Précis du système hiéroglyphique des anciens Égyptiens/Chapitre IV

CHAPITRE IV.

Application de l’Alphabet des Signes phonétiques à divers groupes et formes grammaticales hiéroglyphiques.

La preuve la plus directe que nous puissions donner et de l’existence et de l’emploi habituel des signes de ce même alphabet dans les textes hiéroglyphiques de toutes les époques, sera sans doute de lire par son secours, 1.o les noms propres appartenant à la langue égyptienne ; 2.o des groupes hiéroglyphiques répondant à des noms communs, à des verbes et à des adjectifs ; 3.o enfin d’établir que les caractères ou groupes de caractères qui, dans les textes hiéroglyphiques, expriment les genres, les nombres, les personnes, les temps, &c. &c., ne sont que les signes phonétiques des lettres ou des mots qui, dans la langue égyptienne ou copte, remplissent ces mêmes fonctions. Il restera alors démontré, ce me semble, que les signes de son étaient, si ce n’est les premiers, du moins les plus nombreux des élémens qui composent toute inscription égyptienne en caractères sacrés.

Nous chercherons d’abord à appliquer notre alphabet à certains groupes hiéroglyphiques, qui se montrent à chaque instant dans les textes, et dont le sens nous est bien connu par la comparaison même de ces textes entre eux ; je veux parler des groupes hiéroglyphiques exprimant les idées fils, fille, enfant ou nourrisson, enfanté, père, mère, frère, sœur, Roi, lieu ou place.

Page 96, planche V
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J’ai choisi de préférence ces groupes, sur-tout ceux qui expriment les différens degrés de parenté, parce qu’on les trouve souvent tous à-la-fois, dans beaucoup de ces stèles que j’ai reconnues pour n’être que des monumens funéraires, sur lesquels les défunts sont représentés rendant d’abord leurs hommages à des dieux, et ensuite recevant eux-mêmes, comme des divinités, les offrandes et les hommages de leur famille entière, quelquefois fort nombreuse. Chaque membre de la famille est figuré en pied sur ces stèles, avec les différences bien marquées d’âge et de sexe ; et au-dessus de chaque personnage est gravé son nom propre et son degré de parenté avec les défunts.

L’idée fils est exprimée par trois groupes hiéroglyphiques divers, souvent employés sur le même monument. (Voyez planche V, n.os 1, 2 et 3.)

Le groupe le plus ordinaire est une oie et une petite ligne perpendiculaire. Dans notre alphabet, l’oie répond au שׁ schin hébreu et au ϣ schéi copte, et la petite ligne perpendiculaire est un , un ou un  ; et si nous transcrivons le groupe d’après la valeur phonétique des signes qui le composent, nous avons les mots ϣⲁ, ϣⲉ ou ϣⲏ.

Or, la lecture ϣⲁ se rattache bien évidemment à la racine copte thébaine ϣⲁ oriri, nasci ; ϣⲏ, à la racine copte memphitique ϣⲁⲓ oriri, nasci ; enfin la lecture ϣⲉ, aux deux mêmes racines et au monosyllabe copte ϣⲉ que nous retrouvons en cette langue, et avec la valeur fils, dans les mots composés ϣⲉⲛⲓⲱⲧ, ϣⲉⲛⲙⲁⲩ, ϣⲉⲛⲥⲟⲛ, c’est-à-dire, fils de père, fils de mère, fils de frère, expressions employées lorsqu’il s’agit d’indiquer un frère consanguin, un frère utérin, un cousin.

Ainsi donc, de quelque manière qu’on prononce la voyelle, ce groupe hiéroglyphique nous donnera toujours un mot égyptien pouvant signifier ou signifiant en réalité fils, υιος, filius, natus.

