Perruques blondes sans collets noirs

De l’impérieuse nécessité de protéger les nouveau-nés contre les rhumes et coryzas. — Les postiches de l’enfance. — Sauvons notre progéniture.


La dépopulation de la France, l’effroyable mortalité dans l’armée, l’arrêt presque absolu de la natalité en face de la mort, nous font un devoir impérieux de rechercher avec sollicitude tout ce qui peut nous servir du moins à élever et à conserver le peu de gosses qui nous restent.

M. le sénateur Piot voudrait voir le gouvernement donner un bureau de tabac à tous les pères d’une nombreuse famille ; d’abord je ne sais pas s’il serait très chic de tirer ainsi une carotte au gouvernement qui pourrait ne pas priser ce genre de procédé, et puis je crois qu’il serait insuffisant.

Je sais parfaitement que le meilleur moyen pour préserver les enfants et les empêcher de mourir en masse est encore de supprimer cette coutume barbare et inhumaine des nourrices qui est totalement inconnue en Angleterre. C’est avec juste raison qu’une femme serait montrée au doigt et déshonorée chez nos voisins, si elle confiait son dernier né aux soins mercenaires d’une nourrice plus ou moins humide. En France, malheureusement, il n’en va pas de même ; quantité de femmes qui sont vaccinées et dont les maris sont électeurs, qui ne sauraient jamais se séparer de leur bichon frisé ou de leur chat, envoient avec la plus crâne des désinvoltures leur héritier, dès le lendemain de sa naissance, à cent lieues de Paris, ou de chez elles, chez une brave paysanne qu’elles ne connaissent pas et qui commencera par leur changer leur gosse pendant la nuit en chemin de fer avec un autre…

Tous les rapports des médecins spécialistes sont là pour en faire foi et comme la voix du sang n’existe que dans les romans-feuilletons du Petit Journal, une fois l’échange fait, il l’est bien et si un jour votre fils n’est qu’un idiot, vous n’avez qu’à vous en prendre à votre manque de cœur.

En Normandie, il y a, dans le pays de Caux principalement, des nourrices sèches dont c’est le métier d’avoir des dépôts, des casernes —— la comparaison est juste — de nourrissons, dont il ne meurt que 85 à 87 % la première année.

Toutes les statistiques officielles le constatent ; et puis après cela allez donc prétendre que les françaises ne sont pas de bonnes mères !

— Mais il y a la nécessité du commerce, des affaires ; une boutiquière ne peut pas donner à téter à son mioche au comptoir.

— Allons donc, il n’y a pas, il ne peut pas y avoir et il n’y a jamais de nécessité plus impérieuse et plus sacrée que celle d’aimer et d’élever soi-même ses enfants. Si j’étais législateur, je ferais une loi pour supprimer radicalement la profession de nourrice mercenaire et ensuite, la conscience tranquille, certain d’accomplir un devoir supérieur envers mon pays, j’enverrais aux galères toute femme qui, elle, aurait mis son enfant en nourrice.

— Mais ce serait de l’arbitraire.

— Non, ce serait une mesure de salut public.

— Mais ce serait une atteinte portée à la liberté individuelle.

— Je suis très libertaire, mais dans ce cas spécial, je suis jacobin, si vous voulez, parce que je ne reconnais à personne le droit à l’assassinat ; or, la coutume d’envoyer ses enfants en nourrice constitue bel et bien l’organisation méthodique et raisonnée de l’assassinat des nouveau-nés. Cependant je m’arrête car je sens l’indignation qui commence à déborder et aussi bien tel n’est point aujourd’hui le sujet de la présente chronique.

Je reviens donc modestement à mon projet qui est, je crois, tout à fait intéressant et qui a déjà eu, à peine éclos, la bonne fortune de recevoir les encouragements les plus chaleureux de presque tous les médecins des sept parties du monde, en y comprenant les deux pôles.

