Précis du système hiéroglyphique des anciens Égyptiens/Chapitre VII

CHAPITRE VII.

Application de l’Alphabet des hiéroglyphes, à la lecture des qualifications et des titres royaux inscrits sur les obélisques et les monumens égyptiens du premier style.

J’avoue, en effet, qu’on ne sait point encore d’une manière certaine si les inscriptions et les textes hiéroglyphiques, dans lesquels je retrouve des mots égyptiens exprimés phonétiquement, remontent au temps des Pharaons, rois de race égyptienne, ou seulement à l’époque grecque, comme l’inscription de Rosette, l’obélisque de Philæ, les temples d’Ombos et d’Edfou ; ou bien à l’époque romaine, comme les obélisques Albani, Borgia, Pamphile, Barbérini, celui de Bénévent, une partie des édifices de Philæ, et les temples d’Esné et de Dendéra.

Mais il est deux moyens bien simples de décider cette question, et de prouver en même temps que l’écriture hiéroglyphique était et a toujours été phonétique en très-grande partie sous les Pharaons eux-mêmes. Ces moyens consistent d’abord à retrouver les mêmes groupes phonétiques déjà observés sur des monumens dont l’époque nous est inconnue, dans les légendes inscrites sur des constructions qui appartiennent sans difficulté aux anciennes époques pharaoniques ; et en second lieu, à établir plus positivement encore la haute antiquité de ces constructions, par la lecture même des noms hiéroglyphiques des rois qui les ont fait élever, noms qui en couvrent pour ainsi dire toutes les parties.

Je crois être en état d’employer l’un et l’autre de ces moyens. Les savans jugeront jusqu’à quel point j’ai su le faire avec succès. Commençons par l’examen des titres royaux inscrits sur des monumens de la première époque de l’art en Égypte, l’époque des Pharaons.

On est généralement bien d’accord que les grands obélisques des palais de Karnac et de Louqsor, à Thèbes, sont des ouvrages des anciens Pharaons, ainsi que les parties de ces édifices sur lesquelles se trouvent reproduits à chaque instant les divers cartouches royaux que portent les obélisques précités. On accordera sans doute aussi une certaine confiance au témoignage formel de Pline, qui attribue à d’anciens rois de race égyptienne, la construction des plus grands obélisques transportés d’Égypte à Rome, tels que l’obélisque de Saint-Jean de Latran, et celui qu’on nomme Flaminien, ou de la porte du Peuple. Voilà, certes, des monumens pharaoniques : or, je retrouve dans les inscriptions hiéroglyphiques qui les décorent, la plupart des formes grammaticales phonétiques, les noms communs phonétiques, les noms propres phonétiques des dieux, déjà analysés et tirés d’abord de l’inscription de Rosette et de l’obélisque de Philæ, monumens de l’époque grecque, et d’autres textes dont l’époque n’est point certaine.

Ces groupes phonétiques sont aussi, pour la plupart, employés dans l’expression des titres fastueux que prenaient sur leurs monumens les rois de race égyptienne, titres qui nous ont été conservés en langue grecque, dans divers auteurs, et sur-tout dans la Traduction d’un obélisque égyptien, par Hermapion, insérée dans le texte d’Ammien-Marcellin.

Depuis la découverte et l’étude approfondie des inscriptions grecques d’Adulis et de Rosette, les savans ne sauraient élever aucun doute sur la fidélité de cette traduction d’un obélisque égyptien : Kircher et Paw, dont ce texte dérangeait les vains systèmes ou contrariait les idées particulières, ont bien pu taxer de ridicule supposition et même dédaigner le travail d’Hermapion ; mais tout concourt aujourd’hui à prouver combien cette traduction mérite de confiance, puisqu’on y retrouve une partie des titres que des monumens, de l’authenticité desquels il n’est point permis de douter, nous apprennent avoir été réellement portés par les souverains de l’Égypte. Quant à moi, je suis convaincu de l’exactitude de cette traduction, qui, je crois, nous reproduit, aussi littéralement que possible, les idées exprimées dans un ancien texte hiéroglyphique.

On sentira facilement combien il serait important pour l’avancement des études hiéroglyphiques, d’avoir aujourd’hui sous les yeux l’obélisque égyptien qui servit de texte à Hermapion. Le sentiment des savans s’est partagé à cet égard entre les deux plus beaux monolithes de Rome, l’obélisque de Saint-Jean de Latran et l’obélisque Flaminien. G. Zoëga, qui a discuté sur les lieux le degré de probabilité de l’une et l’autre opinions, se décide pour l’obélisque Flaminien, en avouant toutefois qu’il est douteux que l’un de ces deux monolithes soit précisément celui dont Hermapion a interprété en langue grecque les légendes hiéroglyphiques[1].

Les notions certaines que nous avons déjà acquises par l’étude de l’inscription hiéroglyphique de Rosette, et à l’aide desquelles il serait possible de recomposer en écriture hiéroglyphique une grande partie du texte d’Hermapion, suffisent en effet, non-seulement pour légitimer les doutes de Zoëga, mais encore pour décider en définitif que l’obélisque dont Hermapion a traduit les légendes, n’est ni l’obélisque Flaminien, ni celui de Saint-Jean de Latran, ni aucun de ceux qui ont échappé à la main des Barbares dans l’enceinte de Rome. Nous verrons aussi dans notre VIII.e chapitre, 1.o que l’obélisque de Saint-Jean de Latran a été érigé, non en l’honneur du Pharaon Ramésès ou Ramestès, comme l’obélisque d’Hermapion, mais en l’honneur du roi Thouthmosis ; 2.o que l’obélisque Flaminien porte des inscriptions de deux époques différentes, et nomme deux princes différens, ce qui ne saurait encore convenir au texte de l’obélisque d’Hermapion.

Malgré cette perte, les grands obélisques de Rome, comme ceux d’Égypte, recevront toutefois du texte d’Hermapion un intérêt nouveau, et quoiqu’il ne se rapporte à aucun d’eux ; car ils contiennent en écriture hiéroglyphique la plupart des titres que l’obélisque traduit en langue grecque donnait au roi Ramésès ou Ramestès, tels que, Θεογεννητος, Ον Αμμων φιλει, Ον Αμμων αγαπα, Ον Ηλιος φιλει, Ον Απολλων φιλει, Ον Ηλιος προεκρινεν, Ηλιου παις, Ηλιου παις και υπο Ηλιου φιλουμενος.

Nous allons reconnaître tous ces titres sur ces obélisques et sur d’autres monumens du premier style, comme sur des monumens des époques grecque et romaine, ainsi que les titres ou formules de l’inscription de Rosette, Ον ο Ηφαιστος εδοκιμαζεν, Ηγαπημενος υπο του Φθα, Υπαρχων θεος εκ θεου και θεας, Κυριου Τριακονταετηριδων, Αιωνοβιος, &c. ; et nous trouverons que ces formules et ces titres sont exprimés sur les monumens du premier style, comme sur ceux du second et du troisième, par une combinaison constante de signes phonétiques et de signes idéographiques.

Le titre Θεογεννητος, engendré d’un dieu, enfant d’un dieu, est écrit, sur l’obélisque Flaminien par exemple, au moyen du groupe hiéroglyphique n.o 346, dans lequel nous retrouvons les deux signes phonétiques ⲙⲥ (n.o 258 bis), en copte ⲙⲁⲥ, ⲙⲓⲥⲉ, enfant, engendré, que nous avons vu exprimer la filiation dans une foule d’inscriptions relatives à des personnages privés. Les caractères qui suivent, sont le pluriel du caractère symbolique dieu ; le groupe se prononçait donc ⲙⲥⲛⲉⲛⲟⲩⲧⲉ, Mésannénoute ou Misannénoute, l’enfant des Dieux.

