Pour l’histoire de la science hellène/13

Felix Alcan (Collection historique des grands philosophes) (p. 304-339).




CHAPITRE XIII

EMPÉDOCLE D'AGRIGENTE

I. — Les Milieux fluides.


1. Anaxagore avait, le premier, distingué, sous le nom de noos, la force motrice de la matière. Son langage montre cepen- dant qu'il n'avait pu dégager entièrement des éléments concrets le concept abstrait qu'il avait cherché à former ; il parle en effet du noos comme il eût parlé d'une substance étendue, d'un fluide très subtil actionnant la matière, mais sans d'ailleurs occuper tout l'espace, ni même agir directement sur toutes les particules.

D'après l'exposition courante de la doctrine d'Empédocle, ce dernier aurait accompli le progrès qu'Anaxagore avait laissé inachevé; on oppose en effet, aussi complètement que possible aux quatre éléments matériels admis par l'Agrigentin, les deux forces qu'il personnifie sous les noms d'Amour et de Haine, et on attribue à ces forces un caractère pleinement abstrait. Cette conception est, à la vérité, conforme à l'interprétation de tous les anciens, à commencer par Aristote, quoique celui-ci remarque pointant (Métaph., XII, 10) qu'Empédocle regarde l'amour, par exemple, comme matière, en tant que partie du mélange. Mais, en tout cas, le prétendu caractère d'abstraction se trouve on contra- diction formelle avec le texte parfaitement explicite des vers 7581 qui nous ont été conservés par Simplicius.

Zeller (II, p. 217) remarque bien à ce propos qu'Empédocle traite ces deux forces comme des substances corporelles mêlées aux choses, mais il se contente d'ajouter que l'idée de la force était encore si confuse chez l'Agrigentin qu'il ne la distinguait pas nettement des éléments corporels ; en fait, il le met à cet égard sur le même pied qu'Anaxagore. Évidemment cela ne suffit point, si l’on veut se rendre un compte exact du système d’Empédocle; le fait "qu’il a dédoublé la force motrice rend d’ailleurs nécessaire un examen approfondi dont on peut se dispenser pour Anaxagore. Cet examen doit nous apprendre, non pas si l’Agrigentin confondait dans ces concepts des notions que nous distinguons soigneusement, mais bien quels étaient au juste ces concepts, si toutefois la chose est encore possible. Rien ne nous indique au reste que, sous le manteau flottant des métaphores poétiques, ces concepts ne fussent parfaitement nets et dessinés avec précision; à tout le moins, nous n’aurions le droit de porter un jugement contraire qu’après une discussion complète, dans laquelle nous n’aurions jamais oublié que ’ce qui est confus à nos yeux pouvait très bien ne pas l’être pour les anciens.

Les six substances d’Empédocle (y compris l’Amour et la Haine) sont égales entre elles (xccjxj yàp Taa ts Trav-a, v. 88). Aristote (De gen. et corr., II, 6) se demandait s’il fallait entendre cette éjalité du volume (y.ol-ol ti 7:sa5v) ou d’un effet possible mesuré par sa quotité ( d ) ; il pouvait, en effet, dans les vers 80-81 , trouver cette double forme de détermination pour la nature de l’égalité; car, au sens propre, l’épithète du Neîkos (àiaXav-cv) s’entend de l’équi- libre des poids, tandis que l’égalité de la Philotès est expressément rapportée aux dimensions.

Cette dernière détermination est évidemment celle qui offre le sens le plus précis, et je n’hésite point à la considérer comme exprimant la véritable pensée d’Empédocle et par suite à regarder comme métaphorique l’épithète du Neîkos ; en tout cas, devant un texte aussi formel, nous ne pouvons moins faire que de nous représenter l’Amour, et par suite aussi la Haine, comme des éléments étendus et dès lors assimilables, au moins, sous ce rapport, aux quatre éléments matériels classiques.

Il est clair qu’il n’y a là aucune contradiction avec le vers suivant (82), auquel on a attribué un sens idéaliste, parce qu’Empédocle y déclare que la Philotès ne peut être vue par les yeux, mais seulement par l’esprit. Il suffit de remarquer que cet élément doit nécessairement, dans la théorie de l’Agrigentin, remplir ces

(*) Il rejette l’hypothèse dans laquelle des effets simplement analogues auraient été conçus comme équivalents. Quand au reste Zeller (II, p. 200) répond que légalité doit sans doute s’entendre de la masse, il introduit un concept tout à fait moderne et absolument étranger à l’époque d’Empédocle. pores invisibles qui jouent un si grand rôle dans son explication des phénomènes particuliers; ce sont là les «ports accomplis de Cypris » (v. 208), au sein desquels se rapprochent la terre et le feu, l’onde et l’éther.

Cette même remarque nous suffit aussi pour expliquer comment Empédocle peut soutenir l’égalité de volume de ses divers éléments, malgré la prépondérance énorme des volumes apparents de l’air et du feu. C’est qu’il conçoit sans doute les pores de ces éléments plus subtils comme de beaucoup plus considérables que ceux de la terre ou de l’eau.

2. Ainsi l’amour et la haine chez Empédocle ne sont nullement des forces abstraites; ce sont simplement des milieux doués de propriétés spéciales et pouvant se déplacer l’un l’autre, milieux au sein desquels sont plongées les molécules corporelles, mais qui d’ailleurs sont conçus comme tout aussi matériels que l’éther impondérable des physiciens modernes, avec lequel ils présentent la plus grande analogie. Quant aux noms poétiques qu’Empédocle a choisis pour désigner ces milieux, ils ne doivent point faire illusion ; le fils de Méton aurait difficilement mieux trouvé pour exposer en vers, comme il se l’était proposé, des concepts aussi nouveaux que les siens. Mais il n’y a nullement là des personnifications mythologiques véritables, pas plus que quand les quatre éléments corporels sont appelés Zeus, Héré, Aïdôneus et Nestis; c’est simplement un appareil poétique dont l’esprit est au contraire aussi directement opposé à celui des croyances populaires que pouvaient l’être les interprétations allégoriques de l’école d’Anaxagore.

Quant à l’origine de sa conception, il est désormais bien facile de la reconnaître : Empédocle n’a nullement fait un pas en avant dans la voie ouverte par le Clazoménien ; il n’a nullement dédoublé, pour quelque raison mystique, le Noos organisateur du monde ; son point de départ est l’antique opposition pythagorienne de l’un solide et du vide, également conçu en fait comme un milieu matériel, qui crée les choses en pénétrant le principe corporel. Nous verrons mieux plus loin l’analogie entre cette idée et celle de l’action du Neîkos sur le Sphéros; pour le moment, l’indication suffit.

Empédocle n’a pas cru possible d’expliquer avec un seul élément corporel, connue l’avaient essayé les anciens physiologues, L’infinie variété des phénomènes; mais, au lieu de lui faire correspondre, CHAPITRE XIII. — EMPÉDOCLE D'AGRIGENTE. 307

avec Anaxagore, une infinie variété de principes, il s'est contenté — et c'est là sa grande originalité — de choisir quatre formes types comme irréductibles entre elles. S'il divisait de la sorte l'unité pythagorienne, rien n'était dès lors plus naturel pour lui que de subdiviser également le milieu qui pénètre cette unité. Mais ici deux formes seulement, l'attractive et la répulsive, se trouvaient indiquées d'elles-mêmes, tandis que, pour les principes corporels, la distinction en quatre ressortait aussi bien des appa- rences phénoménales que des diverses tentatives dues aux physio- logues ioniens.

3. Les éléments d'Empédocle sont-ils véritablement irréductibles entre eux? Tous les témoignages de l'antiquité sont unanimes sur ce point, mais ici encore ils semblent en contradiction avec deux des vers qui ont été conservés, 90-91.

Stein a bien vu les difficultés que présente ce passage et il a soutenu que ces deux vers devaient être séparés des précédents et s'appliquer seulement à Y Amour et à la Haine. D'après cette conjecture, ces deux milieux pourraient se transformer Fun dans l'autre; les éléments corporels resteraient seuls incommutables. Mais l'examen attentif des textes où Empédocle décrit le passage de la prédominance de l'Amour à celle de la Haine ou réciproquement, n'indique nullement un changement de l'un de ces principes en l'autre; tout s'explique par un simple déplacement dans l'espace.

On peut remarquer que le vers 91 n'est nullement donné par Simplicius à cet endroit, où il a été inséré par Karsten. Mais ce dernier l'a pris dans une autre citation (v. 147-153), où il suit également le même vers et où il en précède d'autres qui doivent s'entendre spécialement des éléments corporels. Partout ailleurs, Empédocle représente ces éléments comme irréductibles ou comme perdant tout au plus leur distinction dans l'unité du Sphéros.

Si l'on compare entre eux et avec l'ensemble des autres frag- ments les deux passages qui font difficulté, il semble possible de les entendre en admettant que le poète s'y sera conformé aux habitudes du langage ordinaire; il n'y aurait donc voulu parler que des apparences, suivant lesquelles les éléments semblent se transformer l'un dans l'autre, et il aurait seulement admis que, d'après ces apparences, dans l'évolution périodique de l'univers, un élément pouvait paraître prédoniiner sur les autres. Ainsi, il vaut mieux, sur ce point, s'en tenir à l'opinion courante.

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4. Cette difficulté écartée, nous pouvons aborder une autre question qui, malgré son importance, a généralement été négligée. Empédocle reconnait-il d'autres forces motrices en dehors de celles qui sont inhérentes à ses deux milieux, Y Amour et la Haine?

Il est tout d'abord une force qu'il admet en termes exprès sous diverses formules et qui joue un grand rôle dans sa physique particulière : c'est l'attraction du semblable pour le semblable. Il faut se garder de la confondre avec la Philotès qui nous apparaît comme produisant simplement la cohésion entre les molécules corporelles, quelle que soit leur nature, dont le rôle spécial est par suite surtout de rapprocher les éléments dissemblables et d'en former des combinaisons définies entre lesquelles peuvent s'exercer des affinités de similitude. L'action prolongée de l'Amour, secondée par ces affinités, finira par établir l'homogénéité complète. Mais l'attraction entre semblables ne perd nullement ses droits quand la Haine se substitue à l'Amour; les combinaisons sont dissociées, les éléments primordiaux se retrouvent, « le lourd d'un côté, le léger de l'autre » (v. 171), isolés dans la haine les uns des autres, mais au moins chacun réuni par l'attraction de ses parties. La dissociation ne saurait aller plus loin, ni la matière se dissiper dans l'espace infini, puisque l'infinitude est niée par Empédocle, en cela fidèle disciple de Parménide.

Ces explications me paraissent de nature à combler la « lacune frappante » que Zeller (II, p. 230) trouve dans l'exposition de la cosmogonie d'Empédocle, et qu'Aristote se croyait déjà en droit de signaler. Si en effet on les a bien comprises, on reconnaîtra faci- lement qu'il n'y a nullement correspondance, au point de vue de la possibilité de l'existence des êtres individuels, entre la période où grandit l'empire du Neîkos et celle où se développe au contraire la sphère de la Philotès.

Dans la première de ces périodes, un cosmos, un monde semblable au nôtre est absolument impossible. Le point de départ est le Sphéros homogène; tout ce que gagne le Neîkos est dissocié, résolu dans les éléments primordiaux; tout ce que conserve la Philotès reste homogène. Toute combinaison nouvelle que pourrait former le hasard entre les éléments isolés serait nécessairement instable.

