Suicide modern-style

Comment on se tue scientifiquement. — Nouvelles pilules. — La mort foudroyante.

On sait quel moyen aussi pratique qu’étrange, Alexandre Dumas père, si j’ai bonne mémoire, avait trouvé de détruire les crocodiles, les caïmans, alligators et autres animaux de même acabit, qui se prélassent dans le Gange et autres lieux aussi aquatiques que tropicaux — mais à ces époques reculées on ne s’occupait encore guère que de l’Inde : il faisait avaler à ces animaux malfaisants un lapin qu’il jetait dans le fleuve, après lui avoir cousu au préalable un kilogramme de poudre de chasse ou de guerre — je ne sais plus au juste — dans le ventre. La dite poudre enfermée dans un sac était reliée par un fil métallique entouré d’un isolateur dont il ne lâchait pas le bout et quand le crocodile avait avalé le lapin et refermé sa vaste mâchoire, crac, Dumas mettait son fil en communication avec une pile électrique et avant même qu’il eût le temps de verser ses larmes légendaires, le grand lézard amphibie sautait à son tour, comme un lapin !

Je vous donne le procédé pour ce qu’il vaut, ne l’ayant jamais expérimenté par moi-même et n’étant toujours contenté de pêcher les congénères de ces reptiles aussi bien que les requins, aux Antilles, avec le vulgaire et classique morceau de lard fiché ou fixé, comme il vous plaira, au bout de l’hamecon ou plutôt du harpon de fer à l’aide duquel, avec une forte corde au bout, on doit les amener avec mille précautions à la côte, car ces messieurs féroces ne se gênent guère pour faire chavirer votre barque ou vous casser une jambe d’un coup de queue. Mais quelle chasse mouvementée, amusante et passionnante ! Quel régal que les ailerons de requin et quels jolis porte-monnaie, portefeuilles ou sous-main on se fait avec sa peau préparée ad hoc !

Un jeune chimiste de mes amis, esprit très distingué, et qui cependant avait des idées noires depuis son mariage avec une femme qu’il adorait, mais qui lui en faisait voir de bleues, sous prétexte que le jaune est la couleur matrimoniale, revenait souvent avec moi sur ce sujet, me disant :

— Quel admirable moyen de suicide, si l’on pouvait appliquer ce système à l’homme ; de la sorte réduit en bouillie, on serait bien certain de ne pas souffrir.

Naturellement, je m’empressais toujours de lui dire qu’il était complètement idiot et, à franchement parler, je ne le croyais pas capable d’en arriver jamais à une aussi fâcheuse extrémité.

Je pensais bien que sa femme le trompait indignement et qu’il était assez intelligent pour s’en apercevoir. Mais je me disais aussi qu’il est dans la nature humaine de s’habituer à tout, même aux choses les plus désagréables et je me disais que peut-être cet état tant chanté par Molière et les écrivains de son temps était sans doute du nombre et puis précisément parce qu’il était très réellement intelligent, je me flattais toujours de la douce pensée et de la consolante espérance que si un jour il en avait assez, il aurait au moins le bon esprit de se souvenir de la maxime célèbre d’Alexandre Dumas fils et de tuer tout uniment se femme et non pas lui, ce qui serait conforme aux lois de l’équité et de la justice les plus rigoureuses, puisque, en définitive, sa femme était la seule coupable.

J’en étais là de mes réflexions personnelles et intimes, lorsqu’un beau matin il me dit :

— Tu sais, mon cher, le procédé pour tuer les caïmans, eh bien je crois être sur la trace de son application à l’homme…

— Tu es fou.

— Pas du tout, tu as certainement entendu parler des lavages de estomac avec un petit tube en caoutchouc que l’on arrive à avaler assez facilement avec un peu d’habitude.

— Oui.

— Eh bien, de là à vous faire avaler une pilule reliée par un fil métallique souple et presque invisible à une pile électrique, il n’y a qu’un pas ; tu comprends, c’est simple comme tout, on presse sur un bouton, et crac, ça y est ; avec une décharge foudroyante toute la place d’armes est réduite en bouillie…

— C’est de la démence.

— Pas du tout, c’est beaucoup plus pratique, plus sûr et plus humain que les ignobles électrocutions des Américains qui ne vous tuent pas, comme tu l’as constaté et raconté toi-même, mais qui sont un martyre atroce…

— Ça, je te le concède.

— Tu vois bien que j’ai raison.

— Je ne dis pas ça.

— Dame ! Voyons, soyons logique et écoute-moi bien ; aujourd’hui on n’a plus besoin d’employer la poudre, comme du temps de l’auteur des Mousquetaires, avec une simple pilule de mélinite, on peut faire très proprement sauter un homme…

— Tu me fais froid dans le dos.

— Il n’y a pas de quoi.