C’est ici le lieu de faire observer aussi que le groupe ⲙⲥ (n.o 258 bis), aussi bien que le mot copte ⲙⲁⲥ, dont il est l’orthographe primitive, devient souvent un participe actif, et doit se traduire alors par generans, parens ; il est employé avec cette acception active, dans le titre hiéroglyphique ϫⲣ ⲙⲥ ⲛⲉⲛⲟⲩⲧⲉ (Tabl. gén. n.o 347), grande ou puissante génératrice des dieux, titre qui est particulier à une des grandes déesses de l’Égypte, dont le nom propre hiéroglyphique (n.o 54) se lit Ⲛⲧⲡⲉ, Netpé ou Ⲛⲧⲫⲉ Netphé. Cette déesse est la mère d’Osiris, d’Isis et de Nephthys, d’après divers textes hiéroglyphiques ; c’est celle qui, dans l’exposé des mythes égyptiens par Plutarque, porte le nom grec de Rhéa ; et il est fort remarquable que Netphé, qualifiée, dans les légendes sacrées de l’Égypte, du titre ⲙⲁⲥⲛⲉⲛⲟⲩⲧⲉ Masnénouté, génératrice des dieux, soit mentionnée sous son nom grec de Rhéa, et avec une qualification tout-à-fait analogue, dans le manuscrit copte thébain du musée Borgia, que nous avons cité comme conservant les noms égyptiens des dieux Phtha et Petbé. Schénouti reprochant leur idolâtrie à certains habitans de l’Égypte, cite en effet la déesse Rhéa. « Vous l’appelez, leur dit-il, la mère de tous les dieux que vous adorez. » Ⲣⲉⲁ, ⲧⲁⲓ ⲉⲧⲉⲧⲩⲛϫⲱ ⲙⲙⲟⲥ ⲉⲣⲟⲥ ϫⲉ ⲧⲙⲁⲁⲩ ⲧⲉ ⲛⲛⲉⲧⲉⲧⲛϣⲙϣⲉ ⲛⲁⲩ ⲧⲏⲣⲟⲩ[2]. Les savans qui ont donné quelque attention à l’étude des livres coptes, remarqueront aussi qu’un titre tout-à-fait semblable à celui que porta la déesse Netphé, fut donné dans la suite, par les Égyptiens devenus chrétiens, à la mère du Christ, qui est surnommée ⲙⲁⲥⲛⲟⲩⲧⲉ, Masnouté, génératrice de Dieu, celle qui a enfanté Dieu, dans les liturgies coptes ; c’est l’épithète Θεοτόκος des liturgies grecques.

Je trouve également le titre de ⲙⲥⲛⲉⲛⲟⲩⲧⲉ Masnénouté, générateur des dieux, attribué au dieu Phrê (le soleil), sur trois faces de l’obélisque de Saint-Jean de Latran (voyez le Tableau général, n.o 347 bis).

Le texte grec de l’inscription de Rosette donne au roi Ptolémée Épiphane, un titre qui renferme implicitement l’idée de θεογεννητος, c’est celui de Θεος εκ θεου και θεας καθαπερ Ωρος ο της Ισιος και Οσιριος Dieu né d’un dieu et d’une déesse, comme Horus, le fils d’Isis et d’Osiris[3]. Le passage correspondant à ces mots a disparu dans le texte hiéroglyphique ; mais les cippes, ordinairement en serpentine ou stéatite, qui représentent Horus vainqueur des puissances typhoniennes, et qui portent les titres de ce même dieu, suppléent à cette perte. Nous retrouvons, en effet, au commencement des longues légendes hiéroglyphiques qui ornent ces cippes assez nombreux dans les collections, le titre de Dieu fils d’un dieu, donné à Horus, fils d’Osiris, né d’Isis ; et la formule initiale de ces cippes, gravée n.o A, sur la planche VIII mise en regard de cette page, se traduit sans difficulté, car tous ses élémens sont connus d’ailleurs,

« Soutien de l’Égypte, Dieu fils d’un dieu soutien de l’Égypte, Horus, manifesté par Osiris, engendré d’Isis déesse. »

L’idée Θεος εκ θεο‍υ, Dieu né d’un dieu, est exprimée dans ce texte par le groupe phonétique ϣⲏ fils, ou le groupe phonétique ⲥⲓ ou ⲥⲉ, enfant, nourrisson, placé entre deux groupes composés de deux caractères, l’un symbolique et l’autre figuratif, dont la réunion exprime l’idée ⲡⲛⲟⲩⲧⲉ, Dieu mâle (Tableau général, n.o 230) ; ce qui produit ⲡⲛⲟⲩⲧⲉ ϣⲛ ⲡⲛⲟⲩⲧⲉ, Dieu fils de dieu, ou ⲡⲛⲟⲩⲧⲉ ⲥⲉ ⲡⲛⲟⲩⲧⲉ, Dieu enfant de dieu.

J’ai cru également utile aux recherches qui sont l’objet principal de cet ouvrage, de faire graver au-dessous de la légende hiéroglyphique qu’on vient de traduire, six copies de cette même légende inscrite sur différens cippes que j’ai eu l’occasion d’étudier. L’examen des variantes qu’elles offrent, prouvera, bien mieux que les raisonnemens les plus étendus, ce dont j’ai acquis depuis long-temps la certitude, par une suite d’observations de détail ; savoir :

1.o Que les mots égyptiens écrits phonétiquement dans ces textes hiéroglyphiques, pouvaient l’être au moyen de plusieurs signes de formes très-différentes quoique exprimant le même son. Nous voyons en effet dans ces inscriptions comparées, la préposition (am) de (colonne 10) rendue par la chouette ou par un caractère bifurqué, lesquels expriment aussi indifféremment la consonne dans le nom de Ptolémée[4]. Dans la version F, ces deux caractères sont remplacés par la ligne brisée , parce que dans la langue copte la préposition de est tout aussi bien exprimée par que par . Dans la colonne 13, la préposition de est elle-même représentée phonétiquement par trois caractères homophones, soit par la ligne brisée, soit par la ligne horizontale, ou enfin par la coiffure ornée du lituus, signes qui, tous trois, équivalent phonétiquement à . Nous voyons enfin deux formes du Σ hiéroglyphique employées dans les groupes ⲙⲥ (mès) enfant, natus, colonne 12 ;

2.o Qu’une idée pouvait aussi être exprimée symboliquement par plusieurs signes ou groupes différens : voyez les divers noms symboliques d’Horus dans la colonne 8 ;

3.o Que, dans l’écriture sacrée, une idée pouvait être rendue indifféremment, soit par des caractères phonétiques représentant les mots qui en étaient les signes dans la langue parlée, soit par un caractère symbolique, lequel exprimait l’idée et non le mot. On remarque en effet, dans la colonne 9, que l’idée engendré ou fils, est rendue, soit par le groupe phonétique ⲙⲥ (mès), engendré, enfant, soit par le groupe encore phonétique ϩⲣⲧ ou ⲓⲣⲧ, qui signifie manifesté, soit enfin par l’image d’un phallus, symbole naturel de la génération ;

4.o Que, dans l’écriture hiéroglyphique, tout groupe exprimant une idée, soit phonétiquement, soit symboliquement, était souvent abrégé, et qu’on se contentait de tracer un ou deux des signes principaux du mot ou du groupe. Ces abréviations sont très-fréquentes dans les textes hiéroglyphiques, et c’est-là une des difficultés qu’on doit surmonter lorsqu’on veut se former une idée exacte, soit de leur contenu, soit de la nature des signes dont ils se composent. On a des exemples de ces abréviations dans les sept formules comparées aux colonnes 1, 2, 3, 5, 6, 7 et 15, où se trouvent les groupes, soit phonétiques, soit symboliques, représentant les idées soutien, Égypte dieu, et déesse.

Mais revenons à l’analyse des titres royaux hiéroglyphiques. Je ne l’ai interrompue que pour profiter de l’occasion qui s’est naturellement offerte, de reconnaître certains principes que nous aurons bientôt besoin d’appliquer.

Le titre Ηγαπημενος υπο του Φθα, chéri de Phtha, bien-aimé de Phtha, qu’on lit dans le texte grec de l’inscription de Rosette, est heureusement conservé dans le texte hiéroglyphique (Tabl. gén. n.o 352), à la fin du cartouche qui renferme le nom propre de Ptolémée et le titre Αιωνοβιος, toujours-vivant. On observe également le titre chéri de Phtha dans les cartouches hiéroglyphiques des Lagides, où il est très-souvent privé des deux feuilles, comme dans les légendes de Ptotémée-Alexandre à Edfou et à Ombos[5], et par le seul effet de cette habitude d’abréviations, dont il est impossible de douter après les exemples que nous avons donnés précédemment.

On n’a point oublié non plus que les trois premiers caractères de ce groupe sont phonétiques et représentent, non, comme le croit M. le docteur Young, le qualificatif aimé, Ηγαπημενος[6], mais bien le nom même du dieu Phtha Ⲡⲧϩ (Ptah ou Phtah), le ⲡⲧⲁϩ des Coptes écrit phonétiquement. Examinons à leur tour les deux ou trois derniers signes de ce groupe, celui qu’on appelle la charrue, mais qui est plutôt une espèce de hoyau, et les deux feuilles, caractères qui représentent certainement l’idée Ηγαπημενος, chéri, aimé. Nous ne saurions en effet chercher ailleurs qu’à la fin du groupe, les signes qui expriment l’adjectif, puisque ces signes sont incontestablement aussi placés les derniers dans le groupe correspondant du texte démotique ; groupe dans lequel le nom démotique du dieu occupe aussi le premier rang, comme dans le groupe hiéroglyphique.

