Précis du système hiéroglyphique des anciens Égyptiens/Chapitre IX

CHAPITRE IX.

Des Élémens premiers du Système d’écriture hiéroglyphique.

Ce n’est point sans une grande défiance de mes propres forces, et même sans une certaine appréhension de cette défaveur à-peu-près juste qui s’est trop de fois attachée aux écrits des savans où est traitée la même matière, que j’ai tracé le titre de cette subdivision de mon ouvrage. Je connais assez à fond les mécomptes, les obscurités, les illusions et tous les obstacles qui hérissent et rendent si difficile la carrière vers laquelle j’ai spécialement dirigé mes études ; je me suis défait, autant qu’il a été en mon pouvoir, de tout esprit de système ; j’ai lutté contre ce penchant naturel qui nous porte à voir des élémens de théories dans quelques aperçus, dans quelques rapprochemens peu réfléchis et dont l’imagination seule fait ordinairement tous les frais ; le sort de tant d’ouvrages déjà oubliés, et dans lesquels leurs auteurs ont prétendu tracer à priori les principes du système hiéroglyphique égyptien, m’a servi d’un salutaire avertissement ; et le soin que j’ai pris de ne rien deviner, mais de me tout démontrer par des faits très-multipliés, évidens par eux-mêmes, observés avec attention et comparés avec sévérité, ce soin, dis-je, donnera quelque poids à mes déductions et aux idées qui me restent à présenter, quoiqu’elles diffèrent très-essentiellement de l’opinion qu’on s’était en général formée de cette écriture sacrée de l’ancienne Égypte.

On trouvera ici le résumé rigoureux des faits dont on vient de lire l’exposition dans les précédens chapitres, faits qu’il me serait facile de corroborer par la citation d’une foule d’autres semblables. Mon but est d’énoncer les principes fondamentaux qui régissent le système hiéroglyphique, en fixant définitivement la nature générale et particulière des caractères qui lui sont propres, en distinguant les différentes espèces de ces caractères, en reconnaissant leur emploi relatif, en notant enfin les altérations qu’ils subissent successivement dans leurs formes. Nous acquerrons par cet examen une connaissance exacte du mécanisme de cette singulière méthode graphique, et les travaux des savans qui, dans diverses contrées de l’Europe, s’efforcent de pénétrer dans le sens intime des textes hiéroglyphiques, recevront ainsi une direction fructueuse et uniforme, parce que nous obtiendrons, je l’espère du moins, des notions précises sur la nature d’un terrain qu’on a fouillé jusqu’ici avec aussi peu de succès.

Il importe de s’occuper d’abord des formes matérielles des caractères sacrés, avant de rechercher les différences qui existent entre eux quant à leur expression.


§. I.er Formes des Signes.


1. Les caractères hiéroglyphiques ou sacrés des anciens Égyptiens, considérés sous l’unique rapport de leurs formes, appartiennent en quelque sorte à une seule espèce, puisqu’ils représentent tous des objets physiques plus ou moins bien figurés, plus ou moins reconnaissables pour nous qui sommes étrangers aux mœurs et aux usages du peuple qui les traça.

2. On peut dire qu’aucune nation n’a jamais inventé d’écriture plus variée dans ses signes, et d’un aspect à-la-fois si pittoresque et si singulier ; les textes hiéroglyphiques offrent en effet l’image de toutes les classes d’êtres que renferme la création. On y reconnaît :

La représentation de divers corps célestes ; le soleil ; la lune, les étoiles, le ciel, &c. ;

L’homme de tout sexe, à tout âge, de tout rang et dans toutes les positions que son corps est susceptible de prendre, soit dans l’action, soit dans le repos ; ailleurs, les divers membres qui le composent, isolément reproduits ;

Les quadrupèdes, soit domestiques, tels que le bœuf, la vache, le veau, le bélier, la chèvre, le bouc, le cheval, le porc et le chameau ; soit sauvages, tels que le lion, la panthère, le schacal, le rhinocéros, l’hippopotame, la gerboise, le lièvre, diverses espèces de gazelles et de singes ;

Une foule d’oiseaux, parmi lesquels on observe plus fréquemment la caille, l’épervier, l’aigle, le vautour, le nycticorax, l’hirondelle, le vanneau, l’oie, l’ibis et plusieurs espèces de palmipèdes et d’échassiers ;

Des reptiles, la grenouille, le lézard, le crocodile, l’aspic, le céraste, la vipère, la couleuvre ;

Plusieurs espèces de poissons qui vivent encore dans le Nil ;

Quelques insectes, tels que l’abeille, la mante, le scarabée, la fourmi ;

Enfin, une suite de végétaux, de fleurs et de fruits.

Un autre ordre de signes, tout aussi multipliés, se compose de la représentation fidèle des instrumens et des produits des arts inventés par le génie de l’homme : on y remarque des vases d’un galbe diversifié, des armes, des chaussures et des coiffures de toute espèce, des meubles, des ustensiles domestiques, des instrumens d’agriculture et de musique, les outils de différens métiers, des images d’édifices sacrés ou civils, et celles de tous les objets du culte public.

3. Outre cela, un nombre assez considérable de formes géométriques est admis parmi les élémens de l’écriture sacrée ; les lignes droites, courbes ou brisées, des angles, des triangles, des quadrilatères, des parallélogrammes, des cercles, des sphères, des polygones, y sont fréquemment reproduits, et sur-tout les figures les plus simples.

4. Mais ce n’était point assez pour ce singulier système d’écriture, de s’être approprié, par une imitation plus ou moins parfaite, les formes si variées que l’homme observe dans la nature vivante, et celles que sa main industrieuse impose à la nature inerte ; l’imagination vint à son tour accroître les moyens d’expression, en créant une nombreuse suite de nouveaux caractères bien distincts de tous les autres, puisqu’ils présentent des combinaisons de formes que l’œil n’apercevra jamais dans le domaine de l’existence réelle. Ces images sont celles d’êtres fantastiques, et semblent pour la plupart n’être que les produits du plus extravagant délire ; et tels sont des corps humains unis aux têtes de divers animaux, des serpens, des vases même, montés sur des jambes d’homme, des oiseaux et des reptiles à tête humaine, des quadrupèdes à tête d’oiseau, &c.

5. Tous ces signes, de classes si différentes, se trouvent constamment mêlés ensemble, et une inscription hiéroglyphique présente l’aspect d’un véritable chaos ; rien n’est à sa place ; tout manque de rapport ; les objets les plus opposés dans la nature se trouvent en contact immédiat, et produisent des alliances monstrueuses : cependant des règles invariables, des combinaisons méditées, une marche calculée et systématique, ont incontestablement dirigé la main qui traça ce tableau, en apparence si désordonné ; ces caractères tellement diversifiés dans leurs formes, souvent si contraires dans leur expression matérielle, n’en sont pas moins des signes qui servent à noter une série régulière d’idées, expriment un sens fixe, suivi, et constituent ainsi une véritable écriture. Il ne serait plus permis d’avancer aujourd’hui, comme on l’osa jadis[1], que les hiéroglyphes n’ont été employés que pour servir d’ornement aux édifices sur lesquels on les gravait, et qu’ils n’ont jamais été inventés pour peindre les idées.

6. Il faut donc entendre par hiéroglyphes, des caractères qui, dans leur ensemble ou dans leurs parties, étant des imitations plus ou moins exactes d’objets naturels, furent destinés, non pas à une vaine décoration, mais à exprimer la pensée de ceux qui en réglèrent l’arrangement et l’emploi.

7. Le premier pas à faire dans l’étude raisonnée du système d’écriture dont ces caractères sont les élémens, était sans contredit de distinguer d’abord les hiéroglyphes proprement dits, de toutes les autres représentations qui couvrent les anciens monumens de travail égyptien, et, en second lieu, de se bien familiariser avec les formes mêmes de ces nombreux caractères.

La première distinction, si importante et si fondamentale, ayant été négligée, on prit pendant longtemps, les figures et les divers objets reproduits dans des peintures et des bas-reliefs égyptiens qui représentent simplement des scènes allégoriques, religieuses, civiles ou militaires, pour de véritables hiéroglyphes, et l’on s’épuisa en vaines conjectures sur le sens de ces tableaux, n’exprimant, pour la plupart, que ce qu’ils montraient réellement aux yeux ; mais on s’obstinait à vouloir y reconnaître un sens occulte et profond, à y voir, sous des apparences prétendues allégoriques, les plus secrètes spéculations de la philosophie égyptienne. Malgré même les salutaires avertissemens donnés à cet égard par les auteurs de la Description de l’Égypte, qui ont très-bien distingué les simples bas-reliefs et tableaux, des légendes et des inscriptions réellement hiéroglyphiques qui les accompagnent, nous avons vu naguère paraître de longs ouvrages dont le titre seul se rapportait à l’écriture hiéroglyphique, tout leur contenu ne présentant que des explications plus ou moins hasardées de simples bas-reliefs ou de tableaux peints, dont on avait même la précaution d’élaguer les véritables légendes hiéroglyphiques comme tout-à-fait étrangères au sujet traité.

Il est encore tout aussi indispensable d’acquérir une connaissance exacte des formes mêmes des caractères hiéroglyphiques, en les étudiant individuellement : on s’étonnera moins de la presque nullité des progrès que les savans ont pu faire dans leur interprétation, à mesure que l’on se convaincra du peu de soins qu’ils ont pris de bien fixer leurs idées sur ces formes, et qu’on s’assurera sur-tout de l’extrême négligence avec laquelle ont été exécutés les dessins et les gravures des inscriptions hiéroglyphiques qui ont servi de fondemens à leurs travaux : on peut affirmer, en effet, que les copies d’inscriptions hiéroglyphiques produites dans les ouvrages de Kircher, Montfaucon et du comte de Caylus, par exemple, ne méritent aucune confiance ; et les recueils publiés depuis cette époque, moins imparfaits sous beaucoup de rapports, ne sont cependant point exempts de tout reproche[2]. Le moyen de ne point s’égarer dans ses recherches serait de ne travailler qu’en ayant sous les yeux un très-grand nombre de monumens originaux, ou de ne se confier qu’à des dessins exécutés par des personnes qui auraient fait une longue et minutieuse étude des produits de l’art égyptien ; on ne s’exposerait point alors à asseoir des hypothèses sur des dessins qui n’ont presque rien de commun avec les textes originaux.


§. II. Tracé des Signes.


8. Sous le seul rapport de leur exécution, les caractères hiéroglyphiques peuvent être partagés en plusieurs classes très-distinctes, d’après le degré de précision, d’élégance ou d’exactitude avec lequel ils sont exécutés ; les différences qu’on observe entre un texte hiéroglyphique et un autre, proviennent souvent aussi de la différence même des deux matières sur lesquelles ils sont tracés, et sur-tout de la proportion qu’on a trouvé convenable de donner aux caractères.

9. Certains hiéroglyphes sculptés sur la pierre ou dessinés sur différentes matières, sont exécutés avec une grande recherche, et souvent avec ce soin minutieux qui ne laisse échapper aucun petit détail ; les figures d’animaux sur-tout sont traitées avec une pureté de dessin qui ne permet point de méconnaître leur genre et leur espèce. Les meubles, les vases, les divers instrumens, ne manquent jamais d’une certaine élégance ; tous les signes enfin semblent reproduire avec hardiesse et fidélité l’objet que l’artiste se proposait de représenter.

Le vif éclat des couleurs appliquées sur les signes, les unes d’après les indications fournies par la nature même de l’objet figuré, les autres d’après certaines règles conventionnelles, venait ajouter à la richesse des caractères, et rendait l’imitation encore plus frappante.

Nous donnerons à ces hiéroglyphes qui offrent une représentation complète et détaillée d’objets physiques, le nom d’hiéroglyphes purs ; cette espèce paraît avoir été sur-tout réservée pour les monumens publics, et répondait, en effet, à la magnificence des constructions. (Voyez pl. XIV, n.o 1.)

Les sculpteurs exécutaient les hiéroglyphes purs de trois manières : 1.o en bas-relief très-surbaissé, sur-tout dans l’intérieur des édifices ; 2.o en bas-relief dans le creux, méthode propre à l’art égyptien, et dont le but principal fut la conservation des caractères : cette seconde manière est la plus générale ; les temples, les obélisques et quelques stèles en offrent de très-beaux modèles ; 3.o on traçait les contours et tous les détails intérieurs de l’hiéroglyphe, sur la pierre ou le métal, avec un instrument très-aigu.

On a trouvé également des inscriptions en hiéroglyphes purs, tracées d’abord au pinceau et coloriées ensuite. Quelques portions de manuscrits offrent également, dans leurs scènes principales, des légendes en hiéroglyphes purs écrites avec le roseau et coloriées enfin au pinceau. (Voyez pl. XIV, n.o 1.)

10. D’autres inscriptions hiéroglyphiques ne sont en quelque sorte composées que des silhouettes des hiéroglyphes purs ; le sculpteur, après avoir dessiné les contours extérieurs du signe, en évidait entièrement l’intérieur, qu’on remplissait quelquefois d’un mastic ou d’un émail colorié. (Voyez pl. XIV, n.o 2.)

Le peintre dessinait, pour ainsi dire, l’ombre régulière de l’objet représenté par le signe, l’intérieur du caractère ne présentant aucun détail et étant totalement noir, rouge ou bleu, selon la couleur employée pour l’inscription entière. (Voyez planche XIV, n.o 3.) Le texte hiéroglyphique de Rosette, la plupart des inscriptions qui décorent les petits bas-reliefs, les stèles, les statuettes, les scarabées, les vases funéraires et les amulettes, sont conçus en cette espèce d’hiéroglyphes, que l’on pourrait designer sous le nom d’hiéroglyphes profilés.

11. Mais la plupart des manuscrits et des légendes qui décorent les cercueils des momies, sont formés de caractères n’offrant qu’un simple trait, qu’une esquisse fort abrégée des objets, et qui, composée du plus petit nombre de traits possible, souvent fort spirituelle, suffit toujours pour qu’on ne se méprenne point, lorsqu’on a quelque habitude des hiéroglyphes purs, sur la nature de l’objet dont le caractère retrace ou plutôt indique succinctement la forme. (Voyez pl. XIV, n.o 4.) J’ai donné à cette espèce de caractères, la plus fréquemment employée, le nom d’hiéroglyphes linéaires ; on les a pris quelquefois à tort pour ceux de l’écriture hiératique, qui en diffèrent très-essentiellement et forment en réalité une espèce d’écriture à part. (Voyez pl. XIV, n.o 5.)

12. Les Égyptiens tracèrent les hiéroglyphes linéaires sur le papyrus avec un roseau semblable à ceux dont se servent encore les Arabes et qu’ils appellent قلم Qalam ; ce roseau portait en langue égyptienne le nom de ⲕⲁϣ [kasch]. Pour écrire sur la toile ou sur le bois, et même sur des tables de pierre, ils employaient le pinceau ⲕⲁϣⲙϥⲱⲓ [kasch-am-foi], instrument qui paraîtrait, d’après son nom même, avoir été appliqué, postérieurement au kasch ou roseau, à l’usage d’écrire ; car le mot ⲕⲁϣⲙϥⲱⲓ signifie kasch ou roseau de poil.

13. Telles sont les principales distinctions qu’il est utile d’établir dans les méthodes d’après lesquelles furent tracés les caractères hiéroglyphiques : ces différences ne constituent point trois écritures particulières ; ce ne sont simplement que des manières plus ou moins parfaites, plus ou moins expéditives, d’écrire, de graver ou de peindre les élémens d’un seul et même système graphique.

14. L’éclat des couleurs variées ajouté aux signes hiéroglyphiques, et la nature matérielle de ces signes, prouvent que l’art de l’écriture fut, en Égypte, essentiellement lié à l’art de peindre ; ou plutôt ce n’était qu’un seul et même art, arrivant au même but par les mêmes moyens, l’imitation des objets, avec cette seule différence que la peinture procédait toujours au propre, tandis que l’écriture fut souvent forcée de recourir à des formes tropiques pour exprimer un certain ordre de choses qui, ne tombant point sous les sens, échappaient au pinceau du peintre pour devenir la propriété exclusive de l’écrivain ; il fut donc naturel en Égypte, plus que par-tout ailleurs, que, dans la langue parlée qui a conservé l’empreinte bien caractérisée des mœurs et des usages primitifs, un même mot exprimât l’action de peindre et celle d’écrire[3], l’écriture et la peinture[4], le scribe et le peintre[5]. Cette seule observation suffirait, s’il en était besoin, pour prouver qu’à l’origine de la civilisation égyptienne, la première écriture usitée consista, comme au Mexique, dans la simple peinture des choses : ce système imparfait fut successivement régularisé, changea presque totalement de nature par le seul effet des progrès de l’intelligence humaine, et constitua enfin cette écriture hiéroglyphique qui couvre les édifices de l’Égypte ; système graphique aussi supérieur dans ses procédés et dans ses résultats aux peintures informes des peuples d’Anahuac, que les monumens de Thèbes sont au-dessus des grossiers essais de la sculpture et de l’architecture aztèque.


§. III. Nombre des Caractères hiéroglyphiques.


15. L’écriture sacrée des Égyptiens, identifiée en quelque sorte avec la peinture, s’empara du domaine entier des formes physiques, et ses caractères se multiplièrent progressivement au point de former ces riches tableaux dont les élémens variés offrent un intérêt si piquant même à la simple curiosité.

Mais le nombre réel de ces signes n’est ni aussi étendu qu’il semble l’être au premier examen, ni aussi borné qu’on a voulu le croire.

Un voyageur moderne, dont les opinions sont rarement exemptes de quelque légèreté, le chevalier Bruce, assure que pendant son voyage en Égypte, et en parcourant les divers monumens antiques de cette contrée, il n’a pu compter que cinq cent quatorze[6] hiéroglyphes dont les formes différassent essentiellement. Sans nous arrêter à la singulière induction qu’il en tire, savoir, que cinq cents hiéroglyphes ne pouvaient former à eux seuls une langue, concluons de notre côté que Bruce fit son recueil d’une manière bien superficielle, puisque le célèbre Georges Zoëga, en étudiant les seuls obélisques de Rome et quelques monumens renfermés dans les musées de l’Italie, parvint à recueillir une suite de neuf cent cinquante-huit signes hiéroglyphiques qu’il regardait comme bien distincts[7].

16. Je suis très-porté à croire que ce savant Danois a souvent noté comme signes différens, des caractères qui n’étaient au fond que des variations sans conséquence les uns des autres, puisque ayant moi-même recueilli d’après les meilleurs dessins des monumens existant en Italie, et sur-tout en étudiant un très-grand nombre de manuscrits et de monumens originaux de toute espèce, les hiéroglyphes bien évidemment distincts par leur forme, je n’ai cependant pu obtenir qu’un résultat numérique inférieur à celui de Zoëga.

On sent d’ailleurs qu’en un calcul de ce genre, il est pour ainsi dire impossible d’arriver, dans l’état actuel de nos connaissances, à un résultat rigoureusement exact : comment se défendre, en effet, de ne point compter fréquemment comme signes distincts, deux caractères différant seulement par certains détails qui n’apportaient toutefois aucun changement dans la signification : telles sont, 1.o les diverses variantes de la cassolette ou encensoir, signes de la consonne B[8], qui porte tantôt deux grains d’encens à côté de la flamme, et tantôt la flamme seule reconnaissable uniquement à sa couleur ; 2.o les variantes de cette espèce de jardin, qui, toutes, n’expriment cependant que la consonne ϣ (schei)[9].

On est exposé tout aussi fréquemment à séparer comme signes différens, des images d’objets d’une même espèce, parce qu’ils varient assez essentiellement dans leur forme : il a pu arriver cependant que ces images ne fussent que les signes d’une seule et même idée, et qu’il fût peu important qu’on leur donnât telle forme plutôt que telle autre, pourvu que l’espèce de l’objet représenté fût bien reconnaissable : du nombre de ces signes synonymes sont, sans aucun doute, des vases de diverses formes qui n’expriment que la seule consonne N, et les coiffures diverses qui expriment aussi la même articulation[10].

17. Ainsi donc, ces relevés de signes hiéroglyphiques ne pourront être faits avec quelque exactitude, qu’au moment où l’on connaîtra le mode d’expression et la valeur de la plus grande partie d’entre eux ; tout ce que nous tenterions de faire maintenant, se bornerait à recueillir sans aucun fruit réel les formes distinctes disséminées dans les textes hiéroglyphiques ; mais ce travail, quelque complet qu’il fût, ne nous fournirait aucune notion véritable sur le fond de ce système graphique ; le quotient de ce relevé ne donnera jamais le nombre positif des signes élémentaires de l’écriture sacrée des Égyptiens.

18. Nous pouvons seulement inférer de l’examen du matériel des textes hiéroglyphiques, que ce système d’écriture ne comptait point un aussi grand nombre d’élémens ou même de formes qu’on est porté à le croire après un examen superficiel. Le fragment du texte hiéroglyphique de la stèle de Rosette peut le prouver : les quatorze lignes plus ou moins fracturées dont il se compose, répondent à-peu-près à dix-huit lignes entières du texte grec, qui, à vingt-sept mots par ligne, ce qui est la moyenne de dix lignes, formeraient quatre cent quatre-vingt-six mots ; et les idées exprimées par ces quatre cent quatre-vingt-six mots grecs le sont, dans le texte hiéroglyphique, par quatorze cent dix-neuf signes ; et parmi ce grand nombre de signes, il n’y en a que cent soixante-six de forme différente, y compris même plusieurs caractères qui ne sont au fond que des ligatures de deux signes simples.

Ce calcul établit donc que le nombre des caractères hiéroglyphiques n’est point aussi étendu qu’on le suppose ordinairement ; et il semble prouver sur-tout, pour le dire en passant, que chaque hiéroglyphe n’exprimait point à lui seul une idée, puisqu’on a eu besoin de quatorze cent dix-neuf signes hiéroglyphiques pour rendre seulement quatre cent quatre-vingt-six mots grecs, ou de quatre cent quatre-vingt-six mots grecs pour exprimer les idées notées par quatorze cent dix-neuf signes hiéroglyphiques.

