LA BARBE DE CAPUCIN

influence curieuse du métropolitain sur son personnel. — le diplôme des charretiers. — le tube éclair.


On sait que la ligne no 3, c’est-à-dire de l’avenue de Villiers à la mairie du vingtième a été complètement achevée il y a plus de deux ans et que les études de la ligne no 4, de la porte de Clignancourt à la porte d’Orléans, sont enfin terminées depuis quelques mois, ce qui permettrait d’espérer d’avoir la ligne no 2 entière sous peu.

D’un autre côté, l’on sait qu’un assez grand nombre de Savoyards sont employés sur les lignes actuellement en exploitation et quelques-uns sont venus me trouver, sachant que je me suis beaucoup occupé toute ma vie de spéléologie, c’est-à-dire de l’étude des cavernes et du monde souterrain, pour me demander si cette action de passer leur vie sous terre n’allait pas exercer une influence sur leur santé ou tout au moins sur leur corps.

Je ne suis pas médecin, par conséquent, je n’ai ni le droit ni le désir de donner une consultation, mais je peux donner, non pas même mon opinion personnelle, mais le résultat de mes longues observations depuis plus d’un tiers de siècle à travers les mines et carrières des pays de charbons, les grottes souterraines du plateau central, de la France, des Alpes et des Pyrénées, des Baléares, etc., et enfin à travers les égouts de Paris et de la plupart des grandes capitales du monde.

Tout d’abord les 81 et 91 marches des nouvelles gares de la place de la République, de l’avenue Parmentier et du Père-Lachaise vont incontestablement développer singulièrement les maladies spéciales des femmes, si l’on ne se décide pas, comme je le demande toujours, à établir non pas des ascenseurs impraticables, mais des tapis roulants en pente douce pour remonter et descendre à volonté, sans fatigue dans les deux sens.[1]

Mais j’arrive à ce qui intéresse plus particulièrement le sort de l’ouvrier, au point de vue, sinon de la santé, au moins des modifications physiques de nos compatriotes employés sur le réseau du Métropolitain.

Évidemment ils seront même mieux que les employés des mines, que les ouvriers mineurs de la Belgique ou du Gard, puisqu’au lieu de respirer les poussières de charbon plus ou moins malsaines, ils respirent la créosote qui est un des antiseptiques les plus bienfaisants contre les affections de poitrine.

Mais à un autre point de vue, c’est bien le cas de le dire, ceux qui ne sont pas employés dans les trains lumineux, mais bien sur la voie obscure, pourront à la longue, au bout de quarante ou de cinquante ans de service, voir leur vue se modifier et même leurs yeux disparaître tout à fait comme un objet sans usage, comme cela s’est produit pour les poissons aveugles des catacombes de Paris.

Et si ce n’est pas les employés du Métropolitain à la première génération, ce pourra être leurs arrières-petits enfants à la huit ou dixième génération, s’ils ont toujours continué à travailler dans le Métro qui deviendront, sinon comme les poissons aveugles, du moins myopes comme des taupes !

Ensuite tout ce qui vit sous terre, dans l’obscurité plus ou moins grande, pâlit, blanchit, s’étiole, s’anémie et devient blafard ! Il ne serait donc pas étonnant, il paraît même évident qu’à la cinq ou sixième génération les employés du Métro arriveront à avoir les cheveux et la barbe pâles, longs et décolorés comme cette salade bien connue qui pousse dans des tonneaux, au fond des caves et que l’on appelle de la barbe de capucin !

Voilà évidemment une perspective curieuse, étrange et surprenante mais comme elle est encore éloignée, je prie nos excellents amis de se tranquilliser s’ils ont des petits-enfants aveugles ou mieux sans yeux, comme les poissons aveugles des catacombes et possédant des cheveux et une belle barbe blonde filasse comme la barbe de capucin, en vertu des lois inéluctables du transformisme qui ne sauraient mentir, ça ne sera toujours pas avant un siècle ou deux et, comme dit l’autre, d’ici-là on a toujours bien le temps de laisser pisser le mouton et même la brebis.