Le hoyau et les deux feuilles expriment donc l’idée chéri, aimé : on ne peut étudier avec quelque attention les légendes hiéroglyphiques placées à la suite des noms royaux, sans s’apercevoir bientôt que le titre chéri de Phtha était susceptible, comme tant d’autres, de s’écrire en employant indifféremment plusieurs caractères homophones ; j’ai dû par conséquent recueillir avec soin toutes les variantes de ce groupe ; on les trouvera réunies dans le Tableau général, sous les n.os 352 et 353.

Il devient positif, au premier examen de ces variantes, que le hoyau est un synonyme ou un homophone de ce signe carré qui ressemble à une sorte de base ou de piédestal. Cette synonymie a déjà été notée par M. le docteur Young, qui donne en effet, dans son catalogue hiéroglyphique[7], cette base ou piédestal comme étant le nom hiéroglyphique du dieu Phtha, aussi bien que la charrue ou le hoyau.

Pour moi, reconnaissant de mon côté cette même synonymie, je lis sans balancer le groupe formé de la charrue et des deux feuilles, ou du piédestal et des deux feuilles, ⲙⲁⲓ mai ou ⲙⲉⲓ méi ; car le piédestal exprime en effet la consonne M dans les cartouches de Domitien[8], et par-tout les deux plumes équivalent aux diphthongues ⲁⲓ et ⲉⲓ des noms propres grecs ; le groupe qui représente hiéroglyphiquement l’adjectif ηγαπημενος, chéri, est donc phonétique et se lit sans difficulté ⲙⲏ, ⲙⲉⲓ, ⲙⲁⲓ, ce qui donne exactement les mots coptes bien connus ⲙⲁⲓ ou ⲙⲉⲓ, qui signifient en effet αγαπᾶν, φιλειν, aimer, chérir ; les groupes hiéroglyphiques n.os 352 et 353, sont donc aussi entièrement phonétiques, se lisent ⲡⲧϩⲙⲉⲓ, ⲡⲧϩⲙⲁⲓ, ⲫⲧϩⲙⲉⲓ, ⲫⲧϩⲙⲁⲓ, Ptahméi ou Ptahmai, Phtahmei ou Phtahmai, et signifient chéri de Phtha, aimé de Phtha, ηγαπημενος υπο το‍υ Φθα.

Les diverses manières d’écrire ce titre, rassemblées sous les n.os 352 et 353, ne permettent pas non plus de douter que les Égyptiens n’aient écrit ⲡⲧϩⲙ, Ptahm, en abréviation de ⲡⲧϩⲙⲁⲓ Ptahmai.

La lecture certaine de ce groupe hiéroglyphique a eu pour mes recherches des résultats inappréciables, en ce que j’ai pu reconnaître alors dans les légendes des Pharaons, des Lagides et des empereurs romains, divers titres propres à ces souverains ; titres dans lesquels entre l’expression des idées chéri ou aimé, et qui, pour la plupart, se trouvent rapportés dans la traduction d’un obélisque égyptien par Hermapion.

Tel est d’abord le titre Ον Αμμων φιλει, ou bien Ον Αμμων αγαπα, chéri d’Ammon, aimé d’Ammon. C’est un de ceux que prennent le plus fréquemment les anciens Pharaons, sur les obélisques et les grands édifices de Thèbes. La forme hiéroglyphique de ce titre est gravée, avec toutes ses variantes, sous les n.os 354 et 355. On y remarque le nom phonétique du dieu Ⲁⲙⲛ Amon, Amoun ou Amen, suivi du piédestal ou de la charrue, , premier signe du mot ⲙⲉⲓ aimé, n.os 349 et 351 ; ces divers groupes se prononçaient Amon-mei ou Amon-mai Ⲁⲙⲛⲙⲉⲓ, Ⲁⲙⲛⲙⲁⲓ.

Ce même titre est souvent exprimé, en partie figurativement, et en partie phonétiquement (n.os 357 et 358) : partie figurative, l’image même du dieu Amoun, bien reconnaissable aux deux grandes plumes qui surmontent sa coiffure et à la longue bandelette qui s’en échappe ; partie phonétique, le groupe phonétique ⲙⲉⲓ ou ses abréviations . Ce groupe se prononçait encore Ⲁⲙⲛⲙⲉⲓ Amonmai.

On a pu voir dans le chapitre V, que le dieu Amon, le protecteur spécial de Thèbes, portait fort ordinairement aussi le nom d’Amonrê ou d’Amonrâ (Tableau général n.o 40) ; les rois égyptiens qui ont construit les plus beaux édifices de cette capitale, prennent dans leur légende le titre de chéri par Amonrê, roi des dieux, gravé avec toutes ses variantes et ses abréviations dans le Tableau général[9]. Le n.o 368 est complet et ne présente aucune abréviation ; il est formé du nom phonétique Ⲁⲙⲛⲣⲏ (Amonré), du mot phonétique ⲥⲧⲛ (Soten) roi, du pluriel symbolique dieux, et du qualificatif phonétique ⲙⲉⲓ, aimé, chéri, ce qui donne ⲥⲧⲛ ⲛⲛⲉⲛⲟⲩⲧⲉ Ⲁⲙⲛⲣⲏⲙⲉⲓ, le chéri d’Amonrê, roi des dieux. Les n.os 366 et 367 présentent seulement diverses abréviations, soit du mot chéri, soit du pluriel symbolique dieux.

Les mêmes Pharaons ont souvent pris la qualification plus simple de chéri d’Amonré, Ⲁⲙⲛⲣⲏⲙⲉⲓ, Amonréméi (n.o 365), et ce groupe se compose du nom phonétique du dieu, et de l’adjectif chéri, également phonétique.

Les n.os 371, 372, ne sont qu’une transcription figurative — phonétique du titre précédent. Le n.o 371 présente l’image du dieu Amon et celle du dieu , affrontées, et dont la réunion rend, figurativement, le nom phonétique Amonré (n.o 40) : ce nom, comme nous l’avons déjà dit, fut porté par le dieu Amon, et paraît formé en effet des deux noms Amon et , ou Ri (soleil). J’avais cru d’abord que ces groupes devaient être traduits par chéri d’Amon et du soleil ; mais le nom d’Amonrê étant, aussi habituellement que le nom simple Amon, celui de la grande divinité de Thèbes et de la Haute-Égypte, j’ai dû m’en tenir à la prononciation que m’indiquait la forme toute phonétique (n.o 365) de ce même titre.

Le n.o 373 signifie également Ⲁⲙⲛⲣⲏⲙⲉⲓ, chéri d’Amonré : le nom du dieu est exprimé par l’image même d’Amon et par le disque solaire ⲣⲏ (), Amon-rê-mei.

Dans les mêmes titres royaux, le nom du dieu Amon-rê disparaît, et une abréviation de la formule précitée ⲥⲧⲏ ⲛⲛⲉⲛⲟⲩⲧⲉ, roi des dieux, prend sa place et se combine avec l’adjectif ⲙⲉⲓ, chéri, ce qui produit alors le titre, le chéri du roi des dieux (n.o 371 bis).

Enfin, sur les obélisques, dans les dédicaces des temples, et dans les légendes des bas-reliefs, les Pharaons prennent le titre n.o 370, que je transcris en lettres coptes, ⲁⲙⲛⲣⲏ (ⲛⲟⲩⲧⲉ) (ⲛⲏⲃ) ⲕ. ⲅ. ⲑⲟ (ⲛⲏⲃ) ⲡⲧⲡⲉ ⲙⲁⲓ et qui signifie le chéri d’Amon-rê dieu, seigneur des trois régions du monde, seigneur suprême. Le n.o 369 doit se traduire seulement par le chéri d’Amonrê, seigneur des trois régions du monde.

Le titre Ον Ηλιος φιλει, que le Soleil aime, chéri du Soleil, que porte le roi Ramestès dans l’obélisque expliqué par Hermapion, se trouve très-fréquent dans les légendes royales des Pharaons, sur les monumens du premier style. J’ai réuni dans le Tableau général[10] les diverses manières dont ce titre est rendu en écriture hiéroglyphique.

Les groupes n.o 361 et n.o 362 sont formés du nom à-la-fois phonétique et figuratif du Soleil ⲣⲏ (Rê), et du groupe ⲙⲁⲓ, chéri, ou de ses abréviations.

Les n.os 363 et 364 ne diffèrent des précédens que par la présence de l’image même du dieu (le soleil), à la place de son nom phonétique ou symbolique. Ce dieu est très-reconnaissable à sa tête d’épervier surmontée du disque solaire.

On voit le nom du même dieu exprimé par l’épervier, la tête surmontée du disque, et qui est son symbole ordinaire, dans le groupe n.o 364 bis, qui, comme les précédens, était prononcé ⲣⲏⲙⲁⲓ ou ⲣⲏⲙⲉⲓ (Rê-mai, Rêmei), chéri du Soleil, Ον Ηλιος φιλει.