19. Voici toutefois le résultat approximatif que j’ai obtenu jusqu’ici, en distinguant avec soin les signes hiéroglyphiques différens de forme, sur le très-grand nombre de monumens qu’il m’a été possible d’étudier. Dans cette rapide énumération, je divise les signes d’après la nature de l’objet dont chacun d’eux est l’image :

1.o  Corps célestes… 10.
2.o  L’homme dans diverses positions… 120.
3.o  Membres humains… 60.[11]
4.o  Quadrupèdes sauvages… 24.
5.o  Quadrupèdes domestiques… 10.
6.o  Membres d’animaux… 22.
7.o  Oiseaux et membres d’oiseaux… 50.
8.o  Poissons… 10.
9.o  Reptiles et portions de reptiles… 30.
10.o  Insectes… 14.
11.o  Végétaux, plantes, fleurs et fruits… 60.
12.o  Édifices et constructions… 24.
13.o  Meubles et objets d’art… 100.
14.o  Chaussures, armes, coiffures, sceptres, enseignes, ornemens… 80.
15.o  Ustensiles et instrumens de divers états… 150.
16.o  Vases, coupes, &c… 30.
17.o  Figures et formes géométriques… 20.
18.o  Formes fantastiques… 50.[12]
Total des signes… 864.

Tel est mon résultat jusqu’à ce jour. Je répète encore qu’on ne saurait conclure de ce calcul, que les élémens réels de l’écriture hiéroglyphique fussent en aussi grand nombre ; il ne s’agit ici que des formes matérielles des signes.


§. IV. Disposition des Signes.


20. Avec une légère attention donnée aux monumens égyptiens accompagnés d’inscriptions hiéroglyphiques, on s’aperçoit que les signes sont rangés de diverses manières, les uns en colonnes perpendiculaires, ce qui arrive sur-tout lorsque les textes sont d’une certaine étendue, et les autres en lignes horizontales. On peut dire que les dimensions de l’espace mis à la disposition de l’écrivain ou laissé libre par les images des dieux et des héros dans les scènes historiques ou religieuses, déterminent seules la manière de disposer les caractères des légendes.

21. Mais quoique rangés en colonnes perpendiculaires, les hiéroglyphes ne sont point pour cela, comme les caractères chinois, placés successivement les uns au-dessous des autres ; ils sont très-souvent, au contraire, groupés deux à deux ou trois à trois, surtout lorsque leur forme a plus de hauteur que de largeur.

22. Le contraire arrive, lorsque les signes sont rangés horizontalement : si deux, trois ou quatre caractères, ayant, dans leur forme, plus de largeur que de hauteur, se rencontrent dans une phrase, ils se rangent perpendiculairement les uns au-dessous des autres, de manière toutefois à ne point dépasser la hauteur commune de la ligne, laquelle est réglée par la proportion donnée aux signes dont les formes sont forcément perpendiculaires, et qui se placent alors successivement les unes après les autres.

23. En règle générale, on connaît dans quel sens une inscription hiéroglyphique était lue, et quel est le premier des signes qui la composent, en observant le côté vers lequel se dirigent les têtes des hommes et des animaux, ou les parties saillantes, anguleuses, renflées ou recourbées des choses inanimées représentées dans ces textes. C’est de ce même côté que commence l’inscription.

24. Ainsi, les caractères hiéroglyphiques peuvent être disposés de quatre manières différentes, et souvent il en est ainsi sur un seul et même monument :

1.o En colonnes perpendiculaires, se succédant de droite à gauche ; la tête des animaux regarde alors vers la droite ;

2.o En colonnes perpendiculaires, se succédant de gauche à droite ; la tête des animaux est tournée vers la gauche[13] ;

3.o En lignes horizontales, les signes allant de droite à gauche ; la tête des animaux regarde la droite ;

4.o En lignes horizontales, les signes allant de gauche à droite ; la tête des animaux regarde alors la gauche.

25. La première et la seconde de ces dispositions sont les plus habituelles dans les manuscrits hiéroglyphiques ; les autres sont usitées dans les bas-reliefs et les peintures, lorsque les légendes se rapportent à des personnages ou à des objets regardant vers la gauche.

26. Ainsi une ligne d’hiéroglyphes, composée de caractères représentatifs, figure une sorte de procession régulière, toutes les images d’êtres animés paraissant suivre la marche du signe initial ; et c’est probablement pour indiquer cette direction, que presque toutes les figures d’hommes, de quadrupèdes, de reptiles, d’insectes et d’oiseaux ont été dessinées de profil, ce qui d’ailleurs était bien plus commode et plus expéditif.

Ici se terminent les observations relatives au matériel des inscriptions hiéroglyphiques. Nous devons ajouter que cette disposition régulière des signes distingue déjà, d’une manière tranchée, un livre égyptien, de ce qu’on a voulu appeler un livre mexicain ; l’un est un véritable livre ; l’autre ne sera jamais qu’un tableau ou une série de tableaux.


§. V. De l’expression des Signes et de leurs différentes espèces.


27. Il existe nécessairement parmi les caractères qui forment ces textes pittoresques, et pour ainsi dire animés par des images fidèles des productions principales de la nature et de l’art, différens modes d’expression, qui tous, mais par un chemin plus ou moins direct, concourent à un même but, la représentation des idées.

Il est facile, en effet, de comprendre que toutes ces images si diverses ne peuvent être prises au propre, surtout celles qui, dans leur composition, violent les règles immuables de la nature[14]. D’un autre côté, on conçoit difficilement l’existence d’une écriture formée de signes représentatifs des choses, qui, dédaignant toujours l’expression propre des signes qu’elle emploie, procéderait seulement par des tropes, des symboles et des méthodes énigmatiques, à la représentation des idées et de leurs objets même les plus matériels. On ne comprendrait point davantage qu’un peuple arrivé à un assez haut degré de développement moral, eût sanctionné et perpétué l’usage d’une écriture absolument indépendante de sa langue parlée.

28. Le nombre immense d’inscriptions conçues en ces caractères images d’objets physiques, et qui couvrent les monumens publics et privés des Égyptiens de tous les âges, prouve d’abord l’emploi général de l’écriture hiéroglyphique dans toute la vallée du Nil ; fait soupçonner que cette écriture ne fut point jadis aussi difficile à apprendre que nous pouvons le croire, et sur-tout que ce système ne fut jamais réservé, comme on voudrait parfois le soutenir encore, à une petite fraction, à une classe privilégiée de la nation égyptienne. Clément d’Alexandrie ne nous dit-il point en effet que, même de son temps, ceux qui parmi les Égyptiens recevaient de l’instruction, apprenaient les trois genres d’écritures égyptiennes, l’épistolographique, l’hiératique et l’hiéroglyphique[15] ?

29. Nous devons croire en conséquence que le système hiéroglyphique reposait, en très-grande partie, sur des principes fort simples ; qu’il ne se priva point de l’emploi de caractères figuratifs des objets pour exprimer ces objets mêmes, et c’est en effet la première méthode qui s’offre à l’esprit de l’homme pour perpétuer le souvenir des choses ; qu’il recourut forcément à des caractères tropiques, mais qu’il parvint bientôt à se lier intimement avec la langue parlée, en s’accroissant d’un troisième ordre de signes d’une nature fort différente de celle des deux autres.

Ces diverses propositions seront développées et prouvées dans les paragraphes suivans.


§. VI. Des Caractères figuratifs.


29. On doit entendre par caractères figuratifs, des signes qui, par leurs formes matérielles, sont une imagée des objets mêmes dont ils doivent exprimer l’idée dans un système d’écriture.

30. Des caractères de cette nature existèrent incontestablement dans l’écriture sacrée des Égyptiens. Nous avons vu d’abord que tous les noms propres de simples particuliers, écrits en hiéroglyphes, sont terminés par un caractère représentant un homme[16], si ces noms sont masculins, et par le caractère représentant une femme[17], si ces noms propres sont féminins.

31. Toutefois on pourrait considérer ces deux signes, non comme des caractères véritablement figuratifs, mais comme de simples marques d’espèce ou de genre.

Et en effet, tous les noms propres égyptiens étant significatifs par eux-mêmes, il devenait indispensable de distinguer d’une manière particulière les groupes de signes qui les exprimaient, pour qu’on vît bien qu’ils étaient l’expression d’un nom propre, et non celle d’un verbe, d’un participe, d’un adjectif, d’un nom commun, ou même d’une courte proposition. Ainsi, par exemple, si le groupe numéroté 164 bis dans notre Tableau général, était dénué de son signe final, le caractère homme, ce ne serait plus un nom propre, Ⲁⲙⲛⲙⲁⲓ Amonmai, mais une simple qualification Ⲁⲙⲛ-ⲙⲁⲓ, chéri d’Ammon, que prennent habituellement les souverains de l’Égypte parmi leurs titres dans leurs légendes.

32. Mais il est impossible de méconnaître de véritables caractères figuratifs dans les signes du texte hiéroglyphique de Rosette qui expriment les mots du texte grec ναος, chapelle, εικων, image, ξοανον, statue, τεκνον enfant, ασπις, aspic, et stèle ; ces divers objets sont représentés très-fidèlement dans le courant du texte[18].

33. Il est nécessaire d’indiquer ici plusieurs autres exemples de l’emploi de caractères figuratifs.

1.o Dans la dédicace du temple de Ouady-Essebouâ en Nubie, par Ramsès le Grand, dédicace dessinée par M. Huyot, et dont on publiera bientôt le texte et la traduction, il est question de l’édifice et des sphinx qui le précèdent ; et cette dédicace est reproduite sur le socle même des sphinx, qui y sont indiqués figurativement par leur image parfaitement détaillée (Tableau général, n.o 301).

2.o L’inscription qui décore l’appui des colosses oriental et occidental de Louqsor, présente parmi ses signes l’image même de ces colosses (Tableau général, n.o 299), dont l’énorme proportion est exprimée par un groupe de deux caractères, qui signifie grand, placé sous l’image de la statue.

3.o Dans les bas-reliefs du palais de Médinétabou, qui représentent une victoire de Ramsès-Meiamoun sur des peuples étrangers, on amène une foule de prisonniers ; plus loin, en présence du roi, un Égyptien compte les mains coupées aux ennemis, un second en écrit le nombre, et un troisième le proclame. La légende tracée au-dessus de la tête de ces personnages, offre le caractère figuratif main, suivi de signes numériques exprimant que le nombre des mains coupées aux vaincus était de trois mille (pl. XV, n.o 1) ; et immédiatement au-dessus, dans la même légende, est le signe figuratif homme suivi du signe numérique mille, qui se rapporte évidemment au nombre des hommes prisonniers (pl. XV, n.o 2).

4.o On remarque souvent, dans les peintures des manuscrits égyptiens, différentes barques ou vaisseaux sur lesquels sont placés, soit divers emblèmes des dieux, soit les images des dieux eux-mêmes ; les légendes qui les surmontent ou qui suivent ces barques, contiennent ordinairement le caractère figuratif vaisseau, accompagné de la préposition , de (la ligne horizontale), et du nom propre du dieu auquel elles sont consacrées ; comme par exemple, le vaisseau de Phrê[19], le vaisseau d’Osiris[20], le vaisseau de Benno[21]. (Voyez pl. XV, n.os 3, 4 et 5).

5.o Il existe au Musée royal une inscription hiéroglyphique du temps des Lagides, et relative à une victoire remportée dans des courses de chevaux et de quadriges, lesquels sont exprimés figurativement dans plusieurs colonnes de ce beau texte (Tableau général, n.os 330 et 331).

6.o Parmi les bas-reliefs d’une portion de frise donnée par Ficoroni et dans la Collection de gravures de monumens égyptiens récemment publiée en Angleterre par les soins de M. le docteur Young sous ce simple titre Hiéroglyphics[22], est un fragment de basalte noir, représentant un des Pharaons qui ont porté le nom de Néchao, faisant l’offrande aux dieux de l’Égypte de divers objets qu’il tient dans ses mains, et parmi lesquels on remarque un collier ; ce collier et autres objets sont figurés de nouveau dans une courte légende écrite devant le roi, et qui consiste dans le verbe donner (le bras étendu soutenant le niveau), ou ϯ, et dans l’image exacte de l’objet donné (planche XV, n.os 6 et 7).

7.o Dans les inscriptions des obélisques, j’ai trouvé presque toujours ces monolithes figurativement exprimés (Tableau général, n.o 300) ; et ces images parlantes sont précédées du même groupe (planche XV, n.o 8) qui, dans l’inscription de Rosette, exprime le mot στησαγ, être placé, être érigé, du texte grec.

8.o Enfin, j’ai reconnu dans les bas-reliefs, les stèles et les manuscrits hiéroglyphiques, un grand nombre de signes qui sont incontestablement figuratifs des objets dont ils étaient destinés à rappeler l’idée, telle que celle de soleil, lune, étoile, vase, balance, lit de repos, botte d’ognons, pain, sistre, poisson, oie, tortue, bœuf, vache, veau, cuisse de bœuf, antilope, arc, flèche, patère, autel, encensoir, vase de fleurs, porte d’enceinte, chapelle-monolithe, &c.[23].

34. Les hiéroglyphes figuratifs cités jusqu’ici, offrent, tous, les contours bien exacts et souvent même les couleurs vraies des objets qu’ils expriment ; mais il est une autre sorte de caractères qui sont également figuratifs sans offrir une image aussi précise des objets, et tels sont, par exemple, ceux qui servaient à rendre les idées, habitation, maison, demeure ou édifice ; ce n’est ni le profil ni l’élévation de ces objets, mais le plan même ou bien la coupe de l’enceinte d’une maison ou d’un édifice (voyez Tabl. gén., n.os 280, 281 et 282.)

35. D’autres caractères, plus éloignés encore de la nature réelle, peuvent cependant être compris au nombre des caractères figuratifs, parce qu’ils ont les formes que les Égyptiens, d’après leurs idées particulières, attribuaient à certains objets : tels sont d’abord le caractère ciel, ⲡⲉ, ou firmament, ⲧⲁϫⲣⲟ (Tableau génér. n.o 234), qui est représenté comme un véritable plafond de temple[24], tantôt couvert d’étoiles, tantôt peint seulement de couleur bleue ; et en second lieu, les caractères qui rappellent à eux seuls l’idée des dieux Ammon, Phtha, Saté, Netphé, Osiris, Isis et Hercule[25]. Ces caractères ne sont, en effet, que de véritables représentations de ces divinités, telles que la masse des Égyptiens les adorait dans les temples, et se figurait qu’elles existaient dans les régions célestes : aussi ces caractères-images portent-ils les attributs et souvent les couleurs des êtres divins dont ils expriment l’idée.

36. On pourrait donc diviser les caractères figuratifs qui faisaient partie du système hiéroglyphique, en trois classes distinctes, d’après leur degré d’exactitude et de réalité dans l’imitation des objets qu’ils expriment :

1.o Les caractères figuratifs propres (33) ;

2.o Les caractères figuratifs abrégés (34) ;

3.o Les caractères figuratifs conventionnels (35).

Telle est la première espèce de signes que nous avons reconnue dans les textes hiéroglyphiques. J’ai donné à ces signes la qualification de figuratifs, en abandonnant le terme de caractères cyriologiques, employé par divers auteurs, parce que j’ai conçu des doutes assez fondés, comme on le verra plus tard, sur l’acception dans laquelle on prend ordinairement le mot κυριολογικη dans le passage si connu de Clément d’Alexandrie sur les écritures égyptiennes.

37. On a dit, il y a long-temps, que les caractères figuratifs avaient été la première écriture des peuples ; mais cette idée, vraie sous certains rapports, devient d’une fausseté évidente par la trop grande extension qu’on a voulu lui donner.

Il est indubitable qu’un des premiers moyens qui se présentèrent à l’esprit de l’homme, soit pour perpétuer le souvenir d’un objet, soit pour communiquer certaines idées à ses semblables, fut de tracer, sur une matière quelconque, une grossière image des objets dont il voulait conserver la mémoire, ou sur lesquels, quoique absens, il voulait fixer l’attention d’autres individus de son espèce. Mais cette méthode si simple ne saurait jamais être rigoureusement appliquée qu’à la notation seule de quelques idées isolées, et ne peut, dans aucun cas et sans un secours étranger, exprimer les nombreux rapports de l’homme avec les objets extérieurs, ni tous les divers rapports de ces objets entre eux. Les circonstances de temps, parties intégrantes des objets de nos idées, et comprises dans tous nos rapports avec ces objets, ne sauraient être indiquées figurativement ; c’est donc à tort que l’on voudrait donner le beau nom d’écriture à une méthode purement représentative, incapable sur-tout d’exprimer à la rigueur la proposition la plus simple, et qui n’est, à proprement parler, que la peinture dans sa première enfance.

Si l’on voulait, avec son seul secours, perpétuer le souvenir d’un événement, on ne produirait jamais qu’un vrai tableau qui, fût-il dessiné par le crayon de Raphaël et colorié par le pinceau de Rubens, laissera toujours ignorer, soit le nom des personnages, soit l’époque, soit la durée de l’action, et ne donnera jamais à tout autre individu qu’à celui seul qui l’a composé, une idée complète du fait, la peinture ne pouvant jamais représenter qu’une manière d’être instantanée, et qui suppose toujours dans les spectateurs certaines notions préliminaires.

38. Les tableaux des Mexicains tiennent encore à cette méthode imparfaite ; mais quelque grossiers et incomplets qu’ils puissent paraître, il est certain qu’ils sont beaucoup plus que de la peinture, et qu’ils tendent déjà vers l’expression d’un autre ordre d’idées que celles des objets purement physiques.

39. Nous ignorons, et pour toujours selon toute apparence, quels furent dans ce prétendu genre d’écriture les premiers essais des Égyptiens. Il faudrait, pour obtenir quelques données sur ce point important, avoir sous les yeux des produits de l’enfance des arts en Égypte ; or, c’est ce qui n’est point. Les monumens qui subsistent encore sur ce sol antique, quoique fort antérieurs à tout ce que nous pouvons connaître de pareil en Europe, sont les résultats et d’une sculpture assez avancée et d’une architecture parfaite. Les bas-reliefs qui les décorent sont tous accompagnés de légendes hiéroglyphiques absolument semblables dans les formes, les combinaisons et l’arrangement de leurs signes, aux légendes qui accompagnent, sur les derniers produits de l’art égyptien, les images des rois grecs et celles des empereurs romains. Ainsi, l’écriture hiéroglyphique égyptienne ne se présente jamais à nous que dans son état de perfection, quelque anciens que soient les textes dans lesquels nous pouvons l’étudier.

Parmi les monumens égyptiens connus jusqu’à ce jour, ceux qui remontent à l’époque la plus reculée[26], ont été exécutés vers le xix.e siècle avant l’ère vulgaire, sous la xviii.e dynastie, et ils nous montrent déjà l’écriture comme un art essentiellement distinct de la peinture et de la sculpture, avec lesquelles il reste confondu chez les peuples à peine échappés à l’état sauvage. L’écriture égyptienne de ces temps éloignés, étant la même que celle des derniers Égyptiens, il faut croire que ce système graphique était déjà arrivé à un certain degré de perfection absolue, puisque, pendant un espace de vingt-deux siècles à partir de cette époque, il ne paraît point avoir subi la moindre modification.

40. L’histoire de la formation du système hiéroglyphique ne peut donc être connue que par déduction ; et sans examiner maintenant si les Égyptiens ou leurs ancêtres, quelle que soit la contrée qu’ils aient habitée, se servirent primitivement d’une simple peinture, comme les peuplades de l’Océanique, pour exprimer vaguement un certain nombre d’idées, et, dans la suite, d’une méthode un peu plus avancée comme celle des Mexicains, contentons-nous de reconnaître d’abord que, dans leur écriture hiéroglyphique, il existe une classe de caractères qui sont une image des objets mêmes dont ils sont destinés à rappeler l’idée. Ces signes figuratifs répondent exactement à ceux que les Chinois nomment Siáng-Hîng, c’est-à-dire images, dans leur écriture.

41. En examinant avec attention les textes hiéroglyphiques dont nous possédons une traduction, on s’aperçoit bientôt que les caractères figuratifs ne sont point aussi nombreux qu’on pourrait le croire dans ces inscriptions, dont presque tous les signes offrent cependant des images d’objets physiques. Nous dirons en preuve de ce fait, que, dans le texte hiéroglyphique de Rosette, qui répond au tiers environ du texte grec du même monument, les seules idées chapelle, enfant, statue, aspic, pschent et stèle, sont exprimées par des caractères réellement figuratifs.

Il reste donc à savoir quel fut le mode d’expression des nombreux caractères qui, dans les textes hiéroglyphiques, sont perpétuellement entremêlés aux caractères figuratifs.


§. VII. Des Caractères symboliques.


Lorsqu’on n’a reconnu que la nature purement figurative d’un certain nombre de signes dans l’écriture sacrée des Égyptiens, on est loin d’avoir une idée exacte de ce singulier système ; car les signes de cet ordre se trouvent, pour ainsi dire, perdus au milieu d’une grande quantité d’autres, dont un certain nombre montrent, par leur forme seule, qu’ils tiennent à une méthode d’expression fort différente de celle des premiers exprimant l’idée d’un objet par la forme même de cet objet.

Quel fut donc le mode d’expression des autres caractères ? Les auteurs grecs nous fournissent à cet égard des notions précieuses, que l’autorité des monumens confirme dans toute leur étendue.

42. Il résulte des différentes assertions de Clément d’Alexandrie, de Diodore de Sicile, et du livre entier d’Horapollon[27], que les Égyptiens, dans leur écriture sacrée, procédaient souvent par une méthode symbolique ou énigmatique.

