Précaution/Chapitre XXXIX

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne (Œuvres, tome premierp. 276-284).



CHAPITRE XXXIX.


Dites, quel discours peut charmer de si cruels regrets ?
Goldsmith.


Le lendemain de l’arrivée des Moseley à la résidence de leurs ancêtres, Mrs. Wilson remarqua qu’Émilie mettait sa pelisse en silence, et que sans rien dire elle sortait seule, presque furtivement. Il y avait dans son air, sur tous ses traits, une teinte de mélancolie qui fit soupçonner à sa tante pleine de prudence, qu’elle ne faisait cette promenade que pour se livrer plus librement à des sentiments qu’elle devait au contraire combattre de tout son pouvoir ; et ses soupçons prirent une nouvelle force lorsqu’elle la vit se diriger vers le berceau, vers ce même lieu où Denbigh s’était jeté au-devant du coup qui la menaçait. Mrs Wilson mit précipitamment son manteau, et elle suivit sa nièce dans le double motif d’éclaircir ses doutes, et d’interposer en même temps son autorité s’il était nécessaire, pour prévenir à l’avenir de pareilles excursions qui, pour de jeunes imaginations, ont toujours leur danger.

Émilie, en approchant du berceau (car elle s’y rendait en effet), vit que la verdure était flétrie, et que tout autour d’elle était triste et désolé. Quelle différence avec le spectacle que le même lieu lui avait offert, la dernière fois qu’elle y était venue ! Comme tout alors était riant et animé ! Hélas ! la même révolution s’était opérée dans son cœur ; le doux espoir avait fait place à de tristes réalités ! Puis elle se rappelait la conduite de Denbigh sur ce lieu même, ses attentions toujours si délicates, si prévenantes, surtout lorsqu’elle en était l’objet. Tous ces souvenirs venaient l’assaillir à la fois, et, oubliant le motif pour lequel elle était venue, subjuguée par son émotion, elle se laissa tomber sur un banc de gazon, et donna un libre cours à ses sanglots.

Tout à coup elle entend marcher auprès d’elle. À peine a-t-elle le temps de s’essuyer les yeux et de rassembler ses pensées en désordre, que Mrs Wilson entre sous le berceau. Regardant sa nièce d’un air sévère que jamais elle n’avait pris avec elle, et qui fit trembler Émilie :

— La religion nous impose l’obligation, lui dit-elle, et cette obligation, nous devons nous l’imposer à nous-mêmes, de chercher à étouffer les passions qui sont incompatibles avec nos devoirs, et que condamnent nos principes, et il n’y a point de faiblesse plus grande que de chercher à les nourrir lorsque nous sommes convaincus de notre erreur. C’est un aveuglement qui peut avoir pour nous les conséquences les plus funestes que de persévérer à croire innocents ceux que l’évidence nous a démontrés coupables. Plus d’une femme a mis elle-même le sceau à son malheur par cette obstination volontaire. Que sera-ce si l’on y joint la vanité impardonnable de penser qu’on exercera une influence salutaire sur un homme que la crainte de Dieu n’a pu retenir dans le devoir !

— Ô ma chère tante ! ne me parlez pas avec cette rigueur, s’écria la pauvre fille en sanglotant ; je n’ai point cette faiblesse dont vous m’accusez ; puis, levant sur sa tante ses grands yeux où se peignait la plus touchante résignation, elle ajouta : — Ici, à l’endroit même où il me sauva la vie, je venais prier pour que son âme s’ouvrît au repentir, et qu’il revînt de toutes ses erreurs.

Mrs Wilson, attendrie presque jusqu’aux larmes, la considéra un moment avec un mélange de joie à la vue de sa pieuse ferveur, et de pitié à l’aspect de cette trop grande sensibilité dont elle était la victime.

— Je vous crois, ma chère, lui répondit-elle d’un ton plus doux, je ne doute pas que, quel que soit l’amour que vous ayez pu ressentir pour Denbigh, vous n’aimiez encore plus votre Dieu et ses commandements, et je suis sûre que lors même qu’il serait libre, et que vous fussiez seule au monde, sans autre guide que vous-même, vous ne vous oublieriez jamais au point de consentir à lui donner votre main. Mais ce n’est pas assez ; ne sentez-vous pas comme moi que tous vos efforts doivent tendre à bannir à jamais de votre cœur un homme qui ne mérite pas d’y occuper plus longtemps la place qu’il a indignement usurpée ?

