Éditions Prima (Collection Gauloise no 138p. 21-30).

III

Son cousin Zizi

Nichonnette, à table, ainsi qu’elle l’avait promis, fit connaître sa décision.

— Évidemment, mon père, je mentirais si je vous disais que l’idée de ce mariage fait battre mon cœur de joie. Mais puisque des raisons d’ordre tellement supérieur me dictent la conduite à tenir, je n’ai qu’à m’incliner et à faire mon devoir.

Le roi et la reine regardèrent leur fille, un peu étonnés. Ce n’était pas souvent que Viviane faisait preuve d’autant de sagesse et de gravité. Et cependant, tout le long du repas, la jeune princesse se comporta de la plus édifiante façon. Puis, le déjeuner achevé, elle se retira dans ses appartements, après que son royal père l’eût couverte de bénédictions.

— La Boulimie, mon enfant, lui dit-il avec émotion, te sera éternellement reconnaissante de ce que tu auras fait pour elle.

Dès qu’elle fut arrivée dans son boudoir, Nichonnette ne perdit pas son temps. Elle sonna sa fidèle Wassline à qui elle exposa rapidement le plan de campagne qu’elle avait ébauché en déjeunant.

— Seulement, conclut-elle, tout ce que j’ai combiné est très joli, mais je ne peux rien arrêter sans en avoir discuté avec mon cousin. Aussi, petite Line, tu vas te déguiser en ce que tu voudras, paysanne, mendiante ou grande dame et tu vas filer porter ce mot au prince Zifolo. Mais fais bien attention, car tu sais que ce vieux corbeau de ministre de l’intérieur le fait surveiller étroitement, tu pourrais te faire pincer et ce serait une catastrophe.

— Votre Altesse peut compter sur moi, assura Wassline, le mot sera bien remis au prince en personne.

Nichonnette, dès que Wassline fut partie, sonna une femme de son service pour l’habiller.

— Donnez-moi mes culottes de cheval beige, ma jaquette grise et mes bottes jaunes. Envoyez aussi quelqu’un aux écuries dire qu’on me selle Rococo immédiatement.

En un tournemain, la jeune princesse fut prête, bottée, gantée. D’un coup d’œil à la fenêtre, elle s’assura que Rococo était dans la cour et, quatre à quatre, elle descendit le petit escalier qui desservait ses appartements privés. Lestement, Viviane sauta en selle, rassembla les rênes et partit au petit trot de promenade.

— J’ai plus d’une heure devant moi, monologuait-elle en remontant la grande allée qui menait du palais à la route, donc j’ai largement le temps d’arriver au rendez-vous.

Et elle mit Rococo au pas.

— Pourvu, continua-t-elle, que Line ne se soit pas fait surprendre, nous serions tous dans de beaux draps ! Mais non, je suis bien tranquille, quoi qu’il lui arrive, il est certain qu’elle se débrouillera pour tout arranger.

La jeune princesse avait, en effet, bien placé sa confiance et la brune Wassline n’était pas de ces petites personnes qu’il est facile de rouler quand elles n’en ont pas envie.

En sortant du boudoir de Nichonnette, la petite camériste s’était rapidement habillée, non pas en grande dame, ni en mendiante, mais tout simplement comme une petite employée quelconque, vendeuse ou dactylo, se rendant à son travail. Ainsi camouflée, elle eût pu passer inaperçue dans les rues de la capitale mais son joli minois et surtout ses yeux de braise ardente la signalaient à chaque pas à l’attention des passants.

Trois ou quatre fois, elle eut à rabrouer assez vertement quelques suiveurs par trop audacieux, mais elle n’y prit même pas garde. Cependant, comme elle parvenait à proximité de l’hôtel du prince Zifolo, elle fut suivie et bientôt abordée par un homme d’un certain âge qui, sans ambages, lui fit comprendre qu’il était prêt à sacrifier sa vie et bien plus encore pour elle si elle voulait bien lui accorder quelques minutes d’entretien.

Wassline toisa le nouveau soupirant, et le trouvant plus à son goût, sans doute, que les précédents, elle lui dit :

— Mon Dieu, monsieur, bien que cela ne soit pas dans mes habitudes, si vous voulez m’offrir un rafraîchissement dans un petit coin où personne ne nous verra, j’accepterai avec plaisir.

Les yeux du galant eurent un éclair. Il prit Wassline par le bras et, sans plus de formes, l’entraîna vers un

… Un coup de pied dans la fenêtre… (page 19).

bar de sa connaissance qui offrait des salons particuliers à sa clientèle.

Line commanda des citronnades, puis, comme personne ne risquait de juger en bien ou en mal la façon dont elle se comportait, elle permit à son compagnon quelques menues privautés. Au cours de ces ébats, le sac de la camériste tomba à ses pieds.