Nous avons observé, en effet, dans l’analyse de diverses inscriptions hiéroglyphiques, tentée dans nos précédens chapitres, des caractères dont chacun exprimait l’idée d’un objet dont ces mêmes caractères ne représentaient cependant point la forme par eux-mêmes. Ces signes sont évidemment du nombre de ceux que les anciens ont appelés hiéroglyphes symboliques, tropiques et énigmatiques.

43. Les caractères figuratifs suffisaient pour rappeler, même avec plus de précision que les mots de la langue la mieux faite, le souvenir des êtres purement physiques ; mais aucune idée abstraite ne pouvait être directement représentée par cette méthode.

Le procédé suivi dans l’écriture sacrée pour exprimer ceux des objets de nos idées qui ne tombent point sous les sens, fut et devait être forcément semblable à celui qu’on mit primitivement en pratique pour la création des mots, signes oraux des idées intellectuelles. Il est évident, en effet, que tout système matériel de signes ayant pour but la représentation directe des idées, ne saurait prendre d’autre route que celle qu’adopta primordialement l’esprit humain dans la formation des langues parlées, lesquelles, après le geste, furent pour l’homme le premier et bien longtemps le seul moyen de communication de la pensée.

44. Le principe des langues, comme celui des écritures véritablement idéographiques, est un et identique, c’est l’imitation ; et ce principe, donné par la nature, est appliqué d’une manière plus ou moins directe, et dans les langues parlées, et dans les écritures idéographiques.

45. Les langues procédèrent d’abord directement par imitation, en attachant plutôt tel son que tel autre à l’expression d’une idée donnée ; aussi la langue de tout peuple voisin de l’état appelé sauvage, consiste-t-elle principalement en cette espèce de mots qu’on a nommés onomatopées, comme si leur son était imitatif des choses qu’ils signifient.

La langue parlée des Égyptiens, malgré la longue carrière de civilisation que ce peuple a parcourue avec tant de gloire, conserva toujours de nombreuses traces de cet état primitif ; la plupart des noms d’animaux ne sont autre chose que l’imitation, plus ou moins exacte pour notre oreille, du cri propre à chacun d’eux :

ⲓⲱ Iô… Ane.
ⲙⲟⲩⲓ Moui… Lion.
ⲉϩⲉ Éhé… Bœuf.
ⲕⲣⲟⲩⲣ Crour… Grenouille.
ϣⲁⲩ Chaou… Chat.
ⲣⲓⲣ Rir… Cochon.
ⲡⲉⲧⲉⲡⲏⲡ Pétépép… Huppe.
ϩϥⲱ, ϩⲟϥ Hfo, Hof… Serpent.

46. D’après le même principe, on ne représenta point la plupart des objets inanimés, ni des actions et manières d’être physiques, par des sons arbitraires ; mais on s’efforça de prendre pour signes de cet ordre d’idées, les sons et les articulations qui semblaient les plus propres, d’après une certaine analogie, à en rappeler le souvenir ; tels sont, par exemple, les mots égyptiens

ⲥⲉⲛⲥⲉⲛ Sensen… Sonare, sonner,
rendre un son.
ⲑⲁϥ Thaf… Sputum, crachat.
ⲑⲟϥⲑⲉϥ Thofthef… Cracher.
ⲟⲩⲟϫⲟⲩⲉϫ Ouodjouedj… Mâcher.
ⲕⲓⲙ Kim… Frapper.
ⲕⲉⲙⲕⲉⲙ Kemkem… Sistre, instrument de
percussion.
ⲕⲣⲙⲣⲙ Kremrem… Bruit.
ϧⲣⲁϫⲣⲉϫ Khradjredj… Grincer les dents.
ⲧⲗⲧⲗ Teltél… Stillare, tomber
goutte à goutte.
ϣⲕⲉⲗⲕⲓⲗ Schkelkil… Sonnette.
ⲱⲙⲕ Omk… Avaler.
ⲣⲟϫⲣⲉϫ Rodjredj… Frotter, polir.
ⲙⲟⲛⲙⲉⲛ Monmen… Ébranler.
ϧⲉⲣϧⲉⲣ Kherkher… Ronfler, stertere.
ⲛⲉϥ, ⲛⲓϥⲉ Nef, nifé… Souffler.

On s’aperçoit aisément, en effet, que ces mots ont une relation de son avec celui qui est produit par les objets, ou qui résulte des actions et des manières d’être physiques dont ces mots sont devenus le signe oral. Tous ces mots images sont donc parfaitement analogues dans leur formation, comme dans leur but, aux signes figuratifs, fondement premier de l’écriture hiéroglyphique égyptienne.

47. Mais les langues, comme les écritures idéographiques, épuisent bientôt la série des objets qu’il leur est possible et commode d’exprimer, celles-là par une imitation directe des sons, et celles-ci par une imitation directe des formes ; les unes et les autres ont alors recours à une imitation indirecte.

Les langues tendent dès-lors à établir entre les qualités des objets de certaines idées, et les qualités des sons par lesquels on les exprime, une certaine similitude qui ne peut cependant être absolument exacte, c’est-à-dire qu’elles cherchent à rappeler au moyen de sons doux, rapides, durs ou longs, l’idée d’objets qui se distinguent éminemment par des qualités physiques analogues à celles du son choisi pour les exprimer : tels sont, par exemple, les mots égyptiens

ⲥⲟⲩⲥⲟⲩ Sousou… Un instant
très rapide.
ⲣⲉⲕⲣⲓⲕⲉ Rekrike… Clignoter,
clin d’œil.
ⲟⲩⲱ Ouô… Voix.
ϣⲟⲩϣⲟⲩ Chouchou… Louer, flatter,
caresser.
ⲃⲣⲏϫ Bridj… Éclair.
ϣⲉⲣϣⲱⲣ Cherchôr… Détruire, dévaster.
ⲗⲁⲗⲓ, ⲗⲟⲓⲗⲁⲓ Lali, loulai… Se réjouir.

48. De la même manière, les écritures idéographiques n’ayant plus le pouvoir de donner aux signes de certains objets les formes mêmes de ces objets, s’efforcent de les peindre par l’image d’autres objets physiques dans lesquels on croit trouver des qualités analogues à celles de l’objet qu’il s’agit d’exprimer. Ces caractères ont reçu le nom de symboliques ou de symboles, mots qui, radicalement, expriment une comparaison, une assimilation.

49. Ce n’est en effet que par des assimilations, par des comparaisons puisées dans l’ordre physique seul, que les langues parlées ont pu se créer des signes de toutes les idées abstraites ou d’objets intellectuels. Le dictionnaire de la langue égyptienne renferme les preuves les plus frappantes de cette vérité.

Le mot ϩⲏⲧ (hèt) exprime l’idée cœur, par suite celle d’esprit ou à d’intelligence, et la plupart des qualifications morales sont exprimées symboliquement par renonciation de diverses manières d’être physiques du cœur. Ainsi les Égyptiens disaient :

ϩⲏⲧϣⲏⲙ Petit cœur, c’est-à-dire… Craintif, lâche.
ϩⲁⲣϣϩⲏⲧ Cœur pesant ou lent de cœur… Patient.
ϭⲁⲥⲓϩⲏⲧ Cœur haut ou haut de cœur… Orgueilleux.
ϭⲁⲃϩⲏⲧ Cœur débile, débile de cœur… Timide.
ϩⲏⲧⲛⲁϣⲧ Cœur dur… Inclément.
ϩⲏⲧⲥⲛⲁⲩ Ayant deux cœurs… Indécis.
ⲧⲁⲙϩⲏⲧ Cœur fermé, fermé de cœur… Obstiné.
ⲟⲩⲱⲙⲛϩⲏⲧ Mangeant son cœur… Repentant.
ⲁⲑⲏⲧ ou
ⲁⲧϩⲏⲧ
sans cœur… Insensé.

De ces qualificatifs se formèrent, par la simple addition du monosyllabe ⲙⲛⲧ ou ⲙⲉⲧ, qui signifie attribution, les noms abstraits ⲙⲛⲧϩⲏⲧϣⲏⲙ, l’attribution d’avoir le cœur petit, c’est-à-dire, la lâcheté ; ⲙⲛⲧϩⲁⲣϣϩⲏⲧ l’attribution d’avoir le cœur lent, c’est-à-dire, la patience ou la longanimité, &c.

Une foule de verbes égyptiens se forment aussi de ce même mot cœur ϩⲏⲧ, et exprimant par des similitudes tirées de l’ordre physique, des actions ou des manières d’être purement intellectuelles. Exemples :

ⲉⲓϩⲏⲧ Cœur venant,
sentir venir
son cœur, c.-à-d.,
Rêver, réfléchir.
ⲑⲱⲧϩⲏⲧ mêler le cœur… Tempérer, persuader.
ⲕⲁϩⲏⲧ Poser ou placer
son cœur…
Se confier.
ϯϩⲏⲧ Donner son cœur… Observer, examiner.
ϫⲉⲙϩⲏⲧ Trouver de cœur… Savoir.
ⲙⲉϩϩⲏⲧ Remplir le cœur… Satisfaire, contenter.

C’est toujours d’après le même principe que, de ⲧⲟⲧ main, se sont formés les mots ϯⲧⲟⲧ ou ⲉⲣⲧⲟⲧ, donner la main ou faire la main, c’est-à-dire, aider, secourir ; ϩⲓⲧⲟⲧ, jeter la main, c’est-à-dire, entreprendre, commencer. Une foule d’autres idées ont été peintes métaphoriquement par des expressions tropiques fortement frappées et très-énergiques ; telles sont entre autres : ⲁϥϫⲓⲣ, rechercheur de mouches, c’est-à-dire, avare ; ϫⲣⲃⲁⲗ, œil pointu, impudent ; ϫⲁⲥⲉⲃⲁⲗ, œil levé, audacieux ; ⲃⲁⲗϩⲏⲧ, cœur dans l’œil, ingénu, naïf ; ϩⲓⲗⲁ, jeter la langue, calomnier ; ⲗⲁϧⲏⲧϥ, langue-ventre, ou bien ⲗⲁⲁϩⲧ, langue-intestins, gourmand ; ⲉⲗⲉⲕϣⲁ ou ⲗⲉⲕϣⲁ, retirer le nez, se moquer ; ⲣⲟⲙⲡⲉ, la face du ciel, l’année ; ϧⲣⲱⲟⲩⲙⲡⲉ, ϩⲣⲟⲟⲩⲙⲡⲉ, la voix du ciel, le tonnerre ; ⲛⲁϣⲧⲙⲁⲕϩ, cou dur, c’est-à-dire, obstiné, &c. &c.

50. Tels sont les procédés suivis originairement pour la formation de la langue égyptienne parlée. Dans la partie purement idéographique de leur écriture sacrée, les Égyptiens ne purent éviter de recourir aussi à cette méthode symbolique ou comparative ; ils cherchèrent donc naturellement à exprimer les idées d’objets tout-à-fait intellectuels et sans formes sensibles, par les images corporelles présentant des rapports plus ou moins réels, plus ou moins éloignés, avec l’objet de l’idée qu’il s’agissait de noter. Les signes créés d’après cette méthode enrichirent l’écriture hiéroglyphique d’un nouvel ordre de caractères que nous nommerons, avec les anciens, caractères symboliques ou tropiques, et qui répondent à-peu-près aux caractères Hoéï-í et Kià-tsiéï de l’écriture chinoise.

51. Dans la détermination des signes symboliques ou tropiques, les Égyptiens procédèrent principalement :

1.o Par synecdoche, en se contentant de peindre la partie pour exprimer un tout. Ainsi, deux bras tenant un trait et un arc signifiaient une bataille, une armée rangée en bataille[28] ; deux bras élevés vers le ciel, une offrande[29] ; un vase duquel s’échappe de l’eau, une libation[30] ; une cassolette et des grains d’encens, une adoration[31] ; un homme lançant des flèches, un tumulte, un attroupement populaire[32].

2.o Par métonymie, en peignant la cause pour l’effet. C’est ainsi que, dans l’inscription de Rosette[33], nous voyons l’idée mois, ⲁⲃⲟⲧ, ⲉⲃⲱⲧ, mensis, exprimée, comme le dit Horapollon[34], par l’image du croissant de la lune, les cornes tournées en bas : Σεληνην επεστραμμενην εις το κατω. Ce même signe se montre en effet comme signe d’espèce (suprà 31) dans les groupes hiéroglyphiques exprimant les noms des mois égyptiens.

Nous trouvons également sur la stèle de Rosette[35], l’idée écrire, et par suite celles d’écriture, caractère ou lettre, rendues métonymiquement par l’image du pinceau ou du roseau au moyen duquel on traçait les signes, groupé avec la palette qui portait la couleur noire et rouge ; et souvent même on joignait à ces objets la figure du petit vase dans lequel on trempait le pinceau pour délayer la couleur, ou qui contenait l’encre si l’on se servait du roseau pour tracer les lettres. J’ai réuni dans le tableau général des signes cités dans cet ouvrage, le caractère symbolique écriture avec toutes ses variations[36]. Horapollon cite, en effet, le roseau (σχοινον) et l’encre (μελαν) parmi les objets qu’on peignit pour exprimer symboliquement les lettres égyptiennes, Αιγυπτια γραμματα[37].

3.o Par métaphore (ce qui rentre au fond dans l’esprit général des procédés indiqués jusqu’ici), en employant l’image d’un objet pour exprimer autre chose que cet objet lui-même. Ainsi, l’abeille signifiait un peuple obéissant à son roi[38] ; les parties antérieures d’un lion, la force[39] ; le vol de l’épervier, le vent[40] ; un aspic, la puissance de vie et de mort[41] ; le crocodile, la rapacité[42].

4.o Enfin, une foule de signes symboliques étaient, à proprement parler, de véritables énigmes, les objets dont ces caractères présentaient les formes n’ayant que des rapports excessivement éloignés et presque de pure convention avec l’objet de l’idée qu’on leur faisait exprimer. C’est ainsi que le scarabée était le symbole du monde, de la nature mâle ou de la paternité[43] ; le vautour, celui de la nature femelle et de la maternité[44] ; un serpent tortueux figurait le cours des astres[45] ; et l’on peut voir dans Horapollon et dans Clément d’Alexandrie, les raisons qui déterminèrent les Égyptiens à choisir ces êtres physiques pour signes de ces idées si différentes et si éloignées de leur nature.

On doit principalement comprendre parmi les signes symboles énigmatiques, ceux qui, dans les textes égyptiens, tiennent la place des noms propres des différentes divinités, caractères dont la valeur est déjà connue d’une manière certaine[46].

52. Les noms divins symboliques sont de deux espèces.

Les uns se forment d’un corps humain, avec ou sans bras, assis, mais dont la tête est remplacée par celle d’un quadrupède, d’un oiseau ou d’un reptile, &c. Ces têtes d’animaux, ainsi ajoutées au corps d’un homme ou d’une femme, caractérisent spécialement chaque divinité égyptienne : un homme à tête de bélier exprime l’idée d’Ammon-Cnouphis ; un homme à tête d’épervier surmontée d’un disque, celle du dieu Phré ; un homme à tête de schacal, celle du dieu Anubis ; un homme à tête d’ibis, celle du dieu Thoth ; un homme à tête de crocodile, celle du dieu Suchus[47], &c.

Ces caractères ne sont en réalité que les images symboliques des dieux eux-mêmes, introduites dans l’écriture, et telles qu’on les voyait en grand dans les temples, les bas-reliefs et les peintures religieuses. Quelques savans ont pris ces dernières représentations des dieux et des déesses de l’Égypte pour des prêtres ayant leur face couverte de masques figurant des têtes de divers animaux : cette singulière opinion ne repose d’ailleurs sur aucune autorité valable.

Ces alliances monstrueuses étaient motivées sur les similitudes que les Égyptiens avaient établies entre certains dieux et certains animaux dont les qualités dominantes ou les habitudes leur parurent propres à rappeler à la pensée les qualités ou les fonctions des personnages mythiques. C’est comme si les Grecs et les Romains, qui consacrèrent aussi divers animaux à chacun de leurs dieux, eussent représenté Jupiter avec une tête d’aigle, Junon avec celle d’un paon, Minerve avec celle d’une chouette, Esculape avec la tête d’un serpent, &c., au lieu de placer simplement ces animaux aux pieds de la statue de chacune de ces divinités.

53. La seconde espèce de caractères symboliques-énigmatiques exprimant des noms divins, consiste simplement dans la représentation entière de l’animal consacré à chaque dieu ou déesse ; les animaux portent alors les insignes propres à la divinité dont ils sont les emblèmes. Ainsi, un épervier ayant un disque sur la tête exprime symboliquement le dieu Phrê ; un bélier les cornes surmontées de longues plumes ou d’un disque, Ammon-Cnouphis ; un épervier mitré, le dieu Horsiési ; un schacal armé d’un fouet, Anubis ; un ibis et même un cynocéphale, espèce de singe à tête de chien, le dieu Thoth, l’Hermès ou le Mercure égyptien ; « et ce n’est point, comme le dit Plutarque par la plume naïve d’Amyot, que, selon les Égyptiens, Mercure soit un chien, ains la nature de cette bête, qui est de garder, d’estre vigilant, sage à discerner et chercher, estimer, et juger. Ils accomparent le chien au plus docte des dieux[48]. »

Les caractères de cet ordre, réunis en partie dans notre tableau général[49], ne furent, au fond, que la représentation seule des animaux vivans qui, dans les sanctuaires des temples égyptiens, tenaient la place des dieux dont ils étaient des images symboliques.

54. Les dieux étaient aussi symboliquement désignés par des caractères qui ne figuraient que des fractions d’êtres animés, ou même que des objets physiques inanimés : un œil était le symbole d’Osiris et du Soleil[50] ; l’objet qu’on nomme un nilomètre[51] rappelait l’idée du dieu Phta ; un obélisque, celle du dieu Ammon[52]. Mais les caractères de ce genre paraissent être assez rares dans les textes hiéroglyphiques[53].

55. L’examen de ces textes mêmes tendrait à prouver que, si la plus grande partie des signes dont ils se composent étaient, ainsi qu’on l’a cru, des caractères symboliques, l’écriture sacrée des Égyptiens fut nécessairement fort obscure, les idées ne pouvant y être exprimées que par une suite de métaphores, de comparaisons et d’énigmes inextricables ; l’étude d’un pareil système eût exigé infiniment plus de peine qu’il ne pouvait offrir d’avantages, et l’on concevrait difficilement qu’un peuple n’ayant qu’une telle méthode pour transmettre les idées, eût fait dans la civilisation et dans les sciences les grands progrès que l’orgueil des modernes est contraint, pour ainsi dire, d’attribuer à la nation égyptienne.

56. Il existe, il est vrai, à l’extrémité orientale de l’Asie, un peuple qui use, et de toute antiquité, d’un système d’écriture foncièrement idéographique ; et cependant, quoi qu’en aient pu dire certains esprits trop prompts à décider, ce peuple apprend facilement cette écriture, comprend sans effort les textes tracés d’après ses principes, et se contente, encore aujourd’hui, de ce système graphique, qu’il place même au-dessus de tout ce que les autres nations ont pu inventer dans ce genre. Voudrait-on en conclure que les Égyptiens ont pu faire ce qu’ont fait les Chinois, composer une écriture claire, facile, quoique entièrement idéographique et formée, comme celle des Chinois, de signes-images et de signes tropiques !

Il est bien permis, en l’absence des faits, d’avancer une semblable hypothèse ; mais des observations nombreuses démontrent que le système hiéroglyphique égyptien procéda par des moyens fort différens de ceux qu’emploie l’écriture chinoise.

57. Dans les temps les plus reculés, lorsque les Chinois se servaient des caractères primitifs, qui n’étaient que des dessins grossiers d’objets matériels, un texte chinois et un texte égyptien en hiéroglyphes linéaires auraient offert matériellement plusieurs points de ressemblance, et l’on eût pu croire que les règles de l’une de ces écritures ne différaient point sensiblement des règles de l’autre. Cependant, dès les temps anciens, comme aujourd’hui, l’écriture chinoise et l’écriture égyptienne n’ont eu de commun que quelques principes généraux. Elles diffèrent fort essentiellement sur plusieurs points importans, et n’ont jamais eu cette analogie suivie que leur supposent quelques savans, et sur la foi de laquelle on ne balançait même point à considérer les ancêtres des hommes fixés sur les rives du Hoang-ho, comme partis des bords du Nil, emportant avec eux les premiers principes de l’écriture hiéroglyphique.

58. Et en effet, l’écriture chinoise, étudiée dans ses élémens matériels, consiste en caractères primitifs et en caractères dérivés, ou, en d’autres termes ; en caractères simples et en caractères composés.

Les caractères primitifs chinois, dont les uns, dits siáng-hîng, sont des images grossières des objets physiques qu’ils expriment, et dont les autres, appelés tchì-ssé et tchouàn-tchú, sont des signes symboliques indiquant des rapports de position ou de formes, ne furent jamais très-multipliés ; les siáng-hîng, par exemple, les plus nombreux de tous, ne dépassent point deux cents[54].

Nous avons vu, au contraire, que le nombre des caractères hiéroglyphiques simples, bien distincts de formes, et que l’on doit considérer comme les élémens primitifs de l’écriture sacrée égyptienne, s’élèvent à plus de huit cents[55], même sans que nous soyons certains pour cela d’avoir recueilli tous les caractères différens que cette écriture employa jadis.

Les caractères idéographiques chinois composés, et qui sont en très-grand nombre, consistent dans la réunion de deux ou de plusieurs caractères simples qui, ainsi rapprochés, expriment symboliquement une foule de notions diverses. On nomme ces caractères, souvent très-compliqués, hoéï-í[56]. Pour former ces caractères, les signes simples se groupent ensemble de très-près, s’inscrivent parfois les uns dans les autres, et constituent ainsi un tout parfaitement distinct des autres caractères, soit simples, soit composés, employés dans la même colonne ou ligne.