Il faut que la dissolution du Sphéros soit arrivée à son plein achèvement, pour que l'Amour, qui jusque-là cherchait vainement à se concentrer dans les débris de son domaine primitif, puisse

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rentrer en lutte dans des conditions favorables; il reprend alors peu à peu à la Haine les éléments dissociés; mais, les rencontrant en diverses proportions, il en forme dès lors diverses combinaisons stables qui exercent entre elles des attractions secondaires, d'après leurs similitudes; de la sorte, le cosmos peut s'organiser comme forme durable en apparence, quoique en réalité transitoire et des- tinée à passer à l'homogénéité du Sphéros.

5. L'attraction des semblables n'est pas, chez l'Agrigenlin, une force abstraite transcendantalement; c'est une propriété immanente à la matière. Nous ne pouvons guère penser trouver autre chose à cette époque; cependant, en dehors de cette force, la doctrine d'Empédocle en suppose implicitement une seconde, qui semblerait présenter un caractère quelque peu différent ; c'est celle qui règle le déplacement périodique des deux milieux matériels, et qui apparaît évidemment comme indépendante de l'essence propre de ces milieux. Mais quand l'Agrigentin parle d'une loi fatale, d'un « grand serment » qui préside à ces déplacements, il ne paraît guère avoir conçu- d'une façon bien précise cette force spéciale; on pourrait dire qu'il n'en connaît que l'effet, la périodicité, et qu'il induit l'universalité de cet effet de la contemplation des grands phénomènes de la nature.

Le mieux serait peut-être de s'en tenir à cette vague conclusion; essayons toutefois de préciser, un peu plus que nous ne l'avons fait jusqu'à présent, les circonstances du déplacement des deux milieux, telles qu'Empédocle nous les décrit; c'est évidemment le seul moyen de jeter un peu de lumière sur ce point douteux, si toutefois il peut vraiment être éclairci.

On est d'accord pour reconnaître que dans l'état primordial où les éléments formaient une masse homogène liée par l'Amour, la Haine était exclue du Sphéros ; on ne peut dès lors se la représenter que comme enveloppant celui-ci d'une couche vide de tout élément corporel, mais d'ailleurs finie, puisque Empédocle, comme je l'ai dit, ne conçoit pas l'espace infini.

Le poète déclare d'ailleurs formellement que le Sphéros est immobile, qu'il jouit d'un repos absolu (v. 168 et 476). Évidem- ment, ce repos doit s'entendre aussi bien de la totalité que des parties, c'est-à-dire qu'il faut exclure le mouvement de révolution (diurne), la &(vtj qui interviendra plus tard dans la cosmogonie.

Les vers 177-180 se rapportent à l'introduction du Neîkos dans

�� � le Sphéros; celui-ci doit être conçu comme aspirant peu à peu le milieu environnant ; le premier effet est de produire des mouvements locaux qui successivement gagnent tout l’ensemble. Ces mouvements entraînent les groupes de particules élémentaires au fur et à mesure qu’ils se forment par la dissociation du mélange homogène; il n’y a évidemment lieu de regarder ces déplacements locaux comme soumis à aucune loi; on ne doit pas non plus supposer que le Neikos arrive à produire une séparation complète des éléments, de façon à conduire chacun d’eux à une place déterminée de l’univers; son action n’ira pas plus loin qu’une dissociation complète de l’homogène, et dans cet état de dissociation, le repos originaire aura fait place à un tohu-bohu où s’agitent, en mouvements désordonnés, les masses élémentaires, indistinctes et confuses. C’est l’antique yjir^x d’Hésiode, où court çà et là la tempête, comme c’est aussi le chaos décrit par Ovide dans des vers dont quelques-uns au moins semblent bien imités d’Empédocle.

A la vérité, à l’appui de cette représentation du règne de la Haine, je ne puis citer aucun texte précis, pas plus que je n’en rencontre qui la contredise. Mais c’est la seule qui me paraisse d’accord : 1° avec le fait, attesté par Aristote, qu’Empédocle n’assignait aucun lieu spécial à chacun de ses quatre éléments; 2° avec l’importance que prennent en général, dans la cosmogonie de l’Agrigentin, les mouvements irréguliers et paraissant s’effectuer au hasard.

Après le tableau que j’ai essayé de compléter, les fragments nous en présentent, sans transition, un autre tout différent : la oirr h le tourbillon de la révolution diurne, existe ; la Philotès a établi son siège au centre de ce tourbillon et repoussé le Neikos à la circonférence ; les éléments repris par le milieu s’organisent en cosmos, au fur et à mesure des progrès de la nouvelle évolution. Le mouvement du tourbillon est d’abord très lent ; la révolution, au lieu d’un jour, aurait duré d’abord neuf mois, puis sept mois (22); mais il s’accélère ensuite énormément soit peu à peu, soit brusquement à la suite de crises décisives, alternative que ne. permet pas de résoudre le texte obscur du seul document qui reste sur ce point. En même temps, les mouvements locaux, désordonnés, après avoir grandement contribué à la genèse du monde tel qu’il est, perdent de leur importance, et le cosmos atteint enfin une ordonnance régulière dans la périodicité des phénomènes généraux. CHAPITRE XIII. — EMPÉDOCLE d'AGRIGENTE. 311

G. Quelle est la véritable liaison entre les deux scènes succes- sives du grand drame cosmogonique? Que devient au juste le milieu attractif pendant les progrès du milieu répulsif, et quelle est la véritable cause du tourbillon diurne?

D'après Zeller (II, p. 229-230), cette cause ne serait autre que l'Amour lui-même; il serait venu se placer entre les masses séparées et il aurait d'abord produit en ce point un mouvement tourbillonnant en vertu duquel une partie des substances aurait été mélangée, tandis que (autre expression du même fait) la Haine aurait été exclue du cercle ainsi formé. Le mouvement s'étendant toujours davantage et la Haine étant repoussée toujours plus loin, les substances encore séparées auraient été attirées vers le mélange et de cette combinaison serait né le monde actuel avec les êtres mortels.

Dans cette explication, l'Amour d'Empédocle jouerait absolument le même rôle que le Noos d'Anaxagore, cause, lui aussi, du tour- billon qui s'étend progressivement et à l'intérieur duquel s'organise le cosmos. Mais il me semble que la pensée d'Empédocle est tout à fait différente et que l'explication de Zeller n'est d'accord ni avec le texte du fragment qu'il cite (vers 191-205), ni avec les détails circonstanciés que nous possédons sur la cosmogonie de l'Agrigentin.

Rien ne nous marque que le tourbillon soit dû à l'Amour ; tout nous semble prouver au contraire qu'il s'étend dès son origine à la totalité de l'univers. C'est là ce qu'indiquent en particulier les vers 197-199 rapprochés du contexte précédent.

D'autre part, il me paraît impossible d'expliquer, dans le système de Zeller, comment se forment les grandes masses de l'air, du feu, de la terre et de l'eau. Si l'Amour a déjà repris les éléments à la Haine et les a déjà réunis en combinaisons stables, comment se dégageront-ils successivement, ainsi que le marquent les doxographes (3) (11)? Le savant historien prétend bien que l'Amour a dû d'abord former les grandes masses, dont la constitu- tion est plus simple, et seulement ensuite les êtres organiques; mais on ne voit nullement comment, dans son système, l'action de l'Amour se traduit tout d'abord par les effets qui apparaissent à la circonférence du tourbillon et qui, de fait, complètent la dissocia- tion amenée par la Haine.

Il faut donc chercher une autre solution de la question, et il est possible de la trouver dans la cause qu'assignent les doxogra-

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phes (3) au tourbillon cosmique; il serait dû au défaut d'équilibre entre le feu (c'est-à-dire l'air lumineux) et l'air sombre qui rem- plissent chacun une des moitiés de la sphère céleste. Cette raison n'est évidemment valable que pour l'ordre de choses actuel; autrement on ne comprendrait pas pourquoi la vitesse du mouve- ment a subi des variations énormes. Mais nous pouvons retenir le principe : le tourbillon esj dû à une rupture d'équilibre; autrement dit, c'est la résultante finale des mouvements désordonnés que le Neikos imprime au Sphéros.

Empédocle ne pouvait concevoir pour l'ensemble de son univers un déplacement dans l'espace, mais il pouvait très bien admettre que lorsque les mouvements locaux auraient gagné la totalité du Sphéros, il n'y eût pas nécessairement une balance exacte entre ces mouvements dans tous les sens et dans toutes les directions, et que, comme effet total, abstraction faite des irrégularités partielles, il en résultât une rotation générale ou un tourbillon d'abord très lent.

Or, la formation de ce tourbillon, succédant à la dissolution complète du Sphéros, marquait aux yeux d'Empédocle la limite des progrès du Neikos; jusque-là, nous ne pouvons guère nous représenter la Philotès, en tant que milieu, que comme divisée en lambeaux au sein de la confusion générale, et emportée, elle aussi, dans les mouvements capricieux dus au Neikos, sans pouvoir former, dans quelque lieu qui fût à l'abri de l'invasion du milieu répulsif, une combinaison stable des éléments dissociés.

Mais, dès que le tourbillon général s'est dessiné, cet abri que cherche la Philotès est trouvé; elle se précipite au centre et le Neikos recule à la circonférence. En même temps et par l'action du tourbillon (suivant les prinoipes d'explication déjà posés par les physiologues ioniens), beaucoup plutôt que du fait de l'un ou l'autre des deux milieux, se constituent les grandes masses des éléments. Cependant la Philotès parvient à combattre dans une certaine mesure les conséquences de cet effet mécanique; car elle associe les parties des éléments qui constitueront les êtres indivi- duels après des tentatives plus ou moins heureuses et une lutte prolongée contre le désordre produit par le Neikos; en effet, celui-ci ne cède la place que peu à peu et d'une façon inégale.

Pendant cette lutte, l'accélération du mouvement tourbillon- naire semble résulter de ce conflit et se faire aux dépens des mouvements irréguliers ; en tout cas, elle favorise de plus en plus

�� � CHAPITRE XIII. — EMPÉDOCLE D'AGRIGENTE. 313

l'action de la Philotès en rejetant de plus en plus le Neikos hors de la sphère du cosmos.

Ainsi le monde est organisé par la Philotès, mais grâce à un phénomène dû au Neîkos et dont elle régularise seulement les effets, grâce au mouvement de révolution. Pour que le but final de la Philotès soit atteint, pour la reproduction du Sphéros homo- gène, il faut que ce mouvement disparaisse à son tour. Comment cela pourra-t-il avoir lieu alors que le tourbillon n'a fait que gagner en intensité? Ici nous ne pouvons guère répondre, les documents valables nous faisant défaut; toutefois, il ne convient pas de rejeter sans examen l'assertion de Clément d'Alexandrie (Strom., V, 104) et des Philosophumena (2), d'après laquelle la fin du cosmos d'Empédocle serait due à un embrasement général. L'Agrigentin semble bien avoir emprunté aux Ioniens, et en particulier à Heraclite, l'idée de la genèse et de la destruction périodique du cosmos (!) ; quoiqu'il s'éloignât de l'Éphésien, pour ainsi dire sur tous les autres points ( 2 ), ne pouvait-il pas lui emprunter aussi cette idée de l'embrasement, qui lui fournissait une solution commode d'un problème embarrassant? En supposant que l'accé- lération du mouvement diurne continuât toujours, il arrivait évidemment à imaginer à la limite des conditions essentiellement favorables à une conflagration universelle ; il pouvait d'autre part se représenter cette conflagration comme amenant brusquement le triomphe définitif de la Philotès, par le mélange et l'union intime des quatre éléments, comme épuisant en même temps leur tendance au mouvement local, puisque c'est dans le feu que cette tendance apparaît au plus haut degré.