Et maintenant, toujours en fait de transport, je veux rapporter deux nouvelles sensationnelles ; d’abord celle qui concerne le diplôme ou baccalauréat des charretiers. Le talent de celui qui conduit un véhicule, dit un confrère, doit-il se mesurer à la vitesse de ce véhicule ? Évidemment non. Car, si l’automobiliste doit éviter d’arrêter dans sa course le cocher de fiacre, il faut que celui-ci y mette aussi du sien pour se garer des atteintes de son rapide confrère.

C’est pourquoi un brevet fut jugé nécessaire pour être cocher, non moins que pour diriger un automobile.

« Eh bien ! Et nous ? se sont alors écriés d’une commune voix les charretiers. N’avons-nous pas à faire preuve également de quelque doigté ? Combien de fois ne voit-on pas les médiocres sujets de notre corporation barrer la route à toute une enfilade de tramways, pour avoir butté quatre ou six chevaux de si sotte façon que leurs chariots restent en panne sur des rails ? Nous aussi nous voulons un diplôme ! Ainsi seront éliminés tous ceux dont la maladresse fait pester et sacrer les voyageurs bloqués par eux. »

Forts de ce raisonnement, les charretiers s’en sont, allés trouver M. Lépine. Ils ont demandé qu’en France il fût créé un examen de plus. Jusqu’ici M.  Lépine a refusé. Peut-être a-t-il craint d’encombrer ses archives de parchemins nouveaux mais a-t-il prévu d’autre part à quels encombrements pourrait nous exposer la vengeance des charretiers ?

Mais ce n’est pas tout, aux dernières nouvelles, on m’apprend que les conducteurs des voitures de chèvres des Champs-Élysées et les conducteurs de manèges de chevaux de bois demandent aussi un diplôme non plus de bachelier, mais bien de docteur-cocher, sous le fallacieux prétexte que les chevaux de bois ont la tête dure comme les chèvres et sont fort difficiles à dresser !

Elle est bien bonne !

Maintenant, voici la seconde information non moins sensationnelle que la première :

Les Parisiens sont fiers de leurs petits bleus ; ils en usent et en abusent à tout propos, comme du plus subtil bienfait de la civilisation. Qu’ils apparaissent mesquins pourtant ces pauvres petits rectangles de carton souple ; aux dimensions soigneusement limitées, lorsqu’on les compare aux objets variés que Londres, après expérience faite, se prépare à expédier par ses tubes pneumatiques.

Tout y passera, même les animaux, tels que chiens, chats et cochons d’Inde. Tout récemment, un caniche expédié par cette voie souterraine arrivait à bon port dans les meilleures conditions.

« En vingt-cinq secondes exactement, raconte le Daily Mail, le cylindre et le chien furent rejetés hors du tube, ayant accompli un trajet de 800 pieds. Il faut dire qu’après avoir été relâché, l’animal s’est mis à remuer la queue et à donner tous les signes de satisfaction que l’on connaît à ses pareils. »

Les plus fragiles objets, les plus susceptibles de redouter les suites d’un assez long transport ont fait le même voyage sans la moindre avarie. Des services à thé, de la verrerie, des œufs, des chapeaux de femme ont circulé dans des tubes pneumatiques dont le diamètre n’atteint pas moins de 25 pouces.

C’est, comme on le voit, une transformation complète de la vie londonienne. Désormais les grands magasins ne connaîtront pas d’autres procédés de transport. On pourra même faire venir son dîner par la voie pneumatique. Si le petit commerce arrive à se relever de ce dernier coup, c’est qu’il possède à Londres une vitalité vraiment insoupçonnée.

Maintenant que ça a si bien réussi, l’on va construire des tubes plus gros, de manière à pouvoir transporter les bipèdes et alors ça deviendra le sport ultra-chic d’accomplir ainsi son voyage de noces dans le gros tube intestinal de la ville de Londres. Ça ne sera plus le ver solitaire des capitales, mais qu’est-ce que pourront bien faire les jeunes mariés, pressés comme des harengs-saurs dans le dit tube ?

Tirons les rideaux, pardon, fermons le tube, car ce spectacle pourrait effaroucher mes jeunes et aimables lectrices !

  1. Si je suis bien informé, le Conseil Municipal paraît enfin décidé à écouter mes conseils, intéressant les dits tapis.