Éditions Prima (Collection Gauloise no 138p. 12-20).

II

Une princesse
qui n’a pas froid aux yeux… ni ailleurs

En quittant la chambre de son souverain maître, la jeune Wassline, camériste particulière de Son Altesse Royale la princesse Nichonnette, était allée prévenir la reine du désir exprimé par Hilarion XIV de s’entretenir quelques instants avec elle. Puis, sa commission faite, elle avait couru aux appartements de la princesse. Sans même frapper elle entra dans la chambre en coup de vent.

Évidemment, les excès du thermomètre excusaient, en ce mois d’août, bien des légèretés dans la tenue, mais vraiment, celle de la princesse Viviane, à ce moment-là repoussait jusqu’à l’extrême toutes les limites permises. Disons tout de suite et sans plus de circonlocution qu’elle était parfaitement nue, gisant sur son lit, les deux mains sous la tête. Les yeux mi-clos, elle rêvassait, et le Diable seul sait peut-être ce qui lui pouvait bien passer par la tête.

D’une seule traite, la jeune femme de chambre courut jusqu’au lit de sa maîtresse. Sur l’épaisse peau de renard qui servait de descente de lit, elle se laissa tomber à genoux, cacha sa figure dans ses mains et le tout dans les draps, tout contre la hanche de sa maîtresse. Puis elle se mit à secouer ses épaules et à frotter ses yeux, imitant à s’y méprendre, et les apparences et les résultats du désespoir sangloté le plus violent.

Nichonnette s’était retournée d’un bond et, maintenant, à genoux sur son lit, les fesses en l’air et la tête sur le drap, contre celle de sa camériste, la jeune princesse lui demandait les raisons de cette détresse soudaine.

— Raconte tout, ma petite Line, lui dit-elle doucement, dis-moi le grand chagrin qui te met dans cet état.

Mais Wassline, jugeant qu’elle n’avait décemment pas encore assez pleuré, reprit de plus belle son shimmy désespéré.

— Allons, petite Linotte, fit doucement la princesse, calme-toi un peu et essaie de me raconter tes peines, nous verrons bien sans doute le moyen d’y porter remède.

La petite chambrière frotta ses yeux une dernière fois, renifla, toussota et releva enfin vers sa maîtresse un visage de catastrophe.

La princesse la prit par la main et la fit asseoir sur son lit, à côté d’elle. Puis elle passa gentiment un bras autour de son cou et attira la tête brune contre son épaule.

— Maintenant, lui dit-elle, raconte-moi ce qui t’arrive.

En phrases hachées, bribe par bribe, Wassline relata sa visite chez le roi. Elle arrangea seulement un peu les choses et si elle rapporta fidèlement gestes et paroles depuis son entrée dans la chambre royale, elle se garda bien de préciser jusqu’à quel point… final le monarque lui avait marqué de l’intérêt. Mais par contre, elle insista beaucoup sur la décision prise à son sujet par Hilarion XIV.

— Jamais de la vie s’écria la princesse, tu n’entreras pas à son service. Je t’ai, je te garde.

Et pour mieux signifier sa volonté, elle resserra un peu son étreinte autour de la petite tête brune. Ce geste devait avoir de curieuses conséquences. En effet, Wassline, mal assise, sans doute, culbuta en arrière sur le lit de la princesse qui fut, elle aussi, entraînée dans la chute.

Un quart d’heure après, Nichonnette était sans doute pleinement convaincue de la sagesse exemplaire de sa femme de chambre, car c’est avec beaucoup de sérénité qu’avec l’aide de celle-ci elle procédait à sa toilette. Elle était même presque entièrement habillée lorsqu’une de ses femmes de chambre vint lui dire que la reine désirait lui parler.

Ce cérémonial semblera peut-être un peu étrange, mais c’est Nichonnette elle-même qui l’avait ainsi réglé. Très indépendante et furieusement jalouse de sa liberté, elle avait depuis longtemps exigé que quiconque désirait pénétrer dans ses appartements privés, fût-ce sa mère elle-même, devrait se faire annoncer par une de ses femmes.

La reine fut donc introduite et Wassline, après une savante révérence, se retira.

— Elle est gentille cette petite, dit la reine, mais elle respire le vice par les yeux, le nez, la bouche et les oreilles. Pourquoi donc est-elle toujours fourrée chez toi ?