Le second groupe exprimant l’idée fils en écriture hiéroglyphique, est formé d’une ellipse ou ovale, et de la petite ligne perpendiculaire. Dans plusieurs noms propres romains, le Σ est rendu par ce même ovale ; nous avons donc ici le mot ⲥⲉ ou ⲥⲓ qui se retrouve avec le sens de fils, enfant ou nourrisson, dans le nom propre copte ϩⲱⲣⲥⲓⲏⲥⲓ, ϩⲱⲣⲥⲓⲏⲥⲉ, c’est-à-dire, Horus fils d’Isis. Feu Ackerblad a, le premier, donné le sens de ce nom copte ; c’est un très-ancien nom propre qui s’est conservé chez les Égyptiens devenus chrétiens, et dont j’ai retrouvé la transcription hiéroglyphique dans les papyrus, ainsi qu’on pourra le voir au chapitre sixième. Le nom propre Horsiési, écrit en hiéroglyphes, contient aussi l’ovale suivi de la ligne perpendiculaire, et la forme hiératique de ce nom, que j’ai également recueillie dans les manuscrits, renferme les caractères équivalant à la syllabe ⲥⲓ (si) fils, nourrisson.

Le troisième groupe employé pour rendre l’idée fils dans les textes hiéroglyphiques, se compose de l’image d’un enfant portant la main à sa bouche, et de la petite ligne perpendiculaire ; cette figure d’enfant représente aussi le Σ dans le titre Σεβαστος de l’obélisque Pamphile : nous avons donc encore ici le mot ⲥⲉ ou ⲥⲓ écrit en hiéroglyphes phonétiques.

Un quatrième groupe exprime aussi la filiation dans les inscriptions hiéroglyphiques. Mais celui-ci est composé de deux caractères, dont le premier est un des homophones de la chouette, ou du caractère anguleux, qui est un Μ ; le second est la forme la plus commune du Σ. Nous avons donc le mot ⲙⲥ (més) qui trouve son équivalent dans la racine copte ⲙⲥ ou ⲙⲉⲥ enasci, gignere, et sur-tout dans ⲙⲁⲥ et ⲙⲓⲥⲉ natus, infans, pullus. La lecture de ce groupe nous explique bien naturellement pourquoi nous le voyons, une seule fois, dans le texte hiéroglyphique de Rosette, combiné avec les deux caractères qui, dans toutes les parties de ce texte, expriment l’idée de jour ; car le seul endroit où le groupe hiéroglyphique ⲙⲥ soit lié avec le groupe jour qui le précède, est justement celui qui correspond au passage du texte grec où il est question de célébrer le jour natal du Roi (τα γενεθλια). Or, le premier caractère du groupe jour est le ϩ, premier signe du nom hiéroglyphique de l’empereur Hadrien sur l’obélisque Barberini ; le second caractère, qui est un cercle vide, ou strié, répond ailleurs à la voyelle ΟΥ : le groupe entier de l’inscription de Rosette (pl. V, n.o 4), rendu en grec par τα γενεθλια, se lit donc ϩⲟⲩⲙⲥ, mot qui est précisément la transcription des consonnes et de la principale voyelle du mot copte ϩⲟⲩⲙⲓⲥⲉ, qui, dans les textes thébains, exprime également le jour natal, dies natalis.

Le groupe hiéroglyphique ⲙⲥ ou ⲙⲓⲥⲉ est employé plus habituellement pour indiquer la descendance maternelle, et les groupes ϣⲉ et ⲥⲓ pour indiquer la descendance paternelle. Ainsi l’on disait ϩⲱⲣ ⲱⲉ ou bien ⲥⲓ ⲛⲟⲩⲥⲓⲣⲉ ⲙⲥ ⲛ ⲏⲥⲉ[1], Horus, fils d’Osiris, né d’Isis, et cette distinction était même indispensable à cause de la pluralité des femmes, qui put exister en Égypte.

Le groupe hiéroglyphique exprimant l’idée père, est formé du segment de sphère , du céraste upsilon ou bien ⲞⲨ, et de la petite ligne perpendiculaire  ; nous avons ici le mot ⲧⲟⲩⲉ, ⲧⲩⲉ, que l’on pourrait rapporter aux racines coptes ⲧⲁⲩⲉ, ⲧⲁⲟⲩⲉ, producere, proferre, dont le primitif ⲧⲁⲟⲩⲱ paraît formé de ⲧⲁ dare et de ⲟⲩⲱ germen. (Tabl. gén. n.o 248.)

