Les dernières inventions de M. Santos-Dumont

L’école des petits aéronautes.
Les concierges et les garages de ballons
Au sixième ou au septième étage.
Merveilleuse révolution économique.
Comptes en l’air.

Les journaux sérieux et qui se piquent d’être bien informés, publiaient dernièrement l’information suivante que je qualifierai de savoureuse, pour me servir du jargon à la mode :

« Après l’école des petits forains, l’école des petits mariniers ; après la roulotte, la péniche…

Un bienfaiteur des mariniers, M. de Malarce, vient d’avoir l’idée — qui va être mise prochainement à exécution — de créer à leur intention une catégorie spéciale d’instituteurs ambulants : ceux-ci parcourraient les cours d’eau de France et donneraient aux enfants qui naissent et grandissent sur les maisons flottantes que sont les péniches, l’instruction qui leur fait presque totalement défaut.

Cette institution de professeurs nomades sera calquée sur quelque chose d’analogue qui existe déjà au Canada, et y rend les plus grands services. »

Très frappé par cette idée, tout à la fois lumineuse et aquatique, M. Santos-Dumont a résolu d’établir des écoles pour petits aéronautes dans des ballons captifs et comme naturellement il convenait, avant tout, de rendre cette heureuse et géniale invention pratique, il a proposé aux Conseils municipaux de Paris, de New-York, de Séoul et de Bougival en France de déplacer les concierges et, au lieu de les laisser au rez-de-chaussée, de les installer au dernier étage, c’est-à-dire au six ou septième chez nous, au 18 ou 21e étage aux États-Unis, avec une large terrasse-plate-forme sur les toits pour garage de ballons à usage du public d’abord et ensuite des enfants d’aéronautes qui se rendront à l’école aux ballons-captifs primaires, en petits ballonnets et qui seront désireux d’arriver à l’heure ; pour ne pas se le faire enlever — le ballon !


Ensuite M. Santos-Dumont, mû par un sentiment d’humanité tout à fait supérieur, comme il m’a fait l’honneur de me le dire à moi-même, en arrachant ainsi les concierges, portiers, pipelets, etc., aux humidités caverneuses et noires des rez-de-chaussée, espère faire beaucoup pour la disparition définitive des rhumatismes sur la terre, car il est aujourd’hui avéré que ce sont les pipelets et les pipelettes, leurs infortunées épouses, qui en sont les propagateurs les plus redoutables.

Enfin du même coup, dit-il fort judicieusement, je rends la dignité à ces pauvres gens qui avaient l’air d’être un peu nos domestiques, en supprimant effectivement le cordon !

En descendant du ciel, c’est bien le cas de le dire, en abordant sur nos terrasses aérées et lumineuses, il n’y aura plus besoin de demander le cordon et croyez bien que l’établissement des concierges au haut des maisons va bien réellement constituer le progrès le plus intéressant et vraiment le plus émancipateur du xxe siècle.

Comme c’est aussi mon avis, je ne puis vraiment qu’opiner du bonnet devant les conceptions épatantes et tout à fait merveilleuses du célèbre aéronaute brésilien.

Cette fois son invention me paraît aussi pratique que sérieuse ; une fois n’est pas coutume, comme dit l’autre, et je suis heureux de pouvoir le proclamer hautement ici !

J’allais en rester là quand une jeune et charmante amie me dit :

— Je vous en prie, parlez-nous des nouvelles sensationnelles de la semaine ; c’est votre devoir de chroniqueur fantaisiste.

— Parfaitement, ma belle enfant, et je commence par ce fait divers :

« Le futur mikado, le prince Micchi, aura trois ans en avril. C’est un petit diable, dont les espiègleries sont célèbres dans tout le Japon. L’empereur n’est pas superstitieux. N’empêche qu’à sa naissance, Micchi eut son horoscope tiré par les astrologues de la cour. Depuis, on procède chaque jour à la même opération. Il en sera ainsi jusqu’à ce que le prince ait atteint vingt-cinq ans. Le peuple veut ça ; l’empereur et le prince héritier cèdent à la volonté de leur peuple.