7. Pour résumer la discussion qui précède, pour revenir à la question qui en a été l'origine, on peut dire, semble-t-il, qu'en dehors des propriétés motrices spéciales de ses deux milieux attractif et répulsif, Empédocle reconnaît, non seulement l'attrac- tion des semblables, mais encore, au moins comme puissances secondaires et dérivées, les actions mécaniques que l'on peut observer dans les mouvements de rotation et qu'on désigne sous

(*) Si la période de 30,000 saisons (v. 6) représente 10,000 ans, elle ne s'écarte guère de celle d'Heraclite, 10,800 ans.

( 2 ) Je ne veux nullement, par cette assertion, contester l'influence générale que les doctrines d'Heraclite ont pu exercer sur Empédocle et que Zeller a particulièrement bien mise en lumière (II, p. 274 suiv.). Je me place au point de vue des détails.

�� � 314 pour l’histoire de la science hellène.

le nom de forces centripète et centrifuge. A cet égard, d’ailleurs, ainsi que je l’ai indiqué déjà, il ne faisait que suivre la tradition des physiologues milésiens, chez lesquels l’existence du tourbillon diurne et les actions qui en résultent jouaient le rôle capital pour la cosmogonie. Mais, tandis que pour eux ce tourbillon est éternel et primordial, il n’est plus, chez Empédocle, qu’un phénomène variable et transitoire. Si l’on remonte à l’idée centrale de son système, l’Agrigentin apparaît surtout comme un disciple de l’école de Pythagore, développant librement les principes du Maître.

La Philotès est avant tout le principe d’unité, de stabilité, et, par suite, d’immobilité; c’est pourquoi une fois le tourbillon uni- versel constitué, elle se place naturellement au centre, c’est-à-dire dans la partie qui échappe davantage à ce tourbillon. Le Ncikos, au contraire, est le principe de division et de mouvement; par suite de sa mobilité même, il s’insinue naturellement à l’intérieur du Sphéros immobile, l’ébranlé et finit par produire un mouvement de révolution. Mais, dès que cette révolution est commencée, le Neîkos va se trouver rejeté à la circonférence, là où le mouvement est le plus rapide, et finalement il est exclu du monde. Enfin, dans l’accélération de la révolution régulière aux dépens des mou- vements locaux et désordonnés, Empédocle semble avoir entrevu de très loin le principe de la conservation de l’énergie.

Si l’on compare son système à ce que nous pouvons soupçonner de celui des premiers pythagoriens, Empédocle a substitué des explications mécaniques aux grossières représentations anthropo- morphiques de l’inspiration et de l’expiration du vide par l’unité pleine. D’après le tour qu’il a donné à ces explications, une autre différence capitale intervient: pour les premiers pythagoriens, le vide existe dans le cosmos, où il est tantôt plus grand. tantôt moindre; pour Empédocle, il ne subsiste dans le cosmos que les effets mômes du Neîkos, à savoir la distinction des éléments et le mouvement communiqué à leur ensemble. Les pores entre les particules matérielles sont au contraire remplis par la Philotès.

Si, de la caractéristique générale du système d’Empédocle, nous passons à l’examen des doctrines physiques spéciales, l’Agrigentia n’apparaît plus dans la même dépendance vis-à-vis d’une école particulière; c’est sans doute qu’en fait, ainsi que je l’ai déjà indiqué (voir pages _-", ^>r>i, les premiers pythagoriens n’avaient nullement constitué une physique qui leur lût propre. Les maîtres inconnus qui enseignèrent à Empédocle la métempsycose, les dogmes et les préceptes religieux qu’il adopta et développa, ne purent donc, quant aux lois de la nature, lui transmettre qu’un mélange du fonds commun aux physiologues et de quelques idées spéciales qu’Alcméon et Parménide* avaient déjà fait connaître pour la plupart. Ces maîtres doivent sans doute d’ailleurs être comptés au nombre des pythagoriens s’occupant, non pas de mathématiques, mais de médecine, et y mêlant, à l’exemple du Maître, des pratiques religieuses; c’est en effet cette face du caractère de Pythagore qu’Empédocle essaya de reproduire pour son compte; tout au contraire, il semble n’avoir aucunement subi l’influence de l’école mathématique, qui d’ailleurs n’avait probablement pas encore essayé d’appliquer à la nature les spéculations sur les nombres et les figures géométriques.

Aux données de ce premier enseignement, aux fruits de ses études propres, Empédocle joignit d’ailleurs des emprunts faits, non seulement aux poètes dont il suivait les modèles, mais même à ses contemporains, comme Anaxagore, dont il adopta la découverte relative à la lumière de la lune. Son œuvre apparaît donc comme passablement éclectique, en dehors de l’originalité propre que lui assure la doctrine des éléments distincts; il faut d’ailleurs reconnaître que, si l’on fait abstraction de cette doctrine, la science d’Empédocle n’a accompli, par rapport à ses précurseurs, que des progrès de détail.

Il ne faut pas, au reste, faire fi de ces progrès; Empédocle, à la vérité, n’a pas un caractère vraiment philosophique; il ne vient pas à son tour soulever une de ces questions capitales qui forment l’horizon de la science, et que ses précurseurs ont agitées l’une après l’autre; il adopte les solutions toutes faites; il ne cherche pas plus à établir l’unité entre ses conceptions physiques et ses croyances religieuses qu’il n’a cherché à la mettre dans le substratum des phénomènes. Ce pluraliste éclectique est un homme double; Pythagore avait plutôt été mathématicien et mystique ; Empédocle sera physicien et mystique. Mais comme physicien, il n’est nullement à dédaigner; le progrès de la science est désormais au prix des études de détail. Il s’y complaît et entre de plus en plus avant dans la forêt des questions secondaires ; sans doute, aux solutions a priori de ses devanciers il se contente souvent d’ajouter d’autres hypothèses aussi peu fondées sur les faits; mais au moins ces hypothèses multipliées provoqueront davantage l’étude, et peu à 316 POUR l'histoire de la science hellène.

peu on apprendra à observer et à conclure d'après le résultat des observations.

��II. — Iia Cosmologie.

8. Résumons rapidement les principaux traits de sa conception du monde et rappelons en même temps à qui il les a empruntés.

L'air qui s'est dégagé le premier du chaos et qu'il appelle éther, se trouvant arrêté et comprimé aux limites de l'univers, y forme une voûte de « crystal solide » ; c'est l'idée d'Anaximène.

La partie de l'éther non ainsi solidifiée, mélangée d'un peu de feu, remplit la moitié sombre de la sphère cosmique; la moitié lumineuse est au contraire essentiellement constituée par du feu; cette conception appartient à la doctrine de Parménide et est pro- bablement d'origine pythagorienne. Toutefois, Empédocle rejette le système des couronnes de l'Éléate, et il conçoit avec Anaximène la double atmosphère comme s'étendant jusqu'à la voûte solide de crystal.

Au centre du tourbillon et dès lors en équilibre (loi mécanique entrevue) (*), maintenue d'ailleurs immobile par la Philotès, la terre voit passer successivement sur chacun de ses points les moi- tiés lumineuse et sombre de l'atmosphère; elle est donc soumise à l'alternative du jour et de la nuit. La pression du tourbillon a amené la séparation de la terre et de l'eau ; l'eau à son tour a donné naissance à des vapeurs qui se sont répandues dans la région voisine de la terre et ont ainsi constitué l'atmosphère propre de celle-ci, qui échappe également au mouvement de la révolution diurne (14).

Nous n'avons aucune donnée précise sur la forme qu'Empédocle assignait à la terre; on pourrait croire qu'avec Parménide et l'école pythagorienne il la considérait comme sphérique. Cependant on ne comprend guère alors comment il aurait adopté (12) l'opinion d'Anaxagore qu'autrefois l'axe du monde était perpendiculaire à la surface plane de la terre, et que celle-ci se serait inclinée depuis. Cette singulière opinion du Clazoménien était uniquement motivée par le désir de mettre de la symétrie dans l'organisation primitive du monde; mais il n'avait pas su se tirer de la difficulté qu'il avait

0) Aristote (Du ciel. II, 13, 295 a) expose ot critique assez mal l'explication d'Empédocle, fondée sur un fait d'expérience; mais elle est insuffisante pour rendre compte de l'équilibre dans le MBA <\o l'axe.

�� � CHAPITRE XIII. — EMPÉDOCLE D'AGrIGENTÊ. 317

soulevée, sans avoir recours à la providence du Noos, qui aurait de la sorte rendu la terre habitable. Il est trop clair qu'Empédocle n'a nullement modifié l'hypothèse d'Anaxagore, qu'il a simple- ment prétendu donner une explication mécanique de l'inclinaison supposée.

On nous dit d'autre part (15) qu'Empédocle n'admettait même pas pour sa voûte éthérienne une forme rigoureusement sphérique, qu'il la comparait à un œuf. La raison que met en avant Éd. Zeller pour repousser cette indication est sans valeur; Empédocle pouvait, sans la moindre difficulté relative au mouvement du ciel, l'imaginer comme un sphéroïde soit aplati, soit allongé aux pôles. La compa- raison avec l'œuf, le terme technique de TrXaTOç (latitude) employé dans le texte, d'ailleurs assez obscur, du doxographe pour désigner la dimension la plus étendue, enfin la convenance, dans les idées d'Empédocle, de ménager un espace vide à l'équateur plutôt qu'aux pôles pour y loger le Neikos rejeté hors du cosmos, paraissent indiquer qu'il avait plutôt choisi la seconde alternative.

Quoi qu'il en soit à cet égard, le nom du Sphéros peut être aussi invoqué comme motif de penser qu'Empédocle croyait devoir attribuer au cosmos une forme différente, peut-être sous l'in- fluence des traditions orphiques, qu'indique la comparaison avec l'œuf. D'autre part, il attribuait toujours à la lune, de même qu'Anaxagore, la forme d'un disque. Il y a donc des raisons sérieuses pour douter au moins de son opinion relativement à la terre. Peut-être, au reste, ne l'avait-il pas énoncée dans ses vers.

Pour les étoiles, feux isolés au milieu de l'éther, dont il attache les uns à la voûte de « crystal » (fixes), dont il fait flotter les autres au-dessous (planètes), il s'en tient à la conception d'Anaximène. Pour la lune, au contraire, comme je l'ai dit, Empédocle adopte la doctrine d'Anaxagore; c'est un corps obscur par lui-même, qui reçoit sa lumière du soleil, qui est d'ailleurs opaque et peut dès lors éclipser l'astre du jour. Toutefois, l'Agrigentin ne reconnaît point ce corps comme de nature terreuse; c'est une concrétion formée par de l'air nuageux.