Un vautour, et le signe qui ressemble à une espèce de hache, représentent l’idée de mère, mater, dans les textes hiéroglyphiques ; Horapollon, qui nous apprend que, pour écrire fils, les Égyptiens traçaient l’image d’une oie, nous dit aussi que, pour écrire mère, les Égyptiens peignaient un vautour[2], parce que, dans cette espèce d’oiseau, il n’y a, disaient-ils, que des femelles, et point de males.

Le vautour, dans les textes, est un homophone du caractère anguleux qui exprime le M dans les noms propres grecs et latins ; la sorte de hache est, dans les trois systèmes d’écritures égyptiennes, le signe des voyelles O et OU, comme par exemple dans le nom démotique de Ptolémée ; la lecture du groupe mère donne donc le mot ⲙⲟⲩ, charpente du mot copte baschmourique ⲙⲉⲟⲩ mater, du copte thébain ⲙⲁⲁⲩ et du memphitique ⲙⲁⲩ, (Tabl. gén. n.o 250.)

Très souvent encore ce groupe hiéroglyphique est composé d’un troisième caractère, le segment de sphère, ce qui donne ⲙⲟⲩⲧ ; lecture d’autant plus remarquable que le mot Μουθ nous a été transmis par Plutarque comme un mot purement égyptien signifiant mère, et l’un des surnoms d’Isis : Η δ’ Ισις εστιν οτε και ΜΟΥΘ και παλιν Αθυρι … Σημαινουσι δε τῳ μεν πρωτῳ των ονοματων, ΜΗΤΕΡΑ, τῳ δε δευτερῳ &c….[3]. L’assertion de Plutarque, concernant le surnom de mouth, c’est-à-dire mère, donné à Isis, est du reste pleinement confirmée par les monumens, qui ne présentent presque jamais une image de cette déesse, sans que la légende hiéroglyphique ou hiératique ne renferme les mots ⲏⲥⲉ ϫⲣ ⲙⲟⲩⲧ, ⲏⲥⲉ ⲧϫⲣ ⲙⲟⲩ ou ⲏⲥⲉ ⲧϫⲣ ⲙⲟⲩⲧ, c’est-à-dire, Isis puissante mère. Voyez ces légendes[4]. Un cartouche d’Arsinoé Philadelphe, que présente une inscription hiéroglyphique inédite du musée royal, relative, je crois, à une victoire de char dans des jeux publics, et portant une date de l’an xx, nous fait connaître comme un homophone du Σ, un signe qui, combiné avec la ligne brisée reconnue pour le N phonétique ordinaire, exprime, dans tous les textes hiéroglyphiques, l’idée de frère. Ce groupe se lit ⲥⲛ ; et en copte les mots ⲥⲁⲛ et ⲥⲟⲛ signifient également frère.

L’idée roi est très souvent rendue, dans les textes hiéroglyphiques, par une plante dont l’espèce n’est point facile à déterminer, par un segment de sphère, et par la ligne brisée ou simplement la ligne horizontale. La plante est un des homophones du trait recourbé Σ ; le segment de sphère est un Τ, et la ligne brisée ou horizontale, un Ν : nous avons ici le mot ⲥⲧⲛ, qui est la charpente même des mots coptes, ⲥⲟⲩⲧⲉⲛ (Memph.) ⲥⲟⲩⲧⲱⲛ (Th. M.), ⲥⲟⲟⲩⲧⲛ (Theb.) regere, dirigere. J’ajoute que la transcription hiératique de ce groupe offre la plus frappante analogie avec celui qui, dans le texte démotique de Rosette, exprime le mot grec Βασιλευς roi ; groupe qu’on chercherait vainement à lire ⲡⲟⲩⲣⲟ, ⲡⲣⲣⲟ, ⲡⲏⲣⲁ, ⲡⲉⲣⲣⲁ ou ⲫⲟⲩⲣⲟ, comme on a cru d’abord pouvoir le faire. Le groupe hiéroglyphique répondant aux mots coptes ⲡⲣⲣⲟ, ⲡⲣⲣⲁ, ⲟⲩⲣⲟ, est tout différent, et se lit simplement ⲣⲁ, ou bien, avec l’article ⲡⲣⲁ, et signifie tête, chef, comme le copte baschmourique ⲣⲁ, comme le mot thébain memphitique ⲣⲟ. Ce même groupe pris adjectivement veut dire, principal, supérieur, capital.

