Les industries nouvelles

Dentistes pour peignes et démêloirs. — Laisses nickelées pour concierges.
Académie de cours d’anatomie pour tailleurs pour dames.
Jardinier pour fenêtres fleuries.


Avec les difficultés de la vie, tout le monde cherche à se créer de nouvelles ressources et c’est ce qui explique la grande ingéniosité de nos modernes inventeurs et de nos jeunes industriels et voilà pourquoi je veux vous entretenir en ce moment de celles qui me paraissent vraiment utiles et indispensables pour les besoins de nos contemporains.

Tout d’abord voici un heureux auvergnat qui vient de s’installer dentiste pour peignes et démêloirs.

Il a remarqué que les femmes du monde tout entier et même du demi possèdent des peignes et démêloirs, râteaux pour cheveux, etc., en écaille de très grande valeur dont souvent les dents se cassent.

C’est une grosse perte et grâce à son système de ramollissement de la matière à l’étuve sous haute pression, il pose des dents aux peignes qui en manquent et réalise ainsi une greffe tout à fait invisible. C’est le comble de la prothèse dentaire appliquée au cabinet de toilette d’une jolie femme et il n’est pas douteux que cet homme ingénieux n’arrive promptement à une belle fortune.

Le second inventeur est simplement un jeune télégraphiste encore imberbe, ce qui prouve bien que la valeur n’attend pas toujours le nombre des années. En distribuant ses petits bleus et en faisant le pied de grue dans la plupart des immeubles de son quartier dont les pipelets sont toujours absents, il a eu l’idée véritablement géniale de fabriquer une laisse nickelée — un vrai bijou — pour retenir les concierges à leur loge.

Il y en a de plus ou moins longues, il y en a pour les pieds et d’autres pour les mains ; il y en a d’assez longues pour pouvoir aller jusque chez le troquet voisin. Enfin il y en a pour le cou, destinées aux cerbères vraiment méchants et grincheux.

Il a commencé à envoyer une modeste circulaire à tous les propriétaires de Paris et des capitales dotées de la belle institution du concierge et dès les premiers jours, il a reçu 57 983 commandes fermes, à telle enseigne qu’il a trouvé de suite des capitaux et qu’il va élever une vaste usine à Saint-Ouen, boulevard Victor Hugo.

Du reste ce succès ne me surprend pas, car son invention est bien faite pour rendre la sécurité aux locataires, pour ruiner, du même coup, l’industrie de plus en plus florissante des cambrioleurs et, en un mot, pour tout dire, je la trouve digne des loges !

Mais voici que je reçois un prospectus d’un intérêt non moins palpitant ; un statuaire italien, se trouvant momentanément dans la plus noire des purées, vient de fonder l’Académie des cours d’anatomie à l’usage des tailleurs pour dames. Je ne sais pas s’il y aura là des études longues et compliquées — le programme parle de trois ans de cours — mais comme aussi il parle de mannequins d’osier — à toi, Anatole France ! — et de modèles vivants, je crois pouvoir en conclure que ce sera un fort joli métier !

Il y a particulièrement toute la section de géographie comparée, qui promet vraiment d’être du plus haut intérêt scientifique et artistique, tout à la fois. Que de montagnes et de vallées charmantes ! Et la bonne déesse Vénus en reconnaîtra bien une au moins !

Je ne veux pas entrer dans de plus longs détails pour ne pas déflorer le sujet ; mais je suis persuadé, d’ores et déjà, que cette nouvelle académie est destinée à maintenir très haut notre universelle réputation de bon goût et de suprême élégance et je ne puis vraiment que souhaiter bonne chance à l’aimable artiste qui vient de l’ouvrir en plein Paris, entre la Madeleine et les carrières d’Amérique !

En fait de carrière, ou je me tromperais fort, je suis persuadé qu’il a encore choisi la plus charmante et la plus lucrative, en même temps !

Cette fois il s’agit plutôt d’une œuvre de solidarité humaine que d’une industrie nouvelle et voici à ce propos la note que la plupart des journaux viennent de reproduire :

« Un groupement vient de se fonder, sous le nom d’Œuvre des Fenêtres Fleuries, pour donner aux logements ouvriers le luxe élémentaire de la fleur.

Ses fondateurs et fondatrices sont convaincus que les déshérités de la vie ont besoin des joies de la nature et qu’ils y ont droit ; dans leur pensée, il faut, tout en donnant des vêtements à ceux qui ont froid, du pain à ceux qui ont faim, mettre aussi l’âme de nos frères moins fortunés en mesure de recevoir, après le travail de chaque jour, la leçon de douceur, de paix et de beauté qui se dégage des fleurs.

La Société des Fenêtres Fleuries distribue au printemps dans les associations populaires — écoles, patronages, instituts et universités populaires, œuvres d’assistance, — des graines, des plantes, et tout ce qui est nécessaire pour procurer aux plus modestes demeures la charmante illusion d’un jardin.

Les dons sont reçus chez M. Adrien Michel, trésorier des Fenêtres Fleuries, 31, rue d’Amsterdam ; chez Mme Chalamet, directrice de la Résidence Universitaire, 95, boulevard Saint-Michel ; et chez Mlle Marie Sauvage, à l’intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 31 bis, rue Massé.

Les envois en nature — graines, plantes d’ornement, vases, terre de jardin, etc. — seront reçus avec reconnaissance au siège de la Ligue du Coin de Terre et du Foyer, 26, rue Lhomond.

L’Œuvre des Fenêtres Fleuries est exclusivement une œuvre d’art et de bienfaisance ; elle accueille tous les concours et, dans la mesure de ses ressources, fera droit sans distinction à toutes les demandes qui lui parviendront.

Pour tout renseignement, écrire au secrétaire des Fenêtres Fleuries, 40, rue d’Ulm, Paris, Ve. »

Du reste si l’idée est touchante, elle n’est pas nouvelle et l’œuvre des jardins en chambre fonctionne admirablement à Londres depuis plus d’un tiers de siècle. Au lendemain de la guerre je lui ai consacré une chronique dans la revue littéraire de mon ami Ali Vial de Sabligny qui fit le tour de la presse d’alors et je me souviens parfaitement qu’en termes émus et avec un trémolo au bout de ma plume, je remerciais les grandes dames anglaises d’avoir pensé si gentiment à Jenny l’ouvrière !

Tout ça ne nous rajeunit pas, tout de même ! Et dire qu’il a fallu plus de trente ans pour qu’une idée, tout à la fois si simple et si belle, traverse le détroit !

Enfin c’est fait et l’on me dit que de toutes parts surgissent les fleuristes et jardiniers pour fenêtres fleuries ! Allons, tant mieux car, pour ma part, comme je le disais déjà au lendemain de la guerre — et depuis je pense toujours de même — j’y vois un puissant moyen de moralisation et ce doit être une joie aux âmes bien nées, comme l’on aurait dit au siècle dix-huitième, de donner un peu de gaité, de bonheur et de poésie à nos jolies petites sœurs moins fortunées, à ces charmants petits moineaux, à ces accortes midinettes, en leur permettant de croire au printemps, à l’amour et à la divine espérance, en aspirant l’enivrant et chaste parfum des fleurs !

Et puis, comme disait un vieux philosophe de mes amis : on ne doit jamais séparer cette trinité auguste et charmante : les femmes, les fleurs, les oiseaux, puisqu’ils sont chacun à leur manière la joie et la gaité du foyer familial.

Mais je m’arrête, car je finirais par devenir « pompier », ce qui n’est pas du tout le rêve de ma vie.