L’obélisque traduit par Hermapion attribuait aussi au roi Ramestès le titre, Ον Απολλων φιλει chéri d’Apollon : je le retrouve sur la plupart des grands obélisques ; mais il est nécessaire, avant de le produire, d’entrer ici dans quelques éclaircissemens préliminaires.

Les Grecs donnèrent au dieu que les Égyptiens appelaient Aroéris, le nom de leur Apollon, parce qu’ils crurent que ces deux divinités étaient identiques ; ce dont fait foi l’inscription grecque gravée, sous le règne de Ptolémée Philométor, sur le listel d’une porte intérieure du grand temple d’Ombos, qui dédie le sécos de cet édifice au grand Dieu Aroéris-Apollon, ΑΡΩΗΡΕΙ ΘΕΩΙ ΜΕΓΑΛΩΙ ΑΠΟΛΛΩΝΙ[11].

Plusieurs subdivisions (στοιχος) de la traduction d’un obélisque par Hermapion, commencent par la formule Απολλων κρατερος, le puissant Apollon ; et il résulte de l’étude que j’ai faite de ce précieux fragment, que par στοιχος, il faut entendre une colonne de caractères ; d’où il suit que l’obélisque égyptien traduit avait sur chaque face une inscription hiéroglyphique divisée en trois colonnes, comme les obélisques de Louqsor, de Saint-Jean de Latran et l’obélisque Flaminien.

Si l’on veut étudier attentivement le texte d’Hermapion, on s’apercevra bientôt que chaque στοιχος ou colonne de l’obélisque commençait aussi par les signes équivalant aux mots Απολλων κρατερος : il n’y a aucun doute à cet égard, pour les divisions appelées dans le texte, στοιχος δευτερος, τριτος στοιχος, et αλλος στοιχος πρωτος.

Mais si les autres divisions nommées στοιχος πρωτος, αλλος στοιχος τριτος et αφηλιωτης πρωτος στοιχος, ne semblent point commencer, comme les divisions précitées, par les mots Απολλων κρατερος, cela vient uniquement de ce qu’Hermapion ou les copistes, qui peuvent avoir d’ailleurs troublé l’ordre du texte primitif, ont groupé la traduction des στοιχος ou colonnes perpendiculaires de l’obélisque commençant par la formule Απολλων κρατερος, avec la traduction des légendes hiéroglyphiques sculptées sur le pyramidion de l’obélisque ou immédiatement au-dessous du pyramidion, dans des bas-reliefs qui précèdent toujours les inscriptions hiéroglyphiques disposées en colonnes perpendiculaires (στοιχος) sur les grands obélisques[12].

Cet aperçu nous fait donc retrouver le véritable commencement des divers στοιχος ou colonnes perpendiculaires.

En effet, dans le texte d’Hermapion, tel que le donne Zoëga[13], on lit d’abord cette première phrase : Τα δε λεγει Ηλιος βασιλει Ραμεστῃ· δεδωρημεθα σοι πασαν οικουμενην μετα χαρας βασιλευειν « Voici ce que dit le Soleil au roi Ramestés : nous t’avons donné le monde entier à gouverner avec joie. » Ceci est évidemment la traduction des légendes hiéroglyphiques qui décoraient les bas-reliefs placés au-dessous du pyramidion, et avant les trois colonnes hiéroglyphiques perpendiculaires formant l’inscription proprement dite de l’obélisque traduit par Hermapion.

Nous voyons en effet au-dessus des trois colonnes perpendiculaires de l’obélisque Flaminien, par exemple, une scène sculptée représentant le dieu Phrê (le soleil) assis sur son trône, et devant lui un roi dont le nom propre se lit dans les cartouches sculptés au-dessus de sa tête, et qui est prosterné devant le dieu, en acte d’adoration. Plusieurs petites colonnes d’hiéroglyphes, placées au-dessus du dieu, contiennent une formule en rapport sans doute avec celle qu’Hermapion a traduite d’une scène pareille. Les obélisques de Louqsor et l’obélisque de Saint Jean de Latran offrent des scènes analogues : on y voit des Pharaons prosternés devant le grand dieu Amon.

Après la formule précitée, le texte d’Hermapion offre les mots Απολλων κρατερος, qui sont véritablement les premiers de la première colonne (στοιχος) de la face australe (αφηλιωτης) de l’obélisque.

La division intitulée αλλος στοιχος δευτερος[14] commence ainsi : Ηλιος θεος μεγας, δεσποτης ουρανου. Δεδωρημαι σοι βιον απροσκορον. « Le Soleil, dieu grand, seigneur du ciel : nous t’avons donné une vie exempte de satiété. » C’est encore là une traduction des légendes d’un second bas-relief de l’obélisque, représentant le dieu Phrê adoré par le roi Ramestès. La première partie, le Soleil, dieu grand, seigneur du ciel, était la légende du dieu lui-même inscrite devant son image, et la seconde, nous t’avons donné une vie exempte de satiété, sont les paroles que Phrê (le dieu soleil) adressait au roi Ramestès prosterné devant lui.

On peut voir une composition tout-à-fait semblable, dans le pyramidion de l’obélisque Campensis, face méridionale[15]. Ce tableau représente le dieu Phrê (le soleil) à tête d’épervier, assis sur son trône, et ayant devant lui la légende hiéroglyphique gravée sur notre planche VII, n.o 5, dont tous les signes sont connus d’ailleurs, et qui signifie le Soleil, dieu grand, seigneur suprême, ou de la partie céleste, (ⲡⲉⲧⲡⲉ). Une seconde légende tracée devant celle que nous venons de traduire, et reproduite avec plus de détails derrière le trône du dieu (planche VII, n.o 6), renferme très-certainement les signes exprimant les idées je donne ou nous donnons à toi une vie heureuse, comme portait aussi l’obélisque de Ramestès. Le roi auquel le Soleil adresse les mêmes paroles dans l’obélisque Campensis est représenté, ainsi que cela est assez habituel, sous la forme d’un sphinx à tête humaine, accompagné des cartouches qui renferment son nom propre. On trouvera dans le chapitre VIII la lecture du nom de ce Pharaon.

Immédiatement après ces formules, le texte d’Hermapion porte Απωλλον κρατερος : ce sont les premiers mots de la colonne perpendiculaire d’une des faces de l’obélisque.

La même distinction doit avoir lieu, quant au texte des divisions τριτος στοιχος et αφηλιωτης πρωτος στοιχος. Les phrases : Ηλιος θεος, δεσποτης ουρανου, Ραμεστῃ βασιλει. Δεδωρημαι το κρατος και την αλκην κατα παντων εξουσιαν ; « Le soleil, seigneur du ciel, au roi Ramestès : je (te) donne la puissance, la force, et la suprématie sur tous, » de la première division ; et la formule Ο αφ’ Ηλιου πολεως μεγας θεος ενουρανιος, « le grand dieu céleste d’Héliopolis, » de la seconde division, ne sont que les traductions des légendes des bas-reliefs placés immédiatement avant les colonnes perpendiculaires de l’obélisque, qui commençaient encore par Απολλων, ou Απολλων κρατερος, mots qu’on retrouve en effet dans ce texte aussitôt après la traduction des légendes supérieures.

Il résulte donc de cet examen critique du texte d’Hermapion, que les trois colonnes perpendiculaires de caractères hiéroglyphiques, qui couvraient chaque face de l’obélisque de Ramestès, commençaient toutes par les mots Aroéris puissant, qu’Hermapion a traduits par Απολλων κρατερος. Plusieurs grands obélisques de l’Égypte ou de Rome, tels que les obélisques de Louqsor et le Flaminien, ont pour premiers signes des trois colonnes perpendiculaires de chacune de leurs faces, un épervier coiffé du pschent ; et nous avons déjà vu dans le chapitre V, qu’un épervier coiffé du pschent était le nom symbolique du dieu Arouéris. Il est évident par-là que l’obélisque de Ramestès avait pour signes initiaux de ses colonnes hiéroglyphiques, l’image de l’épervier mitré, comme les obélisques de Louqsor, le Flaminien, l’obélisque d’Alexandrie, ceux de Constantinople et d’Héliopolis, les obélisques dits Médicis, Mahuteus, &c. &c.