Quant au soleil, j'ai déjà indiqué (page 236) la conception toute particulière que s'en faisait Empédocle et j'ai montré comment elle se reliait à celle de Parménide.

Tout en ne voyant dans cet astre qu'une image lumineuse de la terre éclairée par le feu du jour et reflétée sur la voûte céleste de crystal, qu'un phénomène qui n'existe que pour les yeux qui peu-

�� � vent le contempler en face (cf. v. 242), Empédocle revenait de fait accidentellement à une opinion du vieil Anaximandre, en ce sens qu’il rejetait le soleil aux confins du monde (10). C’est d’ailleurs probablement grâce à lui que cette idée d’identifier le rayon de l’orbite solaire avec celui de la sphère céleste s’est perpétuée en Sicile et qu’Archimède, dans son Arénaire, la présentait encore comme courante.

Celle de supposer le disque du soleil égal à la terre (comme l’image est égale à l’objet dans les miroirs plans) est propre à Empédocle, mais la place qu’il assigne à la lune (deux fois plus loin du soleil que de la terre) paraît correspondre à une combinaison numérique où il aura peut-être voulu imiter Anaximandre, pour préciser à l’imagination la répartition dans le cosmos des grandes masses distinctes, comme il avait prétendu aussi préciser, par exemple, la composition des os. Il est clair, en effet, que pour lui, d’après la nature qu’il attribue à la lune, celle-ci se trouve à très peu près à la limite supérieure de l’atmosphère terrestre.

Anaximandre avait placé les étoiles au tiers, la lune aux deux tiers de la distance de la lune au soleil ; Empédocle devait naturellement intervertir la position assignée à la lune en la plaçant au tiers de la distance ( d ), le reste de l’intervalle n’étant réservé que pour les planètes. Si les mathématiciens de l’école de Pythagore avaient déjà spéculé, eux aussi, sur les intervalles de ces dernières, Empédocle aurait eu beau jeu pour les imiter; mais il ne semble aucunement l’avoir fait.

9. L’aperçu qui précède suffit, en somme, pour prouver que la cosmologie d’Empédocle ne présente pas une véritable originalité et que sa doctrine neuve sur les éléments ne lui a nullement donné l’occasion d’apporter quelque modification sérieuse et valable aux conceptions antérieures. On en peut dire autant de ses opinions sur les phénomènes de la nature inorganique; mais ce ne sont pas les sujets qui le captivent davantage. 11 s’attache surtout

(1) En supposant la terre sphérique, en admettant qu’Empédocle prit, comme Thalès, le diamètre du soleil pour la sept cent vingtième partie orbite, enfin en prenant approximativement, connue les anciens Grecs, 3 pour le rapport de la circonférence au diamètre, il s’ensuivrait, d’après les indications mentionnées, que le rayon de l’orbite solaire serait d’environ 240 rayons terrestres et le rayon de Torbite lunaire de 80 rayons terrestre-. Si ce dernier chiffre n’est guère supérieur que d’un quart à la réalité, il n’y a évidemment la qu’un simple hasard, à la vie organique, aux problèmes de toutes sortes qu’elle soulève depuis la génération jusqu’à la sensation. C’est un terrain qu’avant Anaxagore, les Ioniens n’avaient guère abordé, mais qu’en Italie Alcméon, puis Parménide avaient déjà déblayé. Empédocle se rattache en fait à leur école, mais il développe avec amour les mêmes questions, y introduit des explications conformes à sa doctrine des éléments, qui se trouve ainsi amplement illustrée; enfin, sur nombre de points, il donne libre carrière à son originalité.

Je ne me propose nullement d’étudier quelle a pu être, au point de vue scientifique, la valeur de ses travaux dans ce domaine. Ils appartiennent en fait à l’histoire des origines de la médecine grecque. Je voudrais seulement insister sur ce point que, si la doctrine des quatre éléments a triomphé dans l’antiquité, c’est surtout grâce à l’accueil favorable qu’elle a reçu dans les écoles médicales ; elle se prêtait beaucoup mieux, soit que les doctrines monistes ioniennes, soit que les hypothèses vraiment scientifiques au fond, mais trop vagues comme forme d’Anaxagore ou de Leucippe, aux tentatives de coordinations théoriques dont l’art d’Asclépios commençait à sentir le besoin. Elle s’y combina dans la doctrine des tempéraments avec les oppositions du froid et du chaud, du sec et de l’humide, et c’est sous celte nouvelle forme qu’elle nous apparaît dans Aristote, lui-même fils de médecin, tandis qu’elle s’était propagée dans l’école italique et avait donné lieu, de la part des mathématiciens pythagoriens, aux spéculations géométriques que nous retrouvons dans le Timéc de Platon.

Un pareil succès prouve clairement que la conception d’Empédocle répondait à une nécessité scientifique de l’époque; il suppose aussi que son auteur avait su la développer de façon à séduire le public auquel il s’adressait, non seulement par le charme de ses vers, mais aussi par la valeur réelle de ses idées.

La pluralité des éléments, suivant un nombre plus ou moins restreint, peut avoir été soutenue avant lui; avoir fait triompher cette doctrine, qui devait régner près de vingt siècles, est un titre de gloire inattaquable.

Comment Empédocle fut-il conduit à cette conception, nous n’en savons rien ; en tout cas, historiquement, la valeur en est simplement empirique, quelles que soient les raisons a priori sur lesquelles Aristote a essayé de l’appuyer. A l’idée primitive du monisme, idée incapable de se prêter au progrès de la science et déjà acculée dans l’impasse de l’idéalisme, elle opposait, comme fait, la distinction familière à tous des trois états des corps, solide, liquide, aériforme, sauf à dédoubler la notion plus vague de ce dernier état, de façon à pouvoir rendre compte des phénomènes de chaleur et de lumière. Évidemment, il y avait une anticipation illégitime à affirmer que les combinaisons en proportions variées de ces quatre éléments suffisaient pour expliquer les innombrables propriétés des corps naturels; mais tant que l’étude n’alla pas plus avant, cette affirmation satisfaisait.

Obscurément battue en brèche pendant le moyen âge par les conceptions alchimistes, qui n’allaient guère pourtant qu’à augmenter de très peu le nombre des substances primordiales, l’antique théorie d’Empédocle devait subsister de fait jusqu’à la création de la chimie moderne. L’empirisme grossier l’avait suscitée, l’expérience scientifique la dissipa sans retour pour lui substituer un pluralisme indéfini, en face duquel l’idée monistique peut se relever avec avantage. Si voisine d’ailleurs que soit de nous l’époque où dominait encore le quaternaire d’Empédocle, la conception en est désormais tellement éloignée de nos habitudes d’esprit que nous avons peine à concevoir comment son règne a pu être si prolongé et si généralement reconnu, et ce n’est, pas là un des moindres problèmes qu’ait encore à résoudre l’histoire des sciences de la nature.


DOXOGRAPHIE D’EMPÉDOCLE


i. Théophr., fr. 3 (Simplic. in physic, 6 b). — De ceux qui admettent la pluralité des principes, les uns les regardent comme étant en nombre fini, les autres comme en nombre infini. Parmi les premiers, les uns en supposent deux, comme Pavménide suivant l’opinion, à savoir le feu et la terre (ou plutôt la lumière et l’obscurité), ou comme les stoïciens, à savoir dieu et la matière (le dieu n’étant d’ailleurs pas ptHs par eux comme élément, mais comme agent et la matière étant prise comme passive); d’autres en admettent trois, comme Aristote la matière et les contraires; d’autres quatre, comme Empédocle d’Agrigente, qui survint peu de temps après Anaxagore et rivalisa avec Parménide, en se rapprochant de lui, mais encore plus des pythagoriens. Il pose les quatre éléments corporels, le feu, l’air, l'eau et la terre, comme éternels, tout en admettant que la combinaison et la séparation en fassent varier la quantité en plus et en moins; mais il a en outre, pour les mouvoir, deux principes proprement dits, l’Amour et la Haine; car les éléments doivent subir un mouvement alternatif, de combinaison par l’Amour, de séparation par la Haine. Ainsi, d’après lui, il y aurait six principes, car, dans tel passage, il attribue à l’Amour et à la Haine le pouvoir efficient (vers 68-69), dans tel autre, il les place sur le même rang que les quatre (vers 78-81).

2. Philosophum., 3. — (1) Empédocle, venu après les pythagoriens, a aussi longuement parlé de la nature des daimones, qu’il croit en très grand nombre et occupés à administrer ce qui se passe sur la terre. Il regarde comme principe de l’univers la Haine et l’Amour et le feu intelligent de l’unité, le dieu ; d’après lui, tout est formé de feu, tout se résoudra en feu, dogme adopté par les stoïciens, qui s’attendent donc à un embrasement. — (2) C’est, de tous, lui qui avoue le plus complètement la métempsycose (vers 11-12). — (3) Ainsi il affirme que les âmes passent dans les corps de tous les animaux. Son maître Pythagore avait dit qu’au siège de Troie il avait été Euphorbe ; il avait prétendu reconnaître son bouclier. Voilà pour Empédocle ( l ).

3. Ps.-Plut. (Stromat., 10). — Empédocle d’Agrigente admet quatre éléments, le feu, l’eau, l’éther et la terre, avec leur cause, l’Amour et la Haine. De la combinaison primordiale des éléments s’est d’abord séparé l’air qui s’est répandu tout autour en cercle ; après l’air, le feu s’est dégagé, mais, ne trouvant plus de place en haut, a couru au-dessous de la concrétion formée par l’air. Il y a autour de la terre deux hémisphères qui tournent circulairement, l’un dont l’ensemble est de feu, l’autre qui est mêlé d’air et d’un peu de feu; c’est ce dernier qui fait la nuit. Le commencement du mouvement a résulté de la rupture d’équilibre entraînée par la réunion du feu. Le soleil n’a nullement une nature ignée; c’est un reflet du feu, semblable à celui qui se produit sur Feau. La lune a été constituée par de l’air entraîné par le feu ; cet air s’est concrétionné comme de la grêle; la lumière de cet astre vient du soleil. Le principat n’appartient ni à Ta tête, ni à la poitrine, mais au

(*) Ce passage des Philosophumena vient de la même source suspecte que celui relatif à Héraclite. 122 pour l'histoire de la SCIENCE HELLENE.

sang; aussi les hommes ont des supériorités différentes suivant les parties du corps où le sang afflue en plus grande quantité.

4. Ëpiphane, III, 19. — Empédocle, fils de Méton, d'Agrigente, introduisit les quatre éléments primitifs, feu, terre, eau, air. Il dit qu'il y a d'abord eu haine des éléments; car ils auraient, suivant lui, été séparés à l'origine, mais maintenant ils sont unis par un amour réciproque. Ainsi il reconnaît aussi comme principes deux forces, la Haine et l'Amour, l'une attractive, l'autre répulsive.

5. Hermias, 8. — En face se dresse Empédocle frémissant; du haut de l'Etna, il pousse de grands cris : « Les principes de l'univers sont la Haine et l'Amour, l'un réunit, l'autre sépare; c'est leur lutte qui fait toutes choses. Je définis celles-ci comme semblables et dissemblables, infinies et limitées, éternelles et en devenir. » Bravo, Empédocle! je te suivrai jusqu'au cratère en feu.