On n’observe, en général, presque rien de semblable dans les textes hiéroglyphiques égyptiens : on y rencontre à peine quinze à vingt groupes formés de deux hiéroglyphes simples, liés ensemble de manière à ne paraître à l’œil qu’un seul caractère ; et nous verrons ailleurs que ces groupes ne sont presque tous que de simples ligatures, fruits du caprice du sculpteur ou de l’écrivain. De plus, si plusieurs caractères hiéroglyphiques sont souvent superposés, cela tient uniquement à la disposition générale du texte y soit en ligne horizontale, soit en colonne perpendiculaire, et sur-tout à l’intention de profiter de l’espace : tout ceci doit s’entendre et des caractères figuratifs et des caractères symboliques.

59. Il faut donc reconnaître que, dans l’écriture sacrée égyptienne, les caractères tropiques ou symboliques étaient simples, s’employaient presque toujours isolément, et ne se combinaient point habituellement entre eux, comme les caractères simples chinois, pour former des caractères composés signes de nouvelles idées. Cette seule différence dans les deux écritures suffit pour les caractériser d’une manière spéciale, et pour les faire considérer comme deux systèmes essentiellement distincts dans leur marche.

60. Les notions les plus étendues que l’antiquité nous ait transmises sur les caractères tropiques des Égyptiens, sont renfermées dans le célèbre ouvrage d’Horapollon, intitulé ΙΕΡΟΓΛΥΦΙΚΑ, traduit de l’égyptien en grec par un certain Philippe.

On a jusqu’ici considéré cet ouvrage comme devant jeter une grande lumière sur la marche et les principes de l’écriture hiéroglyphique proprement dite ; et cependant l’étude de cet auteur n’a donné naissance qu’à de vaines théories, et l’examen des inscriptions égyptiennes, son livre à la main, n’a produit que de bien faibles résultats. Cela ne prouverait-il point que la plupart des signes décrits et expliqués par Horapollon ne faisaient point réellement partie de ce que nous appelons l’écriture hiéroglyphique, et tenait primordialement à un tout autre système de représentation de la pensée ?

Je n’ai reconnu, en effet, jusqu’ici, dans les textes hiéroglyphiques, que trente seulement des soixante-dix objets physiques indiqués par Horapollon, dans son livre premier, comme signes symboliques de certaines idées ; et sur ces trente caractères, il en est treize seulement, savoir, le croissant de la lune renversé, le scarabée, le vautour, les parties antérieures du lion, les trois vases, le lièvre, l’ibis, l’encrier, le roseau, le taureau, l’oie (ou chénalopex), la tête de coucoupha et l’abeille, qui paraissent réellement avoir, dans ces textes, le sens qu’Horapollon leur attribue.

61. Mais la plupart des images symboliques indiquées dans tout le livre I.er d’Horapollon et dans la partie du II.e qui semble la plus authentique, se retrouvent dans des tableaux sculptés ou peints soit sur les murs des temples et des palais, sur les parois des tombeaux, soit dans les manuscrits, sur les enveloppes et cercueils des momies, sur les amulettes, &c., peintures et tableaux sculptés qui ne retracent point des scènes de la vie publique ou privée, ni des cérémonies religieuses, mais qui sont des compositions extraordinaires, où des êtres fantastiques, soit même des êtres réels qui n’ont entre eux aucune relation dans la nature, sont cependant unis, rapprochés et mis en action. Ces bas-reliefs, purement allégoriques ou symboliques, abondent sur les constructions égyptiennes[57], et furent particulièrement désignés par les anciens sous le nom d’anaglyphes[58], que nous adopterons désormais.

Cette distinction établie, il est aisé de voir que l’ouvrage d’Horapollon se rapporte bien plus spécialement à l’explication des images dont se composaient les anaglyphes, qu’aux élémens ou caractères de l’écriture hiéroglyphique proprement dite : le titre si vague de ce livre, Ιερογλυφικα [sculptures sacrées ou gravures sacrées], est la seule cause de la méprise.

62. Confondre un anaglyphe avec un texte hiéroglyphique, ce serait tomber dans l’erreur trop commune que nous avons signalée dans notre paragraphe premier (suprà, 7). On peut bien, jusqu’à un certain point, considérer les anaglyphes comme une espèce d’écriture, et ce sera, si l’on veut, l’écriture symbolique ; mais sous aucun rapport on ne saurait les assimiler à l’écriture hiéroglyphique pure qui en fut essentiellement distincte : il suffit en effet de dire, pour le prouver, que la plupart des figures qui composent les anaglyphes, sont accompagnées de petites légendes explicatives en véritable écriture hiéroglyphique.

Il résulte seulement de toutes ces observations, qu’une partie des images symboliques employées dans les anaglyphes, passait dans les textes hiéroglyphiques, non pour s’y combiner et y former des scènes et des tableaux, mais comme simples signes tropiques d’une idée, comme caractères d’une véritable écriture ; ils étaient mêlés et mis en ligne avec d’autres caractères d’une nature toute différente, quant à leur mode d’expression.

64. Il était, au contraire, de l’essence des anaglyphes de se former presque toujours par la combinaison de plusieurs images tropiques ; aussi n’ai-je retrouvé jusqu’ici, dans les textes en hiéroglyphes purs, que deux des quarante groupes symboliques décrits par Horapollon : l’un est le signe complexe de l’idée lettre, écriture (suprà, 51) ; et l’autre les trois vases, qui exprimaient l’inondation du fleuve.

65. Les caractères symboliques ou tropiques ne sont point, dans l’écriture hiéroglyphique, aussi multipliés qu’on se l’était persuadé ; la plus grande partie de ceux qui s’y rencontrent, y tiennent, comme on l’a déjà vu (suprà, 52 et 53), la place des noms propres des dieux et des déesses dont ils rappelaient symboliquement l’idée.

66. Le respect profond que tous les anciens peuples de l’Orient eurent en général pour les noms propres de leurs dieux, suffisait déjà pour porter les Égyptiens à exprimer ces noms sacrés par des caractères symboliques, plus fréquemment que par des signes exprimant, les sons mêmes de ces noms. On peut voir, en effet, dans le traité de Iamblique sur les mystères[59], l’importance que les Égyptiens, et les Grecs élevés à leur école, attachaient aux noms des dieux, qu’ils croyaient être d’institution divine, pleins d’un sens mystérieux, remontant aux siècles les plus voisins de l’origine des choses, et fort peu susceptibles d’être exactement traduits en langue grecque. Ces noms mystiques sont, il est vrai, souvent exprimés phonétiquement dans les textes hiéroglyphiques et hiératiques ; toutefois, il ne faut point oublier que les textes de ce genre étaient écrits par des membres de la caste sacerdotale, et qu’ils furent eux-mêmes sacrés et conçus en caractères spécialement destinés à écrire sur les matières religieuses. Mais dans les textes démotiques considérés comme profanes et vulgaires, les noms des dieux paraissent avoir toujours été exprimés par le moyen de symboles, et jamais phonétiquement : c’est ainsi que les Hébreux ayant à écrire le nom ineffable, le τετραγραμματον, יחוח [Jehovah], le remplaçaient souvent par une abréviation convenue, ne le prononçaient jamais en lisant les textes, et y substituaient le mot Adonaï. L’examen de plusieurs manuscrits égyptiens m’a également convaincu que, pour des motifs semblables, certains noms divins hiéroglyphiques étaient écrits d’une manière et prononcés d’une autre : mais ce n’est point ici le lieu de développer cet aperçu.

67. Les caractères tropiques ou symboliques de l’écriture égyptienne ne se combinant point entre eux et fort Rarement avec des caractères figuratifs, comme le font diverses classes de caractères chinois pour former ainsi des signes de nouvelles idées, il est bien difficile de comprendre par quel moyen, si ce n’est par l’adoption de quelque autre classe de caractères d’une nature particulière, l’écriture sacrée des Égyptiens se compléta et devint capable d’exprimer clairement toutes les conceptions de la pensée humaine.


§. VIII. Des Caractères phonétiques.


68. Nous ne saurions, en effet, admettre comme possible l’existence d’une écriture totalement idéographique, qui, par le secours des seuls caractères figuratifs ou symboliques, marcherait de pair avec une langue bien faite et rivaliserait avec elle en clarté dans l’art d’exprimer les idées.

69. Les Chinois, qui ont fait un usage bien plus étendu que les Égyptiens des signes images et des symboles, soit isolés, soit combinés ensemble, n’ont pu éviter cependant d’introduire, dans une infinité de ces groupes, certains signes qui indiquent un son et rattachent ainsi l’écriture à la langue parlée. Nous puisons une idée fort claire de la composition de ces caractères formés d’images et de signes de son, dans la précieuse Grammaire de la langue chinoise, publiée par M. Abel-Rémusat. Ce docte et ingénieux académicien, qui, le premier, a débarrassé l’étude du chinois de ces ténèbres, on pourrait dire, mystiques, dont ses prédécesseurs l’avaient enveloppée, désigne cette espèce de caractères mixtes par leur nom chinois hîng-chîng ou figurant le son, et avertit qu’ils forment au moins la moitié de la langue chinoise écrite[60].

« Comme tout signe simple ou composé, dit M. Abel-Rémusat, a son terme correspondant dans la langue parlée, lequel lui tient lieu de prononciation, il en est un certain nombre qui ont été pris comme signes des sons auxquels ils répondaient, abstraction faite de leur signification primitive, et qu’on a joints en cette qualité aux images pour former des caractères mixtes. L’une de leurs parties, qui est l’image, détermine le sens et fixe le genre ; l’autre, qui est un groupe de traits devenus insignifians, indique le son et caractérise l’espèce. Ces sortes de caractères sont moitié représentatifs et moitié syllabiques[61]. »

70. De leur côté, les Égyptiens durent se trouver aussi, et plus promptement encore que les Chinois (suprà, 67), dans la nécessité de compléter leur système d’écriture en le rattachant à leur langue parlée ; il leur fallut pour cela trouver un moyen de représenter les sons des mots de la langue maternelle.

Les Chinois créèrent une sorte de caractères syllabiques, et cela devait être en effet. Dès les premiers temps, comme aujourd’hui, les sons dont se composait la langue chinoise parlée étaient en très-petit nombre : ce sont des mots très-courts, ou même des monosyllabes commençant par une articulation et finissant par des voyelles ou par des diphthongues pures ou nasales[62]. La langue chinoise consiste en quatre cent cinquante syllabes, qui sont portées à douze cent trois par la variation des accens, et servent de prononciation à plusieurs milliers de caractères[63]. On conçoit, d’après cela, que les Chinois aient été conduits naturellement à prendre pour signes d’un certain nombre de ces syllabes, les caractères représentatifs d’objets dont ces mêmes syllabes étaient les signes oraux dans la langue parlée ; et que, faisant abstraction de leur signification réelle, on les ait fait entrer comme simples signes phonétiques syllabiques dans la composition d’un grand nombre de caractères complexes, dont ils indiquent ainsi la prononciation. La nature de la langue chinoise conduisait donc par elle-même à l’invention d’une écriture syllabique.

71. La langue parlée des Égyptiens fut aussi composée de mots primitifs monosyllabiques ; mais la plupart de ces monosyllabes ne consistent point, comme les mots chinois, en une articulation finissant par des voyelles ou par des diphthongues pures ou nasales ; ils contiennent pour l’ordinaire plusieurs articulations placées avant ou après leur voyelle ou diphthongue ; tels sont, par exemple, les mots ϩⲟⲣϣ (horsch), être lent, être lourd, ϫⲱⲗⲕ (djôlk), étendre, ⲭⲣⲱⲙ (chrôm), feu, ⲧⲱⲙ (tôm), fermer, ⲟⲩⲱⲛϩ (ouônh), paraître, ⲟⲩⲱϣⲧ (ouôscht), adorer, ⲧⲣⲟⲡ (trop), coup, pulsation, &c.

Il est évident que les Égyptiens, puisque les mots primitifs et les mots dérivés monosyllabiques de leur langue étaient infiniment plus nombreux que les syllabes chinoises, ne purent songer à inventer un signe phonétique particulier pour chacun de leurs monosyllabes ; c’eût été, non pas représenter les sons de ces mots, mais créer une écriture idéographique excessivement imparfaite : il dut leur paraître bien plus simple d’analyser leurs monosyllabes, de séparer les articulations des voyelles qui les composent, de reconnaître le nombre des unes comme des autres, et de chercher enfin à représenter par des signes chacune de ces articulations et chacune de ces voyelles, de façon à pouvoir noter pour l’œil, et d’une manière facile, tous les mots de leur langue ainsi analysés. La nature même de la langue égyptienne conduisit donc aussi ceux qui la parlaient à rechercher l’invention d’un système d’écriture propre à représenter les sons et les articulations des mots, c’est-à-dire, l’invention d’une écriture phonétique alphabétique.

72. La solution d’un tel problème offrait une difficulté extrême, et celui qui la trouva le premier, changea, sans le savoir, la face du monde ; il décida à-la-fois de l’état social de son pays, de celui des peuples voisins, et de la destinée de toutes les générations futures. Les Égyptiens, qui, sans doute, avaient oublié ou n’avaient jamais connu le nom de l’inventeur de leurs signes phonétiques, en faisaient honneur, au temps de Platon, à l’une de leurs divinités du second ordre, à Thoth[64], que l’on regardait également comme le père des sciences et des arts.

L’idée de représenter un son par un caractère de forme tout-à-fait arbitraire, ne vint certainement point à celui qui, le premier, inventa une écriture alphabétique : des signes de cette espèce exigent une trop forte abstraction, et de la part de celui qui les invente, et de la part de ceux qui en usent. Un alphabet composé de signes arbitraires ne peut naître, dans mon opinion du moins, que de deux manières : ou il résultera du temps seul, qui a corrompu et dénaturé, par l’effet d’un long usage, la forme des signes de sons qui, dans leur origine, n’étaient pas plus absolument arbitraires que les mots ; ou bien cet alphabet aura été composé par un individu, lequel n’a nullement inventé la méthode alphabétique, mais qui, voulant donner un alphabet propre à sa nation, inventa une suite de signes, en se réglant, quant à leur nature et à leur destination, sur l’alphabet en usage chez un peuple voisin : ce copiste n’aura plus saisi l’esprit primitif de cette méthode ; il aura pu arriver même que les traces de cet esprit eussent déjà disparu de l’alphabet qui servait de modèle.

73. On a cru assez généralement que l’écriture alphabétique a pu naître de l’écriture représentative pure. Mais comment concevoir qu’une écriture qui n’a aucune sorte de rapport direct avec la langue, qui peint les objets et non les mots, ait pu produire un système de peinture des sons ? Toute écriture seulement représentative, quelque parfaite qu’on la suppose, n’exprimera jamais analytiquement la proposition la plus simple ; elle ne saurait l’exprimer qu’en masse, et en quelque sorte par un seul caractère ; ses tableaux, comparés à une page des autres divers genres d’écriture, sont ce que serait une interjection mise en parallèle avec une phrase complète, et qui peindrait, à l’aide d’un certain nombre de mots bien choisis, le même sentiment de peine ou de plaisir que l’interjection dont il s’agit. Ainsi donc l’écriture représentative, procédant toujours par masse, n’est point susceptible de suggérer l’idée d’un système de signes propres à noter, les unes après les autres, non-seulement toutes les parties ou mots d’une proposition complète, mais encore tous les élémens distincts dont se compose chacun de ces mots en particulier.

74. Serait-il plus vrai de dire que l’écriture alphabétique est née insensiblement d’un système d’écriture à-la-fois figurative et symbolique, comme celle des Chinois ? On se le persuadera difficilement, si l’on considère que les caractères symboliques étant, dans leur forme, plus éloignés que les caractères figuratifs des choses qu’ils expriment, ils le sont encore infiniment plus des mots. Nous avons vu, il est vrai, que les Chinois sont arrivés assez facilement à l’invention de signes syllabiques ; mais cela a dépendu tout autant, pour le moins, de la nature même de leur langue parlée, que de celle de leur écriture. N’oublions point d’ailleurs la grande distance qui sépare une écriture syllabique d’une écriture véritablement alphabétique.

75. Quoi qu’il en soit, les témoignages les plus imposans de l’antiquité classique concourent à attribuer aux Égyptiens l’invention de l’écriture alphabétique ; et le docte Georges Zoëga, qui, le premier parmi les savans modernes, a professé hautement cette opinion, indique[65] les divers passages de Platon, de Tacite, de Pline, de Plutarque, de Diodore de Sicile et de Varron sur lesquels elle est fondée. Il reste donc, en profitant des données que nous fournit l’étude des monumens de l’Égypte, non pas à deviner comment l’écriture alphabétique a pu naître des caractères figuratifs ou des caractères symboliques, dont, selon toute apparence, les Égyptiens usèrent d’abord, mais à voir si les principes généraux qui présidèrent à la détermination des caractères idéographiques égyptiens, ne présidèrent point aussi à celle de leurs caractères alphabétiques, lorsque la nécessité de l’invention de signes de cet ordre se fut fait sentir pour compléter le système d’écriture hiéroglyphique.

76. Il est déjà démontré par les faits exposés dans les huit premiers chapitres de notre ouvrage, que le système hiéroglyphique égyptien renferme une classe nombreuse de caractères destinés, comme les lettres de nos alphabets modernes, à peindre les sons et les articulations des mots de la langue égyptienne. On a pu voir aussi, par leur forme même, que ces signes désignés par la qualification de caractères phonétiques parce qu’ils expriment des voix ou des prononciations, loin d’être, comme les signes de nos alphabets actuels, composés de traits assemblés sans aucun but marqué d’imitation, furent au contraire des images de divers objets physiques, tout aussi précises et tout aussi exactes que les caractères figuratifs eux-mêmes.

77. Les propres formes de ces signes phonétiques images d’objets naturels, démontrent que l’Égyptien, ou l’individu à quelque nation qu’il ait appartenu qui créa la partie phonétique de l’écriture sacrée, loin de songer à des signes arbitraires pour peindre les sons, se laissa conduire tout simplement par un principe d’analogie déjà mis en pratique dans le système d’écriture qu’il s’efforçait de perfectionner.

78. Pour exprimer graphiquement les objets physiques de nos idées, on s’était contenté de tracer l’image de ces objets, êtres corporels dont les formes principales étaient reproduites par l’hiéroglyphe : cette méthode représentative ne pouvait s’appliquer à l’expression des sons, puisque les sons n’ont point de forme.

Mais, par la méthode symbolique, l’Égyptien avait déjà l’habitude, contractée peut-être dès-long-temps, de représenter indirectement les idées dont les objets n’ont point de forme, par l’image d’objets physiques ayant certains rapports vrais ou faux avec les objets des idées purement abstraites, dont ces objets physiques devenaient par cela même des signes indirects.

79. On put donc trouver également facile, convenable et même naturel, d’exprimer tel ou tel son par l’image d’un objet physique auquel le son à peindre se rapportait plutôt qu’à tout autre dans la langue parlée ; et le but se trouva atteint, lorsque l’Égyptien eut conçu et éprouvé la possibilité de représenter indirectement, ou plutôt de rappeler le souvenir de chaque son de sa langue, par l’image d’objets matériels dont le signe oral ou mot qui les exprimait dans la langue égyptienne, contenait en première ligne le son qu’il s’agissait de peindre.

Ainsi, l’image d’un aigle, en langue égyptienne, Ⲁϩⲱⲙ ou Ⲁϧⲱⲙ (ahôm, akhôm), devint le signe de la voyelle  ; un petit vase ou cassolette Ⲃⲣⲃⲉ (berbe), le signe de la consonne  ; une main Ⲧⲟⲧ, le signe de la consonne  ; une hache Ⲕⲉⲗⲉⲃⲓⲛ (kelebin), le signe de la consonne  ; un lion ou une lionne, Ⲗⲁⲃⲟ (labo), le signe de la consonne  ; une espèce de chouette, appelée nycticorax par les Grecs, et Ⲙⲟⲩⲗⲁϫ (mouladj) par les Égyptiens, le signe de la consonne  ; une flûte Ⲥⲏⲃⲓⲛϫⲱ (sébiandjo), le signe de la consonne  ; une bouche Ⲣⲱ (ro), le signe de la consonne  ; l’image abrégée d’un jardin, Ϣⲛⲏ (schné), le signe de la consonne Ϣ.

80. Tel fut, en effet, le principe qui présida au choix des images destinées à représenter les voix et les articulations des mots introduits dans le système hiéroglyphique ; tous ceux qui ont quelque teinture de la langue copte, laquelle est l’ancien égyptien écrit en lettres grecques, en comparant avec soin le grand nombre de mots grecs ou latins, soit noms propres, soit noms communs, soit adjectifs, dont j’ai découvert la transcription en caractères hiéroglyphiques, seront involontairement conduits à reconnaître comme moi ce principe de l’alphabet égyptien ; et si nous ne pouvons encore en montrer l’application dans plusieurs caractères dont la valeur, comme signes de consonnes ou de voyelles, est cependant certaine, cela tient à deux raisons principales : la première, c’est que nous ne savons point d’une manière positive quel est l’objet physique dont le caractère retrace la forme ; et la seconde, que nos dictionnaires coptes n’étant point encore assez complets, peuvent ne point renfermer le mot égyptien exprimant l’objet dont le caractère emprunte la forme.

81. Accrue de ce nouvel ordre de signes, l’écriture hiéroglyphique égyptienne resta toutefois parfaitement homogène, quant à ses formes matérielles ; elle n’employa toujours que des signes images d’objets physiques : mais les uns, les caractères figuratifs, exprimaient directement les objets mêmes dont ils retraçaient l’image ; les autres, les caractères tropiques ou symboliques, exprimaient indirectement des idées avec lesquelles l’objet qu’ils imitaient dans leur forme n’avait que des rapports fort éloignés ; et les caractères phonétiques n’exprimaient ni directement ni indirectement des idées, mais seulement des voix et des articulations simples.