Il nous sera donc facile maintenant de retrouver sur les obélisques égyptiens, le titre de chéri d’Apollon ou d’Arouéris, Ον Απολλων φιλει ; et l’on ne peut le méconnaître dans les cinq premiers signes des premières colonnes des faces septentrionale et occidentale de l’obélisque Flaminien, l’épervier mitré, un taureau, le bras étendu, le hoyau et les deux feuilles[16]. L’épervier mitré est le nom symbolique d’Arouéris ou Apollon ; le taureau exprimait l’idée de force avec tempérance (Ανδρειον μετα σωφρουνης) selon Horapollon[17] ; ce taureau avec le bras, qui paraissent former un groupe, expriment ici l’idée de fort ou de puissant, épithète qu’Hermapion donne en effet dans son texte même à Apollon, qu’il nomme constamment Απολλων κρατερος, le fort, le puissant Apollon. Et il ne peut rester aucun doute sur le sens que nous attribuons à l’épervier mitré, au taureau et au bras étendu, en traduisant ces trois signes, le fort ou le puissant Apollon, car ces trois hiéroglyphes sont les signes initiaux de toutes les colonnes des grands obélisques, et nous avons vu que celles de l’obélisque du roi Ramestès, traduit par Hermapion, commencent toutes également par les mots Απολλων κρατερος, le puissant Apollon, Le groupe phonétique ⲙⲁⲓ, aimé, termine la légende n.o 384. qui signifie donc le chéri du puissant ou du fort Arouéris (ou Apollon).

J’ai également recueilli dans les inscriptions royales sculptées sur les monumens égyptiens, tant du premier style que du second et du troisième, un très-grand nombre de titres hiéroglyphiques analogues à ceux que nous venons de citer, et qui expriment l’affection que certaines divinités étaient censées accorder à divers souverains de l’Égypte ; je citerai ici les suivans :

1.o Ⲏⲟⲩⲃ-ⲙⲁⲓ ( n.os 359 et 360), le chéri de Cnouphis : dans le premier, le nom du dieu est exprimé phonétiquement, et il est figuratif dans le second ;

2.o Ⲥⲧⲏ-ⲙⲁⲓ (n.os 385, 386 et 387), le chéri de Saté (la Junon égyptienne) : le nom de la déesse, phonétique dans le premier groupe, est figuratif dans les deux autres ;

3.o Ⲧⲱⲟⲩⲧ-ⲛⲏⲃ ⲏ ⲛⲕⲁϩ ⲙⲁⲓ (n.o 388) : le chéri de Thoth, seigneur des huit contrées : ce groupe est presque entièrement composé de caractères symboliques ;

4.o Ϩⲁⲑⲱⲣ-ⲙⲁⲓ (n.o 383) le chéri d’Athôr (la Vénus céleste égyptienne) : le nom de la déesse est symbolique ; les Grecs l’ont écrit Αθυρ ;

5.o Ⲏⲥⲉ-ⲙⲁⲓ (n.os 377 et 378), le chéri d’Isis ; le nom de la déesse est également symbolique ;

6.o Ⲡⲧϩ-ⲏⲥⲉ-ⲙⲁⲓ (n.os 379 et 380), le chéri de Phtha et d’Isis : le nom de Phtha est phonétique, celui d’Isis est toujours symbolique. Le n.o 381 a le même sens, et les noms des deux divinités y sont exprimés figurativement ;

7.o Ⲏⲥⲉ-ⲏⲧϩ-ⲙⲁⲓ (n.o 380 bis) le chéri d’Isis et de Phtha ;

8.o Ⲁⲙⲛ-ⲏⲥⲉ-ⲙⲁⲓ, le chéri d’Amon et d’Isis (n.o 382) ; les noms des deux divinités sont figuratifs ;

9.o Ⲥϭⲣ ⲛⲟⲩⲧⲉ ⲟⲩⲥⲓⲣⲉ ⲛⲟⲩⲧⲉ ⲣⲁ ⲛⲏⲃ Ⲙⲛⲧⲓ-ⲙⲁⲓ (n.o 389), le chéri du dieu Socharis et d’Osiris, dieu grand, seigneur de l’Amenti ;

10.o Ϩⲱⲣ ⲥⲓ Ⲟⲩⲥⲓⲣⲉⲓ-ⲙⲁⲓ (n.o 390), le chéri d’Horus… enfant d’Osiris : ici le nom d’Osiris est figuratif et celui d’Horus est symbolique ;

11.o Ϭⲱⲙⲉ-ⲙⲁⲓ (n.o 391), le chéri de Gomus (l’Hercule égyptien) : le nom du dieu est figuratif ;

12.o ⲛⲉⲛⲟⲩⲧⲉ-ⲙⲁⲓ (n.o 392), le chéri des dieux : l’idée dieux est exprimée symboliquement.

Le texte hiéroglyphique de l’inscription de Rosette, en conservant le titre de ⲡⲧϩ-ⲙⲁⲓ, Ptah-mai (chéri de Phtha), nous a appris que le qualificatif ⲙⲁⲓ (n.os 349, 350 et 351), placé après un nom propre, comme affixe, prenait, dans ce composé, une acception passive, et devait se traduire par chéri, aimé, amatus, ηγαπημενος. On vient de citer un grand nombre d’exemples de ce groupe employé dans cette acception. Le texte démotique du même monument, qui supplée à ce qui nous manque du texte hiéroglyphique, nous indique, à son tour, que ce même qualificatif ou adjectif verbal prend un sens actif, et signifie aimant, chérissant, lorsque, dans un mot composé, il est placé en première ligne. La langue copte ne paraît point avoir conservé l’emploi de cette racine ⲙⲁⲓ dans un sens passif, mais elle en faisait toujours un grand usage dans le sens actif. Voici des exemples de l’emploi du groupe hiéroglyphique ⲙⲁⲓ, aimant, chérissant, dans quelques titres honorifiques :

1.o Ⲙⲁⲓ-ⲡⲧϩ (n.o 376), chérissant Phtha, l’ami de Phtha : ce groupe, qui est la contre-partie du n.o 352, Ⲡⲧϩ-ⲙⲁⲓ, chéri de Phtha, se lit dans une inscription funéraire des hypogées de Siout ;

2.o Ⲙⲁⲓ-ⲁⲙⲛ (n.o 393), chérissant Ammon, l’ami d’Ammon : c’est la contre-partie du n.o 356 ;

3.o Ⲙⲁⲓ-ⲙⲉⲛⲟⲩⲧⲉ ( n.o 394), chérissant les dieux, l’ami des dieux : c’est la contre-partie du n.o 392.

Le titre de Ramestès, Ον Ηλιος προεκρινεν, est à-peu-près le même que celui de Ον Ηφαιστος εδοκιμαζεν (que Phtha a éprouvé, a distingué), donné à Ptolémée Épiphane, par le texte grec du décret de Rosette. Malheureusement, nous avons à regretter la partie du texte hiéroglyphique correspondant à cette formule ; mais les légendes royales de ce même Ptolémée Épiphane, dessinées par M. Huyot à Philæ, à Karnac et à Dendéra, suppléeront aisément à cette perte.

Le premier des deux cartouches[18] qui les forment, contient toujours le groupe gravé planche VI, n.o 6, qui est, sans aucun doute, le même que le groupe n.o 7 (même planche), lequel, dans la partie hiéroglyphique de la pierre de Rosette, répond incontestablement aux mots du texte grec, θεος Επιφανης, dieu Épiphane. Dans le n.o 6, on observe seulement que le caractère en forme de hache est retourné et symétriquement répété sur les deux côtés du titre Épiphane. Ce dernier groupe est celui que nous avons déjà fait remarquer sur les cippes d’Horus, où il signifie Manifesté, mis en lumière, et c’est dans ce sens qu’il faut prendre aussi le mot grec Επιφανης lui-même, du texte grec de Rosette.

Ce texte grec ne mentionne presque jamais le roi régnant, sans ajouter à son nom Πτολεμαιος, les qualifications d’αιωνοβιος, ηγαπημενος υπο του Φθα, vivant toujours, chéri de Phtha ; le cartouche que contient le texte hiéroglyphique de Rosette, renferme les mêmes titres, et ce cartouche est, signe pour signe, le même que le second cartouche de la légende d’Épiphane (n.o 132 b), dessiné à Philæ par M. Huyot. Il est donc évident que le cartouche du monument de Rosette et les cartouches gravés au Tableau général, n.o 132, a et b, se rapportent à un seul et même prince, à Ptolémée Épiphane, le cinquième des Lagides.

Nous trouvons à la fin du cartouche b ( n.o 132), le titre déjà bien connu et qui se lit ⲡⲧϩⲙⲁⲓ, Ptahmai[19] ; chéri de Phtha : c’est bien l’ηγαπημενος υπο του Φθα du texte de Rosette ; mais, vers le milieu du cartouche a de la légende hiéroglyphique du même prince, nous voyons un second titre gravé dans le Tableau général, sous le n.o 398 ; titre qui contient également le nom de Phtha, mais combiné avec des signes qui n’ont rien de commun avec le groupe ⲙⲁⲓ, mai, aimé, ni avec ses abréviations[20] ; et ce nouveau titre d’Épiphane, dans lequel le nom du dieu Phtha se montre encore, ne peut être que l’expression hiéroglyphique du titre grec Ον ο Ηφαιστος εδοκιμαζεν, l’approuvé par Phtha (ou Vulcain), celui que Phtha a choisi ou a préféré, que l’inscription de Rosette donne aussi à ce même Épiphane[21].

