnaie, ou de circulation, en retient alors quelque peu dans son portefeuille, tandis que le reste est à la banque. Dans un cas il est propriétaire de ce qu’on appelle « circulation » et dans l’autre il est propriétaire d’un dépôt, — la proportion de la circulation au dépôt dépendant de la proximité ou de l’éloignement de la banque. S’il en est voisin il gardera en main très-peu de notes puisqu’il peut s’en procurer à l’instant, — son titre de déposant répondant jusqu’à concurrence, — s’il en est loin, il aura toujours avec lui autant de notes que ses affaires en demandent pour une semaine, pour un mois.

La facilité accrue d’obtenir la sorte de circulation dont on a besoin tend à diminuer la quantité que l’on tient en main, en même temps qu’elle facilite les échanges et augmente le pouvoir de combinaison. Avec l’accroissement de richesse et de population, il y a tendance à augmenter le nombre des banques ; à augmenter la facilité d’obtenir l’instrument d’échange, et abaisser le rapport de la monnaie, — soit or, argent ou billets au porteur, ou toute autre forme que celle transférable par titres ou effets, — au montant du commerce. La décentralisation diminue ainsi le pouvoir des banques et des banquiers, tandis que la centralisation l’augmente.

En voulons-nous la preuve la plus concluante qui soit au monde ; nous nous adresserons aux États-Unis, et pour le plus haut degré d’évidence parmi ces États à celui de Rhode-Island, — le pays, parmi tous, où le droit d’association pour des opérations de banque a toujours été exercé avec une liberté extrême. Là presque chaque village a son cordonnier, son forgeron et son comptoir à monnaie. Chacun a sous sa main une caisse d’épargne où il dépose ses épargnes, — achetant d’abord une action, puis une seconde, jusqu’à ce qu’enfin il soit en état d’acheter une petite ferme, — d’ouvrir une boutique, — ou de se mettre à fabriquer pour son propre compte ; alors il vend ses actions à quelqu’un de ses voisins qui est en voie de faire comme lui. La banque tire de l’usage de ses dépôts et de sa circulation de quoi couvrir ses dépenses et rien de plus, — la somme de capital oisif qui reste sous forme de monnaie soit réelle, soit imaginaire, étant toujours petite, comme l’est le montant de circulation à entretenir. Nulle part dans le monde le rapport des espèces et des billets au porteur au montant du commerce n’est si faible, et pourtant nulle part il n’existe de facilités si parfaites de fournir la circulation. Nulle part l’individu banquier ne se montre aussi peu, nulle part la banque ne négocie davantage sur son capital et aussi peu sur son crédit. Nulle part donc les banques ne sont aussi fermes et aussi sûres.

La liberté parfaite dans l’exercice du droit de s’associer n’a jamais existé ailleurs à un aussi haut degré ; et il en résulte le maintien d’une circulation moins sujette aux oscillations qu’aucune autre qu’on ait jamais vue. De toutes les communautés du monde c’est celle qui se fait gloire d’avoir le plus grand nombre de banques, et le plus fort montant de capital placé chez elles en proportion de sa population ; et on peut voir que ces banques, grâce à la liberté parfaite dont elles jouissent, ont réussi à traverser la période calamiteuse de 1835 à 1842 avec une altération dans leurs prêts de moins que 3 %. Elles ne peuvent s’étendre improprement parce que, — grâce à la concurrence complète, — des établissements rivaux suivraient cette extension ; on voit ainsi qu’elles sont gouvernées par la même loi qui empêche le cordonnier et le tailleur, en exigeant des prix exorbitants, de fournir occasion à des ouvriers rivaux de surgir « et de les chasser de leurs établis. » Comme elles n’ont pas faculté de s’étendre indûment, point de danger qu’elles aient à se resserrer. Toujours fermes dans leur mouvement, point de faillite de leurs clients, point de faillite d’elles-mêmes, comme on le voit par le fait que dans quarante années de guerre et de révolutions commerciales on n’a compté que deux faillites. L’outillage d’échange de la main à la main est là plus parfait et moins coûteux que partout ailleurs ; et par la raison que l’homme, la terre et la richesse y sont moins entravés par des règlements.

Dans de telles circonstances une banque est aussi inoffensive que le magasin de cordonnerie. Ce sont les mêmes lois qui les régissent tous deux. L’un est un lieu ou des artisans cordonniers versent leurs produits en vue de fournir, à ceux qui en ont besoin, des souliers qui aillent à leur pied. Faute d’une telle place d’échange, les individus qui ont un grand pied parcourraient une rue sans trouver rien que des artisans qui n’auraient à vendre que de petits souliers, — tandis que dans une autre rue des individus ayant un petit pied ne rencontreraient que des artisans ayant de grands souliers, — personne ne serait chaussé. Une banque est un comptoir appartenant à des propriétaires de capital hors d’emplois qui réunissent là leurs moyens, et les fractionnent en telles sommes qu’il convient aux besoins des divers individus qui désirent obtenir le prêt de monnaie, — accommodant ainsi la chaussure au pied du client. Une centaine de petits capitalistes, ainsi associés, peut fournir ici assistance au grand manufacturier, et ailleurs on peut voir quelques capitalistes plus puissants, propriétaires d’une banque, fournir assistance à un millier de fermiers, d’artisans, et de négociants[9]. Faute d’un tel comptoir, le fermier aurait peine à acheter semence ou engrais ; l’industriel souffrirait du manque d’une machine à vapeur, et le fabricant de ne pouvoir s’approvisionner suffisamment de matières premières — et tous par la difficulté de trouver un individu ayant la somme exacte qu’ils désirent emprunter et consentant à accepter la sécurité qu’ils ont à offrir. Au même instant peut-être, d’autres individus, qui peuvent fournir l’assistance et disposés à recevoir la sécurité, cherchent en vain des individus qui veulent emprunter. Le comptoir de monnaie rend ici le même service que le magasin de souliers, — accommodant le travailleur avec le capital, et le capitaliste avec le travail ; et moins il y a d’interventions, mieux la chose s’ajuste. Donnez liberté au négoce de monnaie, le nombre des comptoirs de monnaie augmentera comme celui des magasins de souliers, dans un rapport quelque peu moins rapide que celui de la richesse et la population — donnant surcroît de facilité pour une plus grande accumulation de richesse et de pouvoir.