6. Cicéron (De dcor. nat., I, 12). — Empédocle a commis bien des erreurs, mais c'est sur les dieux qu'il s'est le plus honteuse- ment trompé. Car les quatre éléments, dont il compose toutes choses, sont divins à ses yeux, alors qu'ils sont évidemment soumis à la génération comme à la destruction et qu'ils sont absolument insensibles.

7. Aétius, I. — 3. Empédocle, fils de Méton, d'Agrigente, admet quatre éléments, feu, air, eau, terre, et deux forces primi- tives, l'Amour et la Haine, l'une qui unit, l'autre qui sépare. Il dit : (vers 159-161). Il appelle Zeus l'ébullition et l'éther, Héré vivifiante l'air, Aidoneus la terre (*); Nestis et fontaine humaine désignent la semence et l'eau. — 5. Empédocle : Le monde est un, mais ce n'est pas l'univers; il n'en est qu'une petite partie, le reste est de la matière inerte. — 7. Empédocle (?) admet comme étant l'un la nécessité, comme sa matière les quatre éléments, comme formes la Haine et l'Amour; il considère comme dieux les éléments et le monde que constitue leur mélange, ainsi que leur réunion primitive et finale sous une seule forme; il regarde comme divines les âmes et comme divins les purs qui participent purement aux âmes.

.8. Aétius, I. — 13. Empédocle reconnaît avant les quatre éléments «les particules minima qui sent comme «les éléments homéomères antérieurs aux éléments. — 15. La couleur est ce

qui s'adapte aux pores de la \ne. [Il y on a «pialre, comme il y a

ta hùméfiquei, 9tobée, etc. interrertisseat les doom mythi- que! '!•• Pair el de la terre.

�� � CHAPITRE XIII. — EMPÉDOCLE D'AGRIGENTE (d). 323

quatre éléments : blanc, noir, rouge, vert (?).] — 17. Empédocle et Xénocrate composent les éléments de molécules plus petites, qui sont des minima et comme des éléments d'éléments.

9. Aétius, I. — 18. Empédocle : Il n'est dans l'univers vide ni superflu. — 24. (Voir Doxogr. d'Anaxagorc, 10.) — 26. La nécessité est la cause qui met en œuvre les principes et les élé- ments. — 30. Il n'y a naissance de rien, mais combinaison et séparation des éléments; il écrit dans le premier livre des Phy- siques (vers 98-101).

10. Aétius, II. — 1. Le monde est un. — La route circulaire du soleil décrit la limite du monde. — 4. Le monde naît et se détruit suivant la prédominance de la Haine ou de l'Amour.

11. Aétius, II. — 6. L'éther s'est dégagé le premier, le feu a suivi, puis la terre, de laquelle l'eau a jailli sous la pression énorme du tourbillon; par vaporisation l'eau a fourni l'air. Le ciel est formé par l'éther, le soleil vient du feu, les environs de la terre sont feutrés des autres éléments. — 7. Empédocle a dit que les lieux des élé- ments ne sont pas toujours constants et déterminés, mais qu'ils ^'échangent réciproquement (Achille : en sorte que la terre soit emportée en haut et le feu en bas).

12. Aétius, IL — 8. L'air cédant à l'effort du soleil, le pôle arctique s'est déplacé, le côté du nord a été élevé, celui du sud abaissé, et par suite le monde entier s'est trouvé incliné. — 10. La droite du monde est au tropique d'été, la gauche au tropique d'hiver.

13. Aétius, IL — 11. Le ciel est solide, formé par une concré- tion de l'air semblable à la glace et au-dessus du feu ; il renferme l'igné et l'aérien séparés en deux hémisphères. — 13. Les astres sont de feu et proviennent de l'igné enveloppé par l'air et qui en a été exprimé lors de la séparation primitive. — Les étoiles fixes sont attachées au crystal, les planètes sont libres.

14. Aétius, IL — 20. Il y a deux soleils : l'un archétype, feu qui remplit constamment l'un des deux hémisphères du monde et se reflète au sommet de cet hémisphère; l'autre, le soleil apparent, est ce reflet même, < invisible > dans l'autre hémisphère rempli d'air mêlé de feu, et qui, produit par réflexion de la terre circulaire à la voûte crystalline, est entraîné par le mouvement de l'igné. Pour parler plus brièvement, le soleil est un reflet du feu entou- rant la terre. — 21. En tant que reflet, le soleil est égal à la terre. — 23. Le retour du soleil aux cercles tropiques a lieu parce que la

�� � 324 POUR L'HrSTOIRK DE LA SCIENCE HELLÈNE.

sphère qui le renferme l'empêche d'aller toujours en ligne droit. 24. L'éclipsé se produit lorsque la lune passe au-dessous.

15. Aétius, II. — 25. La lune est de l'air épaissi, analogue à un nuage et concrétionné au-dessous du feu, en sorte qu'il a mé- lange (?). — 27. Sa forme est celle d'un disque. — 28. Elle est éclairée par le soleil. — 31. Elle est deux fois plus éloignée du soleil que de la terre. — La hauteur de la terre au ciel, ou l'élé- vation à partir de nous, est inférieure à la dimension suivant la largeur, le ciel étant plus développé dans ce sens, et le monde ayant une forme analogue à celle d'un œuf.

16. Aétius, III. — 3. Le tonnerre provient de la lumière qui tombe sur une nuée et en chasse l'air malgré sa résistance, le bruit est dû à l'extinction et à l'écrasement de cet air, l'éclair à l'illumination, la foudre est la tension de l'éclair. — 8. Empédocle et les stoïciens : L'hiver est produit par la prédominance de l'air qui tend à se dilater et à gagner les parties supérieures ; l'été correspond au contraire à la prédominance du feu, qui tend à gagner les parties inférieures. — 16. Empédocle : La mer est la sueur de la terre échauffée par le soleil; (elle est salée) à cause dp la force de cette chauffe. (Cf. Alexand. in meteor., 9 a : Quelques- uns pensent que la mer est comme une sueur de la terre ; chauffée par le soleil, elle a jeté cette humidité, qui est salée de même que la sueur. Ce fut l'opinion d'Empédocle.)

17. Aétius, IV. — 3 (Théodoret). L'âme est un mélange de la substance éthérienne et de l'aérienne. — 5. Le principat appartient à la composition du sang. — (Voir Doxogr. de Parménidc, 14.)

— 7 (Théodoret). L'âme est incorruptible. — 9. Les sens sont trompeurs. — Le plaisir est procuré au semblable par le semblable, dans l'addition de ce qui fait défaut; en sorte que pour qui manque il y a désir du semblable. La douleur est l'effet, contraire, car il y a éloignement réciproque entre tout ce qui diffère par la composi- tion et le mode d'union des éléments.

18. Aétius, IV. — 13. Empédocle présente des passées qui peuvent être entendus, les uns pour l'explication de la vision par lea layons, les autres pour celle au moyen des Images; les derniers sontles plus considérables, car il admet les émanations xr.izzz:r.).

— 14. Les images dans les miroirs sont produites par les émana- tions qui s'arrêtent sur leur surface et qui sont refoulées par l'élément igné, lequel se dégage du miroir et dont les courants les entraînent avec l'air qu'elles rencontrent. — 15. L'audition

�� � CHAPITRE XIII. — EMPÉDOCLE D'aGRIGENTE (d). 325

se produit par le choc du souffle sur le cartilage qu'il dit être suspendu à l'intérieur de l'oreille comme un battant de clochette.

— 46. Les odeurs s'introduisent lors des mouvements d'inspira- tion des poumons; aussi on ne les sent pas lorsque l'inspiration est pénible et entravée, comme dans les rhumes. — 22. La pre- mière inspiration de l'animal a lieu lorsque s'évacue le liquide qui baigne les nouveau-nés et que l'air extérieur entre dans le vide par les canaux ouverts; ensuite, la chaleur interne, tendant à s'échapper au dehors, repousse l'air et il y a expiration ; elle cède à la pression de l'air et lui permet de rentrer : nouvelle inspiration. Enfin, dans l'état normal, c'est le sang qui, se portant vers la surface du corps, chasse par son afflux l'air qui sort par les narines — expiration, — puis rentre — inspiration — pour occuper le vide laissé par le sang lorsqu'il retourne en arrière. Empédocle fait un rapprochement avec la clepsydre.

19. Aétius, V. — 7. Le mâle ou la femelle naît d'après la cha- leur ou le froid ; il raconte que, par suite, les premiers mâles sont nés de la terre vers le levant et le midi, les femelles vers le nord.

— 8. Les monstres proviennent de l'excès ou du défaut de la semence, ou d'un trouble dans son mouvement, ou de sa division en plusieurs parties, ou de ce qu'elle se détourne. Il semble ainsi avoir prévu toutes les raisons possibles. — 9. Les jumeaux et les trijumeaux viennent de la surabondance et de la division de la semence. (Cf. Censorinus, VI, 9-40 : La naissance accidentelle des jumeaux est attribuée par Hippon à la quantité de la semence qui se diviserait en deux lorsqu'elle serait en plus grande abondance qu'il n'est besoin pour un seul enfant. C'est aussi à peu près ce que semble avoir pensé Empédocle, qui, à la vérité, ne donne pas de motif à la division. Il dit seulement qu'elle se fait; que si les deux parties occupent des endroits également chauds, il y a deux enfants mâles; pour des places également froides, deux filles; si une place est plus chaude, l'autre plus froide, les sexes sont différents.)

20. Aétius, V. — 44. Les ressemblances des enfants avec leurs parents proviennent de la prédominance des semences génératrices, la dissemblance est due à la dissipation de la chaleur de la semence. (Cf. Censorinus, VI, 6 : Sur ce sujet, voici les distinctions que fait Empédocle : si dans les semences des parents il y a une égale chaleur, il naît un garçon semblable au père; pour un froid égal, une fille semblable à la mère; si la semence du père est plus

�� � chaude, celle de la mère plus froide, il naît un garçon qui ressemble à la mère; si au contraire la semence du père est plus froide et celle de la mère plus chaude, il naît une fille qui ressemble à la mère.) (Voir aussi pages 242 et 243.) — 42. La conformation du fœtus est soumise pendant la grossesse à l’imagination des femmes ; souvent elles se prennent d’amour pour des statues ou des tableaux et ont des enfants qui ressemblent à ces objets.

21. Aétius, V. — 14. Les mules sont stériles à cause de la petitesse et de l’abaissement de la matrice qui est disposée avec une ouverture étroite et de côté, en sorte que la semence ne peut y arriver directement et, même sans cela, ne pourrait guère y entrer. — (Au contraire Aristote, De anim. gen., II, 8 : Empédocle met en cause le mélange des semences qui, quoique l’une et l’autre soient molles, se durcirait; car les vides de l’une s’adapte- raient aux pleins de l’autre, et dans ce cas deux choses molles peuvent en faire une dure, comme cela arrive dans l’alliage de cuivre et d’étain) (*).

