Librairie du Jardin d'Acclimatation (p. 18-19).

II

LE FLAMMANT D’ÉGYPTE

De fines et hautes jambes, deux échasses, deux compas, deux aiguilles ; un long cou soyeux et flexible, ondulant comme une couleuvre ; un bec rose en forme de croissant renversé ; des yeux d’or à fleur de tête ; un plumage admirable, de blanches ailes teintées de pourpre ; la démarche lente et noble, empreinte d’une grâce aérienne : tel est le Flammant, un des hôtes les plus beaux du Jardin d’acclimatation, et peut-être le plus magnifique oiseau de l’Orient.

Le voici immobile et droit sur sa patte, comme sur une baguette de tambour, projetant dans le vide son autre patte repliée en angle droit. Le cou, ramené sur lui-même, se noue comme un huit ; le bec s’enfonce comme un poignard dans la plume éclatante, et l’on ne distingue qu’un grand œil jaune, un diamant.

On dirait un hiéroglyphe vivant, une énigme emplumée.

C’est un grand rêveur que le Flammant. Immobile sur sa patte et le bec tourné vers l’Orient, il songe des heures entières, et semble remonter le cours des siècles, comme il remonte le cours des fleuves.

Les naturalistes ne diront jamais tous les souvenirs grandioses et lointains qui viennent se presser dans sa cervelle d’oiseau.

Mais tout à coup sa jambe, qui s’allonge comme un compas dans le vide, se détend ; le cou se déploie, se redresse ; son œil brille ; ses ailes roses battent et semblent laisser tomber des gouttes de sang ; le Flammant marche : c’est un bloc d’agate qui vient de s’animer. Puis, il prend son vol : c’est une langue de feu qui passe, qui plane dans le ciel bleu et qui a l’air de se détacher du soleil couchant.

Ici, autour de son petit bassin, loin des palmiers du Nil et des minarets blancs, il semble vivre de souvenirs. Il rêve aux herbes parfumées du rivage, aux lucioles éblouissantes des nuits égyptiennes, aux reptiles qui ondulent au milieu des ruines de Thèbes et de Memphis. Il songe encore à la reine Cléopâtre qui se parait de ses plumes éclatantes, ou bien à l’empereur Héliogabale qui accommodait lui — même sa langue délicate et charnue.

Tenant à la fois du palmipède et de l’échassier, on peut dire que le Flammant a un pied dans chaque genre. Il vole, nage, plane et barbote avec la même aisance et la même grâce.

Une particularité bizarre distingue ce charmant oiseau : contrairement à tous les vieillards qui blanchissent en prenant de l’âge, le Flammant devient rouge en vieillissant.