HOMMAGE AUX FRANÇAISES

de l’influence du métropolitain sur la fabrication des manches de parapluies. — toast aux dames.


Lorsque le Métropolitain de Paris fut ouvert au public, il y a quelques années,[1] on ne tarda pas à s’apercevoir que les administrateurs n’avaient pensé qu’aux hommes et pas du tout aux femmes.

En effet, de chaque côté des voitures, à chaque bout, à l’intérieur, se trouve devant les portes d’entrées ou de sorties une plate-forme, un carré sur lequel on s’entasse le plus souvent, comme dans un meeting de harengs-saurs.

Comme la marche des trains est rapide et qu’il est presque impossible de tenir en équilibre, les ingénieurs ont placé dans le plafond un certain nombre de courroies solides auxquelles on peut se tenir et se retenir par une main.

C’est évidemment très commode, seulement ils ont eu la particulière cruauté de les placer assez haut pour qu’elles ne puissent servir qu’aux hommes et fort rarement aux femmes, presque toujours trop petites pour y atteindre.

Dès les premiers jours, il en est résulté pour les malheureuses deux inconvénients également funestes, également gros de conséquences désastreuses : ou elles n’étaient que quelques-unes sur ces plates-formes et constamment bousculées, rejetées sur les genoux de leurs voisins assis, sur les montants de fer, sur les portes ou sur les vitres, elles rentraient chez elles le soir absolument meurtries, bleuies, avec des noirs sur tout le corps, des gnons sur tous les membres, à ce point que l’on se serait cru en face d’une nouvelle race : la race des femmes truffées !

Ou, matin et soir, on se trouvait horriblement serré, empilé et, sous prétexte de les tenir en équilibre et de leur prêter un bras protecteur et pas toujours séculier, il y avait toujours des olibrius ou de simples goujats, prêts à se livrer à des explorations plus ou moins audacieuses par monts et par vaux, et même quelquefois à pousser jusque dans le voisinage des Pays-Bas ou du département du Bas-Rhin !

Alors c’était leur vertu qui était en jeu, et cette seconde alternative n’était pas plus rassurante que la première.

Aussi, je suis heureux de le constater ici, avec une promptitude de vue, avec une décision admirable, avec une notion claire de ce double danger, avec la vision précise du péril, sans perdre un instant la tête, tout de suite, tranquillement, dans un éclair de génie, sans s’être donné le mot, au même moment, subito, elles trouvèrent le remède vainqueur et doublement protecteur de leur personne et de leur vertu, ces admirables petites Parisiennes, en montant toutes dans le métropolitain avec un parapluie muni d’un manche à crochet ou recourbé.

Ce n’était pas plus malin que ça, mais il fallait le trouver et, avec ce manche, protecteur parce que crochu, elles donnaient une rallonge a leurs bras trop courts et pouvaient enfin s’accrocher ainsi triomphalement aux fameuses courroies, jusque-là réservées aux hommes par la férocité de la compagnie.

Au point de vue purement commercial et économique, les conséquences fécondes n’ont pas tardé à se faire sentir ; dans tout Paris les dessinateurs et même les sculpteurs cherchèrent des motifs nouveaux, élégants, commodes et artistiques de manches de parapluies, de crossettes, comme on dit encore à la campagne.

Si, pour les pauvres statuaires, ce n’était pas l’Institut, c’était, du moins, le pain assuré pour quelque temps et bientôt cette branche de l’article de Paris s’en allait, rayonnante et rajeunie, porter le goût français à travers le monde et partout aussi, à travers le monde, c’était bien l’article de Paris battant l’article de Vienne.

Mais ce n’est pas tout et si, d’un large coup d’aile, nous voulons nous élever plus haut et atteindre aux considérations sociologiques et patriotiques, nous pouvons en tirer encore les conséquences les plus heureuses, les conclusions les plus consolantes.

Quand une nation possède des femmes pareilles, toujours à la hauteur des circonstances les plus critiques, toujours capables de les dominer et d’en sortir victorieusement en trouvant la solution la meilleure, le moyen sauveur, je dis que cette nation n’a pas à désespérer de l’avenir et qu’elle peut et qu’elle doit, au contraire, regarder l’horizon insondable des temps futurs avec sérénité !

(Applaudissements prolongés.)

Oui, voilà ce qu’ont fait les Parisiennes, toutes les Françaises demeurant à Paris devant cette mauvaise action du Métropolitain et voilà pourquoi je veux m’écrier :

La France aux Françaises !

Et maintenant, chères auditrices, vous devez comprendre, comme moi, toute l’importance économique, toute la portée sociale de cette grave question de l’influence du Métropoliain sur la fabrication des manches de parapluies.

J’espère l’avoir mise suffisamment en relief devant vous et, en même temps, j’étais heureux de saisir cette occasion de rendre ici un public hommage au sexe enchanteur (cliché 491) auquel la plupart des hommes doivent leur mère !…

(Rires.)

  1. Discours prononcé au dîner de la Société des Gens de Lettres pendant l’hiver de 1900 à 1901.