22. Aétius, V. — 45. L’embryon est vivant, mais ne respire pas dans le sein de la mère. — 47. (Censorinus, VI, 4 : Empédocle, que suivit là-dessus Aristote, dit que le cœur, qui renferme surtout la vie de l’homme, se forme avant tout le reste.) — 48. Lorsque le genre humain fut engendré de la terre, la marche du soleil était si lente que le jour durait autant que la grossesse de dix mois; dans la suite des temps, le jour ne fut plus que de la durée de sept mois; c’est pour cela qu’il y a des naissances à dix et à sept mois, la nature ayant pris soin alors de faire arriver à terme les fœtus dans un seul jour ou une seule nuit (?). — 49. Les premiers animaux et les premières plantes ne sont nullement nés dans leur intégrité, mais par parties séparées et ne pouvant s’ajuster; en second lieu se sont produits des assemblages de parties comme dans les images de fantaisie; en troisième lieu sont apparus les corps complets; en quatrième, au lieu de provenir des éléments, comme de la terre et de l’eau, ils sont nés les uns des autres, d’une part, les aliments étant en surabondance, de l’autre, la beauté des femelles provoquant le désir du rapprochement sexuel. Les genres des animaux se sont distingués d’après leurs tempéra- ments particuliers, qui les ont entraînés, les uns à vivre dans l’eau, les autres à respirer l’air, pour posséder l’élément igné en

( l ) La donnée <r.\<tin* semble ôtw une amplification de l’opinion d’Alcméon ’ m t sous le nom d’Empédode. CHAPITRE HII. — EMPÊDOCLE D'AGRIGENTE (d). 327

plus grande quantité; les plus lourds sont restés sur la terre, les

autres (Cf. Censorinus, IV, 8 : Empédocle affirme que d'abord

les membres seraient nés séparément de la terre comme si elle eût été enceinte, puis qu'ils se sont réunis et ont ainsi constitué le corps de l'homme, solide, mais où entrent à la fois du feu et de l'eau.)

23. Aétius, V. — 24. Pour les hommes, la distinction des articulations commence au 36 e jour, les parties sont conformées au 49 e . — 22. Les chairs se forment par tempérament des quatre éléments en proportions égales, les nerfs de feu et de terre unis au double d'eau, les ongles viennent aux animaux des nerfs qui se refroidissent à la surface au contact de l'air, les os sont formés par tempérament de deux parties d'eau, deux de terre et quatre de feu. La sueur et les larmes viennent du sang que la chaleur rend plus fluide et plus subtil et qui peut dès lors donner lieu à ces écoulements. — 24. Le sommeil correspond à un refroidisse- ment modéré de la chaleur du sang, la mort au refroidissement complet. — 25. La mort arrive par la séparation de l'igné (et du terrestre) dont la combinaison constitue l'homme; [dès lors elle est commune au corps et à l'âme; le sommeil est aussi une sépa- ration de l'igné].

24. Aétius, V. — 26. Les arbres ont poussé de la terre avant les animaux, avant que le soleil ne se fût dégagé, que le jour et la nuit ne fussent distincts. Ils présentent les sexes, mâle et femelle, d'après la proportion des mélanges qui les forment; ils s'élèvent dans l'air et grandissent grâce à la chaleur de la terre, dont ils sont des parties au même titre que l'embryon est partie de la matrice dans le sein de sa mère. Les fruits sont des excédents de l'eau et du feu des plantes; les arbres qui renferment moins d'eau, perdent leurs feuilles par suite de l'évaporation de l'été ; ceux qui en ont en surabondance, restent verts comme le laurier, l'olivier et le palmier. Les différences des saveurs proviennent de la variété de composition du sol nourricier, dont les plantes tirent différentes homéoméries ; ainsi pour les vignes, ce n'est pas la différence du plant, mais celle du terroir qui fait le bon vin. — 27. Les animaux se nourrissent par l'union de ce qui leur convient, et grandissent par la présence de la chaleur; ils diminuent et se consument par le défaut de l'une ou l'autre chose. Les hommes d'aujourd'hui, comparés aux premiers, sont comme des enfants. — 28. Les désirs surviennent aux animaux par suite du défaut des éléments qui les

�� � compléteraient, les plaisirs résultent de l’union des choses semblables et congénères....



FRAGMENTS D’EMPÉDOCLE


Préambule. — Il est une loi fatale, un antique décret des dieux, | à jamais confirmé par leurs serments sans réserves : | si quelqu’un, par sa faute, souille sa main d’un meurtre | ou s’il ose violer un serment, |5| (lui, daimone dont la vie s’étend dans les siècles), | pendant trente mille saisons il errera loin des bienheureux, | revêtant successivement les formes mortelles de toutes sortes, | passant de l’un à l’autre des douloureux sentiers de la vie. | Tel je suis aujourd’hui exilé loin des dieux, errant, |10| soumis aux fureurs de la Haine..... | car j’ai déjà été garçon et fille, | et arbrisseau et oiseau et dans la mer un muet poisson. | ..... Hélas ! pourquoi un jour sans pitié ne m’a-t-il pas détruit, | avant que mes lèvres eussent connu l’œuvre criminelle de la nourriture ?..... |15| Loin de quel honneur, de quelle félicité sans bornes | suis-je misérablement déchu dans les régions mortelles ! | .....

J’ai pleuré, j’ai sangloté en voyant cette demeure inaccoutumée | ..... cette demeure sans joie | où le Meurtre, le Ressentiment et le reste des Kères |20| [les maladies repoussantes, les contagions, les œuvres périssables] | parcourent la ténébreuse prairie d’Até | ..... Là étaient la Terrestre et la Solaire aux yeux perçants, | la Guerre ensanglantée et l’Harmonie au doux regard, | la Beauté et la Laideur, la Lenteur et la Hâte, |25| l’aimable Sincérité, la Dissimulation à l’œil sombre | … la Naissance et la Mort, la Torpeur et la Veille, | la Mobilité et l’Immobilité, la Grandeur couronnée | et l’Humilité, la divine Taciturnité et la Parole | ..... Nous arrivâmes sous cet antre couvert. | .....

30| Hélas! race infortunée des misérables mortels, | de quelles disputes, de quels gémissements vous êtes nés !..... | Le vaste éther les repousse dans la mer, | la mer les rejette sur le soi dé la terre, la terre dans les flammes | de l’infatigable soleil, et celui-ci dans les tourbillons de l’éther. |35| Reçus par l’un après l’autre, ils sont partout en horreur. | .....

Étroites sont les ressources que leur offre le corps, | et là-dessus, tant de souffrances viennent troubler la pensée soucieuse ; | ils ne voient qu’une courte part d’une vie qui n’en est pas une, | et une prompte mort les dissipe comme une fumée. |40| Chacun ne croit qu’à ce qu’il a rencontré; | entraînés de tous côtés, ils s’imaginent vainement avoir présent devant eux l’ensemble universel; | mais ce sont là choses inaccessibles aux yeux, aux oreilles des hommes, | et même à leur intelligence. Toi donc, qui es venu ici, | tu ne sauras pas plus que ce que peut embrasser la pensée d’un mortel. |

45 1 Détournez, ô dieux, cette folie de ma langue, | faites couler une source pure de mes lèvres sanctifiées. | Et toi, vierge au bras blanc, Muse que poursuivent tant de prétendants, | je ne demande que ce qu’il est permis d’entendre aux éphémères humains; | prends les rênes du char sous les auspices de la Piété. |50| Le désir des fleurs brillantes de la gloire, | que je pourrais cueillir

auprès des mortels, ne me fera pas dire ce qui est défendu |

Aie courage, et gravis les sommets de la science; | considère de toutes tes forces le côté manifeste de chaque chose, | mais ne crois pas voir plus que ne te montrent tes yeux, |55| entendre au delà de ce qui est clairement énoncé, | et de même pour toutes les voies qui s’ouvrent à la pensée, | suspends la confiance en tes sens; pense chaque chose en tant qu’elle est manifeste | . . . Écoute donc, Pausanias, fils du prudent Anchitos | Écoute d’abord les quatre racines de toutes choses, |60| le feu, l’eau, la terre et l’éther immensément haut; | c’est de là que provient tout ce qui a été, est et sera. |

Livre premier. — Mon discours sera double : car tantôt l’un a grandi pour subsister seul | par la réunion des plusieurs, tantôt il s’est divisé pour leur donner naissance. | Ils sont donc mortels et double est la genèse, double la fin; |65| car, d’un côté, la réunion de toutes choses engendre et tue, |.de l’autre, leur désunion produit et dissipe. | Or, il n’y a jamais de terme au changement perpétuel, | car tantôt l’Amitié rassemble toutes choses en une, | tantôt elles se séparent, entraînées par la Haine. |70| Ainsi, en tant que l’un naît des plusieurs, | et qu’à leur tour, ceux-ci se constituent par sa division, | en ce sens l’un et les autres commencent et ne durent pas éternellement. | Mais en tant que jamais il n’y a de terme au changement perpétuel, | en ce sens ils subsistent toujours dans un cycle immuable. | 330 POt'i; l/ilisToim-: DE LA SCIENCE BELLÊFE.

75| Écoute donc mes paroles, car l'enseignement accroît l'in- telligence. | Ainsi que je l'ai déjà dit, en traçant les bornes de mon discours, | il sera double : car tantôt l'un a grandi pour subsister seul | par la réunion des plusieurs, tantôt il s'est divisé et ils ont pris naissance, | à savoir : le feu, l'eau, la terre et l'éther immen- sément haut; |80| en dehors d'eux, la Haine, qui équilibre chacun des quatre; | avec eux, l'Amour, égal en longueur et en largeur. | GorîTemple-le par l'esprit; pour le voir, tes yeux sont éteints. [ C'est lui qu'on regarde comme incorporé dans les membres des mortels, | c'est grâce à lui qu'ils aiment et accomplissent les œuvres de l'union |85| joyeuse, à laquelle ils donnent son nom et celui d'Aphrodite ; | mais il circule aussi dans tout l'univers, ce que n'a encore reconnu aucun | homme mortel. Ecoute donc la véridique ordonnance de mes discours. |

Tous ceux-là sont égaux et également anciens, | mais chacun a son rôle propre, chacun a son caractère; |90| tour à tour ils pré- dominent dans le cours d'un cycle, | se perdent l'un dans l'autre ou grandissent suivant le retour fatal. | En dehors d'eux, rien d'autre ne devient ni ne cesse d'être; | s'ils avaient absolument péri, s'ils n'avaient plus été, | comment cet univers aurait-il grandi? d'où serait-il venu? |95| Et où se perdraient-ils, puisqu'il n'y a rien qui soit vide d'eux? | Ainsi donc ils restent les mêmes, mais circulant au travers les uns des autres | ils deviennent perpétuel- lement autres ailleurs, tout en restant toujours semblables. |

Je vais te dire une autre chose : il n'y a pas de naissance d'au- cune des choses | mortelles, il n'y a pas de fin par la mort funeste, |100| il n'y a que mélange et dissociation de mélange; | c'est là ce que les hommes appellent naissance. | Car il est impos- sible que rien devienne de ce qui n'est pas, | il ne peut aucune- ment se faire que ce qui est s'anéantisse; | toujours il subsistent, sous quelque effort que ce soit. |105| Mais ce sont les mauvais qui veulent résister à la certitude qui s'impose; | qu'ainsi les préceptes véridiques de notre Muse | te tiennent convaincu, et que ton esprit sache faire la distinction. | L'être qui, formé par mélange, apparaît à la lumière de l'éther, homme, | bête sauvage, arbuste, |110| oiseau, on dit qu'il naît; | quand il se décompose, c'est la mort funeste, | suivant la loi d'un langage incorrect, à laquelle j'obéis moi-même. | Mais c'est une folie, une étrange étroitesse de j us- inent | que de croire que ce qui n'est pas d'abord puisse deve- nir, |115| ou que quelque chose périsse et se détruise absolument. |