— Oui, sans doute, dit Émilie d’une voix tremblante et qu’on entendait à peine, et c’est l’objet de toutes mes prières.

— Très-bien, mon enfant, dit Mrs Wilson en l’embrassant ; avec de tels moyens, et grâce à de constants efforts, vous finirez infailliblement par triompher de vos plus grands ennemis, de vos passions. Les obligations qui sont imposées à notre sexe sont bien pénibles, je le sais, mais nous n’en avons que plus d’honneur à les remplir.

— Oh ! comment ne serait-on pas trompé par les apparences, si… s’écria Émilie en serrant ses mains l’une contre l’autre avec énergie, si un homme tel que Denbigh a pu se laisser aller… à autant de bassesse, voulait-elle dire, mais la honte lui imposa silence.

— Il est heureusement peu d’hommes qui sachent se couvrir aussi habilement du voile de l’hypocrisie. L’exemple de Denbigh fait exception à une règle sacrée : que l’on reconnaît l’arbre à ses fruits. Il m’a prouvé que, malgré nos précautions et notre prudence, nous pouvons nous tromper encore. Le seul moyen de diminuer le danger, c’est d’être continuellement sur nos gardes ; et si c’est un devoir pour les jeunes personnes, c’en est un bien plus impérieux encore pour leurs parents, qui ne peuvent jamais le négliger sans crime.

Émilie, qui pendant ce discours avait repris quelque empire sur ses sentiments, pressa en silence la main de sa tante contre ses lèvres, et s’éloigna la première d’un lieu où tout lui parlait trop de celui dont il lui fallait bannir l’image de son cœur.

Elles reprirent sans se parler le chemin de la maison, et à leur retour elles trouvèrent heureusement une lettre de Julia, qui fit quelque diversion aux tristes pensées qui les occupaient. Elle leur annonçait son prochain départ, et le désir qu’elle avait de prendre congé d’elles à Londres avant de quitter l’Angleterre. Comme elle indiquait l’époque probable où le vaisseau sur lequel elle devait s’embarquer mettrait à la voile, la tante et la nièce virent avec joie que cette époque était postérieure à celle que sir Edward avait fixée pour leur voyage à Londres.

Si Jane eût été à la place d’Émilie, en se rappelant que Mrs Fitzgerald avait été la cause, bien innocente sans doute, de ses peines, ses passions violentes et aveugles lui auraient fait confondre dans son ressentiment l’innocent avec le coupable, ou, si la réflexion eût justifié cette dame à ses yeux, cependant son orgueil et une délicatesse mal placée lui auraient fait regarder son nom seul comme un reproche ; et l’auraient empêchée d’avoir jamais aucune relation avec elle.

Il n’en était pas ainsi d’Émilie. Les malheurs de Mrs Fitzgerald lui avaient inspiré le plus tendre intérêt. Malheureuse elle-même, elle n’en avait pour cette dame que plus de compassion encore. Si son nom seul lui rappelait le souvenir de Denbigh, elle avait trop de raison pour lui en faire un crime, et elle espérait que le temps guérirait sa faiblesse. Une première passion ne s’efface pas en un instant ; elle laisse dans le cœur des traces profondes qu’il est bien difficile de faire disparaître entièrement.

L’arrivée de John avec sa femme et sa sœur répandit un peu de gaieté dans la famille. M. Haughton fut un des premiers à venir féliciter les jeunes époux.

Quelques jours avant celui où ils devaient partir pour Londres, John, dans un de ses accès de folie, dit à M. Benfield avec un grand sérieux, que, quoiqu’il admirât toujours le goût que Peter Johnson déployait dans sa toilette, il ne savait pas trop si le costume de l’honnête intendant qui semblait narguer la mode, ne causerait pas un véritable scandale dans la capitale.

