CURIEUSES CONSÉQUENCES DU MÉTROPOLITAIN

les arbres neurasthéniques sur le boulevard des Batignolles. — une nouvelle maladie de la flore. — surprises du monde savant.


Tous les jours les progrès de la science amènent non seulement de nouvelles découvertes, à proprement parler, mais de nouvelles découvertes à côté, si j’ose m’exprimer ainsi, qui sont comme les courants d’induction de l’intelligence humaine en marche, de ce fluide intellectuel parallèle au fluide purement physique de l’électricité, connue je l’ai déjà démontré ici-même… Si je fais ces constatations, c’est d’abord parce qu’elles ne sont peut-être pas indifférentes au développement de mon sujet et ensuite parce qu’elles viennent d’être provoquées de nouveau dans mon esprit à la suite de la très curieuse et très intéressante découverte que je viens de faire, après de longues et patientes études, boulevard des Batignolles, avec un groupe d’amis, de jeunes savants, ne s’occupant exclusivement que de physiologie végétale, cette science encore si mal connue et si mystérieuse à l’heure présente.

Comme tous les Parisiens de la rive droite qui s’intéressent au développement de nos moyens de transport — et je puis dire que c’est particulièrement mon cas — j’ai suivi avec un grand intérêt, presque au jour le jour, je l’affirme, la construction de la ligne métropolitaine de la rive droite, de la place de l’Étoile à la place de la Nation. En passant au-dessus du tunnel des Batignolles de la Compagnie de l’Ouest, l’espace était si mesuré que l’on a dû supprimer les arbres du boulevard, mais un peu plus loin, aussitôt que la chose fut possible, on s’empressa de les laisser pour satisfaire aux justes réclamations des Parisiens qui n’aiment pas que l’on touche à leurs arbres qu’ils considèrent, avec juste raison, comme leurs poumons mêmes !

Les premiers mois, tout parut marcher à souhait ; mais à partir de l’année suivante, sans mourir et sans même paraître malades, certains arbres des boulevards des Batignolles et de Clichy devinrent jaunes, d’autres rachitiques ; certains parurent positivement se ratatiner et l’on crut que les plus jeunes allaient voir leur croissance subitement arrêtée pour rester nains, comme les petits arbres torturés par les Japonais.

Mais, au fond, tout cela n’était pas encore visible pour les yeux distraits de la foule, et, si j’en fus moi-même averti le premier, c’est grâce à un vieux cantonnier de la Ville qui travaillait sur cette section et qui vint un jour me trouver les larmes aux yeux pour me dire combien il était inquiet sur le sort futur, sur la santé, en un mot, de ses arbres.

Inutile de vous dire que je le suivis en toute hâte pour examiner avec soin l’état des arbres des boulevards extérieurs et, fort ému moi-même de ce que je constatai, je m’empressai, à mon retour, de former une Société avec Arthur Thézard, l’éminent chimiste, et avec mes jeunes savants, mes professeurs de physiologie végétale, et nous nous mîmes à étudier les arbres malades, nuit et jour, sans désemparer, méthodiquement, chacun à son tour et à son heure de garde.

Au bout de trois mois, notre conviction à tous était faite. Ces arbres ne se mouraient pas de manque de terre, ils n’étaient pas autrement malades mêmes, si l’on veut, peut-être encore finiraient-ils par s’acclimater et se faire au voisinage du Métropolitain. Mais la vérité vraie et qui était pour nous la plus curieuse et la plus éloquente des constatations, c’est que ces arbres étaient simplement neurasthéniques et tous atteints de maladies nerveuses occasionnées par les trépidations du métropolitain. Au premier abord nous fûmes surpris, il s’en trouva même parmi nous pour crier à l’hérésie scientifique, mais ils songèrent à la sensitive, de toutes les plantes une des plus curieuses, à cet égard, des pays intertropicaux mais nos protestataires furent bien obligés de se rendre à l’évidence et de convenir eux-mêmes qu’étant des physiologistes ne s’occupant que de la Flore, ils ne seraient point logiques avec eux-mêmes, s’ils osaient contester un instant la réalité tangible de pareils phénomènes.

Une fois sur la voie et en possession de la vérité nous ne tardâmes pas à arriver à des résultats vraiment surprenants en classant toutes les maladies nerveuses dont étaient atteints ces pauvres arbres, tout comme Charcot lui-même avait pu le faire autrefois avec ses filles hystériques ou ses dégénérées de la Salpêtrière.

Je commençai par construire un sismographe d’une sensibilité extrême, de manière à pouvoir arriver à tâter le pouls des arbres, si j’ose m’exprimer ainsi, et, je ne tardai pas à constater qu’ils avaient tous plus ou moins une petite secousse nerveuse et neurasthénique, qu’il ne fallait pas confondre avec une secousse matérielle et physique, au passage de chaque train métropolitain, et nous fûmes assez heureux pour pouvoir donner un nom à toutes les affections nerveuses dont étaient atteints les dits arbres, ce qui est d’ailleurs le rôle de la médecine, comme chacun sait.

Les deux principales, les plus fréquentes furent donc appelées neurophyllie et chlorophyllie, ce qui d’ailleurs correspondait assez bien à leur état pathologique général.

Cependant, un seul arbre, me donnait toujours des inquiétudes, ses feuilles semblaient toujours agitées par un vent léger, même pendant les temps les plus calmes, et, je finissais par n’y plus rien comprendre du tout. Enfin, voulant en avoir le cœur net, je le fis entourer à mes frais, d’une vaste tente, avec l’autorisation de toutes les autorités constituées, ce qui ne fut pas commode à obtenir ! La même brise légère continuait à agiter les feuilles de mon pauvre arbre malade !

Ah ! Métropolitain, voilà bien de tes coups, ce pauvre hêtre avait simplement la danse de Saint Guy !

De là à croire que les plantes souffrent comme les bêtes il n’y a qu’un pas, mais arriverons-nous jamais à conclure d’une façon vraiment scientifique et expérimentale ?

J’en doute un peu.

Je parlerai aussi de l’influence des chemins de fer sur le système nerveux des jeunes filles et je citerai un cas non moins curieux dont je viens d’être témoin en Italie.

Et si je puis apporter ainsi ma modeste contribution aux progrès incessants de la médecine, j’en serai trop heureux et je ne demanderai pas d’autre récompense que d’avoir pu servir ainsi, utilement, tout à la fois la science, mon pays, et l’humanité souffrante.