UN NOUVEAU PROJET DE MÉTROPOLITAIN

plus d’électricité, plus de feu, plus de danger. — comme à l’exposition. — le trottoir roulant, souterrain. — commodité, tranquillité, sécurité.


L’épouvantable catastrophe du Métropolitain a remis ce dernier à la mode, et il me semble que le moment est venu pour moi d’exposer en cinq sec mon projet personnel qui est très simple, sans fumée ni odeur et tout bonnement épatant.

Comme l’on n’invente pas tout, d’un seul coup, à soi tout seul, il est bien évident que je me suis inspiré des projets antérieurs et que j’ai groupé autour de moi une phalange de 1.149 collaborateurs des plus distingués — comme de simples économistes !

Nonobstant, je pense que mon projet est encore assez intéressant, et surtout assez original, pour mériter de recueillir les suffrages du plus grand nombre de mes concitoyens.

Tout d’abord mon métropolitain à moi, n’aura qu’à faire usage de galeries creusées actuellement, mais il sera à trottoir roulant souterrain, tout comme celui de l’Exposition était à trottoir roulant aérien et c’est justement là ce qu’il y a de véritablement roulant dans mon système.

Avec trois plates-formes étagées, à vitesse différente, de chaque côté, dans les deux sens, on arrivera facilement à obtenir la vitesse actuelle des trains du Métropolitain ; seulement comme la force motrice ne se trouvera plus que dans des usines, de distance en distance, il n’y aura plus aucune crainte d’incendie à avoir, ce qui sera un point capital pour le dito engagé dans l’affaire.

Mais ce n’est pas tout ; naturellement l’éclairage sera forcément indépendant et ne s’éteindra jamais et puis comme ça marchera toujours, sans arrêt, sans interruption, il n’y aura jamais encombrement quelle que soit la foule, les dimanches, jours de fêtes, aux heures de travail ou de rentrée, qui puisse se précipiter aux gares.

À ce point de vue là on aura toujours l’ordre le plus parfait, de l’air, de la place, de l’espace et l’on pourra transporter tout le monde, que dis-je, quatre fois plus de monde qu’à l’heure présente, sans la moindre bousculade, sans le moindre encombrement et par conséquent sans attente et sans perte de temps.

Ces points acquis sont déjà bien intéressants et cependant ce n’est rien à côté de tous ceux que je voudrais encore pouvoir mettre en lumière, si le temps et l’espace ne me faisaient défaut dans ce chapitre qui doit être forcément restreint.

Néanmoins il est encore quelques points sur lesquels il est absolument urgent et nécessaire d’insister plus particulièrement, Ainsi, comme pendant l’Exposition, pour ne pas perdre son temps, tous ceux qui ne seront pas assis sur le banc en haut de la troisième plate-forme à marche accélérée, et ce sera certainement la majeure partie, marcheront dans le sens du trajet et gagneront encore ainsi beaucoup de temps ; du reste ça ne sera guère la peine de s’asseoir, car avec mon système je pense que l’on pourra facilement traverser ainsi tout Paris en 13 ou 14 minutes. Naturellement rien ne sera plus facile que de descendre aux gares en changeant de plate-forme successivement et en admettant que l’on ait laissé passer sa gare, pour une raison quelconque, on pourra toujours au centre, sur la troisième plateforme à marche rapide, passer sur celle qui va en sens inverse en se laissant glisser ; mais j’avoue que ça serait dangereux et peu commode.

Sans vouloir l’impossible et en nous tenant à notre programme, il est certain que mon système de Métropolitain à trottoirs roulants souterrains supprimera les attentes, les pertes de temps, les bousculades, les encombrements, les craintes d’incendie, d’asphyxie, de tous dangers, en un mot et que, par conséquent, il aura, à coup sûr, quatre fois plus de voyageurs que le Métropolitain actuel.

Dans ces conditions une mesure démocratique, une sanction populaire s’imposent à l’idée de tous les économistes, et de tous les humanitaires : l’abaissement du prix de transport que mon projet peut seul permette de réaliser efficacement tout en respectant les droits des actionnaires et de la ville.

— Et alors, direz-vous, vous allez mettre votre Métropolitain à 10 centimes ?

— Non, Messieurs, saints Thomas de mon cœur, je vais le mettre à cinq centimes, prix unique et je serai sûr de faire faire une fortune énorme aux actionnaires ; car si mon système attire tout de suite quatre fois plus de voyageurs, avec ses avantages multiples, comme je viens de vous l’exposer compendieusement, du moment que je le mets à 5 centimes, prix unique pour circuler entre toutes les gares, c’est dix fois plus de voyageurs et faites tous les calculs du monde c’est encore moi qui ai raison — comme toujours — pour ne pas perdre l’habitude de la modestie !

Et ne venez point me dire que ça sera triste et morose un trottoir roulant souterrain ; ça sera au contraire éclairé a giorno, très lumineux, très vivant. On pourra se réunir librement par groupe sympathique, circuler, se promener dans le sens de sa direction, flirter avec les jolies filles et les jeunes trottins, et l’on pourra aussi, point capital, idéal et sublime qui est l’un des points géniaux de mon idée — qui n’en manque pas — prendre son absinthe, son apéritif, car de distance en distance j’installerai des bars élégants, où les enfants trouveront des gâteaux, les auvergnats, des sandwichs et les petits employés la purée succulente, la désastreuse absinthe.

Et n’allez pas me dire que je ne ferai ainsi tout le premier, que pousser au vice. C’est là précisément où gît votre erreur, car plus on prendra vite son apéritif dans le Métro et moins on aura le temps d’en prendre beaucoup, comme au café où l’on s’attarde volontiers plus qu’il ne convient !

Enfin, j’arrive à une autre combinaison qui me tient fort au cœur et qui, celle-là, m’a tout simplement été inspirée par les sapeurs-pompiers ; vous savez comment ils ont des tubes de toile pour descendre les personnes des étages supérieurs des maisons en feu. Eh bien ! ce tube, je l’installe, moyennant un droit à payer à la ville, dans toutes les maisons qui se trouvent en bordure le long d’une ligne métropolitaine et les locataires n’ont plus qu’à se rendre dans la cour, à se laisser glisser dans le tube incliné et à venir tomber ainsi tout doucement sur leurs pieds, le long du mur, sur la première plate-forme, celle qui va encore lentement.

Immédiatement les maisons pourvues de cet appareil, de ce bien heureux tube, voient leur loyer doubler et tous les propriétaires, aussi bien que les locataires sont dans une joie délirante ; il n’y a plus de temps de perdu, c’est le comble de la vélocité, et tout le monde est vraiment content et heureux dans ma bonne ville de Paris.

Cette fois je ne dirai pas que mon idée est géniale, je dirai qu’elle est vraiment surhumaine, divine et qu’elle constitue bien la dernière et la plus intense expression du progrès moderne appliqué aux moyens de transport.

Cependant je ne les ai point fait breveter parce que je suis seul en état de les appliquer, parce qu'il faut trouver des millions et enfin et surtout parce que je connais si bien l'esprit de routine de mes infortunés contemporains, qu'ils sont encore bien capables de rechigner et de ne pas vouloir appliquer le projet le plus simple, le plus économique, le plus rapide et le plus sûr qui existe ; et si je dis ça, ce n'est pas parce que j'en suis l'auteur, mais simplement parce que c'est l'expression de la plus rigoureuse vérité !