Nichonnette sentit venir une attaque déplaisante. Elle se hâta donc de contre-attaquer.

— Vous aimeriez mieux sans doute, répliqua-t-elle avec impertinence, qu’elle soit toujours fourrée dans la chambre du « patron » ?

— Oh ! Viviane, combien de fois me faudra-t-il te défendre d’appeler ton père le « patron »…

Nichonnette redoubla d’insolence :

— J’ peux pourtant pas l’appeler Hilarion.

La bonne reine Euphrasie coula vers sa princesse de fille un regard de pintade qui aurait couvé un moule à gaufres. Elle sentit que Viviane était dans un de ses jours électriques et comme il lui fallait au contraire la prendre par la douceur, elle retint son indignation.

— Allons, ma chérie, lui dit-elle, Calme-toi. J’ai à t’entretenir de choses graves…

— C’est urgent ce matin ?… Oui, eh bien, allons-y !

Et Nichonnette, à cheval sur le bras d’un fauteuil, alluma une cigarette et tendit vers sa mère un visage attentivement résigné.

La pauvre mère, maintenant qu’elle se trouvait à pied d’œuvre, était très embêtée. Elle ne savait comment rapporter à sa fille la conversation qu’elle venait d’avoir avec le roi. Enfin, avec le courage des

Elle était parfaitement nue (page 12).

gens qui se noient elle partit comme un trait et débita tout son discours sans respirer.

Quand elle eut fini, elle osa enfin lever les yeux vers sa fille. À sa grande stupéfaction, Viviane n’avait pas poussé un seul de ces hurlements qui lui étaient familiers dès qu’on abusait de sa patience.

— C’est tout ? dit-elle simplement.

— Oui, mon enfant, répondit la reine avec un gros soupir, et je trouve même que c’est assez comme ça !

— Ah ! dites, maman, une seule question : le prince Atchoum, l’heureux héritier du royaume de Calvitie, c’est bien le petit gros qui était l’autre soir au gala du palais ?

— Oui, ma fille, s’empressa la mère toute joyeuse, tu l’avais donc remarqué déjà.

— Ça serait difficile de ne pas le remarquer, il a l’air d’un saucisson greffé sur des pattes de sauterelle !

— Oh ! tu sais… évidemment, il n’est pas beau, mais pour faire un mari…

— C’est bien suffisant, acheva la princesse en riant. Enfin, laissez-moi réfléchir jusqu’au déjeuner. Je vous donnerai alors ma réponse… mais dès maintenant, je crois pouvoir vous dire qu’elle sera favorable.

— Ah ! ma fille, s’écria la mère en serrant Viviane sur son vaste sein, la Boulimie tout entière est actuellement entre tes mains !…

Puis elle sortit précipitamment pour aller pleurer à son aise toute son émotion contenue.

Nichonnette, restée seule, changea aussitôt d’attitude. Elle lança une ruade terrible dans son fauteuil, balaya d’une gifle magistrale une statuette qui se trouvait sous sa main, envoya d’un coup de pied sa babouche dans la fenêtre dont une vitre vola en éclats… Elle aurait ainsi saccagé toute la chambre mais ayant heureusement perdu l’équilibre, elle s’affala sur le tapis. Là, elle donna libre cours à sa colère.

— Bon Dieu d’bon Dieu d’sale cochonnerie d’métier !… Mais qu’est-ce que j’ai donc fait au ciel pour naître fille de roi ?… Voilà maintenant, sous prétexte que je suis princesse de Boulimie et qu’il faut sauver mon pays, voilà ma vie entière collée à celle du prince Atchoum ! Me voilà contrainte par la force des événements à jurer amour, obéissance et fidélité à ce paquet ridicule ! Me voilà obligée de vivre avec lui, de sortir avec lui, de manger avec lui, de dormir, de…

Cette perspective la fit se dresser dans un sursaut d’énergie, elle appela Wassline de toutes ses forces, puis, à bout de courage, elle se jeta sur son lit et se mit à sangloter.

À l’appel de sa maîtresse, Wassline accourut. Les choses étant, cette fois-ci, inversées, c’est à elle qu’incombait le rôle de consolatrice. Elle dut, sans doute, s’y montrer aussi habile que l’avait été la princesse avec elle, car, à l’heure du déjeuner, Nichonnette sortit de sa chambre aussi calme et souriante que si rien ne la menaçait.