Le mot τοπος, lieu, place, du texte grec de l’inscription de Rosette, est exprimé dans la partie hiéroglyphique par une chouette M, et par le bras étendu A, ce qui donne le mot copte ⲙⲁ lieu, place, τοπος. Nous citerons bientôt une phrase hiéroglyphique où ce mot se trouve employé : M. le docteur Young a cru que ce groupe signifiait père. (Tabl. gén. n.o 243.)

Je borne ici à ces neuf mots l’application de mon alphabet aux noms communs écrits phonétiquement dans les textes hiéroglyphiques (la lecture de ces groupes importait à la clarté nécessaire à la suite de cette discussion), et je passe à une autre application bien plus essentielle et bien plus probante, à la lecture des signes ou des groupes qui, dans ces mêmes textes, remplissent des fonctions grammaticales et expriment les genres, les nombres, les personnes et les temps.

J’ai dit ailleurs que le segment de sphère était la marque ordinaire des groupes féminins dans le système hiéroglyphique : ce segment de sphère, qui est la lettre T dans tous les noms propres, est bien évidemment l’article copte , qui caractérise aussi le genre féminin. (Tabl. gén. n.o 2.)

Cet hiéroglyphe, en effet, est toujours ajouté à l’oie, par exemple, lorsque ce groupe accompagne, sur les stèles funéraires une figure de femme, ce qui produit ⲧϣⲉ la fille ; au groupe ⲥⲛ frère, ce qui donne ⲧⲥⲛ la sœur ; et au groupe ⲙⲟⲩ, ce qui produit ⲧⲙⲟⲩ la mère. (Tabl. gén. n.os 254, 263 et 250.)

Mais il arrive souvent qu’au lieu d’être placé au commencement du groupe hiéroglyphique, l’article féminin se trouve à la fin ; ce qui nous explique bien pourquoi, dans les inscriptions hiéroglyphiques, on lit tantôt ⲙⲟⲩ mère et tantôt ⲧⲙⲟⲩ la mère, et le passage formel de Plutarque, déjà cité à propos de ce dernier mot, prouve que les Égyptiens prononçaient aussi ce mot ⲙⲟⲩⲧ, ainsi qu’il est souvent écrit dans les textes hiéroglyphiques : mais le copte que nous connaissons, ne nous présente aucun exemple de cette espèce d’inversion de l’article. Je dois ajouter que, dans l’état actuel de mes connaissances sur la langue antique de l’Égypte, dont les textes hiéroglyphiques nous conservent les mots écrits phonétiquement, je crois avoir reconnu que les marques de genre, de nombre, de personne et de temps, semblables d’ailleurs à celles du copte, au lieu d’être toujours placées en augment, comme dans le copte, le sont parfois en crément ; et cette circonstance m’a paru bien digne de remarque.

L’article déterminatif masculin copte , a pour équivalent, dans les textes hiéroglyphiques, le carré strié, qui est, en effet, le signe constant de la consonne dans les noms propres hiéroglyphiques grecs et latins. (Tabl. gén. n.o 1.)

Le pluriel des noms est exprimé en hiéroglyphes de plusieurs manières, comme dans le copte, ou par des articles préfixes, ou par des terminaisons.

Les articles pluriels sont au nombre de deux : 1.o la ligne brisée remplacée, dans les textes hiéroglyphiques linéaires, par la ligne horizontale simple ; ces deux caractères expriment la consonne N dans les noms propres étrangers ; c’est donc l’article déterminatif pluriel copte . (Tabl. gén. n.o 3.)