82. L’existence de cette troisième classe de caractères dans l’écriture hiéroglyphique égyptienne, ne pouvant plus être mise en question, on cherche naturellement à fixer ses idées sur l’époque de l’invention de ces caractères. Il serait, sans doute, fort intéressant de savoir si les Égyptiens ont usé d’abord d’une écriture seulement figurative et symbolique, et de connaître les circonstances qui ont conduit ce peuple à introduire des signes de sons dans ce système graphique ; mais nous avons vu[66] que les plus anciens monumens connus nous montrent déjà les signes phonétiques mêlés dans toutes les inscriptions avec les signes figuratifs et les signes symboliques. Un seul fait ressort de cette observation, c’est la très-haute antiquité de la présence des signes phonétiques dans l’écriture sacrée.

83. Le principe de l’écriture phonétique égyptienne étant ainsi posé, comme les faits l’établissent : Une voix ou une articulation peut avoir pour signe l’image d’un objet physique dont le nom, dans la langue parlée, commence par la voix ou l’articulation qu’il s’agit d’exprimer ; il s’ensuivit nécessairement qu’une consonne ou une voyelle put être exprimée par les images d’une foule d’objets différens, avec la seule condition que les noms usuels de ces objets eussent pour initiale, dans la langue parlée, cette même voix ou cette même articulation.

Nous avons vu, en effet, que l’articulation R, par exemple, était représentée dans les noms propres d’empereurs romains, écrits en hiéroglyphes, tantôt par l’image d’une bouche, Ⲣⲱ (rô), tantôt par une larme, ⲣⲙⲉⲓⲏ, ⲣⲓⲙⲉ (rmeiê), et ailleurs par l’image d’une fleur de grenade, ⲣⲟⲙⲁⲛ, ⲣⲙⲁⲛ (roman, rman) ; l’articulation est figurée ici par l’image d’une hache, ⲕⲉⲗⲉⲃⲓⲛ, kelebin ; là, par celle d’une coiffure ou capuchon, ⲕⲗⲁϥⲧ (klaft) ; et dans d’autres noms, par l’image d’un genou, ⲕⲉⲗⲓ (kéli), &c.

Ces variations de signes et cet échange perpétuel de caractères n’apportaient aucun embarras dans la lecture, aucune incertitude sur le son exprimé, parce que le principe dont cette abondance de signes tirait son origine, était immuable et rigoureusement posé. Nous avons donné le titre d’homophones à tous les signes phonétiques destinés à représenter une même voix ou une même articulation.

84. Quoique j’aie déjà reconnu la nature phonétique de plus de cent caractères hiéroglyphiques[67], je regarde toutefois comme certain que le nombre des signes affectés à chaque voyelle ou consonne n’était point aussi étendu ni aussi variable qu’on pourrait d’abord le supposer. On verra des preuves directes de cette assertion, si l’on compare les noms et mots exprimés phonétiquement sur les plus anciens édifices de l’Égypte, avec ceux que nous trouvons sur les plus récens. Des images semblables y sont habituellement employées comme signes des mêmes consonnes et des mêmes voyelles, quoique l’époque où l’on grava les uns soit souvent séparée par plus de vingt siècles de celle où l’on grava les autres. Nous avons également fait remarquer dans notre chapitre III[68], que la plupart des caractères reconnus pour être phonétiques dans la transcription hiéroglyphique des noms propres grecs et latins, se trouvent reproduits sans cesse dans les textes hiéroglyphiques de tous les âges, où ils conservent aussi leur valeur phonétique, comme le prouve leur fréquente permutation avec des caractères homophones[69].

85. Les caractères phonétiques égyptiens tenaient à un système véritablement alphabétique, comme celui des Arabes actuels et ceux des anciens peuples de l’Asie occidentale, les Hébreux, les Syriens et les Phéniciens. On ne peut, sous aucun rapport, les considérer comme des signes syllabiques proprement dits. Les faits sur lesquels ces conclusions reposent ont été exposés et développés dans le chapitre III de cet ouvrage[70]. On se contentera de rappeler ici que nous avons retrouvé les noms des dieux, ceux des souverains et des simples particuliers, des noms communs, des verbes, des adjectifs, des pronoms et des prépositions, exprimés en hiéroglyphes alphabétiques répondant aux voix et aux articulations de ces mots, à l’exception toutefois de certaines voyelles médiales, qui ne sont point représentées dans beaucoup d’entre eux : mais il en est également ainsi dans les écritures phénicienne, hébraïque et arabe.

86. Le motif déterminant de ces peuples, pour n’écrire habituellement que les consonnes et les principales voyelles des mots, fut sans doute le même qui guidait les Égyptiens dans une semblable pratique. Mais quel fut ce motif ? J’ignore si l’on a, à cet égard ; des raisons plus positives à alléguer que le son vague des voyelles dans les langues parlées de ces peuples ; voyelles qui n’ont point un son aussi brillant et aussi décidé que celui des langues de notre Europe méridionale. Le son des voyelles est si fugitif, et la manière de prononcer celles d’un même mot varie tellement d’un canton à l’autre, et souvent même d’un individu à un autre, qu’il était naturel, lors de la création des alphabets égyptien, phénicien, hébreu, syrien, &c. ; de n’accorder qu’une importance bien secondaire à l’expression des voyelles.

87. Quant à la suppression des voyelles médiales dans la peinture des mots, d’après la méthode égyptienne, on pourrait s’en rendre raison, en considérant qu’à l’époque de l’invention des caractères phonétiques, il existait au moins un aussi grand nombre de dialectes ou de manières différentes de prononcer les mots de la langue, qu’il en put exister après cette invention ; et croire, puisque les différences entre les trois dialectes encore connus de la langue égyptienne consistent en très-grande partie dans des nuances de voyelles, que le créateur du système alphabétique égyptien put, à cause de cela, négliger la notation des voyelles, pour s’occuper plus spécialement des consonnes, sujettes à bien moins de variations.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas moins vrai de dire qu’un texte hiéroglyphique convenait, même dans sa partie phonétique, à tous les habitans de l’Égypte, qu’ils parlassent soit le dialecte thébain, soit le dialecte memphitique, soit le dialecte dit baschmourique, en supposant, ce qui peut être prouvé pour une époque assez ancienne, que l’existence de ces trois dialectes fût contemporaine de l’usage de l’écriture hiéroglyphique. Les différences de dialecte disparaissent, en effet, dans les mots égyptiens écrits en caractères phonétiques.

1.o La consonne des mots du dialecte thébain se change en dans le memphitique, et nous avons vu qu’un seul et même caractère hiéroglyphique exprime à-la-fois le et le des noms propres grecs transcrits en hiéroglyphes.

2.o Les consonnes et du thébain sont souvent remplacées par le et le dans le memphitique ; un seul hiéroglyphe phonétique représente les consonnes et , comme un autre les consonnes et .

3.o La consonne des mots thébains et memphitiques devient dans le dialecte dit baschmourique, et nous avons vu aussi que le signe hiéroglyphique de la consonne L, le lion couché, représentait indifféremment le et le des noms et des mots grecs, et qu’à leur tour, les signes hiéroglyphiques de la consonne R, la bouche et ses homophones, représentaient parfois aussi la consonne L.

4.o Enfin, les signes hiéroglyphiques des voyelles ont une valeur tellement vague, qu’ils se permutent presque indifféremment les uns pour les autres, un même caractère exprimant dans diverses occasions les voyelles E, H ou I, et un autre les voyelles A, E, O ou Ω ; de leur côté, les dialectes diffèrent sur-tout par la permutation constante de ces mêmes voyelles.

Avec de telles nuances dans la prononciation de certains caractères phonétiques, il arriva nécessairement qu’un même texte hiéroglyphique pouvait être lu sans difficulté par trois hommes parlant chacun un des trois dialectes de la langue égyptienne : ce fait nous a paru digne de quelque attention.

88. On ne peut d’ailleurs douter un seul instant que les Égyptiens ne se soient jadis servis d’un alphabet dont les signes vocaux étaient fort vagues, et qu’ils n’aient eu aussi l’habitude de supprimer, en écrivant, la plupart des voyelles médiales ; il suffit de jeter les yeux sur les textes coptes thébains, c’est-à-dire, sur les textes égyptiens écrits en lettres grecques : on y remarque en effet encore la suppression habituelle de certaines voyelles médiales ; on y trouve plusieurs mots écrits sans une seule voyelle et avec des consonnes seulement, tels que ⲙⲛ et, avec, ⲙⲛⲧ attribution, ⲣⲙ habitant, ⲥⲛⲧ créer, ⲧⲙ fermer, ⲥⲧⲙ entendre, ⲛⲧⲕ toi, &c ; d’autres mots enfin y sont écrits avec plusieurs voyelles différentes, sans que leur sens en soit aucunement modifié.

89. Tels sont les divers points de vue sous lesquels l’observation d’une série de faits positifs nous montre la troisième classe de caractères employée dans l’écriture sacrée des Égyptiens. L’admission des signes phonétiques compléta ce système ; et si quelque chose d’inhérent à ce même système peut encore étonner notre raison et se montre étranger à nos idées actuelles sur les écritures alphabétiques, c’est sans contredit le grand nombre seul de caractères très-variés que les Égyptiens employèrent simultanément pour exprimer un même son.

C’est sur-tout à cette persistance bien remarquable des Égyptiens à n’introduire dans leur écriture, même pour peindre les sons, que des caractères images d’objets naturels (ce qui toutefois était bien conforme au principe fondamental de cette même écriture, suprà, 44, 47 et 48), qu’il faut particulièrement attribuer l’opinion erronée qui nous a été transmise presque unanimement par les auteurs anciens ; opinion d’après laquelle l’écriture hiéroglyphique égyptienne aurait été formée seulement de signes figuratifs des objets et de signes n’exprimant les idées que d’une manière symbolique ou énigmatique : telles sont du moins les données générales que les savans modernes peuvent retirer de tout ce qu’ont écrit sur ce système hiéroglyphique les Grecs et les Romains, qui ne portèrent jamais dans l’étude des langues et des écritures des peuples orientaux, autant de soin et d’esprit d’analyse que le font les Européens actuels. Un seul auteur grec, comme on le verra bientôt, a démêlé et signalé, dans l’écriture égyptienne sacrée, les élémens phonétiques, lesquels en sont, pour ainsi dire, le principe vital. Les recherches des modernes, partant des seules données fournies par les auteurs classiques, n’ont pu, pour cela même, conduire à des résultats positifs.

90. Mais puisqu’un aussi grand nombre de caractères destinés à rendre le même son, est un vice facile à apercevoir dans une écriture quelconque, il faut croire que les anciens Égyptiens savaient tirer de cette faculté d’exprimer un même son par une foule de caractères-images très-différens les uns des autres, certains avantages qui balançaient, à leur avis du moins, l’inconvénient de cette surabondance des signes.

Je crois, en effet, avoir acquis la conviction que, de cette faculté reconnue de représenter un même son par une foule de signes-images tout-à-fait différens, les Égyptiens surent tirer un avantage singulier et bien approprié au génie que leur prête l’antiquité entière : ce fut de symboliser une idée au moyen des caractères mêmes qui représentaient d’abord le son du mot signe de cette idée dans la langue parlée ; ils purent, en conséquence, pour écrire les sons principaux et toutes les articulations d’un mot, choisir parmi les divers caractères homophones qu’ils étaient les maîtres d’employer, ceux qui, dans leur forme, représentaient des objets physiques en relation directe ou conventionnelle avec l’idée signifiée par le mot dont ces mêmes caractères servaient d’abord à exprimer la prononciation.

Ainsi, par exemple, ils auraient de préférence exprimé le du mot ⲥⲓ ou ⲥⲉ (si, sé), fils, enfant, rejeton, nourrisson, par le caractère ovoïde[71], parce qu’il représente un germe, une graine, une semence, en langue égyptienne ⲥⲓϯ (siti), ou un grain de froment, ⲥⲟⲩⲟ (souô) ; dans le groupe ⲥⲉ se ou ϣⲉ sché[72], qui a la même valeur, ils auraient employé l’oie ou chénalopex, parce qu’ils avaient remarqué, selon Horapollon, que cet oiseau avait une très-grande tendresse pour ses petits : Υἱὸν δὲ βουλόμενοι γράψαι Χηναλώπεκα ζωγράφο‍υσι, τοῦτο γὰρ τὸ ζῶον Φιλοτεκνώτατον ὑπάρχει. « Voulant écrire fils, les Égyptiens peignent un chénalopex, parce que cet animal aime beaucoup ses petits[73]. »

Dans le nom propre phonétique du dieu Ⲛⲟⲩⲃ (Noub), le Chnubis des inscriptions grecques, les Égyptiens rendirent, 1.o l’articulation B par le bélier, plutôt que par ses homophones, la cassolette ou bien la jambe, parce que le bélier était lui-même le symbole du dieu Chnubis qui, sur les monumens, en emprunte la tête ; 2.o l’articulation N par un vase, plutôt que par tout autre de ses nombreux homophones, puisque le dieu Chnoubis était ordinairement représenté avec un vase de terre à ses pieds, vase dont il aurait créé l’homme, si l’on adoptait certaines corrections dans le passage d’Eusèbe, qui n’est pas fort clair quant à la destination du vase seulement.

Le lion, signe tropique de la force et du courage, dans l’idée de tous les peuples qui ont connu ce superbe quadrupède, se montre dans les noms et les titres des Lagides et des souverains de race romaine, pour y exprimer les consonnes A ou P.

Dans les cartouches de Tibère-Claude, sculptés sur le portique d’Esné consacré au dieu Ammon-Chnoubis, le B du mot Tibère est rendu par le bélier, animal qui est le symbole propre du dieu principal du temple ; tandis que le Β de ce même nom propre Tibère est exprimé par des signes tout différens dans les sculptures du temple de Dendéra, consacré à Athôr, la Vénus égyptienne. D’un autre côté, l’articulation B du titre Σεβαστός, c’est-à-dire, auguste, vénérable, adorable, est ordinairement rendue, dans la transcription hiéroglyphique, par la cassolette ou encensoir, instrument d’adoration. J’ajoute enfin que, dans beaucoup, de noms et de titres impériaux romains, la voyelle A est exprimée par l’aigle (ⲁϧⲱⲙ Akhôm), symbole connu de la puissance romaine.

Ces exemples doivent donner une idée suffisante du procédé que les Égyptiens ont pu suivre à cet égard : ils surent ainsi tirer un parti ingénieux de la multiplicité même de leurs signes phonétiques. On sait d’ailleurs que les Chinois profitent, avec un égal avantage et d’une manière analogue, de leurs caractères hîng-chîng (suprà 69) employés, sous certaines conditions, à la transcription des noms propres et des mots étrangers à leur langue. Ces caractères, qui n’expriment alors qu’un son seulement, emportent avec eux, si on les prend dans leur sens figuratif, une idée en bonne ou en mauvaise part.

91. La tendance générale du système hiéroglyphique égyptien, quoique composé de trois ordres de signes essentiellement différens dans leur mode d’expression, semble donc avoir été de peindre, soit les objets des idées, soit les mots qui en sont les signes oraux, de manière à présenter le mieux possible, au propre ou au figuré, l’image même de ces objets ou celle de leurs qualités distinctives. Il dut résulter nécessairement de cette tendance, que certaines règles présidèrent, comme on vient de le voir, à la notation des sons des mots par le moyen de caractères-images. On dut donc choisir certains caractères phonétiques dans la table des homophones, et de préférence à tous les autres, pour les affecter plus particulièrement à la représentation des voyelles ou des consonnes de certains mots ; et de l’habitude contractée d’écrire tel ou tel mot par tels caractères phonétiques plutôt que par d’autres, il arriva qu’on put, sans de grands inconvéniens, et dans le but de rendre l’écriture plus expéditive, se contenter de tracer, soit le premier, soit les deux premiers signes, ou même le premier et le dernier signe phonétique d’un certain nombre de mots, et sur-tout de ceux qui revenaient le plus fréquemment dans un texte.

Quelle que puisse avoir été l’origine de ces abréviations, il est de fait qu’elles existent dans la plupart des inscriptions hiéroglyphiques[74] ; et l’on peut facilement en acquérir la conviction, en comparant, par exemple, deux manuscrits funéraires contenant les mêmes peintures et les mêmes légendes. La présence de ces abréviations, assez nombreuses dans les textes égyptiens, n’a pas peu contribué à faire croire à l’existence d’une énorme quantité de signes symboliques dans le système hiéroglyphique. La collation seule de plusieurs papyrus roulant sur une même matière, a pu nous avertir à cet égard, et nous donner la certitude que beaucoup de signes isolés, observés dans un texte, ne sont très-souvent que les signes initiaux de groupes phonétiques qu’un second texte nous montre complètement exprimés. Nous avons noté, dans notre Tableau général, plusieurs de ces abréviations ; elles y sont placées à la suite des groupes complets[75].

92. En résumé, ce sont aussi des faits matériels et leur étude qui, seuls, nous ont conduits à la connaissance de la nature phonétique d’une partie des élémens constitutifs du système hiéroglyphique. On sent que, par l’introduction de cette troisième classe de signes, l’écriture sacrée des Égyptiens fut complétée, et de plus que, possédant à-la-fois trois moyens différens pour exprimer les idées, les Égyptiens employèrent dans un même texte celui qui leur paraissait le mieux approprié à la représentation d’une idée donnée. Si l’objet d’une idée ne pouvait être clairement noté, soit en procédant en propre par un caractère figuratif, soit tropiquement par un caractère symbolique, l’écrivain recourait aux caractères phonétiques, lesquels suppléaient aisément à la représentation directe ou indirecte de l’idée, par la peinture conventionnelle du mot signe de cette même idée. Ainsi donc la série des caractères phonétiques fut le moyen le plus puissant et le plus usité du système graphique égyptien ; c’est par eux sur-tout que les idées les plus métaphysiques, les nuances les plus délicates de la langue, les inflexions, et enfin toutes les formes grammaticales [76], purent être exprimées en hiéroglyphes, à-peu-près avec tout autant de clarté qu’elles le sont, par exemple, au moyen du simple alphabet des Phéniciens ou des Arabes.

93. Il résulte enfin de tout ce qui précède, et avec une pleine évidence :

1.o Qu’il n’y avait point d’écriture égyptienne toute représentative, comme on a cru que l’était, par exemple, l’écriture mexicaine ;

2.o Qu’il n’existe point sur les monumens de l’Égypte, d’écriture régulière entièrement idéographique, c’est-à-dire, procédant par le mélange seul de caractères figuratifs et de caractères symboliques ;

3.o Que l’Égypte primitive ne se servit point d’écriture toute phonétique ;

4.o Mais que l’écriture hiéroglyphique est un système complexe, une écriture tout-à-la-fois figurative, symbolique et phonétique, dans un même texte, une même phrase, je dirais presque dans le même mot.


§. IX. Concordance de ces résultats avec les témoignages de l’antiquité.


94. Les anciens qui ont parlé de l’écriture hiéroglyphique, ne nous avaient pas, jusqu’ici, conduits à cette distinction fondamentale de trois espèces de signes. Il est vrai qu’aucun de ces auteurs, soit grec, soit romain, ne s’était proposé de transmettre à la postérité une définition complète et développée de ce système graphique. Clément d’Alexandrie s’est, lui seul, occasionnellement attaché à en donner une idée claire ; et ce philosophe chrétien était, bien plus que tout autre, en position d’en être bien instruit.

Lorsque mes recherches et l’étude constante des monumens égyptiens m’eurent conduit aux résultats précédemment exposés, je dus revenir sur ce passage de Clément d’Alexandrie, que j’ai souvent cité, pour savoir si, à la faveur des notions que j’avais tirées d’un examen soutenu des inscriptions hiéroglyphiques, le texte de l’auteur grec ne deviendrait pas plus intelligible qu’il ne l’avait paru jusque-là. J’avoue que ses termes me semblèrent alors si positifs et si clairs, et les idées qu’il renferme si exactement conformes à ma théorie de l’écriture hiéroglyphique égyptienne, que je dus craindre aussi de me livrer à une illusion et à un entraînement dont tout me commandait de me défier. Je recourus alors à d’autres lumières ; j’eus l’occasion d’en conférer avec M. Letronne : ce savant helléniste se chargea d’examiner le passage de Clément avec réflexion, et voici la traduction et le commentaire qu’il a bien voulu me communiquer.

TEXTE
DE CLÉMENT D’ALEXANDRIE[77].
TRADUCTION.
Αὐτίκα οἱ παρ’ Αἰγυπτίοις παιδευόμενοι, πρῶτον μὲν πάντων τὴν Αἰγυπτίων γραμμάτων μέθοδον ἐκμανθάνουσι, τὴν ἐπιστολογραφικὴν καλουμένην· δεύτερον δὲ, τὴν ἱερατικὴν, ᾗ χρῶνται οἱ ἱηρογραμματεῖς· ὑστάτην δὲ καὶ τελευταίαν τὴν ἱερογλυφικὴν, ἧς ἣ μέν ἐστι διὰ τῶν πρώτων στοιχείων κυριολογική ; ἣ δὲ συμβολική. Τῆς δὲ συμβολικῆς ἣ μὲν κυριολογεῖται κατὰ μίμησιν, ἣ δ’ ὥσπερ τροπικῶς γράφεται, ἣ δὲ ἄντικρυς ἀλληγορεῖται κατά τινας αἰνιγμούς. Ἥλιον γοῦν γράψαι βουλόμενοι κύκλον ποιοῦσι, σελήνην δὲ σχῆμα μηνοειδὲς, κατὰ τὸ κυριολογούμενον εἶδος· Τροπικῶς δὲ κατ’ οἰκειότητα μετάγοντες καὶ μετατιθέντες, τὰ δ’ ἐξαλλάττοντες, τὰ δὲ πολλαχῶς μετασχηματίζοντες χαράττουσιν. Τοὺς γοῦν τῶν βασιλέων ἐπαίνους θεολογουμένοις μύθοις παραδιδόντες, ἀναγράφουσι διὰ τῶν ἀναγλυφῶν. Τοῦ δὲ κατὰ τοὺς αἰνιγμοὺς τρίτου εἴδους δεῖγμα ἔστω τόδε· τὰ μὲν γὰρ τῶν ἄλλων ἄστρων, διὰ τὴν πορείαν τὴν λοξὴν ὄφεων σώμασιν ἀπείκαζον, τὸν δὲ Ἥλιον τῷ τοῦ κανθάρου. « Ceux qui parmi les Égyptiens[78] reçoivent de l’instruction, apprennent d’abord le genre d’écriture égyptienne qu’on appelle épistolographique : [ils apprennent] en second lieu l’hiératique, dont se servent les hiérogrammates ; et enfin l’hiéroglyphique. »

» L’hiéroglyphique [est de deux genres], l’un exprimant au propre les objets par LES LETTRES, l’autre les représentant par des symboles.