Quand un enfant vient au monde, quel que soit son sexe, sa tête, son crâne malléable au sommet duquel la fontaine, comme disent les bonnes femmes, n’est pas encore refermée et est simplement gélatineuse comme une belle enveloppe de galantine à la devanture d’un charcutier — n’est-ce pas que cette comparaison est poétique et fait image ? — sont absolument polis et dénudés comme une boule de billard ou la pomme de la rampe d’un escalier et rappellent en petit le désert du Sahara !

Cette tête, ce crâne ainsi déplumés, dégarnis, sur lesquels le futur gazon capillaire n’a pas encore poussé, si j’ose m’exprimer ainsi, sont exposés naturellement à toutes les intempéries, toutes les variations de température, tous les rhumes, coryzas et bronchites, à tous les accidents et alors pour les éviter, on ne sort pas tout de suite les nouveau-nés, on les laisse enfermés et ils ne tardent pas à devenir veules et pâles comme une barbe de capucin poussée au fond d’une cave — si je me permets cette seconde comparaison, peut-être un peu audacieuse, c’est qu’il me semble qu’elle rend bien ma pensée et qu’elle fait encore image comme la première !…

Ou bien l’on enveloppe leur pauvre tête, à ces tout petits, dans d’horribles bonnets à trois pièces qui sont aussi anti-esthétiques que possible.

Eh bien, dans l’intérêt de leur santé, à ces petits têtards d’humanité future et dans l’intérêt aussi de la Beauté, avec un grand B, suivant la nouvelle toquade à la mode, je préconise et recommande fortement les perruques pour nouveau-nés, les postiches blonds et frisés ou retombant en jolies boucles soyeuses et fines. Certes, j’ai l’horreur (les perruques chez les hommes, mais chez les femmes on ne s’en aperçoit guère et puis chez l’enfant qui vient de naître il y a un intérêt supérieur qui doit tout primer : permettre de lui faire prendre l’air sans l’enrhumer et le rendre malade.

Naturellement je conseille de préférence les perruques blondes parce que chez nous on ne conçoit guère l’enfant à la silhouette floue, au geste imprécis avec des cheveux noirs qui lui donneraient un air trop dur.

À ce propos, j’ai consulté mon ami Muzet qui m’a dit que mon idée était absolument géniale et constituait une trouvaille qui révélait mon grand cœur, épris de solidarité. Merci !

De la sorte on pourra mener les enfants tout jeunes encore, à la promenade, au bois, dans le monde et l’on ne craindra plus rien pour eux et ils ne seront pas cachés et enfouis comme de petits fagots.

Ma boulangère à qui je parlais de mon projet et qui relève précisément de couches, a immédiatement commandé une jolie petite perruque blonde, toute frisée pour son dernier né et elle bat des mains joyeusement à l’avance, en s’écriant :

— Mais il va être gentil à croquer, mon petit « salé », avec sa jolie perruque blonde !

Et elle a raison, la bonne mère, et par quelle aberration n’a-t-on pas pensé à cela plus tôt, quand il était si simple, si logique, si rationnel et si prudent de corriger ainsi la nature en retard chez les nouveau-nés.

Mais voilà il fallait le trouver, c’est comme l’œuf de Christophe Colomb et c’est avec un légitime orgueil que je revendique ici cette idée si remplie de vraie humanité, j’ose le dire.

Et puis les conséquences que je n’ai ni le temps, ni la place d’énumérer ici, vont être aussi immenses que fécondes à tous les points de vue.

C’est toute une industrie nouvelle qui va se créer : fabricants de perruques et postiches pour enfants au-dessous de dix-neuf mois !

Mais je veux laisser le côté mercantile dans l’ombre et ne retenir que les conséquences morales et patriotiques considérables de mon projet. Si j’évite ainsi la mort de milliers de jeunes enfants, ce sont ces enfants faisant souche nouvelle à leur tour, c’est le niveau de la natalité se relevant, c’est la France reprenant son rang dans le monde !

Et voilà pourquoi, modestement je pense que j’ai bien mérité de la Patrie en inventant les perruques et postiches pour nouveau-nés.

Et maintenant que toutes les mères appliquent mon procédé ; je le leur livre pour rien dans l’intérêt supérieur de mon pays, sans même concourir pour le prix Nobel !