2.o Le vase, qui est encore un N ; et tous deux sont suivis de la petite ligne perpendiculaire ou bien . C’est là exactement le copte thébain ⲛⲉ ou le copte memphitique ⲛⲓ ; l’inscription de Rosette présente plusieurs exemples de l’emploi de cet article. (Tabl. gén. n.o 4.)

Dans la langue copte, le pluriel est souvent indiqué par les désinences ou bien ⲟⲩⲉ en dialecte thébain, ou bien ⲟⲩⲓ en dialecte memphitique.

Je trouve également dans les textes hiéroglyphiques des groupes qui sont incontestablement des pluriels terminés,

1.o Par deux ou trois petites lignes perpendiculaires, qui, dans les noms propres et ailleurs, équivalent à la voyelle ou bien  ; (Tabl. gén. n.o 22.)

2.o Par le lituus suivi de trois petites lignes perpendiculaires, ou bien par la caille suivie de ces trois mêmes lignes ; et l’alphabet phonétique appliqué à ces terminaisons nous les a fait lire ⲟⲩⲉ, ou bien ⲟⲩⲓ, comme dans le copte. Cela nous explique naturellement l’extrême fréquence de ces deux groupes dans les textes hiéroglyphiques. (Tabl. gén. n.os 23, 24 et 25.) En copte, la préposition remplace le cas génitif des Latins ; dans les hiéroglyphes, la ligne brisée qui est aussi un , remplit la même fonction. La ligne brisée est remplacée souvent par ses homophones, la ligne horizontale et la coiffure ornée du lituus, qui sont également des dans les noms propres grecs et latins.

Quelquefois aussi, et dans le même cas, le caractère anguleux et la chouette, qui sont des dans les noms propres, tiennent la place du , comme cela arrive aussi dans la langue copte ; souvent enfin la ligne horizontale ou brisée est suivie du segment de sphère  ; c’est bien là la préposition copte ⲛⲧⲉ de. (Tabl. gén. n.o 37.)

Dans le copte thébain, certains mots qualificatifs, ou adjectifs, sont formés par le conjonctif ⲛⲧ qui ; et dans les textes hiéroglyphiques, une foule de groupes exprimant, sans aucun doute, des adjectifs, commencent par le vase et le segment de sphère, c’est-à-dire, par les signes phonétiques ⲛⲧ. (Tabl. gén. n.o 5.)

Je n’ai encore bien reconnu, dans les textes hiéroglyphiques, qu’un seul groupe représentant un pronom sujet de la proposition. C’est le pronom isolé de la troisième personne du masculin. Il est formé de quatre caractères, la ligne horizontale ou la ligne brisée , le segment de sphère , le lituus et le céraste ϥ ; c’est, lettre pour lettre, le pronom copte ⲛⲧⲟϥ lui. (Tabl. gén. n.o 17.)

J’ai été plus heureux dans la recherche des pronoms complémens des prépositions ou des verbes ; et cela devait être en effet ; car, si l’on ne peut espérer de trouver beaucoup d’exemples de l’emploi des pronoms isolés sujets de la proposition, moi, toi, dans les inscriptions monumentales, les mêmes textes ne peuvent qu’en offrir de très-multipliés des pronoms de la seconde et sur-tout de la troisième personne, complémens directs ou indirects, soit de verbes, soit de prépositions.

L’inscription hiéroglyphique de Rosette et tous les autres textes présentent, tout aussi souvent que les textes coptes, le pronom préfixe et affixe de la troisième personne ; sa forme hiéroglyphique la plus ordinaire est le céraste dont la forme hiératique et démotique est absolument la même que celle du ϥ copte, qui lui-même est ce pronom affixe ou préfixe de la troisième personne. Nous avons déjà vu que cette forme antique a dû passer dans l’alphabet copte en même temps que les formes antiques du ϣ, du ϩ, du ϧ, du ϫ et du ϭ, parce que l’alphabet grec qu’adoptèrent les Égyptiens devenus chrétiens, ne présentait point de sons équivalens. J’ajouterai même que la découverte de ce fait très-curieux a beaucoup contribué à me convaincre de la nature véritablement phonétique d’une très-grande partie des signes qui composent les inscriptions hiéroglyphiques.