» L’hiéroglyphique SYMBOLIQUE [se subdivise en plusieurs espèces] : l’une représente les objets au propre par imitation ; l’autre les exprime tropiquement ; la troisième, au contraire, les rappelle au moyen de certaines allégories énigmatiques. Ainsi, d’après la méthode de représenter les objets au propre, les Égyptiens veulent-ils écrire le soleil, ils font un cercle ; la lune, ils tracent la figure d’un croissant. Dans la méthode tropique, ils représentent les objets au moyen d’analogies (ou de propriétés semblables), qu’ils transportent dans l’expression de ces objets, tantôt par des modifications [de forme], tantôt et plus souvent par des transformations totales. Ainsi, ils représentent par des anaglyphes [bas-reliefs allégoriques], les louanges de leurs rois, quand ils veulent les faire connaître au moyen de mythes religieux. Voici un exemple de la troisième espèce [d’écriture hiéroglyphique] qui emploie des allusions énigmatiques : les Égyptiens figurent les astres [planétaires] par un serpent, à cause de l’obliquité de leur course ; mais le soleil est figuré par un scarabée.

Voici le commentaire que M. Letronne a joint à sa traduction :

« Les termes κυριολογία, κυριολογικὸς, κυριολογεῖσθαι, s’entendent des expressions propres et caractéristiques pour désigner les objets ; ces mots s’emploient par opposition aux termes figurés ou aux périphrases ; ainsi Longin ou l’auteur quelconque du traité du Sublime : οὕτως ἡ περίφρασις πολλάκις συμφθέγγεται τῇ κυριολογίᾳ. (Subl. xxviii, i.) On trouvera beaucoup d’exemples dans Henri Étienne.

» On voit donc que Clément d’Alexandrie, par les mots ἡ δία τῶν πρώτων στοιχείων κυριολογικὴ, désigne un genre d’écriture qui exprimait au propre les objets δία τῶν πρώτων στοιχείων. Il ne s’agit plus que de savoir ce que signifient les mots τὰ πρῶτα στοιχεῖα en cet endroit, et c’est ce que va nous apprendre l’analyse plus détaillée de ce passage, que l’on ne paraît pas avoir compris, parce qu’on a confondu les expressions génériques avec les expressions spécifiques.

» Il est clair, en effet, que Clément admet trois genres d’écriture égyptienne :

» Ἐπιστολογραφικὴ,

» Ἱερατικὴ,

» Ἱερογλυφική.

» Sur les deux premiers genres, il ne donne aucun détail ; il ne s’occupe que du dernier, savoir, l’hiéroglyphique.

» L’hiéroglyphique se subdivise en deux espèces : celle que l’auteur désigne par les mots ἡ δία τῶν πρώτων στοιχείων κυριολογικὴ, et celle qu’il appelle συμβολική : il ne dit rien de la première ; mais il entre dans quelques détails sur la seconde, qu’il subdivise en trois espèces secondaires, qu’on pourrait appeler, d’après lui, κυριολογικὴ κατὰ μίμησιν, τροπικὴ, et αἰνιγματώδης : de sorte qu’on a le tableau synoptique suivant, comprenant tous les genres et espèces d’écriture :

Εἴδη τῶν Αἰγυπτίων γραμμάτων ἐπιστολογραφικὴ
ἱερατικὴ
ἱερογλυφική κυριολογικὴ δία τῶν πρώτων στοιχείων.
συμβολική κυριολογικὴ κατὰ μίμησιν.
τροπική.
αἰνιγματώδης

De cette classification, que je crois exacte, je conclus que les mots ἡ διὰ τῶν πρώτων στοιχέιων κυριολογικὴ désignent une des deux espèces de caractères hiéroglyphiques ; il faut donc que cette espèce consiste, selon sa dénomination même, dans une expression au propre (κυριολογικὴ) des objets, au moyen d’une combinaison quelconque de certains caractères sacrés (ἱερὰ γράμματα) : mais, quels caractères employait-elle ? τὰ πρῶτα στοιχεῖα, dit l’auteur, mots qui désignent en grec les lettres de l’alphabet (prima elementa litterarum)[79] ; et il me semble que ces mots, appliqués à l’écriture hiéroglyphique, ne peuvent s’entendre que des hiéroglyphes employés comme lettres ; ce qui caractérise clairement les hiéroglyphes phonétiques.

Il est remarquable qu’entendu de cette manière, le passage de Clément d’Alexandrie rentre dans les faits actuellement connus, puisqu’on admet maintenant deux modes d’écriture hiéroglyphique, l’une phonétique, l’autre symbolique ; mais peut-être qu’avant la découverte de la première, il était impossible d’entendre cette phrase du texte de Clément d’Alexandrie, dont le sens me paraît maintenant assez clair[80].

L’auteur caractérise ensuite les trois espèces d’écriture symbolique. La première (ἡ κυριολογικὴ κατὰ μίμησιν) est indiquée avec précision, tant par ces mots eux-mêmes, que par les deux exemples que donne l’auteur : on voit qu’elle consiste à représenter au propre (κυριολογεῖσθαι) un objet, en imitant (κατὰ μίμησιν) sa forme. Cette forme n’étant qu’un des attributs de l’objet, en est une sorte de symbole : c’est donc avec raison que Clément d’Alexandrie range ce genre d’expression dans la symbolique.

La seconde espèce est fort obscurément définie, et l’exemple n’est peut-être pas beaucoup plus clair que la définition : je crois cependant ma traduction exacte. Ce que ce passage présente de curieux, entre autres choses, c’est qu’il paraît que les anaglyphes ou bas-reliefs allégoriques étaient, en certains cas, considérés comme une sorte d’écriture symbolique, en ce sens, qu’ils exprimaient des idées par des actions : ce qui m’explique l’impression que j’avais retirée de l’examen des sculptures égyptiennes, et que j’ai rendue en ces termes dans mes Considérations historiques sur l’état des arts, &c., depuis Cambyse jusqu’au siècle des Antonins :

… La sculpture et la peinture ne furent plus qu’un langage dont la grammaire et le dictionnaire furent fixés sans retour : de là vient que certains bas-reliefs paraissent n’être que des hiéroglyphes en grand, et que certains hiéroglyphes semblent être de la sculpture réduite à de petites dimensions. On dirait souvent deux idiomes qui se confondent et se font des emprunts mutuels.

Les mots τοὺς γούν τῶν βασιλέων ἐπαίνους θεολογουμένοις μύθοις παραδίδοντες ne sont pas clairs : j’ai entendu les trois derniers, dans le même sens que χαφη παραδιδόναι, en latin, tradere litteris.

Il n’y a nulle obscurité dans ce que l’auteur dit de la troisième espèce. »

Ainsi donc Clément d’Alexandrie développe l’ensemble et les détails de tout le système graphique des Égyptiens, sous le même point de vue que les monumens, mes seuls guides, ont dû me l’offrir ; et l’analyse qu’il présente, en particulier, des élémens de l’écriture hiéroglyphique, est entièrement conforme à celle qui est résultée de mes recherches. J’ai reconnu, comme ce savant père,

1.o Trois différentes espèces d’écritures chez les Égyptiens[81], savoir :

A. L’écriture vulgaire, que j’ai appelée démotique d’après Hérodote, et que Clément a nommée épistolographique ;

B. L’écriture sacerdotale, que je désigne également sous le nom d’écriture hiératique ;

C. L’écriture hiéroglyphique, qui est l’écriture égyptienne monumentale.

2.o Que l’écriture hiéroglyphique procédait de plusieurs manières différentes dans l’expression des idées.

3.o Qu’elle procédait premièrement, au propre de toute écriture, en exprimant les objets par la peinture de leurs noms, au moyen de caractères phonétiques[82] ou de caractères signes de sons et de prononciations. Cette méthode hiéroglyphique est appelée par Clément d’Alexandrie, κυριολογικὴ διἁ τῶν πρώτων στοιχείων, c’est-à-dire, s’exprimant au propre par le moyen de lettres. J’ai cité un très-grand nombre d’exemples de l’emploi de ces caractères alphabétiques[83].

4.o Qu’elle procéda, en second lieu, par la représentation même des objets, au moyen de caractères purement figuratifs : c’est là, sans aucun doute, la méthode hiéroglyphique nommée κυριολογικὴ κατὰ μίμησιν[84].

5.o Qu’elle employa des caractères symboliques ou exprimant indirectement les objets par synecdoche, par métonymie, ou par des métaphores plus ou moins faciles à saisir[85]. Clément d’Alexandrie a désigné cette troisième méthode hiéroglyphique par la qualification de symbolique tropique.

6.o Enfin, le même auteur mentionne une méthode hiéroglyphique procédant à l’expression des idées par le moyen de certaines énigmes, κατά τινας αἰνιγμοὺς, et nous avons compris les signes de ce genre, tout en les distinguant, sous la dénomination générale de caractères symboliques[86]. Cette complète concordance de mes résultats, avec les seuls documens un peu détaillés que l’antiquité nous ait transmis sur l’écriture hiéroglyphique égyptienne, est bien digne de remarque, et donne dès ce moment même, à ces résultats, un poids et une consistance qu’ils n’auraient dû attendre que d’une longue série d’applications.


§. X. De l’emploi et des diverses combinaisons des trois espèces de caractères.


Après avoir reconnu, d’une manière certaine, les différentes classes de caractères, élémens premiers de l’écriture hiéroglyphique, il était urgent de chercher à saisir quelques-unes des lois qui présidaient à leurs combinaisons, et les alliances que ces signes, si opposés dans leur nature, pouvaient contracter entre eux ; il devrait résulter en effet de ces notions une connaissance générale des divers ordres d’idées que chaque classe de caractères était destinée à exprimer d’une manière plus ou moins spéciale.

95. Il n’est plus douteux, d’abord, que toute inscription hiéroglyphique, quelque peu étendue qu’elle soit, présente un mélange constant des trois ordres de signes. On retrouve dans tous les textes les caractères figuratifs, les caractères symboliques et les caractères phonétiques perpétuellement entremêlés, et concourant, chacun à leur manière et selon leur essence, à l’expression des idées dont il s’agissait de perpétuer le souvenir.

96. On a dû remarquer en effet que, dans le système hiéroglyphique, il arrivait qu’une même idée pouvait être exprimée, sans qu’il en résultât le moindre inconvénient pour la clarté, par trois méthodes diverses et au choix de celui qui tenait le pinceau. S’il fallait, par exemple, mentionner dans un texte la divinité suprême de Thèbes, Amon, Amen ou Amman, l’hiérogrammate était le maître de signaler l’idée de ce dieu, soit figurativement, en retraçant en petit l’image même de cet être mythique, telle qu’on la voyait dans les temples de la capitale[87] ; soit symboliquement, en dessinant les formes d’un obélisque[88] ou celles du bélier sacré[89], emblèmes d’Amon ; soit enfin phonétiquement, en écrivant les trois caractères de son, signes de la voix initiale et des deux articulations qui constituent le nom divin Ⲁⲙⲛ (Amon) lui-même[90]. Des procédés semblables pouvaient être suivis, lorsqu’il était question de rappeler l’idée de la plupart des dieux et des déesses de l’Égypte, dont j’ai en effet déjà retrouvé à-la-fois les noms figuratifs, symboliques et phonétiques. On a reconnu, dans l’analyse des légendes royales ou impériales hiéroglyphiques, une foule d’exemples de caractères ou de signes de ces trois natures, groupés ensemble et exprimant tous une seule et même idée, quoique par une méthode différente.

97. Mais il ne faut point conclure de ce fait, qu’il fût en la puissance de l’écriture hiéroglyphique de rendre toutes les idées de trois manières différentes, au moyen de signes ou de groupes puisés successivement dans les trois classes de caractères. Cela n’arrivait que pour une série assez bornée d’idées, du nombre de celles qui se rapportent directement à la religion, à la doctrine sur l’état futur de l’ame, ou à chaque dieu en particulier.

98. Les caractères symboliques semblent avoir été plus spécialement consacrés à la représentation des idées abstraites qui étaient du domaine de la religion et de la puissance royale : telles sont par exemple, dans l’inscription de Rosette, les idées Dieu, immortalité, vie divine, puissance, bien, bienfait, loi ou décret, région supérieure, région inférieure, panégyrique, temple, &c. &c.

99. On employait quelquefois simultanément des caractères figuratifs et des groupes de signes phonétiques, pour peindre une même idée ; l’expression des uns était alors renforcée, pour ainsi dire, par celle des autres. Voyez les noms phonétiques de divinité Ⲡⲧϩ, Ⲁⲙⲛ et Ⲧϥⲛⲧ, Phtha, Amon et Tafnet[91], suivis du caractère figuratif représentant au propre ces mêmes personnages mythiques.

100. Certaines idées étaient exprimées aussi par l’union d’un caractère figuratif avec un caractère symbolique ; mais les groupes de ce genre ne paraissent point avoir été nombreux. Nous citerons pour exemple le n.o 283 du Tableau général, groupe qui signifie temple, et qui se compose du caractère figuratif édifice ou habitation (n.o 282), et du caractère symbolique dieu (n.o 226), c’est-à-dire, habitation d’un dieu ; souvent aussi le caractère symbolique est inscrit dans le caractère figuratif (n.o 284).

101. D’autres objets paraissent avoir été désignés par la combinaison d’un caractère figuratif et d’un groupe phonétique : tel est, par exemple, le nom de la ville de Memphis[92] en écriture sacrée. Ce nom se forme du caractère figuratif habitation, demeure ou enceinte (n.o 282), et du nom phonétique du dieu Phtha : ces signes ainsi rapprochés signifient rigoureusement demeure de Phtha, habitation de Phtha. Nous savons en effet, par les anciens auteurs, que la divinité spéciale de Memphis fut Phtha, l’Ηφαιστος des Grecs et le Vulcain des Romains. Je crois avoir reconnu également, dans les textes hiéroglyphiques, quelques autres noms de villes égyptiennes, formés d’élémens de même nature que ceux du nom sacré de Memphis, et contenant, comme ce dernier, des noms de divinités. Cela m’a conduit à considérer les noms propres de villes égyptiennes que nous trouvons dans les textes coptes, et qui, pour la plupart, ont été adoptés par les Arabes, tels que Ⲙⲉⲙⲃⲉ Memphis, Ⲱⲛ Heliopolis, Ⲡⲁⲡⲕ Thèbes, Ⲁⲧⲃⲱ Edfou, ⲥⲓⲱⲟⲩⲧ Osyouth, Ϣⲙⲟⲩⲛ Aschmounéin, &c., comme n’étant que les anciens noms vulgaires de ces villes, lesquelles, en écriture sacrée et dans le langage habituel des prêtres, portaient en même temps les noms théologiques, demeure de Phtha, demeure de Phrê (le soleil), demeure d’Amon, demeure d’Aroéris, demeure d’Anubis, demeure de Thoth, &c. ; noms sacerdotaux que les premiers Grecs qui visitèrent l’Égypte, philosophes voyageurs plus en rapport avec la caste sacerdotale qu’avec les autres castes de la nation égyptienne, apprirent directement des prêtres et s’efforcèrent de traduire en grec par Héliopolis, Diospolis, Apollonopolis, Lycopolis, Hermopolis, &c. ; mots avec lesquels les noms coptes ou anciens noms populaires de ces villes n’ont aucun rapport de signification.

102. Les caractères phonétiques, dont l’usage est très-fréquent dans les inscriptions et les textes sacrés de toutes les époques, étant rapprochés pour peindre les sons d’un mot, sont superposés les uns aux autres, selon que le permettent les proportions, soit en hauteur, soit en largeur, de chacun d’eux. Cet arrangement a passé dans l’écriture hiératique et jusque dans la démotique, où les signes se lient cependant plutôt, entre eux qu’ils ne se superposent. Cette disposition de signes est particulière aux écritures égyptiennes.

103. Les circonstances de temps, de genre, de nombre, de personne, et les divers rapports et formes de la grammaire, sont exprimés par des caractères phonétiques qui représentent les voix, les articulations, les syllabes ou les mots qui, dans la langue parlée, étaient les signes de toutes ces modifications des noms, des adjectifs, des verbes, &c. Notre Tableau général présente une série de signes et de groupes phonétiques exprimant des articles, des mots conjonctifs, conjonctifs-possessifs, des pronoms simples ou composés, certaines désinences du pluriel, des formes de verbes, des prépositions et des conjonctions[93].

104. Les signes grammaticaux phonétiques se joignent à des caractères figuratifs, à des caractères symboliques, répondant à des noms, à des verbes, à des adjectifs de la langue parlée, tout aussi bien qu’à des groupes phonétiques exprimant ces mêmes espèces de mots, et pour en indiquer, soit le genre, soit le nombre, soit la personne ou le temps.

105. Les caractères figuratifs et les caractères symboliques forment cependant quelquefois leur pluriel d’une manière toute particulière ; au lieu de prendre les mêmes terminaisons que les groupes phonétiques, ces deux classes de caractères passent à l’état de pluriel en se reproduisant deux et plus ordinairement trois fois de suite. Voyez dans notre Tableau général[94] plusieurs exemples de ce genre de pluriels on pourrait dire figuratifs.

106. On aura sans doute déjà remarqué diverses combinaisons de caractères phonétiques avec des caractères symboliques, dans la notation du très-grand nombre de noms propres que nous avons analysés dans notre sixième chapitre. La plupart des noms propres qui ne sont point entièrement phonétiques, sont composés d’un caractère symbolique exprimant le nom d’une divinité, précédé des conjonctifs-possessifs, ou articles possessifs phonétiques ⲡⲁ ou ⲫⲁ et ⲡⲧ[95], si le nom propre est masculin, et ⲧⲁ ou ⲧⲁ et ⲧⲡⲧ[96], si le nom propre est féminin.

107. Il ne faut point oublier sur-tout que les noms propres et toute autre espèce de mots sont souvent écrits dans un même texte, sur un même monument, de deux ou de trois manières différentes, Il est d’autant plus utile d’être prévenu de ces variations d’orthographe, si l’on peut s’exprimer ainsi, qu’elles peuvent conduire à de très-fausses conclusions dans l’étude de certains monumens. Nous ne citerons ici que deux exemples remarquables de cette habitude d’écrire un même nom propre avec des caractères très-variés.

L’Égyptien à la momie duquel se rapportait le grand manuscrit hiéroglyphique du cabinet du Roi, gravé dans la Description de l’Égypte[97], s’appelait, comme on l’a déjà dit[98], Pétamon, c’est-à-dire, celui qui appartient à Amon, Ammonien ; et ce nom propre est écrit de trois manières différentes dans ce même manuscrit.

Il s’y lit d’abord phonétiquement exprimé dans tout son entier[99] par le carré strié , le signe triangulaire dit le niveau , la feuille ou , le parallélogramme crénelé , et la ligne horizontale  ; ce qui produit Ⲡⲧⲁⲙⲛ ou Ⲡⲧⲉⲙⲛ, car la feuille est indifféremment ou dans les noms propres et mots égyptiens hiéroglyphiques. Mais comme, d’un autre côté, la feuille, le parallélogramme crénelé et la ligne horizontale ou brisée forment constamment, dans tous les textes de toutes les époques, le nom phonétique du dieu de Thèbes (Ammon),[100] qui paraît avoir été prononcé indifféremment Amon, Amoun, Amen et Emen ; et que, de plus, la valeur et la prononciation du monosyllabe ⲡⲧ (pet)[101] est invariable, le nom propre du manuscrit prononcé Pétamon, Pétamen ou Pétémen signifiera toujours celui qui appartient à Ammon, Ammonien.

Ce même nom propre est encore écrit phonétiquement, et toujours dans le même manuscrit[102], par le carré et le niveau, ⲡⲧ (pet) celui qui appartient à, celui qui est à ; mais le nom du dieu Amon, Amen ou Émen est simplement exprimé par le caractère elliptique, qui est un dans d’autres noms propres, et renfermant dans son intérieur la ligne horizontale ou brisée  : ce qui donne ⲡⲧⲙⲛ. Cette nouvelle orthographe, Pétémen ou Pétamen, est la moins usitée dans le manuscrit ; elle reparaît, avec une légère modification, dans la scène du jugement[103], au milieu de la légende écrite au-dessus de l’image du défunt Pétémen ou Pétamon lui-même, debout devant la balance infernale. Le de ce nom est ici rendu, non par le niveau, mais par son homophone, le bras soutenant le niveau, observé avec cette même valeur phonétique dans tant d’autres noms propres hiéroglyphiques[104].

Enfin, dans la plus grande partie des subdivisions du manuscrit[105], on trouve le nom du défunt écrit moitié phonétiquement et moitié symboliquement : partie phonétique, le carré et le niveau  ; partie symbolique, l’idée ou le nom du dieu Amon, Amen ou Émen, exprimé par l’image d’un obélisque[106].