�� � CHAPITRE XIII. — EMPÉDOCLE d'âGRIGENTE (f). 331

Un homme sage ne pensera jamais ainsi, il ne croira pas | que, pendant que les mortels vivent ce qu'ils appellent leur vie, | ils existent, jouissant des biens, souffrant des maux, | mais qu'avant leur formation ou après leur dissolution ils ne sont rien. |

420 1 Allons, considère ce qu'ont attesté mes premières paroles, vois | s'il y a, dans ce que j'ai dit, quelque forme omise : | le soleil, brillant à voir, source de toute chaleur, | l'éther épandu, que bai- gnent les blanches lueurs, | la pluie, sombre et froide entre toutes choses, |125| la terre, d'où provient tout ce qui est solide et pesant. ] Dans la Haine, ils sont tous isolés et défigurés, | mais l'Amour les réunit par un désir réciproque. | C'est d'eux que se forme tout ce qui a été, est ou sera jamais, | que poussent les arbres, les hommes et les femmes, |130] les bêtes, les oiseaux, les poissons que l'eau nourrit, | et les dieux à la longue vie, à qui appartiennent les suprêmes honneurs. | Tous ces êtres sont ces mêmes choses, qui circulent au travers les unes des autres, | apparaissent sous divers aspects, que la dissociation fait varier. |

De même les peintres travaillent leurs tableaux destinés aux temples; |135| ces hommes profondément instruits dans leur art ingénieux, | prennent les couleurs aux nuances variées; | ils les mélangent harmonieusement, plus des unes, moins des autres, | et en font des figures imitant toutes les formes, | arbres, hommes et femmes, |140| bêtes, oiseaux, poissons que l'eau nourrit, | dieux à la longue vie, à qui appartiennent les suprêmes honneurs. | Ainsi donc ne laisse pas tromper ton esprit et ne va pas croire qu'il y ait ailleurs | quelque autre source pour les choses mortelles, si innombrables qu'en soient les espèces ; | tiens pour assurée la connaissance que t'enseigne la parole divine. |

145| Car elles ont été auparavant, elles seront plus tard, et je ne crois pas | qu'aucune des deux manque jamais dans le temps infini. |

Tour à tour ils prédominent dans le cours d'un cycle, | se per- dent l'un dans l'autre ou grandissent suivant le retour fatal. | Ils restent les mêmes, mais circulant au travers les uns des autres, |150| forment les hommes et les diverses tribus des bêtes. | Tantôt l'Amitié les réunit en une seule ordonnance, | tantôt ils se séparent, entraînés par la Haine, | jusqu'à ce que toute union soit absolument détruite. | Ainsi, en tant que l'un naît de plusieurs, |155| et qu'à leur tour, ceux-ci se constituent par sa division, | en ce sens l'un et les autres commencent et ne

�� � 332 pour l'histoire de la science hellène.

durent pas éternellement. | Mais en tant que jamais il n'y a àé terme au changement perpétuel, | en ce sens ils subsistent toujours dans un cycle immuable. |

Tout d'abord il y a quatre racines de toutes choses : |160| Zeus brillant, Héré vivifiante, Aïdôneus | et Nestis qui alimente la source des larmes humaines. | Quand ils sont réunis, la Haine est rejetée au plus loin. |

Mais quand la Haine se fut retirée à l'extrémité | du tourbillon et qu'au centre fut venue résider l'Amitié, |465| dès lors toutes choses se réunirent pour former un seul ensemble. |

Il n'est dans l'univers ni vide ni superflu; | mais, égal dans tous les sens, infiniment vaste, se forma | le Sphéros arrondi dans sa parfaite immobilité. |

Alors ne se discernent pas les traits rapides du soleil. |

170| Il était arrondi |

Tout le lourd d'un côté, tout le léger de l'autre | Alors n'ap- paraissait ni la splendeur du soleil, | ni le sol boisé de la terre, ni la mer. | Tout était ennemi, sans amour et sans union. |

175| Ainsi, au sein de la stable harmonie, reposait | le Sphéros arrondi dans sa parfaite immobilité. | Mais quand la Haine eut grandi dans ses parties, | quand elle s'éleva aux honneurs après le temps révolu, | que lui marquait le grand serment réciproque- ment échangé, |180| alors successivement s'ébranlèrent tous les membres du dieu. |

. . . Considère | le merveilleux ensemble des parties de l'homme ; | tantôt l'Amitié les réunit en un tout, | en un corps, et la vie floris- sante les anime; |185| tantôt au contraire une funeste discorde les sépare, | et elles errent, chacune de son côté, aux confins de la vie et de la mort. | Il en est de même pour les arbres et les pois- sons aux humides demeures, | pour les bêtes des montagnes, pour les oiseaux emportés sur leurs ailes. |

Mais je rentre à nouveau dans la route que mes chants |190| ont déjà parcourue; à mon discours j'ajoute le discours | que voici. Quand la Haine se fut retirée à l'extrémité | du tourbillon, et qu'au centre fut venue résider l'Amitié, | dès lors toutes choses se réunissent pour former un seul ensemble, | mais ce n'est pas d'un seul coup, et dans les différents lieux se constituent d'elles-mômes des unions différentes. |195| De ce qui s'unit ainsi naissent les innombrables races des êtres mortels; | mais en face de ce qui était associé, beaucoup reste isolé; | c'est ce qu'a retenu la Haine

�� �� � CHAPITRE XIII. — EMPKDOCLE D'AGRIGENTE (f). 333

tout en s'éloignant ; car elle n'était pas encore de tous les côtés | absolument rejetée à l'extrême limite du cercle; | mais elle occupait encore telle partie, telle autre était déjà abandonnée par elle. |200| Toutefois, à mesure qu'elle reculait, à mesure avançait d'autant | la bienveillante Amitié, dans son élan victorieux. | Dès lors étaient devenues mortelles les choses auparavant immortelles; | dès lors mélangé, ce qui d'abord était isolé. Dans ces nouveaux sentiers, | dans ces unions naquirent les innombrables races des êtres mortels, |205[ affectant les formes les plus diverses, les plus merveilleuses. |

La terre s'y rencontra surtout en égalité | avec Héphaistos, avec la pluie et le brillant éther; | s'ancrant dans les ports accomplis de Cypris, | en proportion soit un peu plus forte, soit un peu moindre, (210] elle forma ainsi le sang et les diverses sortes de chairs. |

La terre, attirée à l'union dans ces larges creusets, | sur huit parties en prit deux de la transparente Nestis | et quatre d'Hé- phaistos; ainsi se formèrent les os blanchissants, | divinement consolidés par les liens de l'harmonie. (

215| Ainsi, quand le suc du figuier enchaîne et cloue le lait blanchissant |

Ainsi les poils, les feuilles, les plumes serrées des oiseaux, |

les écailles se forment sur les membres endurcis | dont la

divine Aphrodite a fait les yeux perçants | Aphrodite, y met- tant ses douces attaches |

220| De même que celui qui se munit d'une lumière pour la route | pendant une nuit d'hiver, défend la flamme brillante | qu'il allume par la lanterne protectrice; | celle-ci repousse le souffle des vents, de quelque côté qu'ils viennent, | et la lumière jaillissant au dehors, aussi loin qu'atteignent |225| ses rayons infatigables, aussi loin elle éclaire le chemin. | Ainsi le feu préexistant que renferment les membranes de l'œil, | perce les minces tuniques de la ronde pupille ; | celles-ci le protègent contre la masse de l'eau environnante, | et le feu, jaillissant au dehors, aussi loin qu'il atteint |

... 230 1 Rattachant toujours différemment de nouveaux débuts | de mes paroles, et ne suivant pas dans mon discours une route unique | Il faut redire deux ou trois fois ce qui le mérite. |

Allons, je vais te dire maintenant la première origine du soleil, | et comment s'est formé tout ce que l'on voit aujourd'hui, |235| la

�� � 334 pour l'histoire de la science hellène.

terre, la mer ondoyante, l'air humide, | le Titan (soleil) et l'éther

qui resserre toutes choses dans son cercle. | Car si les |»n>-

fondeurs de la terre étaient illimitées ainsi que le vaste éther, | suivant les vaines paroles que répètent tant | de bouches d'hommes qui ne voient qu'une faible partie de l'univers |

240 1 Le soleil aux traits perçants, la lune douce et paisible |

Mais lui dans sa course parcourt le vaste ciel | réfléchit vers

l'Olympe pour les visages qui le contemplent en face. | Elle,

au contraire, pour sa paisible lumière, subit un sort passager |

Ainsi, la lumière frappant le large cercle de la lune | ... 2-45| elle roule en cercle autour de la terre sa lueur empruntée | ... comme la roue d'un char, tournant tout près de la terre | . .. Elle regarde en face le divin cercle du soleil | . . . elle en repousse les rayons | descen- dant vers la terre et produit dès lors sur celle-ci |250| une ombre

aussi large que l'est la lune au pâle visage. | La nuit est faite

par la terre, qui arrête la lumière | (l'air) sombre de la nuit

solitaire | ... La couleur noire paraît aussi au fond d'un fleuve, à l'ombre, | elle se voit de même dans les antres souterrains. |

255| Il y a, en dessous des eaux, beaucoup de feux allumés | ... conduisant les stupides tribus des poissons féconds | ... le sel s'est pris en masses, sous les coups du soleil | ... la mer, sueur de la

terre | Mais l'éther poussait sous la terre de longues racines ; |

260| car tantôt dans sa course il se trouvait ici, tantôt là | Le

feu jaillit brusquement en s'élevant. |

Car il y a adaptation entre toutes leurs parties, | soleil, terre, ciel et mer, | pour tout ce qui erre maintenant de la naissance à la mort. |265| Et de même que tout ce qui se trouve plus propre au mélange, | a tendance à l'union d'amour avec son semblable, | ce qui est ennemi s'éloigne au plus loin, répugnant au mélange, j par son origine, son tempérament, par les formes imprimées, | réfractait* à toute réunion, absolument soumis |270| à l'empire de la Saine, qui lui a donné naissance. |

Ainsi toute pensée provint du caprice de la fortune | ... et en tant que les plus subtiles parties se réunirent dans leur nu Hive- rnent | .... le feu grandit par le feu, | la terre s'unit à elle-même,

l'éther augmente l'éther. | 275| conglutinant la farine par

l'eau | le puissant Amour. |

l.iviiE second. — Si ta croyance est encore mal assurée là-dea* sus, | si tu demandes comment l'eau, la terre, l'éther el le soleil

�� � CHAPITRE XIII. — EMPÉDOCLE d'aGRIGENTE (f). 335

se mélangeant ont pu constituer tous ces corps et toutes ces formes mortelles |280j qui naissent maintenant dans les unions d'Aphro- dite | comment les grands arbres et les poissons de la

mer f alors Cypris humecta pendant longtemps la terre dans

la pluie, | et lui donna des formes que le feu vint assurer. |

(Les yeux) dont l'intérieur est dense et l'extérieur relâché, | 285[ qui des mains de Cypris ont reçu cette contexture. | ....