Dans ces mêmes inscriptions, le pronom de la troisième personne masculine, complément indirect, est exprimé par la ligne brisée ou horizontale , et le céraste ϥ : cela produit ⲛϥ, qui est justement le copte ⲛⲉϥ, ou ⲛⲁϥ à lui. (Tabl. gén. n.o 19.)

Dans les textes qui se rapportent à des femmes, le céraste disparaît, pour faire place aux deux sceptres affrontés, forme très-ordinaire du Σ ; c’est le copte ⲏⲉⲥ ou ⲏⲁⲥ à elle. (Tabl. gén. n.o 20.)

Le pronom, complément indirect, de la seconde personne masculine, est rendu par deux hiéroglyphes, la ligne brisée ou la ligne horizontale et le bassin à anneau, ou  ; ce qui produit ⲛⲕ, le pronom copte ⲛⲁⲕ. (Tabl. gén. n.o 18.)

Dans la langue copte, les pronoms simples et isolés  ; ϥ et , que nous avons aussi retrouvés dans les textes hiéroglyphiques, sont placés entre l’article déterminatif et le nom, et forment ainsi une espèce d’article déterminatif possessif, qui tient la place de nos mots son, sa, ses, notre, votre, leur, &c. On emploie, par exemple, la forme ⲡⲉϥⲥⲟⲛ, le de lui frère, en parlant d’un homme, et ⲡⲉⲥⲥⲟⲛ le d’elle frère, en parlant d’une femme. Dans les textes hiéroglyphiques, au contraire, les pronoms ϥ et (le céraste et les deux sceptres), au lieu d’être préfixes ou infixes comme dans le copte, se placent à la fin du nom comme en hébreu et en arabe. Il n’est presque point, en effet, de stèle funéraire (et le nombre de ces monumens est très-multiplié à Paris) qui n’offre plusieurs fois les groupes hiéroglyphiques déjà analysés, père, mère, fils, fille, frère ou sœur, affectés de ces pronoms affixes, et inscrits vers la tête d’enfans des deux sexes rendant hommage à leurs parens défunts ; ces groupes gravés au Tableau général n.os 249, 252 &c., se lisent sans difficulté :

ⲧⲟⲩⲉϥ ....................Père de lui.
ⲧⲟⲩⲉⲥ ....................Père d’elle.
ⲙⲟⲩⲧϥ
ⲧⲙⲟⲩϥ
....................La mère de lui.
ⲙⲟⲩⲧⲥ ....................La mère d’elle.
ϣⲉⲩ ....................Le fils de lui.
ϣⲉⲥ ....................Le fils d’elle.
ⲧϣⲉⲩ
ϣⲉⲧⲩ
....................La fille de lui.
ⲧϣⲉⲥ
ϣⲉⲧⲥ
....................La fille d’elle.
ⲥⲛⲩ ....................Le frère de lui.
ⲥⲛⲥ ....................Le frère d’elle.
ⲧⲥⲛⲩ
ⲥⲛⲧⲩ
....................La sœur de lui.
ⲥⲛⲧⲥ ....................La sœur d’elle.

Nous citerons ici quelques phrases hiéroglyphiques qui contiennent des exemples de l’emploi du pronom affixe de la troisième personne, combiné avec le groupe ⲧⲩⲉ, ⲧⲟⲩⲉ, père.