Il est vrai que nous ne connaissons pas encore la valeur phonétique des deux premiers signes qui, dans ce groupe (Tableau général, n.o 398), suivent le nom du dieu Phtha : mais il n’est pas douteux que le groupe formé de trois caractères (Tabl. gén. n.o 397), ne soit phonétique, puisque le dernier d’entre eux, la ligne brisée (l’ hiéroglyphique), disparaît dans certaines variantes de ce même groupe, pour faire place à son homophone habituel, la coiffure ornée du lituus[22], qui est aussi un dans les noms propres.

Quelle qu’ait été la prononciation de ce groupe, sa valeur peut être regardée comme certaine. Il signifiait approuvé, choisi ou préféré. C’était un qualificatif, et je l’ai retrouvé dans les textes hiéroglyphiques, combiné avec les noms propres de différentes divinités, soit figuratifs, soit phonétiques, soit symboliques, circonstance qui prouve, à elle seule, que ce groupe exprime un simple adjectif, et qu’il n’est pas le nom propre du dieu ou du fleuve Nil, comme on a pu le croire[23].

J’ai encore réuni dans le Tableau général toutes les combinaisons diverses de ce groupe avec des noms divins, ce qui forme les titres suivans, que portèrent des Pharaons, des Lagides et des empereurs romains :

L’approuvé d’Amon ou d’Amoun… Tabl. gén. n.o 401 et 400
L’approuvé de Chnouphis n.o 402.
L’approuvé d’Amon-rê n.os 404 et 404 bis.
L’approuvé de Phtha n.o 398.
L’approuvé de Phré (ou du Soleil)… n.o 399.
L’approuvé d’Horus… n.o 403.

Le monument bilingue de Rosette, qui nous a déjà fourni tant de précieux documens, nous fait connaître encore un titre royal sur le sens précis duquel on n’a formé jusqu’ici que des conjectures plus ou moins probables. Il est compris dans le protocole du décret qui donne au roi Ptolémée Épiphane la qualification de seigneur des périodes de trente années, comme Héphaistos le grand ; c’est du moins ainsi qu’on a traduit les mots du texte grec Κυριου τριακονταετηριδων καθαπερ ο Ηφαιστος ο μεγας

On a considéré le mot Τριακονταετηριδων, comme exprimant des périodes astronomiques, dont la durée fut de trente ans ; mais on n’a pu jusqu’ici trouver ni le but ni les élémens de ces périodes ; le sens réel de ce mot reste donc encore fort douteux par cette impuissance même d’assigner un motif quelconque à l’institution d’une période semblable.

Quoi qu’il en soit, je suis très-porté à croire qu’un titre hiéroglyphique donné à l’empereur Domitien, sur l’obélisque Pamphile[24], à Ptolémée Évergète II, sur l’obélisque de Philæ[25], et que j’ai reconnu dans les légendes royales de plusieurs Pharaons[26], peut répondre au titre seigneur des Triacontaétérides, comme Héphaistos (Phtha), que nous lisons dans le texte grec de la pierre de Rosette.

La formule hiéroglyphique dont il est ici question, est gravée, avec toutes ses variations, sur notre planche IX.e, mise en regard de cette page. Celle qui porte le n.o 1, est extraite des faces méridionale et occidentale de l’obélisque Flaminien ; elle répond aux mots égyptiens ⲡⲛⲏⲃ ⲛ ⲧⲱⲟⲩⲧⲥ ⲛⲑⲉ ⲧⲩⲉϥ ⲡⲧⲁϩ ⲛⲟⲩⲧⲉ[27], seigneur de la panégyrie, comme son père le dieu Phtha. Le n.o 2, tiré de l’obélisque oriental de Louqsor, porte ⲉⲡⲛⲏⲃ[28]ϫⲣ ⲛⲉⲧⲱⲟⲩⲧⲥ ⲛⲑⲉ ⲡⲧⲁϩ, seigneur des grandes panégyries (ou grand seigneur des panégyries), comme Phtha ; le n.o 3 est un des titres de Ptolémée Évergète II, sur l’obélisque de Philæ, et se prononce ⲡⲛⲏⲃ ⲛⲛⲉ ⲧⲱⲟⲩⲧⲥ ⲛⲑⲉ ⲧⲁⲩⲉϥ ⲡⲧⲁϩ ⲛⲟⲩⲧⲉ, seigneur des panégyries, comme son père Phtha ; enfin, le n.o 4, titre de Domitien sur l’obélisque Pamphile, n’est qu’une abréviation, presque en totalité symbolique, des légendes précitées, et se prononçait ⲛⲏⲃ-ⲛⲧⲱⲟⲩⲧⲉ-ⲡⲧⲁϩ-ⲛⲟⲩⲧⲉ-ⲑⲉ, seigneur de la panégyrie, comme le dieu Phtha.

J’avoue qu’on ne saisit point d’abord l’analogie qui peut exister entre l’idée exprimée par le mot Τριακονταετηριδων et l’hiéroglyphe symbolique (Tabl. général, n.o 317), qui, dans les légendes précitées des rois, signifie bien certainement panégyrie, assemblée ou réunion générale, comme dans sept passages divers du texte hiéroglyphique de l’inscription de Rosette[29], où il correspond aux mots πανηγυρησιν, πανηγυριν, du texte grec[30]. Les passages correspondans du texte démotique, portent un groupe de quatre ou de trois signes, qui paraît se lire sans difficulté, ⲡⲧⲟⲩⲧ ou ⲧⲟⲩⲧ, mot qui se rapporte aux racines ⲑⲱⲟⲩⲧ, ⲑⲟⲩⲱⲧ ⲧⲱⲟⲩⲧ, congregare, in unum colligere ; et le copte avait même conservé les mots ⲡⲓⲑⲱⲟⲩϯ, ⲡⲓⲑⲱⲟⲩⲥ, congregatio, synagoga, qui, dans les temps antiques, servirent, sans aucun doute, de prononciation à l’hiéroglyphe précité (Tabl. gén. n.o 317).

La partie du texte hiéroglyphique de Rosette, répondant aux mots du texte grec Κυριου τριακονταετηριδων καθαπερ ὁ Ηφαιστος, n’existe plus ; peut-être y eussions-nous retrouvé des signes semblables à ceux que je traduis par seigneur des panégyries, comme Phtha, et je persiste à le croire, quoique le texte démotique encore subsistant, porte, à l’endroit correspondant, le groupe trente années suivi d’un troisième mot dont la lecture n’est point encore bien fixée.

D’après ces rapprochemens, ne pourrait-on pas croire, en effet, que par le mot Τριακονταετηριδων, il faut entendre des assemblées solennelles qui avaient lieu tous les trente ans ! Ne seraient-ce point là ces grandes panégyries citées dans le texte hiéroglyphique de Rosette, ligne 8.e[31] ; dans le démotique, ligne 25.e, et dans le grec, ligne 42.e assemblées religieuses pendant lesquelles on accomplissait de nombreuses cérémonies sacrées, et on exposait aux regards du peuple les images des dieux et celles des rois amis des dieux ?

Les monumens égyptiens, tant du premier que du second style, nous montrent en effet que les panégyries ou assemblées religieuses étaient liées à des périodes d’années, de durées différentes. Plusieurs bas-reliefs gravés dans la Description de l’Égypte, offrent les représentations de diverses divinités tenant dans leurs mains un très-long sceptre recourbé, à l’extrémité supérieure duquel est suspendu le caractère hiéroglyphique panégyrie (Tabl. gén. n.o 317). Cette espèce de sceptre recourbé est dentelé sur toute la longueur de sa courbe extérieure (pl. IX, n.o 6) ; et ce même sceptre n’est que l’hiéroglyphe symbolique exprimant l’année (ⲣⲟⲙⲡⲉ), pl. IX, n.o 5, tel qu’on le trouve dans l’inscription de Rosette, deux fois[32], et dans une foule d’autres textes, mais dessiné de forte proportion, et auquel on a suspendu le caractère panégyrie (pl. IX, n.o 7).

Le caractère année (ⲣⲟⲙⲡⲉ), pl. IX, n.o 5, lorsqu’il entre dans l’expression d’une date quelconque, ne porte sur sa partie convexe qu’une seule dent ou dentelure ; des signes numériques placés immédiatement après, expriment alors le nombre ordinal de l’année en question, et il devient évident que, dans l’alliance symbolique du caractère année avec le caractère panégyrie (pl. IX, n.o 7), chaque dentelure ajoutée au signe général année, exprime une année particulière ; et si un de ces groupes présente trente dents, on peut le prendre pour le signe symbolique d’une période de trente années.