On ne saurait douter d’ailleurs que les signes phonétiques répondant aux lettres coptes Ⲁⲙⲛ, Ⲉⲙⲛ et Ⲙⲛ, ainsi que le signe symbolique (l’obélisque), ne désignent un même personnage divin, Ammon, puisque ces divers caractères sont suivis, dans tout le texte du manuscrit (à l’exception de la légende placée au-dessus de la tête du mort dans la scène du jugement, l’espace ne l’ayant point permis), du titre ordinaire du dieu Ammon, seigneur des régions du monde, qui accompagne toutes les images de ce grand être cosmogonique, sculptées sur les monumens de l’Égypte[107]. Le signe d’espèce homme, qui caractérise tous les noms propres, et le groupe[108] qui suit habituellement les noms propres des défunts, ne sont placés qu’après ce titre qui se rapporte au dieu, dont le nom entre dans la composition du nom propre du mort. La légende funéraire est donc ainsi conçue : Osiris[109] ou l’Osirien Pétamon ( celui qui est à Amon), seigneur des régions du monde, homme (défunt), né de &c.

Depuis que l’impression du présent ouvrage est commencée, notre courageux voyageur M. Cailliaud a rapporté d’Égypte un monument du plus haut intérêt, et qui confirme, de la manière la plus complète, d’abord l’existence des signes phonétiques dans les trois systèmes d’écritures égyptiennes, et en particulier les fréquentes variations d’orthographe d’un même mot, au moyen de signes d’une forme ou d’une nature différente, dans un seul et même texte : il s’agit ici d’une momie égyptienne qui est du temps de la domination grecque ou même romaine. En examinant les inscriptions hiéroglyphiques qui la décorent, je reconnus promptement que ce défunt s’appelait Pétamon, Pétamen ou Pétémen (c’est-à-dire, celui qui appartient à Ammon), comme le défunt mentionné dans le grand manuscrit du cabinet du Roi ; et que, de plus, il était fils d’une femme nommée Cléopâtre ; et mes lectures se trouvèrent pleinement confirmées par les restes d’une inscription grecque, tracée à côté de l’une des légendes hiéroglyphiques, et dans laquelle, quoique très-altérée, on distingue encore fort bien les mots ΠΕΤΕΜΕΝΟΣ Ο ΚΑΙ ΑΜΜΩΝΙΟΣ ΜΗΤΡΟΣ ΚΑ……… Petémén-os qui est aussi Ammonius, fils de Cl…

Le nom propre hiéroglyphique de l’individu embaumé est écrit de deux manières, et par les mêmes signes que le nom du défunt mentionné dans le grand manuscrit hiéroglyphique du cabinet du Roi : 1.o par le carré strié, le bras soutenant le niveau et l’ellipse renfermant la ligne brisée, ce qui, d’après mon alphabet, donne en lettres coptes ⲡⲧⲙⲛ, Pétémen ou Pétamen[110], en suppléant les voyelles omises comme à l’ordinaire ; 2.o par les caractères phonétiques, le carré et le bras soutenant le niveau, , et par l’obélisque, signe symbolique du dieu Amon, Amen ou Émen (Ammon)[111], ce qui donne encore ⲡⲧⲁⲙⲛ, Pétamen, ou ⲡⲧⲉⲙⲛ, Pétémen.

On voit aisément que l’inscription grecque de cette momie contient, dans le mot ΠΕΤΕΜΕΝΟΣ, la transcription ou plutôt la prononciation du nom égyptien hiéroglyphique, accru de la terminaison grecque ΟΣ ; et de plus, dans le mot ΑΜΝΩΝΙΟΣ, donné formellement pour synonyme de ΠΕΤΕΜΕΝΟΣ, la traduction même du nom hiéroglyphique ⲡⲧⲙⲛ, Pétémen, ou ⲡⲧⲁⲙⲛ, Pétamen, celui qui appartient à Ammon. On ne pouvait en effet rendre mieux en langue grecque le sens de ce nom que par le mot Αμμωνιος, Ammonien.

Le nom de Cléopâtre, mère du défunt, est aussi écrit de deux manières, mais toujours phonétiquement ; d’abord par la hache Κ, la bouche Ρ ou Λ, le lituus Ο, le carré Π, la main Τ, la bouche Ρ, ce qui donne ΚΛΟΠΤΡ[112], et ces caractères sont suivis du segment de sphère , article féminin indiquant le genre du nom, et du caractère figuratif d’espèce, femme. Ailleurs ce nom est exprimé par les mêmes signes, sauf que le T du nom propre, au lieu d’être rendu par la main, l’est par le segment de sphère [113].

M. Cailliaud a trouvé, attaché à la première enveloppe de toile peinte qui couvre la momie, un petit rouleau de papyrus. Le nom de Pétémen en écriture démotique, et ce même nom en lettres grecques, ΠΕΤΕΜΕΝΟΣ, se lisent encore sur le bord extérieur du rouleau. L’intérieur, qui est en écriture hiératique, contient quelques prières adressées aux dieux en faveur de Pétémen ou Pétamon, dont le nom se lit dans les premières lignes, et n’est que la transcription hiératique du groupe hiéroglyphique répondant aux lettres coptes ⲛⲧⲁⲙⲛ[114]. Le nom hiératique de Cléopâtre, sa mère[115], transcrit en hiéroglyphes d’après le tableau synonymique des signes qui se correspondent de l’une à l’autre écriture, donnerait le groupe (Tableau général, n.o 219 d), en lettres coptes ⲕⲗⲟⲛⲧⲗ pour ⲕⲗⲟⲛⲧⲣ ; car j’ai déjà dit qu’un même caractère exprime à-la-fois, dans les alphabets égyptiens, les articulations L et R (suprà, pages 44, 47 et 63).

En ajoutant enfin que cette momie égyptienne, qui ne peut être antérieure à la domination des Grecs en Égypte, puisqu’on y lit des noms grecs, et qui, selon toute apparence, n’appartient même qu’à l’époque romaine, est renfermée dans une espèce de cercueil où, parmi d’autres peintures, on voit celle d’un zodiaque dont les signes, semblables dans leurs formes à ceux du zodiaque de Dendéra que j’ai prouvé être de l’époque romaine, sont aussi rangés dans le même ordre, le lion étant le premier et le cancer le dernier. On sentira qu’il était difficile de désirer, dans l’intérêt de mes travaux, un monument qui prouvât d’une manière plus positive la vérité de ma découverte des alphabets égyptiens hiéroglyphique et hiératique, ainsi que celle de la date récente que j’ai assignée, par le secours de ces mêmes alphabets, au zodiaque de Dendéra, et par suite à celui d’Esné.

En général, ces diverses manières d’écrire un même mot égyptien tenaient autant à une sorte d’élégance et de recherche qu’aux proportions de l’espace qui restait à remplir entre un groupe de signes et un autre.

108. Quoique les signes hiéroglyphiques aient des formes si bien distinctes et si bien arrêtées, qu’il semble impossible de penser à les lier ensemble comme les caractères des autres écritures, il arrive cependant que les textes présentent, quoique assez rarement, certains caractères liés entre eux de manière à former un tout qu’on pourrait prendre pour un seul signe. J’ai acquis la conviction que la plupart de ces groupes doivent leur origine au seul caprice de l’écrivain, puisque, ayant comparé beaucoup de textes roulant sur une même matière, je me suis constamment assuré que deux caractères liés dans un texte étaient tracés isolément dans l’autre. On trouvera dans la planche XV des exemples de ces ligatures[116] avec leur dédoublement : les caractères qui les forment sont presque toujours phonétiques.

109. Certains caractères symboliques ou même phonétiques, exprimant des qualifications, se lient quelquefois aussi avec des caractères figuratifs représentant l’objet qualifié. C’est ainsi, par exemple, que l’hiéroglyphe, Tableau général, n.o 445, caractère initial et abréviation du groupe 444 qui signifie grand, est uni au caractère figuratif habitation (n.o 282), pour exprimer l’idée de palais ou de grand édifice, Tableau général, n.o 286 ; ce même groupe (n.o 444) se place ailleurs sous le caractère figuratif, comme, par exemple, sous celui qui signifie statue, pour exprimer l’idée de colosse, (Tableau général, n.o 299.)

110. Beaucoup de caractères figuratifs, et quelques caractères symboliques, remplissent, outre leur valeur propre dans laquelle ils sont fréquemment employés, les fonctions de signes purement déterminatifs. Placés à la suite de certains caractères ou groupes de caractères, soit symboliques, soit phonétiques, exprimant des individus déterminés d’une espèce, ces caractères deviennent simplement les signes de l’espèce à laquelle appartient l’individu exprimé par le caractère symbolique ou le groupe phonétique. Ainsi, le caractère symbolique (n.o 226) dieu, et le caractère figuratif (n.o 229) dieu, soit isolés, soit réunis, terminent tous les noms propres de divinités mâles ; le groupe symbolico-phonétique (n.o 228) déesse, ou le caractère figuratif (n.o 231) signe de la même idée, se placent à la fin de tous les noms propres des déesses de l’Égypte. On a déjà remarqué que tous les noms propres de simples particuliers sont terminés, selon leur genre, par le signe d’espèce homme (n.o 245) ou femme (n.o 246). Nous citerons de plus, parmi les caractères employés comme signes d’espèce, le caractère figuratif ⲥⲓⲟⲩ, ⲥⲟⲩ, étoile (n.o 239), qui termine les noms des trente-six constellations dans les deux zodiaques de Dendéra ; les caractères figuratifs taureau et vache, qui suivent les noms propres des taureaux ou des vaches sacrées ; le caractère symbolique (n.o 240), région, qui termine tous les noms propres des soixante régions du monde ; enfin, le groupe (n.o 279), maison, demeure, qui accompagne, comme signe déterminatif, les groupes ou même les caractères figuratifs représentant des habitations divines ou humaines[117].

On comprendra facilement la nécessité de la plupart de ces caractères déterminatifs, si l’on considère que les noms propres égyptiens d’hommes, de dieux, d’animaux sacrés, de régions, &c., étaient tous significatifs par eux-mêmes, et qu’il importait d’avertir de leur état de noms propres dans certaines circonstances.

Telles sont les principales combinaisons matérielles des signes hiéroglyphiques des trois classes : les documens exposés dans ce paragraphe sont les seuls qu’il me soit permis de produire dans un ouvrage spécialement destiné à la seule recherche des principes généraux du système de l’écriture sacrée des Égyptiens.


§. XI. Liaison intime de l’Écriture hiéroglyphique avec les deux autres sortes d’écritures égyptiennes, et avec les anaglyphes.


On ne saurait lire le texte de Clément d’Alexandrie, cité dans le paragraphe IX de ce chapitre, sans conclure de l’ordre dans lequel les Égyptiens apprenaient successivement, selon ce savant père, leurs trois espèces d’écritures, 1.o l’épistolographique ou démotique, 2.o l’hiératique, et 3.o l’hiéroglyphique, que ces mêmes écritures avaient entre elles une certaine liaison, et que l’une des trois avait donné naissance aux deux autres, qui n’en auraient été que des modifications.

D’autre part, il est dans la nature des choses que les Égyptiens procédassent, dans l’étude de ces écritures, en remontant du plus simple au plus composé ; et, comme les théories les plus simples ne résultent jamais que du perfectionnement de théories d’abord très-compliquées, nous sommes conduits à déduire aussi de ce même texte, que l’écriture démotique était la plus simple des trois écritures, puisqu’on l’étudiait la première, qu’elle dérivait de l’hiératique, et que celle-ci n’était à son tour qu’une modification, qu’un premier abrégé de l’écriture hiéroglyphique la plus ancienne de toutes et l’origine première des deux autres.

Ces aperçus qui résultent du raisonnement seul, opérant sur des considérations générales, sont pleinement confirmés par l’examen des faits.

111. L’écriture hiéroglyphique pure était, comme on l’a vu, un système immense qui usait de près d’un millier de caractères différens, et chacun de ces caractères ne devait être clairement tracé que par des mains habiles dans l’art du dessin. Cette écriture ne put donc jamais devenir vulgaire ; mais ce désavantage, résultant d’une extrême surabondance de signes compliqués, était amplement racheté lorsqu’on employait l’écriture hiéroglyphique pure dans les innombrables inscriptions qui couvraient les monumens publics, par la richesse et la variété même de ces caractères images de toute la nature vivante et des plus nobles productions de l’art. L’écriture hiéroglyphique pure, et cette écriture seule parmi toutes celles qu’a pu inventer le génie de l’homme, fut, par cela même, éminemment monumentale et propre à décorer les édifices publics. Certaines séries de signes hiéroglyphiques, revêtus de couleurs variées, sont souvent tellement bien disposées, qu’elles produisent à l’œil un effet aussi riche que la plupart des ornemens de pure fantaisie qui décorent l’architecture des autres peuples. Ces mêmes séries de signes, tout en flattant l’œil, parlent encore à l’esprit ; nous font connaître l’origine et la destination des monumens qui les portent ; expriment des pensées religieuses, ou rappellent les actions mémorables des rois et la gloire de la nation qui les a fait construire.

L’emploi des hiéroglyphes purs sur les grandes constructions et sur les monumens publics de tous les genres, était donc très-convenable et n’offrait aucun désavantage réel sous le rapport du temps qu’exigeait l’exécution de ces caractères. Mais, si cette écriture eût été la seule usitée en Égypte pour les relations journalières et dans les usages privés, l’inconvénient de la complication de ses signes aurait été bien réel ; et une telle écriture, devenue forcément vulgaire, eût, sans aucun doute, retardé les progrès du peuple égyptien dans le développement de ses facultés intellectuelles, et arrêté sa marche vers une civilisation perfectionnée.

Il n’en fut point ainsi : les Égyptiens durent sentir de bonne heure la nécessité d’un système d’écriture plus expéditif et d’un usage plus facile. On songea donc à abréger considérablement le tracé des caractères hiéroglyphiques purs, plutôt que de recourir à un système d’écriture totalement différent de celui qu’on avait déjà inventé, et que la religion avait définitivement consacré aux yeux de la nation entière.

112. Le premier moyen fut de réduire les caractères hiéroglyphiques purs, images d’objets physiques imités souvent jusque dans leurs plus petits détails, à une forme cursive, purement linéaire, conservant une esquisse des contours généraux de chaque image, ne reproduisant aucun détail, mais outrant quelquefois le trait caractéristique de l’être physique, exprimé ainsi par une espèce de caricature ou de charge très-facile à saisir. Cette première modification du système hiéroglyphique pur, et qui porte uniquement sur la forme des signes, se montre dans tous les manuscrits hiéroglyphiques connus jusqu’ici : j’ai donné à ces hiéroglyphes cursifs le nom de linéaires[118].

113. Ce pas important conduisit à un second qui atteignit complètement le but qu’on se proposait, celui d’abréger et de rendre fort rapide le tracé des signes, soit représentatifs, soit symboliques, soit phonétiques. On fut insensiblement conduit, à force de réductions, à une nouvelle sorte d’écriture que nous trouvons employée dans la plupart des manuscrits qu’on découvre chaque jour dans les catacombes égyptiennes. Ces textes diffèrent très-essentiellement des manuscrits hiéroglyphiques linéaires ; ils appartiennent au système d’écriture que j’ai fait reconnaître pour l’écriture égyptienne nommée hiératique ou sacerdotale par Clément d’Alexandrie.

114. Les principes généraux de l’écriture hiératique sont absolument les mêmes que ceux qui régissent l’écriture hiéroglyphique pure et linéaire. La méthode hiératique, dont se servaient la caste sacerdotale et, en particulier, les hiérogrammates ou scribes sacrés, appelés par la nature de leurs fonctions à composer ou à copier un très-grand nombre d’écrits sur des matières religieuses, n’était au fond qu’une véritable tachygraphie de la méthode hiéroglyphique.

115. Cette écriture est immédiatement dérivée de l’hiéroglyphique. Les signes hiératiques ne sont, en effet, pour la plupart, que des abréviations d’hiéroglyphes purs ou linéaires. J’ai reconnu trois classes distinctes de caractères hiératiques :

Les uns sont une imitation complète, mais excessivement abrégée, des caractères hiéroglyphiques ;

D’autres ne présentent que l’abrégé de la partie principale du caractère hiéroglyphique ;

Une troisième classe enfin renferme des signes purement arbitraires, mais qui sont sans cesse les équivalens d’un seul et même caractère hiéroglyphique. Il est possible que, dès l’origine, ces signes ne fussent point arbitraires ; mais ils le sont devenus en quelque sorte à force d’être abrégés : la plus grande partie des signes hiéroglyphiques ont leur correspondant fixe dans l’écriture hiératique.

116. L’écriture hiératique renferme donc, comme l’hiéroglyphique, des caractères phonétiques, des caractères symboliques et des caractères figuratifs, répondant exactement les uns aux autres, abstraction faite de leurs formes matérielles ; mais l’écriture hiératique diffère toutefois de l’écriture sacrée, en ce qu’elle admet un moins grand nombre de caractères figuratifs et symboliques.

L’écriture sacerdotale, inventée dans le dessein formel de créer une écriture expéditive, repousse nécessairement tout caractère dont l’expression graphique réside dans l’exactitude de ses formes elles-mêmes ; on n’a donc pu conserver dans l’écriture hiératique, véritable tachygraphie, les signes figuratifs qui, pour atteindre le but de leur adoption, ont besoin de reproduire, avec une scrupuleuse exactitude, les contours généraux et les principaux détails des objets dont ils sont destinés à rappeler l’idée. Il en a été de même pour beaucoup de signes symboliques très-compliqués, tels, par exemple, que les caractères images symboliques des dieux[119] : aussi ne trouve-t-on dans les textes hiératiques qu’un certain nombre de caractères figuratifs ou symboliques, et uniquement ceux qu’il était facile de rendre en abrégé d’une manière reconnaissable et par un petit nombre de traits seulement. Les autres, plus compliqués, ont été remplacés soit par des signes arbitraires, soit par des groupes de caractères d’une classe différente, mais exprimant la même idée. Malgré ces suppressions forcées, comme l’écriture sacerdotale a des signes équivalant à la plus grande partie des caractères hiéroglyphiques phonétiques et à un certain nombre de signes des deux autres classes, le nombre des caractères hiératiques était encore fort considérable. Mon tableau des signes qui se correspondent exactement de l’un à l’autre de ces deux systèmes, s’élève déjà à plus de quatre cents.

117. Cette seconde écriture était donc encore trop compliquée pour devenir vulgaire. Il fallait au peuple, et même aux castes supérieures, une méthode plus simple et plus abrégée, pour les relations habituelles et pour tous les détails de la vie civile. Cette nécessité bien sentie donna naissance à l’écriture démotique (populaire) ou épistolographique. Cette troisième espèce d’écriture dériva de l’hiératique, comme celle-ci dérivait elle-même de l’hiéroglyphique.

118. L’écriture démotique ou populaire emprunta tous ses élémens à l’écriture hiératique ou sacerdotale, et consiste principalement en lignes de sons ou phonétiques. On choisit, parmi les caractères sacerdotaux les moins compliqués, un nombre assez borné d’homophones qui devinrent les signes de chaque voix et de chaque articulation dont se composait la langue égyptienne parlée. Ainsi réduite à une quantité de signes beaucoup moins étendue que l’écriture sacerdotale, l’écriture populaire s’en éloigna encore sous deux autres rapports très-importans.

119. Le nouveau système rejette d’abord, presque sans exception, tous les caractères figuratifs que l’écriture hiératique repoussait déjà en partie seulement, et il les remplace par des signes de sons.

120. L’écriture démotique n’admet enfin qu’un fort petit nombre de caractères symboliques, et ceux-là seulement qui représentent des noms propres divins ou des choses sacrées, signes dont les formes sont puisées, comme celles de tous les caractères démotiques, dans l’écriture hiératique. Cette exception fut commandée par le respect profond que portèrent toujours les Égyptiens, et en général tous les peuples orientaux, aux objets du culte et de leur croyance religieuse.

121. Ainsi donc, le principe phonétique préexistant et déjà fort étendu dans l’écriture sacrée, un peu plus développé dans l’écriture hiératique, dominait très-essentiellement dans l’écriture populaire : les caractères figuratifs et symboliques deviennent au contraire plus rares dans le système graphique égyptien, à mesure qu’on descend de l’état primitif du système (l’écriture hiéroglyphique) à la dernière de ses modifications, l’écriture démotique ou populaire.

122. Ces trois systèmes d’écriture, si étroitement liés entre eux, furent usités à-la-fois et dans toute l’étendue de l’Égypte ; on couvrait les édifices publics et religieux d’inscriptions en hiéroglyphes purs ; on traçait des manuscrits en hiéroglyphes linéaires, en même temps que les prêtres écrivaient, en caractères hiératiques, les rituels sacrés, les rituels funéraires, des traités sur la religion et sur les sciences, des hymnes en l’honneur des dieux ou les louanges des rois, et que toutes les classes de la nation employaient l’écriture démotique à leur correspondance privée et à la rédaction des actes publics et privés qui réglaient les intérêts des familles. On découvre journellement, en effet, dans les catacombes de l’Égypte, des rouleaux de papyrus purement hiéroglyphiques, et d’autres conçus dans leur entier en caractères hiératiques ; il en est. enfin, qui sont totalement démotiques ; mais ces derniers n’ont aucun rapport bien direct aux choses sacrées. Enfin nous possédons des manuscrits qui prouvent la simultanéité de l’emploi des trois sortes d’écritures : les uns sont à-la-fois hiéroglyphiques et hiératiques, et d’autres contiennent, dans diverses parties, des légendes hiéroglyphiques, hiératiques et démotiques.