On voit par le texte grec de l’inscription de Rosette (ligne 10), que le dieu Horus porte les qualifications de fils d’isis et d’Osiris, vengeur ou défenseur de son père Osiris, ο της Ισιος και Οσιριος υιος ο επαμυνας τῳ πατρι αυτου Οσιρει. Dans presque toutes les légendes hiéroglyphiques placées à côté des images du dieu Horus, on lit en premier lieu (ϩⲱⲣ) ⲱⲉ ⲛ (ⲟⲩⲥⲓⲣⲉ) ou bien (ϩⲱⲣ) ϣⲉ (ⲟⲩⲥⲓⲣⲉ) ⲙⲥ ⲛ (ⲏⲥⲉ) Horus, fils d’Osiris, né d’Isis[5] ; et souvent aussi une série de signes hiéroglyphiques qui se lisent par le moyen de mon alphabet, à l’exception toutefois du nom propre d’Osiris qui est symbolique, ⲥⲛⲧⲉ ⲧⲩⲧϥ ⲟⲩⲥⲓⲣⲉ, c’est-à-dire, soutien de son père Osiris[6], et le groupe ⲥⲛⲧ ou ⲥⲛⲧⲉ répond bien certainement au mot grec επαμυνας, défenseur, soutien ou vengeur, puisque ce même groupe se montre dans l’inscription de Rosette (texte hiéroglyphique, ligne 6), immédiatement après le nom isolé de Ptolémée, dans la partie correspondante au texte grec qui porte Πτολεμαιου του ΕΠΑΜΥΝΑΝΤΟΣ της Αιγυπτου[7]. Dans la série précitée, le groupe hiéroglyphique ⲧⲩⲉ père est affecté du pronom affixe ϥ, ce qui produit ⲧⲩⲉϥ son père.

Ce même groupe paraît sur la face septentrionale de l’obélisque Pamphile, élevé en l’honneur de Domitien, dans un membre de phrase qui contient plusieurs exemples de pronoms affixes. Cette série hiéroglyphique est gravée planche VI, n.o 3 ; et si nous appliquons aux signes qui la composent les valeurs phonétiques indiquées par notre alphabet fondé sur la lecture des noms propres grecs et latins, nous obtenons les mots suivans, ⲉ ϣⲡⲉϥ, ⲥⲧⲏⲏⲧⲩⲉϥ ⲟⲩⲥⲡⲥⲏⲛⲥ ⲙⲁ ⲥⲛϥ ⲥⲧⲛ)[8], ⲧⲓⲧⲥ, ce qui, en tenant compte des déplacemens déjà indiqués dans l’ancienne langue égyptienne, et de la suppression habituelle, dans les textes hiéroglyphiques, de quelques prépositions ou particules déterminatives, reviendrait aux mots coptes ⲉⲁϥϣⲡ ⲡⲥⲟⲩⲧⲛ ⲙⲡⲉϥⲉⲓⲱⲧ ⲟⲩⲉⲥⲡⲁⲥⲓⲁⲛⲟⲥ ⲉⲡⲙⲁ ⲙⲡϥⲥⲟⲛ ⲧⲓⲧⲟⲥ ; c’est-à-dire, qui a reçu la direction (la puissance royale) de son père Vespasien, à la place de son frère Titus : et c’est là, sans aucun doute, le sens de cette série de caractères hiéroglyphiques ; car les mêmes signes, à l’exception des noms propres, se montrent dans l’inscription de Rosette[9], là où le texte grec porte παρελαβεν την βασιλειαν παρα του πατρος[10]. Nous les retrouvons également sur la quatrième face de l’obélisque de Philæ, là où le roi Ptolémée Évergète II, comparé à Horus, fils d’Osiris, enfant d’Isis, a pris, y est-il dit, la direction (la puissance royale), à la place de son père, ϭⲛϥ ⲥⲧⲏⲛ ⲙⲁ ⲧⲩⲉϥ[11]. Cette même formule hiéroglyphique se retrouve enfin dans les monumens du plus ancien style.

La partie hiéroglyphique de l’inscription de Rosette ne nous fait connaître que des verbes à trois temps distincts, présent, passé, futur, et seulement à la troisième personne. Mais ces mêmes signes qui caractérisent les temps ne sont encore autre chose, pris phonétiquement, que des préfixes et affixes coptes.

Le présent de la troisième personne du pluriel commun, est indiqué, dans tous les textes hiéroglyphiques, par le signe recourbé ou par les deux sceptres, qui sont la consonne Σ, placée devant le groupe exprimant le verbe ; c’est le préfixe copte du présent défini de la troisième personne du pluriel commun, ⲥⲉ.