Il était difficile aux personnes qui ont dessiné en Égypte des bas-reliefs où ce groupe se rencontre, de pressentir combien il eût pu être utile de noter, avec une rigoureuse exactitude, le nombre des dentelures de ces espèces de sceptres symboliques, et nous n’osons pas espérer qu’elles se soient astreintes à ce soin minutieux. Cela serait aujourd’hui de quelque importance, puisqu’on observe de pareils sceptres dans la main gauche de plusieurs divinités qui, de la main droite, indiquent toujours avec une plume, un roseau, un style, ou tout autre instrument d’écriture, une des dentelures du sceptre annuaire, c’est-à-dire, une des années de la période dont ces dentelures désignaient la durée et la composition.

Ainsi, sur un des bas-reliefs de la porte du nord, à Dendéra[33], le dieu Thoth (ⲑⲱⲟⲩⲧ), l’Hermès égyptien, assis sur un trône, en face d’Isis et d’Horus, tient dans sa main le sceptre annuaire, et indique avec son roseau la seizième dentelure ou année ; sur un second bas-relief dessiné à Philæ[34], le même dieu marque devant les mêmes divinités, et sur un pareil sceptre, la trentième dentelure ; à Philæ encore[35], une déesse, assise derrière Isis allaitant Horus et adorée par l’empereur Tibère, place son roseau au-dessous de la quatorzième dentelure ; enfin, un autre bas-relief tiré du grand temple d’Edfou[36], offre, des deux côtés d’un grand cartouche contenant le nom propre de Ptolémée Évergète II, une figure accroupie sur le caractère seigneur (Tableau général, n.o 415), tenant dans chacune de ses mains le sceptre annuaire terminé, comme tous les autres, par le caractère symbolique panégyrie, et auquel sont suspendus la croix ansée, le nilomètre et le sceptre dit à tête de huppe, objets que nous avons déjà[37] dit se trouver constamment dans les mains du dieu Phtha. Cette partie du bas-relief d’Edfou, dans lequel nous retrouvons un personnage environné des caractères seigneur, panégyrie, années, et des insignes de Phtha, me paraît exprimer tout simplement un des titres d’Évergète II, dont le nom royal fait partie de ce même bas-relief, celui de seigneur des panégyries (Triacontaétérides), comme Phtha, titre que porte également ce même Évergète II sur l’obélisque de Philæ[38]. Dans ce bas-relief d’Edfou, qui est un véritable anaglyphe[39], pour parler le langage des anciens, ce titre est exprimé d’après une méthode particulière d’écriture monumentale, mélange de signes phonétiques, représentatifs et symboliques, disposés d’après toutes les convenances de la décoration architecturale, sans cesser pour cela d’être une écriture.

Tous ces rapprochemens concourent donc à nous persuader que le titre de seigneur des grandes panégyries, comme Phtha, porté par les Pharaons, par les Lagides et par les Empereurs romains, est celui-là même que le texte grec de l’inscription de Rosette a exprimé par les mots seigneur des Triacontaétérides, comme Phtha (Héphaistos) ; dans tous les cas, si ces deux formules n’étaient point identiques, il faudrait reconnaître que le titre κυριος τριακονταετηριδων καθαπερ ο Ηφαιστος, serait, parmi les titres donnés à Ptolémée Épiphane dans le décret de Rosette, le seul que nous ne retrouverions point reproduit dans les légendes hiéroglyphiques des autres souverains de toutes ces époques. Cette seule exception nous paraîtrait bien extraordinaire.

Il nous reste à discerner, sur les monumens égyptiens du premier comme du second et du troisième style, le groupe hiéroglyphique répondant au titre Ηλιου παις, enfant du Soleil, que porte le roi Ramestès sur l’obélisque traduit par Hermapion.

Une qualification tout-à-fait semblable, celle de υιος του Ηλιου, fils du Soleil, est donnée à Ptolémée Épiphane, dans l’inscription de Rosette : elle est immédiatement placée avant le nom propre Ptolémée, υιου του Ηλιου Πτολεμαιου[40]. Si, dans les légendes hiéroglyphiques de Ptolémée Épiphane[41] déjà citées, nous cherchons les signes qui précèdent toujours immédiatement la transcription hiéroglyphique de son nom propre Ptolémée, nous trouvons un groupe[42] formé de signes dont la valeur est déjà bien connue : l’oie ϣ, abréviation de ϣⲉ ou ⲥⲉ, fils[43], et le disque, signe figuratif du soleil, ce qui produit ϣⲉⲣⲏ, ou, en suppléant le signe de rapport, ϣⲉ ⲛⲣⲏ, fils du Soleil. Ηλιου παις et υιος Ηλιου, sont donc de très-exactes traductions de ce groupe hiéroglyphique (Tabl. gén. n.o 405) qui en effet, est toujours suivi, sans intervalle, des noms propres des Pharaons, des Lagides et des Empereurs romains.

Ce titre fastueux de fils du Soleil ayant été porté par tous les anciens souverains de l’Égypte, presque sans exception, j’ai dû recueillir avec soin les variations orthographiques qui l’expriment en écriture sacrée. Ces variations se réduisent à trois ;

La première (voyez notre Tabl. général, n.o 405 b) ne diffère du groupe ordinaire (n.o 405 a), que par l’addition du signe de la voyelle H ou E (la ligne perpendiculaire) après l’oie ϣ ou  ;

La seconde (Tableau général, n.o 413) est habituellement employée dans les légendes hiéroglyphiques des empereurs romains, et se compose, 1.o du caractère figuratif symbolique du Soleil, le disque orné de l’Uræus, qu’on trouve en effet placé au-dessus de la tête d’épervier de toutes les statues du dieu Soleil ; 2.o de l’hiéroglyphe ovoïde ou en forme de graine, qui est un Σ dans les noms propres grecs ou romains, et qui est aussi le premier caractère du mot ⲥⲓ ou ⲥⲉ, enfant, nourrisson, déjà analysé[44] (Tableau général, n.o 257). Ce groupe se prononçait donc ⲣⲏⲥⲓ ou ⲣⲏⲥⲉ, et signifiait, sans aucun doute, né du Soleil, enfant du Soleil.

Enfin, la troisième variante (Tabl. gén. n.o 414) consiste dans la combinaison du nom phonétique symbolique du dieu Soleil (Tabl. gén. n.o 46), avec le caractère figuratif enfant (Tabl. gén. n.o 247), caractère qui est également phonétique, et représente aussi, comme on l’a déjà vu, la consonne  ; et l’analyse phonétique de ce groupe, dont tous les élémens sont connus d’avance, nous donne encore ⲣⲏⲥⲓ ou ⲣⲏⲥⲉ enfanté par le Soleil, enfant du Soleil.

Ces trois variantes expriment donc précisément lâ même idée que le groupe n.o 405, ϣⲉⲣⲏ, enfant du Soleil, fils du Soleil ; et ces variantes confirment de plus en plus et la lecture et la traduction de ce groupe lui-même.

Dans la théologie égyptienne, le dieu ou Phrê (le soleil) était considéré comme le roi du monde visible, et de là vient que tous les souverains Égyptiens établissaient entre la famille du roi du monde matériel, et celle du maître temporaire de l’Égypte, une espèce d’alliance mystique, dont le titre de fils du Soleil, porté par les princes, était l’expression ordinaire ; c’est pour cela que ce titre se montre sans cesse devant le nom propre de tous les Pharaons, des Lagides et des Empereurs. Le nom hiéroglyphique de Xerxès, souverain de la Perse et maître de l’Égypte, est le seul que nous ayons observé jusqu’ici dénué de ce titre ; et cela s’explique naturellement par la haine que les rois persans manifestèrent sans relâche contre toutes les religions, autres que celle de leurs prophètes Héomo et Sapetman-Zoroastre. Les princes Iraniens de cette époque eurent souvent à s’occuper de discordes religieuses et de schismes dont ils étaient eux-mêmes les fauteurs ou les persécuteurs : ils durent puiser dans ces luttes ensanglantées, ce fanatisme qui n’accorde aucune tolérance à nul culte étranger. Pour une raison contraire, les Grecs et les Romains, qui, en fait de religion, croyaient retrouver par-tout leurs propres divinités, adoptèrent facilement tous les titres du protocole égyptien ; et il y avait sans doute dans cette détermination autant de politique, au moins, que de tolérance.