À six mois, Micchi eut un sceau, chose de première nécessité au pays des chrysanthèmes. De nombreux artistes travaillèrent longtemps à parachever l’emblème. Le tyran en herbe est entouré de vingt-deux gouvernantes fort jolies, le comte Kawaimura est l’intendant de la nursery. Rien n’y entre sans qu’il le sache et n’ait apposé sur l’objet le sceau du petit prince.

Micchi était à peine âgé de quelques semaines lorsqu’on lui a « arrangé » les yeux, si bien qu’il n’a pas l’air d’un Japonais.

On pense déjà à son mariage : trois jeunes filles, encore aux langes, sont candidates à la main du prince. On prend l’épouse dans une des cinq meilleures familles du royaume. Il est vrai que le Japon sera bientôt si civilisé que son empereur, devenu grand, pourra peut-être prétendre à un mariage d’amour.

Enfin, détail d’actualité : Micchi a, parmi ses jouets, toute une collection de navires de guerre. »

Tout ça, c’est très joli, mais ce que ne disent et ce que ne savent pas les reporters, c’est que la diplomatie japonaise se prépare à faire les plus actives démarches auprès des chancelleries européennes pour lui trouver une fiancée parmi les jeunes princesses des cours d’Allemagne, d’Italie ou autres grandes nations blanches, autant que possible.

Ça, ça sera la fin, le couronnement, sans jeu de mot et ce peuple parvenu tout à coup, ne rêve plus que d’avoir une jeune impératrice, prise et choisie parmi les princesses européennes ! N’est-ce pas que c’est bien amusant et que ça ne manque pas d’imprévu ? Et puis quoi, c’est bien naturel et les Japonais nous valent bien et sont souvent moins sauvages et plus civilisés que nous.

Et puisque je parle des petits potins de l’empire du Soleil Levant, il me semble que le moment est venu de dire également un mot de la lune et c’est ainsi que l’on écrit de Copenhague :

« Un émule de Lemice-Terrieux, très joyeux, mais non désintéressé, a causé aux habitants de la capitale danoise quelques moments de vive émotion, suivie bientôt d’une hilarité générale.

Dimanche dernier, les journaux de Copenhague publiaient une longue dépêche de Mexico racontant que le célèbre directeur de l’Observatoire de Popocatepelt, M. Emanuel Gomez de l’Alpujarez, avait, à l’aide de réflecteurs, réussi à se mettre en communication avec les habitants de la Lune.

D’abord, il avait attiré l’attention de ceux-ci, par des figures géométriques.

On lui répondit par des figures analogues.

Bientôt les réflecteurs venant de deux côtés projetèrent des signes hiéroglyphiques, puis le directeur de l’Observatoire reçut de la Lune un message tracé en lettres ressemblant à celles qu’on trouve dans les plus anciens manuscrits. Les orientalistes américains l’ayant déchiffré, établirent le texte suivant : Suon snoyov al ruot salocin te el éfac X.

Le public, en lisant ce récit agrémenté de force explications scientifiques, était convaincu qu’une révolution dans la science de la cosmographie venait de s’accomplir.

Des gens d’une instruction supérieure se laissèrent même induire en erreur.

Un pasteur, M. Sofus Mueller, qui prêchait à la chapelle Saint-Thomas ne put s’empêcher de parler de la nouvelle découverte, qu’il qualifia de témoignage nouveau de la grâce et de la bonté divines.

Mais arrivé à ce point, le prédicateur fut interrompu par un éclat de rire peu compatible avec le caractère sacré du lieu où il se produisit. Plusieurs lecteurs assidus des journaux du matin avaient étudié de près le fameux texte de la dépêche lunaire, et ils avaient découvert qu’en lisant à l’envers le message venu de la Lune on trouvait ces paroles françaises : « Nous voyons la tour Nicolas et le Café X. »

Naturellement j’ai voulu faire une enquête personnelle sur ce joyeux fumiste et, à ma grande stupéfaction, j’ai appris qu’il s’agissait tout simplement d’un pauvre diable qui avait lu ma nouvelle publiée dans mon premier volume de nouvelles fantastiques : Pour lire en automobile, sur les moyens de communiquer avec la planète Mars.

Depuis cette découverte foudroyante, je suis rongé par les remords !