John avait en effet remarqué, lors du premier voyage que Peter avait fait à Londres, qu’une troupe de polissons s’étaient mis à ses trousses en le poursuivant de leurs railleries et de leurs propos injurieux ; que des injures ils en étaient venus aux menaces, et que peut-être même ils se seraient permis des voies de fait si le prudent vieillard n’avait battu en retraite et ne s’était réfugié dans un fiacre. C’était donc pour lui éviter à l’avenir de semblables désagréments qu’il faisait cette observation.

On était alors à dîner et l’intendant était à son poste auprès du buffet. En entendant prononcer son nom, il s’approcha, jeta un coup d’œil sur toute sa personne pour voir si tout y était en règle, puis s’inclinant d’un air modeste, il rompit le silence, déterminé à plaider lui-même sa cause.

— En vérité, monsieur John ! monsieur John Moseley ! s’il m’est permis de dire ma façon de penser, il me semble que pour un homme de mon âge, pour un ancien serviteur, ma mise n’a rien qui puisse faire rougir mon respectable maître.

Le plaidoyer de Johnson en faveur de son costume attira sur lui les regards de tous les convives ; et un sourire involontaire dérida toutes les figures à la vue de l’accoutrement bizarre du vieil intendant.

— Je pense comme John, mon cher oncle, dit à son tour sir Edward ; votre intendant pourrait introduire quelque amélioration dans sa toilette sans mettre à la torture l’adresse de son tailleur.

— Sir Edward… mon cher maître…, permettez-moi, messieurs…, s’écria le vieillard tout ému, qui commençait à trembler pour ses vieux compagnons, ces jeunes gens peuvent aimer leurs habits à la mode, mais mon maître et moi nous sommes accoutumés aux vêtements que nous portons, et nous y tenons parce que nous y sommes accoutumés.

Johnson parlait avec une gravité et en même temps avec un feu vraiment comique. Son maître l’examina à son tour de la tête aux pieds ; après avoir réfléchi en lui-même que jamais il n’avait vu à aucun membre de la chambre un domestique affublé de la sorte, il crut qu’il était temps d’émettre aussi son opinion.

— Je me souviens, dit-il, que le valet de chambre de lord Gosford ne portait jamais la livrée ; mais en vérité, Johnson, je vous assure que je ne l’ai jamais vu se mettre comme vous. Chaque membre avait son domestique, et assez souvent on prenait le valet pour le maître. Lady Juliana, après la mort de son neveu, avait aussi un ou deux domestiques sans livrée, mais qui étaient habillés d’une tout autre manière. Ainsi, Peter, je suis de l’avis de John Moseley ; il faut faire quelque changement à votre toilette, par égard pour les convenances.

— Et vous aussi, Votre Honneur ! balbutia Johnson, plus alarmé que jamais en voyant que son maître se rangeait contre lui. Que M. John Moseley, que tous ces jeunes seigneurs suivent la mode, rien de mieux, c’est de leur âge. Ah ! Votre Honneur, ajouta-t-il en se tournant vers Grace, et en s’inclinant presque jusqu’à terre, si j’avais une jeune et jolie dame à qui je voulusse plaire, je pourrais alors désirer de changer ; mais, Monsieur, à mon âge on tient à ses vieilles habitudes, et mes beaux jours sont passés. Et Peter soupira au souvenir de Patty Steele et de ses amours. Grace le remercia de son compliment par un sourire, et elle dit avec gaieté qu’un homme aussi galant devait mettre plus de soin à sa toilette.

— Peter, lui dit son maître d’un ton décisif, je crois que Mrs Moseley a raison. Si j’allais rendre visite à la vicomtesse (lady Juliana avait alors plus de soixante-dix ans), vous m’y suivriez, et votre bizarre accoutrement ne pourrait manquer de choquer son goût délicat. Maintenant que je vous regarde avec attention, vous me rappelez le vieil Harris, le garde-chasse du comte, un des hommes les plus insupportables que j’aie jamais connus.

Peter ne balança plus ; il connaissait l’antipathie que son maître avait conservée contre le vieil Harris, qui, au lieu d’aider lady Juliana à passer au-dessus d’une barrière, dans un moment où elle était poursuivie par un taureau furieux, s’était amusé à poursuivre un braconnier. Le fidèle intendant n’eût voulu pour rien au monde conserver un vêtement qui rappelait de fâcheux souvenirs à son excellent maître ; cependant il pensa un moment à ne faire d’innovations que dans la partie inférieure de son costume, car, quoiqu’il se creusât la tête pour se rappeler celui du coupable garde-chasse, il n’y pouvait trouver de rapport que dans une vieille culotte de peau qu’il portait depuis une trentaine d’années.