Dans les légendes des Pharaons, le titre fils du Soleil comprend souvent quelques autres épithètes honorifiques ; il est assez ordinaire d’y trouver, devant le nom propre d’un roi, le groupe (Tabl. gén. n.o 410) qui se lit sans difficulté ϣⲉ-ⲣⲏ-ⲙⲉⲓϥ ou ⲙⲉϥ, et qui signifie fils du Soleil qui l’aime ; et c’est là exactement le groupe qu’Hermapion a traduit par les mots Ηλιου παις και υπο Ηλιου φιλουμενος, dans une des légendes de l’obélisque de Ramestès. Le groupe ⲙⲉϥ ou ⲙⲉⲓϥ ( Tabl. gén. n.o 350 bis), amans eum, combiné avec le groupe ϣⲉ, fils, se rencontre très-souvent aussi sur les stèles funéraires et devant les noms propres des enfans du défunt, dans leurs légendes, qui sont précédées par les groupes ϣⲉϥ ⲙⲉⲓϥ (n.os 411 et 412), son fils qu’il aime, si l’enfant est du sexe masculin, et par le groupe ⲧϣⲉⲥ ϣⲉⲧⲥ ⲙⲉⲓⲥ, sa fille qu’elle aime, si l’enfant est du sexe féminin et présente des offrandes à sa mère défunte. Dans ces mêmes stèles et dans d’autres textes, l’idée aimer est exprimée par un autre groupe également phonétique, et dont toutes les variantes sont réunies dans notre Tableau général, sous les n.os 438, 439 et 440. Ces groupes se lisent ⲙⲣ, ⲙⲣⲉ, ce qui est le copte ⲙⲉⲣⲉ, diligere, amare, et sont affectés des pronoms affixes de la troisième personne ⲙⲉⲣⲉϥ, aimant lui, et ⲙⲉⲣⲉⲥ, aimant elle.

D’autres Pharaons se parent, dans les inscriptions des obélisques, du titre de fils préféré ou distingué par le dieu Soleil. Cette qualification, qu’on lit, par exemple, sur les deux grands obélisques de Louqsor à Thèbes, y est exprimée en hiéroglyphes purement phonétiques, et se lit ϣⲉ ⲥⲙⲥ ⲛⲣⲏ[45] sur la première face de l’obélisque occidental[46], et ϣⲉ ⲥⲙⲥ ⲛⲣⲏ (ⲛⲟⲩⲧⲉ)[47] sur la seconde face de l’obélisque oriental[48]. On remarquera que, dans ces deux légendes hiéroglyphiques, le trait recourbé, , de l’une, est remplacé par son homophone ordinaire, les deux sceptres affrontés, dans l’autre. Cette permutation de signes prouverait à elle seule la nature phonétique de ces légendes, si cette nature phonétique pouvait encore être mise en doute.

Enfin, les titres fils d’Ammon, fils de Mars[49], furent pris, quoique très-rarement, par plusieurs Pharaons ; mais alors encore le titre fils du Soleil précède également les noms propres de ces princes dans leurs légendes royales.

Je m’abstiens de donner ici la lecture de plusieurs autres qualifications royales ; celles que nous avons citées suffisent pour remplir le but qu’on s’est proposé dans ce chapitre. Je me hâte donc de passer aux conclusions qu’on peut en déduire immédiatement.

Ces divers titres royaux, dont le sens et la lecture viennent d’être fixés par le moyen de notre alphabet hiéroglyphique, sont, pour la plupart, extraits d’inscriptions gravées sur des constructions qu’on attribue généralement à l’époque antérieure à la conquête de l’Égypte par Cambyse. On peut donc déjà regarder comme à-peu-près certain, 1.o que, dans les temps antérieurs à Cambyse, les anciens Égyptiens employaient dans leurs textes hiéroglyphiques, des caractères phonétiques, c’est-à-dire, des signes qui, dans ces textes, représentaient spécialement des sons de mots appartenant à la langue égyptienne, tels que des noms propres, des noms communs, des verbes, des adjectifs, des prépositions, &c. ;

2.o Que ces mots sont exprimés dans ces textes antiques par des signes semblables, et dans leur forme et dans leur nature, à ceux qui servirent par la suite à transcrire des noms propres et des titres de souverains grecs ou romains, sur des monumens égyptiens du même genre.

Je dis que ces faits peuvent être tenus pour à-peu-près certains, parce que ce n’est encore que sur des conjectures, appuyées à la vérité par des considérations de faits très-imposantes, qu’on rapporte aux rois de race égyptienne la construction des monumens et l’érection des obélisques sur lesquels nous venons de lire des titres royaux exprimés phonétiquement.

Mais il est une voie sûre pour parvenir à démontrer définitivement l’époque reculée de ces constructions, et pour établir par conséquent sur des fondemens inébranlables l’antiquité du système hiéroglyphique phonétique en Égypte ; il suffit pour cela de lire les noms propres hiéroglyphiques des rois, qui sont gravés sur ces mêmes monumens, cette lecture devant nous donner d’une manière certaine l’époque à laquelle furent élevés les édifices ou les obélisques qui les portent. Si nous lisons, en effet, sur les bas-reliefs d’un temple, le nom propre d’un roi de race égyptienne, le nom d’un prince mentionné par les auteurs grecs qui nous ont conservé les débris de l’histoire de l’Égypte et la nomenclature des anciens souverains de cette contrée, il sera bien évident que ce temple, ou du moins la portion du temple où se trouvent ces bas-reliefs, a été construite sous ce roi de race égyptienne, parce qu’un autre maître de l’Égypte, soit persan, soit grec, soit romain, n’eût point souffert que l’on couvrît[50] un édifice construit sous son règne, des images et des louanges d’un vieux roi du pays, étrangère à sa propre famille, et dont il pouvait même avoir usurpé le trône.

La lecture des noms propres pharaoniques sera le

sujet du chapitre suivant.

Notes du Chapitre VII
  1. De origine et usu obeliscorum, sect. IV, pag. 593, 594, 595.
  2. Zoëga, Catalog. codic. coptic. mss. Mus. Borg., pag. 458.
  3. Inscript. de Rosette, texte grec, ligne 10.
  4. Lettre à M. Dacier, planche 1, n.o 31 et 40.
  5. Tableau général, n.o 135.
  6. Encyclopédie britannique, suppl. vol. IV, partie I, pag. 69, n.o 162.
  7. Encyclopédie britannique, pag. 56, n.o 6, et planche 74, n.o 6.
  8. Lettre à M. Dacier, pag. 49, planche III, n.os 66 et 67.
  9. N.os 368, 367 et 366.
  10. Du n.o 360 au n.o 364 bis.
  11. Letronne, Recherches pour servir à l’histoire de l’Égypte, &c., tom. I, pag. 78, &c.
  12. Voyez les obélisques Flaminien, de Saint-Jean de Latran et de Louqsor.
  13. De origine et usu obeliscorum, pag. 26, 27 et 28.
  14. De origine et usu obeliscorum, pag. 27.
  15. De origine et usu obeliscorum, planche intitulée, Pyramidion obelisci Campensis.
  16. Tableau général, n.o 384.
  17. Liv. I, Hiéroglyphe n.o 46.
  18. Tableau général, n.o 132 a et b.
  19. Tableau général, n.o 353.
  20. Ibid. n.os 349, 350, 351.
  21. Texte grec, ligne 3.
  22. Tableau général, n.o 397 b.
  23. Encyclop. britannique, Supp. IV, pag. 58, et pl. LXXIV, n.o 19
  24. Obélisque Pamphile, face septentrionale.
  25. Obélisque de Philæ, deuxième face, première division.
  26. Voyez, entre autres, les légendes de l’Obélisque Flaminien et de l’Obélisque oriental de Louqsor.
  27. Les idées seigneur, panégyrie et dieu, sont exprimées symboliquement ; tout le reste est phonétique.
  28. L’idée seigneur est ici exprimée figurativement par un homme tenant un sceptre. Le redoublement du caractère panégyrie forme le pluriel.
  29. Lignes 7, 8, 10, 11 et 12.
  30. Ibid. 40, 42, 49.
  31. Tableau général, n.o 318.
  32. Texte hiéroglyphique, lignes 12 et 13.
  33. Descript. de l’Égypte, Antiq. vol. IV, pl. 5, n.o 2.
  34. Ibid. vol. 1, pl. 23, n.o 1.
  35. Ibid. vol. 1, pl. 22, n.o 2.
  36. Descript. de l’Égypte Antiq. vol. 1, pl. 57, n.o 1.
  37. Suprà, page 95.
  38. Ibid. pag. 159. Voyez, pl. IX, n.o 3.
  39. Voyez le chapitre IX de cet ouvrage.
  40. Texte grec, ligne 3. — Démotique, ligne 2.
  41. Tableau général, n.o 132.
  42. Tableau général, n.o 405.
  43. Ibid. n.o 251.
  44. Suprà, chap. IV, pag. 68.
  45. Tableau général, n.o 409.
  46. Descript. de l’Égypte, Antiq. vol. III, pl. 12.
  47. Tableau général, n.o 408.
  48. Descript. de l’Égypte, Antiq. vol. III, pl. 11.
  49. Tableau général, n.os 407 et 407 bis.
  50. Cette expression est parfaitement propre. La décoration d’un temple égyptien consiste presque toujours dans une foule de bas-reliefs représentant le même roi, faisant successivement des offrandes à toutes les divinités adorées dans le temple, et aux dieux de leur famille.