Mieux qu’en aucun autre pays du monde, le système de banque américain tend à réunir tous les avantages par nous mentionnés, — pouvoir parfait d’association, accompagné d’un grand développement d’individualité, et suivi d’un accroissement rapide de richesse. Le système de gouvernement du pays est cependant directement opposé, d’où suit que d’année en année ces caractères tendent à disparaître, et la centralisation avec tous ses vices et toutes sa faiblesse tend à prendre leur place. Regardez en toutes choses, les États-Unis présentent les plus étranges « anomalies qui se puissent voir et par la raison que tandis que l’action locale y est en accord avec la vraie science sociale, le gouvernement fédéral adopte les théories de cette école moderne, qui, dans la question de monnaie, a suivi les traces de Hume et de Smith, dont nous allons examiner les enseignements.

  1. En nous réglant sur l’été de 1854, nous avons les chiffres suivants comme représentant la condition ordinaire de la banque :
    Circulation 610.000.000
    Représenté par espèces 470.000.000
    pour un total de 140.000.000
    Crédits inscrits 270.000.000
    Total 410.000.000
  2. Le montant total des crédits sur les livres des banques
    est probablement le triple de cette somme. Une grande partie cependant porte intérêt et n’est point sujette à être réclamée à l’instant, quoiqu’elle le puisse être à quelques jours de délai. Tant que dure cet état, elle ne constitue pas une partie de la circulation, quoique facilement convertie en circulation.
  3. On ne doit pas s’attendre, dans ces chiffres, à une exactitude minutieuse. La quantité d’espèces en circulation est évaluée différemment par tous ceux qui en ont parlé. Dans un tableau que l’auteur a sous les yeux, le surcroît ajouté à la circulation d’or dans la Grande-Bretagne, dans les quelques années dernières, est estimé avoir été 100.000.000 livres, — d’où suit nécessairement que chaque individu de tout sexe, jeune ou vieux, pair ou pauvre, aurait en sa possession, en moyenne, cinq souverains de plus que la quantité qui suffisait à toutes ses affaires il y a dix ans. De même les espèces en circulation actuelle parmi la population des États-Unis est maintenant portée à 191.000.000 doll. ou plus de 7 doll. par tête (Treasury Report for 1855, p. 52) pour la population entière ; tandis qu’on peut affirmer en toute sûreté que de tous les hommes du pays, on n’en trouvait pas un sur mille qui possédât cette somme, et parmi les femmes et les enfants pas un sur dix mille. Il y a probablement beaucoup d'espèces thésaurisées et beaucoup qui voyagent d’un lieu à un autre. Thésaurisée ou voyageant, la monnaie n’est point dans la circulation ; et encore faudrait-il toute la monnaie en service ou en non service, thésaurisée ou non thésaurisée, pour élever la quantité totale, montant donné dans le texte.
  4. La liberté de nom ou de fait sont deux choses fort différentes. La première se trouve en New-England ; quant à la centralisation en guise de liberté, nous devons nous adresser à New-York, dont le système libre nominalement a été très-justement caractérisé par un éminent économiste italien, dans le passage suivant. — « Voici des faits qui montrent clairement l’influence que de pures mots peuvent avoir pour créer et répandre des opinions. En 1838, New-York prit les devants pour le rappel des lois alors existantes, qui exigeaient l’autorisation préliminaire de la législature pour la création des banques — y substituant un système général en vertu duquel tous ceux qui le désirent peuvent fonder de tels établissements ; et son exemple a depuis été suivi dans d’autres États. Le système reçut le nom de « free banking » titre qu’il méritait peu, — puisque aux banques formées d’après lui, il est défendu d’émettre des notes au-delà d’une certaine somme, proportionnelle à leurs capitaux respectifs ; et que toutes les notes doivent être garanties par un dépôt de valeurs dans les mains du contrôleur des finances de l’État. Les libres banques — comme on les appelle — sont ainsi régies par une loi très-analogue à celle de sir Robert Peel — avec, en outre, quelques inconvénients à elles propres, que je ne puis détailler ici. On n’en attribue pas moins tous les désordres des libres banques, à une liberté qui, comme on le voit, n’existe point réellement. » — Giulio : La Banca ed il Tesoro, p. 102, Turin, 1853.
  5. La banque l’Aigle de New-Haven, devait, en 1827, après sa faillite, plus de 800.000 doll. Nous ignorons ce qu’elle a donné à ses créanciers. Toutes les pertes subies dans New-England pendant la période en question, à l’exception de cette banque, ont été absolument insignifiantes.
  6. On n’a employé dans ces états que moitié du capital de la banque des États-Unis.
  7. La banque de Hambourg demande près de moitié de 1 %, sur toute la monnaie qui passe par ses mains.
  8. Voir précéd., p 324
  9. Là où la terre est divisée et le commerce libre, les grands capitalistes ne font pas de banque par actions, parce que leur capital, autrement placé, rapporte davantage. La meilleure preuve qu’on puisse désirer que le système est vicieux, c’est que dans ce cas ils tiennent le stock d’une banque, en partie, comme un placement permanent. Les banques devraient être et ne seraient, si on les abandonnait à elles-mêmes, que de plus grandes caisses d’épargne.