Mais, craignant d’être trahi par sa mémoire, il s’offrit à l’inspection de John, et se soumit à tous les changements qu’il lui indiqua. Trois jours après la conversation à laquelle sa toilette avait donné lieu, il parut vêtu à la mode, d’un habit complet couleur tabac d’Espagne.

Lorsque ce grand changement fut opéré, Peter s’admira longtemps dans une glace, et pensa que si le goût de M. John eût pu diriger sa toilette dans sa jeunesse, le cœur endurci de Patty Steele n’eût pas toujours été inaccessible.

Sir Edward désirait réunir encore une fois ses bons voisins avant de les quitter pour tout l’hiver ; et la veille du départ de toute la famille pour la capitale, le docteur Yves et sa femme, Francis et Clara, et les Haughton, vinrent dîner à Moseley-Hall. Les hommes venaient de quitter la table pour rejoindre les dames, lorsque Grace rentra dans le salon, avec une physionomie rayonnante.

— Votre air de satisfaction semble nous annoncer quelque bonne nouvelle, dit le docteur en voyant sa figure épanouie.

— Une bien bonne, sans doute, répondit Grace, du moins je l’espère et je le crois sincèrement. Une lettre de mon frère m’annonce son mariage et me donne l’espoir de le voir arriver bientôt à Londres.

— Son mariage ! s’écria M. Haughton en jetant involontairement les yeux sur Émilie ; lord Chatterton marié ! Oserai-je vous demander avec qui ?

— Avec lady Henriette Denbigh, au château de Denbigh dans le Westmoreland. Ils se sont mariés sans bruit et bien secrètement, je vous assure, puisque Moseley et moi nous sommes ici ; mais rien ne pouvait me faire plus de plaisir que cette nouvelle.

— Lady Henriette Denbigh ! répéta M. Haugthon… quoi ! une parente de notre ancien ami… de votre ami, miss Émilie, ajouta-t-il en se rappelant la scène du berceau. Émilie eut assez d’empire sur elle-même pour répondre : — Je crois, Monsieur, que c’est sa cousine germaine.

— Lady Henriette ? comment donc a-t-elle obtenu ce titre ? ajouta l’ami indiscret, qui ne se doutait pas qu’il marchait sur un terrain glissant.

— Elle est fille du feu duc de Derwent, répondit Mrs Moseley, qui aimait autant que lui à parler de sa nouvelle sœur.

— Comment se fait-il donc que la mort du vieux M. Denbigh ait été annoncée tout uniment comme celle de George Denbigh, écuyer, s’il était le frère du duc ? dit Jane, oubliant la présence du docteur et Mrs Yves, dans sa rage de connaître toutes les généalogies. N’aurait-il pas dû recevoir le titre de lord, ou du moins celui d’honorable ?

C’était la première fois qu’on s’oubliait au point de faire allusion devant la famille du docteur à la mort de leur ami ; et la pauvre Jane, s’apercevant de son inadvertance, n’osait plus ni parler ni lever les yeux. Le bon ministre, voulant rompre le silence embarrassant qui avait suivi l’indiscrétion de Jane, et prévenir d’autres questions, répondit doucement :

— Je présume que c’est parce que le feu duc succéda au titre d’un cousin germain. Mais, Émilie, j’espère que vous me tiendrez au courant de tous les plaisirs dont vous jouirez dans la capitale. Émilie le lui promit volontiers, et la conversation prit un autre tour.

Dans ses entretiens avec le docteur, Mrs Wilson avait soigneusement évité tout ce qui aurait pu l’amener à parler de son jeune ami, et le docteur de son côté paraissait craindre autant qu’elle que la conversation tombât sur Denbigh.