123. Il n’est plus douteux maintenant que le peuple égyptien ne possédât des moyens nombreux et faciles pour fixer la pensée d’une manière durable, pour perpétuer le souvenir des grands événemens et conserver la mémoire des découvertes utiles, soit dans les sciences, soit dans les arts. Cette nation, à laquelle l’Europe doit directement tous les principes de ses connaissances, et par suite ceux de son état social, ne fut donc point retardée dans ses développemens moraux, comme l’ont prétendu même de fort bons esprits : mais ils tiraient cette conclusion de l’idée entièrement fausse qu’ils s’étaient formée de l’ancien système graphique de l’Égypte. L’écriture hiéroglyphique pure, ou même la linéaire, eut pu, il est vrai, exercer dans ce sens une influence funeste par l’embarras et la perte de temps inséparables de son emploi ; mais on vient de voir que deux méthodes beaucoup plus simples rendaient plus rapide, plus commode, et par cela même plus général, l’usage de l’écriture, ce puissant levier de la civilisation.

124. Il est également certain, contre l’opinion commune, que l’écriture hiéroglyphique, c’est-à-dire le système sacré, le plus compliqué des trois, était étudiée et comprise par la partie la plus distinguée de toutes les castes de la nation, loin d’être, comme on l’a dit si souvent, une écriture mystérieuse, secrète, et dont la caste sacerdotale se réservait la connaissance, pour la communiquer seulement à un très-petit nombre d’initiés. Comment se persuader, en effet, que tous les édifices publics fussent couverts intérieurement et extérieurement d’une quantité innombrable d’inscriptions en caractères sacrés, si ces caractères n’étaient compris que par quelques adeptes ? Les monumens élevés par la piété des simples particuliers, les stèles funéraires, les cercueils des momies, les enveloppes mêmes des plus pauvres d’entre elles, portent des légendes hiéroglyphiques, et des caractères de ce genre se montrent sur les ustensiles employés aux usages même les moins relevés, sur les ornemens du métal le plus précieux et du bois le plus commun, sur des amulettes de riche matière, et sur les amulettes de terre cuite sans émail : ainsi tout concourt à démontrer une connaissance très-générale de l’écriture hiéroglyphique parmi les individus aisés de toutes les castes de la nation égyptienne.

125. L’étude elle-même de ce système d’écriture ne dut présenter, dans les temps anciens, que bien peu de difficultés. Les caractères figuratifs n’exigeaient certainement aucun travail d’esprit ; il suffisait de les regarder pour saisir aussitôt leur valeur : le principe des caractères phonétiques (suprà 83) était si simple, qu’il ne s’agissait uniquement que de l’entendre énoncer une seule fois et de le bien comprendre, pour l’appliquer sur-le-champ avec une extrême facilité, puisqu’un Égyptien possédait la plupart des mots de sa langue avant d’apprendre à lire : les seuls signes qui exigeassent un travail étaient les caractères symboliques ; mais nous avons vu que ces signes ne furent point en très-grand nombre ; et d’ailleurs, l’Égyptien qui étudiait l’écriture hiéroglyphique, déjà imbu des idées mêmes, vraies ou fausses, qui avaient déterminé le choix des signes symboliques, devait en saisir plus facilement l’application. Nous sommes donc autorisés à conclure, encore une fois, que l’intelligence des textes hiéroglyphiques était à-peu-près générale parmi les Égyptiens, lorsque ces textes roulaient sur des matières bien à la portée de la grande masse de la nation : et tel est le cas de la plupart des inscriptions monumentales.

126. S’il existait en Égypte, comme les témoignages très-multipliés des anciens permettent à peine d’en douter, un système réservé à la caste sacerdotale et à ceux-là seuls qu’elle initiait à ses mystères, ce dut être nécessairement la méthode qui présidait au tracé des anaglyphes (suprà 61). Ces bas-reliefs ou tableaux, composés d’êtres fantastiques, ne procédant que par symboles, contiennent évidemment les plus secrets mystères de la théologie, l’histoire de la naissance, des combats et de diverses actions des personnages mythiques de tous les ordres, êtres fictifs qui exprimaient, les uns des qualités morales, soit propres à Dieu, le principe de toutes choses, soit communiquées à l’homme par la divinité même ; et les autres, des qualités ou des phénomènes physiques. On peut dire que les images des dieux exposées dans les sanctuaires des temples, et ces personnages humains à tête d’animal, ou ces animaux avec des membres humains, ne sont que des lettres de cette écriture cachée des anaglyphes, si l’on peut tout-à-fait donner le nom d’écriture à des tableaux qui n’expriment que des ensembles d’idées sans une liaison bien suivie. C’est probablement dans ce sens que les prêtres d’Égypte donnaient à l’ibis, à l’épervier et au schacal, dont ils portaient les images dans certaines cérémonies sacrées, le nom de lettres [γραμματα][120], comme étant de véritables élémens d’une sorte d’écriture allégorique.

On conçoit en effet comment ces images, ou plutôt ces symboles, élémens combinés et rapprochés selon certaines règles, produisaient une série de scènes, et cachaient, sous les apparences les plus bizarres, le système cosmogonique, la psychologie et les principes fondamentaux de la croyance et de la philosophie des Égyptiens. Les initiés devaient nécessairement attendre des prêtres seuls l’intelligence de ces tableaux énigmatiques, si multipliés dans l’intérieur des temples et des hypogées, mais qui se distinguent sans peine des bas-reliefs et des peintures représentant des scènes historiques ou civiles, et des cérémonies du culte.

127. Il ne faut point toutefois prendre pour des anaglyphes certaines décorations architecturales formées d’images d’objets physiques groupés d’une manière singulière, et répétés successivement un grand nombre de fois dans certaines frises, dans des soubassemens, dans des anneaux de colonnes ; ce ne sont souvent que de véritables légendes hiéroglyphiques pures, disposées de manière à produire pour l’œil un effet régulier, sans perdre pour cela leur valeur d’expression.

Telle est, par exemple, une des frises du grand temple du sud, à Karnac, publiée par la Commission d’Égypte[121], et gravée sous le n.o 1 de la planche mise en regard de cette page. Cette frise est composée de deux groupes de caractères (A et B), qui présentent alternativement le prénom royal et le nom propre du Pharaon Ramsès, fils de Ramsès le Grand, le Phéron d’Hérodote et le Sésoosis second de Diodore. Ce n’est en réalité qu’une variante, développée et ramenée pour ainsi dire à des formes pittoresques, de la légende royale ordinaire de ce prince. (Tableau général, n.o 115, et planche XV, n.o 2, A et B.)

Le prénom royal ordinaire (n.o 2, A) peut se traduire par le puissant par Rê (le Soleil) et par Saté, approuvé par Ammon ; le groupe (A) de la frise exprime les mêmes idées ; le disque de ou du soleil y est reproduit, mais enrichi de deux uræus ; le sceptre et la déesse Saté sont entre les mains de l’image même du roi agenouillé ; enfin le groupe approuvé par Ammon (n.o 2, A, d, e, f, g), a été répété tout entier dans la frise (n.o 1, A, d, e, f, g), sauf que la coiffure ornée du lituus de l’un, est remplacée dans l’autre par son homophone habituel, la ligne brisée.

Le groupe (n.o 1, B) de la frise, contient, comme le second cartouche de la légende ordinaire n.o 2, B, les mots le chéri d’Ammon, Ramsès, Le titre ⲁⲙⲛⲙⲁⲓ (Amonmai), chéri d’Ammon, est formé, dans l’un et dans l’autre, par le caractère figuratif du dieu et le piédestal , abréviation de ⲙⲁⲓ. Dans la frise, le nom propre du roi qui est de nouveau figuré, dans le groupe, agenouillé et tenant dans les mains l’emblème et l’image de la déesse Saté, est exprimé, 1.o par le disque du soleil ⲣⲏ (n.o 1, B, h) ; 2.o par le piédestal , qui est ici un signe à double emploi ; 3.o enfin, par le signe de la consonne , répété deux fois ⲥⲥ, ce qui produit ⲣⲏⲙⲥⲥ Ramsès, comme porte le cartouche ordinaire, qui exprime séparément l’ du titre ⲁⲙⲟⲛ-ⲙⲁⲓ, et celle du nom propre ⲣⲏⲙⲥⲥ, Ramsès.

128. Les frises hiéroglyphiques de cette espèce ne sont point rares dans les grands édifices de l’Égypte ; M. Huyot en a dessiné plusieurs, et entre autres une à Ibsamboul, renfermant la légende royale de Ramsès le Grand, père du Ramsès auquel se rapporte la frise du temple du sud, à Karnac, que nous venons d’analyser.

129. Les anaglyphes proprement dits ou les tableaux allégoriques, quoique formés en général d’images monstrueuses, étaient toutefois en liaison directe avec l’écriture hiéroglyphique pure. Les textes sacrés et les anaglyphes avaient une certaine quantité de caractères communs, et de ce nombre furent, par exemple, les signes symboliques, tenant la place des noms propres de différentes divinités ; signes introduits dans les textes hiéroglyphiques, en quelque sorte, comme caractères représentatifs des êtres mythiques.

130. Tels furent, d’après les faits, les rapports théoriques et matériels qui liaient les diverses parties du système graphique des anciens Égyptiens. Ce système si étendu, figuratif, symbolique et phonétique à-la-fois, embrassait, soit directement, soit indirectement, tous les arts d’imitation. Leur principe ne fut point en Égypte celui qui, en Grèce, présida à leur extrême développement : ces arts n’avaient point pour but spécial la représentation des belles formes de la nature ; ils ne tendaient qu’à l’expression seule d’un certain ordre d’idées, et devaient seulement perpétuer, non le souvenir des formes, mais celui même des personnes et des choses. L’énorme colosse, comme la plus petite amulette, étaient des signes fixes d’une idée ; quelque finie ou quelque grossière que fût leur exécution, le but était atteint, la perfection des formes dans le signe n’étant absolument que très-secondaire. Mais en Grèce la forme fut tout ; on cultivait l’art pour l’art lui-même. En Égypte, il ne fut qu’un moyen puissant de peindre la pensée ; le plus petit ornement de l’architecture égyptienne a son expression propre, et se rapporte directement à l’idée qui motiva la construction de l’édifice entier, tandis que les décorations des temples grecs et romains ne parlent trop souvent qu’à l’œil, et sont muettes pour l’esprit. Le génie de ces peuples se montre ainsi essentiellement différent. L’écriture et les arts d’imitation se séparèrent de bonne heure et pour toujours chez les Grecs ; mais en Égypte, l’écriture, le dessin, la peinture et la sculpture marchèrent constamment de front vers un même but ; et si nous considérons l’état particulier de chacun de ces arts, et sur-tout la destination de leurs produits, il est vrai de dire qu’ils venaient se confondre dans un seul art, dans l’art par excellence, celui de l’écriture. Les temples, comme leur nom égyptien l’indique[122], n’étaient, si l’on peut s’exprimer ainsi, que de grands et magnifiques caractères représentatifs des demeures célestes : les statues, les images des rois et des simples particuliers, les bas-reliefs et les peintures qui retraçaient au propre des scènes de la vie publique et privée, rentraient, pour ainsi dire, dans la classe des caractères figuratifs ; et les images des dieux, les emblèmes des idées abstraites, les ornemens et les peintures allégoriques, enfin la nombreuse série des anaglyphes, se rattachaient d’une manière directe au principe symbolique de l’écriture proprement dite. Cette union intime des beaux-arts avec le système graphique égyptien nous explique sans effort les causes de l’état de simplicité naïve dans lequel la peinture et la sculpture persistèrent toujours en Égypte. L’imitation des objets physiques, poussée à un certain point seulement, était suffisante pour le but proposé ; une plus grande recherche dans l’exécution n’eût rien ajouté à la clarté ni à l’expression voulues de l’image peinte ou sculptée, véritable signe d’écriture, presque toujours lié à une vaste composition dont il n’était lui-même qu’un simple

élément.

Notes du Chapitre IX
  1. Dissertation sur l’Écriture hiéroglyphique, par l’abbé Tandeau de Saint-Nicolas ; Paris, Barbou, 1762, in-8.o
  2. On peut citer comme modèles de fidélité les pierres gravées et amulettes égyptiennes publiées par M. Dubois, et les manuscrits hiéroglyphiques et hiératiques gravés dans la Description de l’Égypte.
  3. Thébain Ⲥϩⲁⲓ, Memphitique Ⲥϧⲁⲓ.
  4. Thébain Ⲧⲙⲛⲧⲥⲁϩ, Memphitique Ϯⲙⲉⲧⲥϧⲁⲓ.
  5. Thébain Ⲡⲣⲉϥⲥⲁϩ, Memphitique Ⲡⲓⲣⲉϥⲥϧⲁⲓ.
  6. Voyage aux sources du Nil, tome I, pag. 135, édit. de Paris.
  7. De Origine et Usu obeliscorum, cap. 2, sect. IV, pag. 497.
  8. Voyez notre Alphabet hiéroglyphique.
  9. Ibidem.
  10. Ibidem.
  11. Y compris les mains et bras isolés tenant divers objets.
  12. En élaguant les alliances de deux signes simples liés qui produisent souvent un tout monstrueux.
  13. Il existe au cabinet du Roi un très-beau manuscrit hiéroglyphique, qui fait exception à cette règle : les colonnes de caractères se succèdent de gauche à droite ; mais les signes sont rangés de droite à gauche ; les têtes des animaux regardent aussi la droite. C’est le seul exemple que je connaisse d’une disposition semblable.
  14. Suprà, 4, page 255.
  15. Stromates. Livre V, Chap. 4.
  16. Tableau général, n.os 153, 154, &c. &c.
  17. Ibidem, n.os 158, 159, 162, 165, 169, 176, 178, &c. &c.
  18. Tableau général, n.os 293, 298, 247, 333 bis et 316.
  19. Ms. hiéroglyphique du comte de Mountnorris.
  20. Idem.
  21. Ms. hiéroglyphique du cabinet du Roi.
  22. Planche IX.
  23. Voyez Tableau général, n.os 245, 246, 247, 292 à 303, 316, 319 à 337.
  24. Telle était l’idée populaire en Égypte à l’égard du firmament, comme on est autorisé à le croire par le passage de l’Homélie d’un S. Père copte, qui disait à ses auditeurs : ⲉⲣⲉ ⲧⲛⲉ ⲏ ⲛⲉⲥⲧⲉⲣⲉⲱⲙⲁ ⲕⲏ ⲁⲛ ⲉϩⲣⲁⲓ ⲉϫⲛ ϩⲉⲛ ⲙⲁ ⲛⲧⲉ ⲡⲕⲁϩ ⲛⲑⲉ ⲛⲧⲙⲉⲗⲱⲧ ⲉⲧⲕⲏ ⲉϫⲙ ⲡⲏⲓ, (Zoëga, mss. copt. Mus. Borgiani.) « Le ciel ou le firmament n’est point placé sur les lieux de la terre, comme un toit sur une maison »
  25. Tableau général, n.os 67, 70, 71, 73, 74, 75 et 79.
  26. Voyez ci-dessus, chap. VIII.
  27. Clément, Stromates, liv. V, ch. 4. — Diodore, liv. I, ch. 81. — Horapollon, Hiéroglyphes, liv. I et II, passim.
  28. Horapollon ; liv. II, hiéroglyphe n.o 4.
  29. Voyez notre Tableau général, n.o 308 a.
  30. ibid. n.o 308 b.
  31. ibid. n.o 308 c.
  32. Horapollon, liv. II, hiéroglyphe 12.
  33. Lignes 11 et 13 du texte hiéroglyphique. — Voyez notre Tableau général, n.o 238 a.
  34. Liv. I, hiéroglyphe 4.
  35. Texte hiéroglyphique, ligne 14.
  36. N.o 312.
  37. Livre I, hiéroglyphe 38.
  38. Horapollon, liv. I, hiéroglyphe 62.
  39. Suprà, pag. 200.
  40. Horapollon, liv. II, hiéroglyphe 15.
  41. Idem. liv. I, hiéroglyphe 1.
  42. Ibid. hiéroglyphe 67.
  43. Ibid. hiéroglyphe 10.
  44. Ibid. hiéroglyphe 11.
  45. Clément d’Alex. Stromat. liv. V, chap. 4.
  46. Suprà, pages 104 et 105.
  47. Voyez ces caractères, Tableau général, n.os 68, 69, 72, 76, 77, 78, 80, 81, 82 et 83.
  48. Plutarque, traité d’Isis et d’Osiris.
  49. Voyez les n.os 85, 88, 90, 96, 97, 98, 99, 100, 108 a, &c.
  50. Plutarque, traité d’Isis et d’Osiris, et les monumens passim.
  51. Tableau général, n.o 89.
  52. Ibid. n.o 84.
  53. Voyez les n.os 93, 103, 104, 105, 106 et 107 du Tabl. général.
  54. Élémens de la Grammaire chinoise, par M. Abel-Rémusat, pag. 1, note 2.
  55. Suprà, §. III, 19, page 267.
  56. Elémens de la Grammaire chinoise, pag. 2.
  57. Voyez des bas-reliefs de ce genre, dans la Descript. de l’Égypte, Antiq. vol. II, pl. 82, 83, n.os 1 et 2 ; 84, n.os 6, 7 ; 85, n.os 10, 13 ; 86, n.os 1, 6, 7, 8, 11 ; 92, n.o 11, &c. vol. III, pl. 34, n.o 1, pl. 64, &c.
  58. Clément d’Alexandrie, Stromates, liv. V, chap. 4.
  59. Section VII, chap. IV et V.
  60. Élémens de la Grammaire chinoise, pag. 4.
  61. Ibid. pag. 3.
  62. Elémens de la grammaire chinoise, pag. 23 et 24.
  63. Ibid. pag. 33.
  64. Platon. Philebus, pag. 374, édit. de Francfort, 1602.
  65. De Origine et Usu obeliscor. pag. 556, 557 et 558.
  66. Suprà, chapitre VIII.
  67. Voyez l’Alphabet ou Tableau général, planches I, II, et suiv.
  68. Page 50.
  69. Pag. 51, 52 et 53.
  70. Pag. 57 et suivantes.
  71. Tableau général, n.o 257.
  72. Ibid. n.o 251.
  73. Horapollon, liv. I, hiéroglyphe 53.
  74. Voyez chapitre VII, pag. 140.
  75. N.os 248, 251, 252, 259, 260, 264, 268, &c.
  76. Suprà, page 73 et suivantes.
  77. Stromat. V, 657, Potter.
  78. La version latine, jam verò qui docentur ab Ægyptiis, est inexacte ; il faut apud Ægyptios : mais elle offre bien d’autres inexactitudes ; elle est en général un peu plus obscure que le texte.
  79. Quintilian. I, 1, 23. — Horat. I, Sat. I, 25.
  80. Voyez une note à la fin de l’ouvrage.
  81. Suprà, chapitre I, pag. 18.
  82. Suprà, chapitres III, IV, V, &c.
  83. Tableau général, des n.os 1 à 66 ; des n.os 109 à 195, &c.
  84. Suprà, §. VI. Exemples de caractères de cet ordre au Tableau général, n.os 245, 246, 247, 292 à 303, &c.
  85. Suprà, §. VII. Exemples de cette sorte de caractères, n.os 241, 238 a, 308 a, 308 b, 308 c, &c.
  86. Suprà, §. VII, 51 ; pag. 292, où sont indiqués une foule d’exemples de cette espèce de signes.
  87. Tableau général, n.o 67.
  88. Ibid. n.o 84.
  89. Ibid. n.o 85.
  90. Tableau général, n.o 39.
  91. Suprà, planche XV, n.os 12, 13 et 14.
  92. Inscription de Rosette, texte hiéroglyphique, ligne 9 ; et Tableau général, n.o 287.
  93. Du n.o 1 à 38.
  94. N.os 227, 234, 282, 291, 297, 300, 304.
  95. N.os 153 à 157 — 186 — 196 à 202 — 207, &c.
  96. N.os 159, 206 et 207.
  97. Ant. vol. II, planch. 72, 73, 74 et 75.
  98. Suprà, page 110.
  99. Description de l’Égypte, Antiq. vol. II, pl. 75, col. 13 ; pl. 74, col. 112 et 65 ; pl. 73, col. 49, 41 et 7 ; pl. 72, col. 77.
  100. Suprà, pag. 88. Voyez aussi le Panthéon égyptien, planches numérotées 1, 2 et 5, de la 1.re livraison.
  101. Tableau général, n.os 9, 10 et 11.
  102. Descript. de l’Égypte, Antiq. vol. II, pl. 72, col. 55 et 4. — Voyez notre Tableau général, n.o 156 c.
  103. Ibid. vol. II, pl. 72. — Voyez notre Tableau général, n.o 156 b.
  104. Tableau général, n.os 197, 199, 201 &c.
  105. Descript. de l’Égypte, Ant. vol. II, planches 72, 73, 74 et 75.
  106. Descript. de l’Égypte, Antiq. vol. II, pl. 75, col. 132, 46, 42, 22, &c. ; pl. 74, col. 108, 103, 98, &c. ; pl. 73, col. 119, 109, 105, 103, 94, 83, 81, &c. ; pl. 72, col. 109, 103, 93, 90, &c.
  107. Voyez le Panthéon égyptien, 1.re livrais. pl. n.o 1 et le texte.
  108. Tableau général, n.o 447.
  109. Suprà, pag. 42.
  110. Tableau général, n.o 156 b.
  111. Ibid. n.o 156 d.
  112. Tableau général, n.o 219 a. — Le nom de la reine Cléopâtre est également écrit ⲕⲗⲟⲡⲧⲣ dans un contrat démotique du cabinet du Roi. Voyez Tableau général, n.o 219 e.
  113. Tableau général, n.o 219 b.
  114. Ibid. n.o 154.
  115. Ibid. n.o 219 c.
  116. N.os 15, 16, 17 et 18 de la planche XV.
  117. Voyez Tableau général, n.os 281, 284, 290, 294, 292.
  118. Suprà, §. II, 11 et 12.
  119. Suprà, page 293.
  120. Plutarque, Traité d’Isis et d’Osiris.
  121. Description de l’Égypte. Ant. vol. III, pl. 57, n.o 7.
  122. Suprà, pag. 337.