Et sur ce je partis en voyage et nous nous trouvâmes séparés pendant assez longtemps. Cependant un jour je reçus de lui une longue lettre, moitié badine, moitié sérieuse, ou il me racontait que sa femme était atteinte d’une grave maladie d’estomac, qu’il lui avait appris à avaler le tube de caoutchouc et à faire les lavages d’estomac et il ajoutait sur le mode ironique : « J’éprouve une véritable volupté à me dire qu’à sa nouvelle infidélité je tiens ma vengeance ; une pilule de mélinite dans le tube et, crac, ça y sera ! »

Chose curieuse, cette lettre me tranquillisa un peu :

— Du moment qu’il blague, c’est que la plaie est à moitié fermée…

Trois mois plus tard, rentré à Paris, j’allais un matin pour déjeuner chez lui, sur un mot aimable. Je trouvai sa femme jeune, radieuse, embellie, l’œil vif et j’en eus peur car je me dis :

— Cette malheureuse a certainement un amant qu’elle adore ; on sent que la joie de la chair chante et déborde en elle.

Mais lui ? Il était plus fou, plus paradoxal que jamais.

— Tu sais que ma femme est presque guérie avec son lavage d’estomac et maintenant comme je souffre aussi, nous nous lavons en chœur ; c’est notre apéritif à nous ; tu vas voir. Le temps d’avaler nos tubes dans mon cabinet et la bonne va venir te chercher pour voir comme ça fonctionne bien.

Au bout de trois minutes, la bonne vint me chercher en me disant :

— J’ouvre la porte, mais n’entrez pas, Monsieur l’a dit.

Je fis un bond sur la porte en bousculant la pauvre fille et dans un éclair je vis mon ami et sa femme avec chacun un tube entre les lèvres. Mais un fil imperceptible en sortait, mon ami appuyait sur un bouton et une forte et terrible détonation ébranlait la maison, tandis que leurs deux corps, littéralement réduits en bouillie, inondaient, éclaboussaient et emplissaient la pièce, nous aveuglant la bonne et moi de sang et de muscles hachés même, comme chair à pâtée…

Le premier moment de stupeur passée et après m’être longuement lavé et essuyé je trouvai à ma place, sur ma serviette, dans sa salle à manger, ce court billet :

« Mon pauvre ami, déjeune sans nous. Tu viens d’assister à une belle expérience : le suicide foudroyant par une pilule de mélinite. Il fallait que cela finisse ainsi. J’ai trop souffert. Que veux-tu, c’est si bête d’aimer sa femme, même indigne et d’avoir du cœur !

« Comme je ne veux pas te causer de dépenses inutiles, j’ai laissé à ma blanchisseuse et à mon tailleur que j’ai convoqués chez moi pour un quart d’heure après notre mort, le soin de réparer ta toilette. Ils sont payés d’avance.

« Ton vieux camarade pour la mort ou l’éternité. »

Suivait une signature que je veux taire ici. Après les formalités nécessaires et judiciaires, rentré chez moi, je jetai involontairement les yeux sur ma glace et poussai un cri de surprise. La commotion et l’émotion avaient été trop violentes pour moi.

Aussi de gris et poivre et sel que j’étais, avec ma barbe presque blanche, j’étais devenu subitement noir comme de l’encre, comme à l’heure de ma jeunesse !

Explique qui pourra ces curieux phénomènes psycho-physiologiques. Pour moi je donne ma langue aux chats. Mais maintenant que je suis remis un peu de mes émotions, je crois que le suicide foudroyant avec une pilule de mélinite est réservé à un grand avenir, sinon en France, pays de routine, du moins en Angleterre et aux États-Unis qui aiment les nouveautés audacieuses et peu banales !

C’est le 15 Décembre 1901 que l’Ouest-Républicain publiait cette nouvelle et l’Aurore du 22 juin 1903 donnait la dépêche suivante de Laon :

Un puisatier nommé Paulin Hubert, âgé de trente-neuf ans, demeurant route de Paris, à Mohon, à deux kilomètres de Mézières, s’est tué en se faisant exploser une cartouche de dynamite dans la bouche. Le malheureux a été complétement décapité. On ignore les causes de ce suicide.

Enfin le 10 Novembre 1904, Le Petit Journal publiait la suivante :

À la Cannebière, dans la commune de la Vernarède, un mineur, nommé Camille Gazaix, âgé de quarante ans, célibataire, se présentait dans un café, dont le patron, ayant eu précédemment une discussion avec lui, refusa de le servir.

Gazaix sortit un révolver de sa poche ; on courut chercher les gendarmes, mais, profitant de l’affolement général, Gazaix introduisit une cartouche de dynamite dans sa bouche et y mit le feu.

Une explosion retentit et le corps du malheureux fut réduit en miettes.

Encore une fois aurai-je été trop bon professeur ? Ça commence à devenir tout à fait effrayant.