— Les espérances qu’il avait conçues sont trompées comme les nôtres, pensait la veuve, et il craint tout ce qui pourrait lui rappeler un souvenir pénible. Il a été témoin de ses attentions pour Émilie, il est instruit de son mariage avec lady Laura, et, comme il a beaucoup d’attachement pour nous tous, et en particulier pour Émilie, il est blessé d’une telle conduite.

— Sir Edward ! s’écria M. Haugthon en riant, savez-vous que, si cela continue, les barons vont devenir très-communs ? Avez-vous entendu dire combien nous avons été près d’en avoir un de nouvelle fabrique dans notre voisinage ?

Sir Edward ayant répondu négativement, son vieil ami ajouta :

— Ce n’était rien moins que le capitaine Jarvis qui ambitionnait ce titre.

— Le capitaine Jarvis ! répéta-t-ou autour de lui ; expliquez-vous, monsieur Haughton.

— Mon plus proche voisin, le jeune Walker, ayant été à Bath pour sa santé, n’a pas voulu revenir à B*** sans y rapporter quelques nouvelles bien surprenantes, ou quelque histoire bien scandaleuse.

Lady Jarvis, car elle a pris ce titre depuis qu’elle nous a quittés, voulait à toute force faire un lord de son héritier, et pendant six mois ils unirent tous leurs efforts pour économiser une somme capable de séduire le ministre, et de l’engager à honorer la pairie d’un illustre personnage.

Bientôt après, la fille de notre ancien ami, William Harris, entra dans le complot, et avança même environ 200 livres pour concourir à une si belle œuvre. Quelques circonstances cependant venant éveiller les soupçons de Caroline, elle demanda à être mise plus au courant des affaires. Le capitaine avait prévariqué ; miss Harris se plaignit, jusqu’à ce que celui-ci, avec plus de véracité que de politesse, lui dît qu’elle était folle ; que l’argent, il l’avait dépensé ou perdu au jeu, et qu’elle ne devait pas croire que le ministre et lui fussent assez sots, le premier pour le faire baron, et lui pour l’épouser. Enfin elle vit qu’il l’avait prise pour dupe.

John écoutait cette histoire avec un véritable délice, et impatient de tout savoir il dit :

— Mais cela est-il bien vrai, et comment le public en a-t-il été informé ?

— Miss Harris eut l’imprudence de se plaindre, et le capitaine, pour mettre les rieurs de son côté, raconta toute l’affaire, de sorte que la première est devenue l’objet des sarcasmes de tout Bath, et Jarvis celui du mépris général.

— Pauvre sir William ! dit le baronnet avec compassion, que je le plains !

— Je crains bien qu’il ne doive tous ses malheurs qu’à sa faiblesse, répondit le docteur.

— Mais vous ne savez pas tout encore, reprit M. Haughton, nous ne sommes au monde que pour souffrir. Lady Jarvis pleura, et tourmenta sir Timo pour qu’il résiliât son bail : celui-ci se fâcha d’abord, puis il finit par consentir à prendre une autre maison dans une partie du royaume où ni le nom ni l’histoire de miss Harris ne seraient connus.

— Ainsi donc voilà encore sir William obligé de chercher un locataire, dit lady Moseley, qui ne regrettait guère ses derniers voisins.

— Non, Milady, continua M. Haughton en souriant ; vous savez que Walker est procureur, et de temps en temps il travaille pour sir William. Lorsque Jarvis résilia son bail, le baronnet se trouvait justement à court d’argent, et il pensa que, puisque le Doyenné ne lui était pas utile, il n’avait rien de mieux à faire que de le mettre en vente. Le lendemain, tandis que Walker était avec sir William, un jeune lord vint voir ce dernier ; et, sans marchander, il promit de lui en compter tout de suite 30 mille livres sterling.

— Et quel est ce jeune homme ? demanda lady Moseley avec empressement.

— Le comte de Pendennyss.

— Le comte de Pendennyss ! s’écria Mrs Wilson enchantée.

— Pendennyss ! dit le docteur en regardant avec un sourire Mrs Wilson et Émilie.

— Pendennyss ! répétèrent d’un air de surprise toutes les personnes qui se trouvaient dans la chambre.

— oui, dit M. Haughton, le Doyenné appartient maintenant au comte, qui, dit-on, l’a acheté pour sa sœur.