La troisième personne d’une espèce de passé est indiquée par le ϥ hiéroglyphique (le céraste) placé en affixe, si le sujet est du genre masculin, et par les deux sceptres , si le sujet est du genre féminin : il semble rester encore dans le copte des traces évidentes de cette ancienne forme de conjugaison par pronoms affixes, dans l’un des passés du verbe ϫⲱ, dire, ⲡⲉϫⲁⲓ, ⲡⲉϫⲁⲕ, ⲡⲉϫⲉ, ⲡⲉϫⲁϥ, ⲡⲉϫⲁⲥ, en dialecte thébain, ⲡⲉⲭⲏⲓ, ⲡⲉϫⲁⲕ, &c., en dialecte memphitique ; et ⲡⲉϫⲉⲓ, ⲡⲉϫⲉⲕ, ⲡⲉϫⲉ, ⲡⲉϫⲉϥ, ⲡⲉϫⲉⲥ, en dialecte dit baschmourique.

Enfin la troisième personne du futur pluriel, personne et temps auxquels se trouvent tous les verbes des neuf dernières lignes du texte hiéroglyphique de Rosette, exprimant les diverses dispositions du décret et répondant à des verbes qui sont tous à l’infinitif dans le texte grec, est marquée par un groupe de trois caractères : le trait recourbé ou les deux sceptres affrontés , la ligne brisée , et les trois lignes perpendiculaires, ou . Nous avons ici le mot ⲥⲏⲉ qui est bien le dissyllabe baschmourique ⲥⲉⲛⲉ, en dialecte thébain et memphitique ⲥⲉⲛⲁ, marque caractéristique de la troisième personne du pluriel du futur défini copte.

Je retrouve également dans les textes hiéroglyphiques purs, étudiés comme phonétiques en très-grande partie, une foule de formes des verbes coptes ; mais comme je ne puis prouver par un texte correspondant et en langue connue, que ces groupes sont réellement des verbes, je m’abstiens de citer ces formes, m’étant fait une loi, dans une question aussi délicate, de n’apporter en témoignage du phonétisme de la plus grande partie des textes hiéroglyphiques égyptiens, que la lecture des seuls groupes dont le sens réel m’est préalablement indiqué par quelque circonstance particulière, et indépendante de leur lecture.

Toutefois les différentes applications que nous venons de faire de l’alphabet phonétique à des caractères ou groupes hiéroglyphiques exprimant des noms communs des deux genres, des articles, des prépositions, des pronoms, des formes de verbes, &c., nous ont conduits, ce me semble, à des résultats assez probans par eux-mêmes, sinon pour démontrer déjà, du moins pour nous induire à croire que la plus grande partie de tout texte hiéroglyphique pourrait bien être absolument phonétique. C’est ce qui va être mis hors de doute par la masse et la généralité des résultats tout-à-fait semblables qui nous restent à exposer. Le chapitre suivant offrira l’application de l’alphabet phonétique à ceux des noms égyptiens hiéroglyphiques où l’on devait le moins s’attendre à reconnaître des sons, aux noms propres des anciennes divinités de

l’Égypte.

Notes du Chapitre IV
  1. Voyez planche V, n.o 5.
  2. Horapollon, liv. I, hiéroglyphe n.o 12.
  3. De Iside et Osiride.
  4. Sur la planche V, n.o 6. — Cette qualification habituelle d’Isis ϫⲣⲙⲟⲩⲧ a été transcrite par les Grecs, sous la forme de θερμουΘις, comme je l’établirai ailleurs.
  5. Planche VI, n.o 1.
  6. Voyez ma pl. VII, n.o 2, et le grand manuscrit hiéroglyphique du cabinet du Roi, gravé dans la Description de l’Égypte, planch. 73, col. 78 ; planch. 75, col. 65, &c.
  7. Texte grec, ligne 40.
  8. Ce mot répond ici à l’image même d’un roi, ou d’un homme portant le sceptre et coiffé du pschent, qu’on trouve sur l’obélisque. C’est un caractère figuratif ; tout le reste de la légende est phonétique.
  9. Texte hiéroglyphique, lig. 10, démotique 28. Voy. pl. VI, n.o 5.
  10. Texte grec, ligne 47.
  11. Voyez pl. VI, n.o 4.