— Ah ! mon Dieu, ma glace, s’écria-t-elle.

— Tant pis, ma chérie, répliqua le galant, nous en achèterons une autre en sortant.

Et il se baissa pour ramasser le sac. Alors, d’un geste rapide, l’étrange petite femme de chambre vida dans le verre de son amoureux le contenu d’un petit sachet de papier rose. L’homme se releva et lui remit son sac. La glace était intacte.

— Merci, lui dit-elle, en lui tendant ses lèvres.

Il lui prit un long baiser. Quand elle se fut dégagée, Wassline, d’un geste câlin, le prit par le cou et voulut le faire boire elle-même. Il se laissa faire en riant et la gamine ne lui fit pas grâce d’une gorgée. Puis elle lui donna, de nouveau, ses lèvres rouges comme un cœur de figue mûre. Mais l’amoureux qui jusqu’alors, s’était montré fort entreprenant, donna soudain des signes de lassitude et même laissa entendre bientôt un ronflement doux et paisible.

Wassline le coucha sur le divan, elle se recoiffa, ramassa son sac et tout doucement gagna la sortie. Sur le seuil de la porte, elle se retourna en souriant et en manière d’adieu, lança vers le dormeur d’une voix gouailleuse :

— Bonne nuit, eh, sale roussin !

Et, sûre désormais que la voie était libre, elle se précipita chez le prince Zifolo à qui elle remit le message de Nichonnette.

Une heure plus tard, en effet, le prince Zifolo, à cheval, arrivait au rendez-vous fixé par sa cousine. C’était là, d’ailleurs, qu’ils avaient accoutumé, tous deux de se rejoindre, depuis que la conduite politique du prince Zifolo le tenait un peu éloigné de l’intimité de la famille royale. Ce lieu de rendez-vous était un petit pavillon de chasse situé en pleine forêt et qui était gardé par la vieille nourrice de Zifolo qui lui était toute dévouée.

Quand le prince arriva, il trouva la vieille femme assise sur un petit banc aux pieds de Nichonnette. Celle-ci, accablée de chaleur, s’était affalée dans un large fauteuil où elle écoutait avec patience les histoires de la brave nourrice.

Dès qu’elle aperçut son cousin sur le seuil, elle lui cria joyeusement :

— Bonjour, Zizi ! j’avais bien peur que tu ne reçoives pas mon message.

— Si, tu le vois, je l’ai eu. Wassline a pu passer malgré la surveillance. Elle t’expliquera ça elle-même, mais pour m’avoir fait appeler, au risque de te compromettre gravement, auprès de mon royal oncle, il faut que tu aies des choses graves à me dire.

— En effet, répondit Nichonnette, des choses très graves même… On me marie…

Ayant, d’un coup, lâché le gros morceau de ses confidences, la petite princesse, tout angoissée, en attendit l’effet sur celui qu’elle adorait… un peu plus qu’en qualité de cousin.

Le prince Zifolo devint pâle. Il ferma les yeux une seconde, puis, saisissant sa cousine à pleins bras, il la pressa contre lui en lui criant d’un ton éperdu :

— Nichonnette ! Ce n’est pas vrai ce que tu me dis là ?… Dis-moi que c’est une méchante plaisanterie que tu me fais !

Nichonnette le fit asseoir dans le fauteuil puis, s’installant gentiment sur ses genoux, elle lui raconta ce qui s’était passé le matin au palais. Elle insista surtout sur les raisons d’ordre national qui lui faisaient accepter cette union avec le prince Atchoum pour lequel elle n’éprouvait qu’un sentiment de parfaite indifférence, sinon de répulsion.

Mais, très amoureux de Nichonnette, le prince Zifolo — Zizi, comme elle l’appelait elle-même — s’emporta contre ce qu’elle croyait « des raisons d’ordre national ».

— Comment, lui dit-il, tu m’abandonnes au moment précis où je vais toucher au but, où mes longs et périlleux efforts vont être couronnés de succès ! Ma pauvre petite, tu parles de raisons nationales, mais dans un mois d’ici, ces raisons ne vaudront plus rien. Il n’y aura plus de royaume de Boulimie ! mais une République boulimienne… et c’est moi qui en serai le président…

— Mais, interrompit vivement la princesse, qui te dit que je te laisse tomber, espèce de grand ballot. Au contraire, je ne serai jamais plus à toi que lorsque j’aurai épousé le pot à tabac héritier du trône de Calvitie.

Et comme Zifolo n’avait pas l’air de très bien comprendre, Nichonnette se pencha à son oreille et lui exposa à voix basse tout son plan de campagne.

— Es-tu d’accord ! lui demanda-t-elle quand elle eut fini.

Pour toute réponse, il lui prit la tête et mit sur sa bouche un long et très tendre baiser. Nichonnette ferma les yeux et ne se défendit pas. Dame ! c’était trop bon !