Ainsi les grands arbres portent comme des œufs, d'abord les

olives | les grenades tardives et leurs fruits succulents |

l'eau, se pourrissant dans le bois, devient du vin sous la peau. |

Si voyant clairement cela dans ta réflexion profonde, |290| tu y consacres ta pensée pure et droite, | toutes ces choses t'appartien- dront toujours, | et par elles tu en acquerras bien d'autres; car elles grandissent | par le désir des hommes, selon la nature de chacun d'eux. | Mais si tu t'attaches à des choses étrangères, comme font les hommes |295| pour tant de soucis pénibles qui troublent leur pensée, | elles quitteront soudainement la vie au temps révolu, | dans leur désir de retourner à leur origine. | Car, sache-le, il y a partout pensée et part d'intelligence. |

La douce Gharis a horreur de l'intolérable Nécessité. |

300 1 Tu peux voir cela dans les lourdes coquilles marines, | dans les buccins et les tortues cuirassées de pierre ; | la terre y est

au-dessus de la peau | et les oursins | ont le dos hérissé de

soies piquantes. |

305 1 Lorsque (les yeux) se formèrent d'abord dans les mains de

Cypris | le foie rempli de sang | Ainsi poussèrent nombre

de têtes sans cou, | errèrent des bras nus sans épaule, | et des yeux qui n'étaient pas fixés à des visages | ... 310| mais quand le divin (élément) s'unit davantage au divin, | ces membres s'ajustèrent comme ils se rencontrèrent, | et là -dessus nombre d'autres provinrent sans discontinuer | ... Il y eut donc nombre d'êtres à double visage et à double poitrine, | des formes bovines à tête humaine, et inversement |315| des formes humaines à tête bovine, qui possédaient à la fois les attributs de l'homme | et ceux

de la femme, avec ses membres délicats | des femelles sans

leurs organes distinctifs | Maintenant, comment des hommes

et des femmes aux pleurs faciles | la race fut produite au jour par le feu qui se dégageait, 1 320 [ écoute-le; ce n'est pas un discours hors de propos ou frivole. J D'abord des formes indistinctes

�� � 336 pôub l'histoire de la science hellène.

s'élevèrenl du sol, | à la fois constituées d'eau et de (erre. | Le feu, cherchant à se réunir à son semblable, les luisait sortir, | sans qu'elles montrassent déjà le gracieux arrangement des mem- bres, |325| sans qu'elles eussent la voix ni les attributs du sexe viril. |

Mais l'origine des membres est distincte; partie vient de l'homme | et partie de la femme |

Ils se réunirent, et le désir les prit par les yeux |

La semence forme le mâle quand elle rencontre la chaleur, et la

femelle |330| quand elle rencontre le froid | les ports

fendus d'Aphrodite | ... c'est dans la partie la plus chaude du ventre qu'est la place pour les mâles; | c'est pour cela que les hommes sont bruns, plus robustes | et plus couverts de poils (que les femmes) |

355 1 Toute jointure est formée de deux pièces qui s'articu- lent | ... au dixième jour du huitième mois apparaît le pus blanc (le lait).... |

Sache que, de toutes les choses qui sont, partent des effluves | ... Ainsi le doux cherche le doux, l'amer s'élance vers l'amer, | l'acide vers l'acide, et le chaud se répand vers le chaud | ... 340 1 L'eau est mieux appropriée au mélange avec le

vin, mais avec l'huile | elle répugne | L'écarlate s'unit au

byssus jaunissant. |

Voici comment les animaux inspirent et respirent ; chez tous, le sang peut quitter | des conduits étendus à travers les chairs jusqu'à la surface du corps, |345| et qui viennent déboucher, pat de fines et nombreuses ouvertures, | à l'extrémité des narines, en sorte que le sang | ne puisse couler, mais que l'éther trouve un passage facile. | Aussi, quand le sang léger se retire, | l'éther bouillonnant se précipite avec force, |350| et ressort ensuite, dis que le sang revient. Quand une enfant | joue avec une clepsydre d'airain brillant, | elle pose sa main gracieuse sur l'ouverture du tuyau, | et l'enfonce dans la masse fluide d'une eau brillante. | Mais celle-ci ne pénètre pas dans le vase, elle est arrêtée |355| par l'air qu'elle rencontre à chacun des petits trous, | jusqu'à ce que le grand tuyau soit ouvert; alors | l'air s'échappe et l'eau peu! entrer. | De même, quand l'airain est rempli par l'eau | et que L'ouverture du tuyau est fermée par la main, |3ttft| l'air, pressant «!«' dehors en dedans, arrête l'eau | à la porte «lu passage étroit qu'il occupe ou résistant, [jusqu'à ce que la main soit retirée;

�� � CHAPITRE XIII. — EMPÉDOCLE Ij'aORIGENTE (f). 337

alors au contraire, par un effet inverse du précédent, | l'air entre et l'eau s'écoule. | De même le sang fluide se meut dans les vais- seaux du corps; |365| quand il recule en arrière vers l'intérieur, | aussitôt pénètre avec force le courant d'air; | si le sang" remonte,

alors l'air ressort d'autant. |

Cherchant avec leur nez les gîtes des bêtes. | Ainsi tous

participent de la respiration et de l'odorat |370| un os charnu

(dans l'oreille) | Les deux yeux donnent une seule vue |

(L'intelligence) se nourrit dans les flots agités du sang; | et c'est de là que vient la mobile pensée des hommes, | car le sang qui

environne le cœur, voilà ce qui pense. | 375| D'après ce qui

se présente grandit l'intelligence humaine. | Autant les hom- mes deviennent autres, autant | leur esprit leur présente d'autres

pensées. | C'est par la terre que nous voyons la terre, c'est

par l'eau que nous voyons l'eau, | par l'éther le divin éther, par le feu le feu destructeur, |380| par l'amour l'amour, et par la haine, la triste haine. | Car c'est là de quoi toutes choses sont harmonieusement constituées, | c'est par quoi l'on pense, l'on jouit ou l'on souffre. |

Livre troisième. — Si au sujet des êtres éphémères, ô Muse immortelle, | tu daignas naguère inspirer ma pensée, |385j exauce encore mes vœux et viens me soutenir, ô Calliope, | pour que sur les dieux bienheureux je profère de bonnes paroles. | ... Heureux celui qui possède l'intelligence du divin, | malheureux celui qui

sur les dieux n'a qu'une obscure croyance! | Nous ne pouvons

nous approcher d'eux, les contempler de nos yeux, 1 390 1 les toucher de nos mains, ce qui est la meilleure | route pour que la persuasion entre au cœur de l'homme. | (Apollon) n'a pas un corps surmonté d'une tête humaine, | deux bras ne sortent pas de ses épaules, | il n'a ni pieds, ni genoux légers, ni membre viril, |395| ce n'est qu'une intelligence sainte et prodigieuse | dont la rapide pensée parcourt le monde entier. |

Purifications. — Amis, qui dans la grande ville du blond Acragas, | habitez l'acropole, appliqués à l'œuvre du bien, | refuges hospitaliers de l'étranger, ignorants de la méchanceté, |400| salut! Je suis pour vous comme un dieu immortel, non plus un homme; | je marche honoré de tous, comme il est juste, | ceint de bande- lettes et de verdoyantes couronnes, | et je vais ainsi dans les villes

22

�� � 338 pour l'histoire de la science hellène.

voisines, | recueillant les respects des hommes et des femmes; ils me suivent |405| par milliers, demandant la voie du salut, | avides de prédictions ou, pour des maladies | qui depuis longtemps les torhnent cruellement | de toutes façons, désireux d'entendre la parole qui apaisera leur souffrance. | Mais pourquoi m'arrêter à cela, comme si je faisais grand'chose |410| en dépassant les hommes

sujets à tant de maux? | Amis, je sais bien que la vérité est

dans les paroles | que je vais dire; mais c'est chose bien difficile | que de faire entrer la foi dans le cœur jaloux des hommes. |

(La divinité) les entourant du vêtement étranger des chairs | . . . 415] les revêtant de terre, | de vivants les a transformés et rendus

semblables aux morts. | Us n'avaient comme dieux ni Ares

ni le Combat, | ni le roi Zeus, ni Gronos, ni Poséidon, | mais

Cypris la reine |420| Ils l'honoraient par de pieuses offrandes, |

des peintures d'êtres vivants, de suaves parfums, | myrrhe sans mélange, nuages d'encens; | c'était le miel jaunissant qu'ils répan- daient en libations. | Leur autel ne demandait point le sang des taureaux; |425| ce qu'il y avait de plus horrible pour eux, | c'était d'arracher la vie et de se repaître de chairs. |

Il y avait parmi eux un homme d'un savoir extraordinaire, | qui possédait par son intelligence la plus grande richesse, | à qui nulle œuvre de sagesse n'était étrangère. |430| Sur quelque point qu'il portât l'effort de sa pensée, | il découvrait facilement chaque chose | et faisait l'ouvrage de dix ou vingt générations. |

Tout était doux et familier pour l'homme, | soit bêtes, soit oiseaux; la bienveillance régnait, |235j les arbres étaient toujours couverts de feuilles et de fruits, | et toute l'année donnaient une abondante récolte. |

Une chose n'est pas permise à l'un, défendue à l'autre, | mais la loi universelle sous la vaste étendue | de l'éther règne partout

où brille la lumière |440| Ne cesserez-vous pas ces meurtres

horribles? Ne voyez-vous pas | que dans votre folie vous vous

dévorez les uns les autres? | Le père saisit son fils dont la

forme a changé; | il l'égorgé en priant, l'insensé! La victime crie | et supplie son meurtrier qui ne l'écoute pas, |445 mais frappe, et prépare dans sa demeure un festin criminel. | Ou bien c'est le fils qui saisit son père, des enfants qui prennent leur mère, | lui arrachent la vie et se repaissent de sa chair. |

Ils deviennent parmi les bêtes le lion farouche dans sa tanière de la montagne, | ou parmi les arbres le laurier au beau feuillage I

�� � 450| Abstenez-vous donc des vertes feuilles du laurier. | ..... Malheureux ! malheureux que vous êtes ! que vos mains ne touchent pas les fèves ! | ..... Puisant à cinq fontaines avec l’airain indompté, | il faut vous purifier..... | vous abstenir du mal. |455| Mais, puisque vous vous abandonnez à la funeste méchanceté, | jamais votre cœur ne sera délivré des soucis cuisants. | .....

Enfin, les voici devins, poètes, médecins, | chefs des hommes sur la terre ; | et de là ils s’élèvent aux suprêmes honneurs des dieux, |460| partagent la demeure et la table des autres immortels, | sont délivrés des soucis des hommes, des souffrances et de la mort. | .....

Tous les remèdes des maladies, et ce qui rend la force à la vieillesse, | tu vas l’apprendre, et c’est à toi seul que je révélerai tout cela. | Tu sauras arrêter l’élan des vents infatigables, qui sur la terre |465| s’élèvent en tourbillons et dévastent les champs, | et même, quand tu le voudras, tu pourras exciter un vent contraire. | Après la sombre pluie, tu rétabliras la chaleur propice, | et dans l’ardeur des étés tu feras revenir, | pour arroser les moissons, l’eau nourricière des plantes. |470| Tu ramèneras de l’Hadès l’homme déjà mort.....