Pour cause de fin de bail/Nouvelles et Graves Complications diplomatiques

NOUVELLES ET GRAVES COMPLICATIONS DIPLOMATIQUES

Le conflit égypto-anglo-français, loin d’entrer dans la voie d’apaisement si souhaitée par tous les bons esprits, vient, au contraire, de s’aviver cruellement d’un élément nouveau.

Laissant aux diplomates des deux côtés de la Manche le soin d’arranger cette regrettable et cuisante affaire, contentons-nous de relater les faits, sans y ajouter la moindre passion personnelle.

Le sirdar Kitchener, débarqué, hier, à Paris, en vue d’y passer quelques jours, fit, au débotté, une visite à l’ambassade britannique.

Les propos qui s’échangèrent entre lord Kitchener et sir Edmund Monson, nous les ignorons : ils n’ont, très probablement d’ailleurs, aucun rapport avec ce qui se passa ensuite.

Le Sirdar sortit, vers quatre heures, de l’ambassade et gagna l’avenue des Champs-Élysées qu’il descendit jusqu’à la place de la Concorde.

Dès qu’il fut arrivé là, les regards de notre gentleman furent attirés par ce monolithe si connu des Parisiens et qu’on désigne sous le nom un peu arbitraire, d’ailleurs, d’Obélisque de Louqsor.

D’un coup d’œil, l’Anglais devina l’origine du monument.

Il s’en approcha, en fit le tour, remarqua la présence, en dedans de la grille, d’un homme entre deux ou trois âges, vêtu de l’uniforme classique de nos gardiens de monuments.

Le chapeau à la main, et sur le ton de la plus exquise politesse :

— Pardon, monsieur, s’enquit le sirdar, comment nommez-vous ce bloc de granit ?

— C’est l’Obélisque de Louqsor, monsieur.

— Et vous, monsieur, s’il vous plaît, qui êtes-vous ?

— Moi ?… Je suis le concierge de l’Obélisque.

— Pour le compte de quel gouvernement gardez-vous l’Obélisque ?

— C’te question !… Pour le compte du gouvernement français, pardi !

— Alors, cher monsieur, je vous prierai de déguerpir au plus vite.

— Déguerpir ! Et pourquoi déguerpir ?

— Parce que, cher monsieur, l’Obélisque de Louqsor ayant appartenu jadis à l’Égypte, appartient maintenant et désormais à l’Angleterre.

— Allons donc !

— C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire.

— Je ne prétends pas le contraire, cher monsieur, mais je ne quitterai mon poste que lorsque j’en aurai reçu l’ordre de ceux qui me l’ont confié, de mes chefs hiérarchiques.

— Rassurez-vous, je ne vous ferai pas violence, mais je vais aviser immédiatement de cette situation les grosses légumes anglaises (the big british vegetables). Cet incident se videra, sans nul doute, diplomatiquement ; mais, en attendant, vous ne trouverez pas offensant, j’espère, que je vous juxtapose deux autres concierges, l’un égyptien, l’autre anglais.

— Faites comme vous voudrez, cher monsieur.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les deux hommes se quittèrent le plus cordialement du monde et, même, on observa que le concierge de l’Obélisque, remarquant l’extinction du cigare de lord Kitchener, offrit à ce dernier une allumette, gracieuseté à laquelle l’Anglais répondit par le cadeau d’une cigarette… turque, naturellement.

Les choses en sont là.

Rien n’a transpiré du quai d’Orsay ; on sait seulement que ces messieurs n’en semblent pas mener large.