Polémique à propos d’enseignement entre M. J.-P. Tardivel et M. C.-J. Magnan/Une dernière réponse

À PROPOS D’ENSEIGNEMENT


une dernière réponse à notre confrère de la « vérité »
(De l’Enseignement primaire du 1er juin 1894.)
I

Dans son journal du 12 mai, M. Tardivel trouve étrange que nous ayons affirmé dans l’Enseignement primaire du premier du mois dernier que « notre organisation scolaire est plutôt paroissiale que provinciale » ?

« Nos écoles primaires, dit le rédacteur de la Vérité, sont si peu paroissiales que le curé, c’est-à-dire le chef de la paroisse, ne fait pas partie, ex officio, du bureau des commissaires, ou des syndics scolaires. Il peut être élu par les contribuables ; mais s’il ne veut pas subir les désagréments d’une élection — et beaucoup de curés ne jugent pas à propos de le faire, avec raison, selon nous — il doit se contenter du rôle de visiteur, rôle qu’il partage avec « le maire, les juges de paix, les colonels, les lieutenants-colonels, les majors et le plus ancien capitaine de milice », sans compter les juges, les députés, tant fédéraux que provinciaux, les professeurs des écoles normales, etc. Il a aussi le droit de choisir les livres « ayant rapport à la religion et à la morale ».

Si MM. les curés ne sont pas membres ex officio du bureau des commissaires de leurs paroisses, c’est que la plupart d’entr’eux ont toujours préféré exercer leur influence sur l’école hors de la commission scolaire.

Les évêques de notre province n’ont, en aucun temps, manifesté le désir que chaque curé fût de droit membre du bureau d’éducation de sa paroisse. Ils ont bien, de temps en temps, conseillé aux curés d’accepter volontiers la charge de commissaire, « à la condition qu’elle leur fût offerte par leurs paroissiens[1] », mais jamais ils n’ont protesté contre l’article de la loi se rapportant à la composition des commissions scolaires. Est-ce à dire que les évêques, qui ont guidé les destinées de notre peuple depuis cinquante ans, ont manqué à leur devoir en acceptant, sans murmurer, un état de choses que M. Tardivel trouve si abominable ? Non, certainement non. Voici comment. Sous la loi des écoles de fabrique, qui fut établie en 1824, loi à peu près semblable à celle que demande notre confrère, les habitants se montrèrent si peu disposés à seconder le curé en matière scolaire, que l’on comprit bien vite que, sans l’intervention de l’État, jamais le Bas-Canada n’arriverait à posséder un nombre suffisant d’écoles. En 1830, six ans après l’établissement de cette loi, il n’y avait que 68 écoles de fabrique en opération, quand la population du Bas-Canada était à cette époque d’au moins 500,000 âmes. Cette loi donnait de si maigres résultats, qu’en 1829, la législature passa « l’Acte pour l’encouragement de l’Education ».

Cette dernière loi n’étant plus en force le 1er mai 1836, Mgr Signay déplora cet événement dans les termes qui suivent, dans une circulaire en date du 2 mai de la même année, bien que l’Acte de la 4e George IV, « autorisant les fabriques, avec le concours de l’autorité ecclésiastique, à employer le quart de leur revenu annuel au soutien d’une ou de plusieurs écoles, sous leur direction », fût encore en force :

« Dans la vue de remédier, autant que possible, aux tristes inconvénients qui doivent résulter de la cessation de la plus grande partie de ces écoles[2], je crois de mon devoir d’en appeler à votre zèle, et de vous inviter à faire ce qui dépendra de vous, pour procurer à votre paroisse au moins une partie des avantages dont elle jouissait sous la loi qui vient d’expirer ».

L’apathie des pères de familles, à l’égard de l’éducation de leurs enfants, était si profonde, que les paroisses, en dépit de l’autorité épiscopale et des efforts du clergé, n’avaient pas encore compris l’importance des écoles de fabrique, bien que ce système fût en force depuis 12 ans. Un extrait de la circulaire que je viens de mentionner fera foi de mon assertion :

« Il s’agit donc (dit Mgr Signay dans sa circulaire au clergé du 2 mai 1836) pour vous de faire envisager aux membres de votre fabrique tout l’avantage qui doit résulter de semblables établissements, et de leur recommander de ne pas tarder à les mettre sur pied ».

Il y avait donc 12 ans que les écoles paroissiales avaient été établies en 1836. Cependant, à cette époque, on en était encore à « démontrer l’avantage de semblables établissements », malgré les efforts réitérés et conjoints de l’évêque et du clergé. Lors des troubles de 1837-38, la constitution fut suspendue et le Bas-Canada resta sans aucun système d’éducation jusqu’à 1841. Seules les écoles paroissiales fonctionnèrent tant bien que mal durant ces trois années. Eh bien ! ces écoles, absolument paroissiales, servaient si peu les vues de l’Église que la loi d’éducation de 1841, malgré ses imperfections notoires, imperfections que l’on corrigea en 1846, fut saluée avec bonheur par l’évêque de Québec.

« Dans la crainte, dit-il, qu’il n’existe quelque doute parmi les membres du clergé, touchant la part qu’il leur convient de prendre à la mise en opération de la loi récemment passée, pour l’encouragement de l’éducation dans la province, je crois de mon devoir de vous informer que je regarde comme très important qu’ils ne négligent point d’user de leur influence, pour que cette loi atteigne le but que tous les vrais amis du pays doivent avoir en vue, celui de procurer à la jeunesse une éducation morale et religieuse[3] ».

Descendants de Bretons et de Normands, les habitants canadiens sont, de leur nature, chicaniers et entêtés. S’agit-il de construire une église, un presbytère, une école, un pont, etc., dans la localité, aussitôt la zizanie se met dans le camp. MM. les curés savent plus que personne combien les divisions de paroisses, divisions qui ont parfois des conséquences les plus désastreuses, sont fréquentes et difficiles à effacer. Voilà pourquoi les autorités diocésaines consentirent avec grâce à ce que l’État lui vînt en aide dans l’organisation scolaire. En cette circonstance, l’autorité publique a accompli un devoir rigoureux, en pourvoyant, suivant les besoins de l’époque, à la création des écoles élémentaires.

Les habitants de nos paroisses sont-ils bien différents de ce qu’ils étaient autrefois ? C’est plus que je ne peux dire. Evidemment, il y a eu progrès, et progrès remarquable ; mais je crains bien « qu’en grattant » tant soit peu nos paysans canadiens, nous y découvririons maints cœurs normands et nombre de têtes bretonnes. À tout événement, nous verrions avec bonheur l’entrée ex officio de MM. les curés dans les commissions scolaires, si, toutefois, l’épiscopat jugeait la chose convenable, ce que nous ignorons absolument. Nous aurions, au moins, la certitude que le président des commissaires possède une qualification littéraire nécessaire à l’exercice de sa position. Cette réforme entre tellement dans les vues du législateur que, dans le but de faciliter l’accès de MM. les curés aux commissions scolaires, il a inséré l’article qui suit dans notre loi d’éducation :

« Toute fabrique qui contribue annuellement pour un montant d’au moins cinquante piastres au soutien d’une école sous la direction des commissaires ou des syndics d’écoles, acquiert au curé et au marguillier en charge le droit d’être commissaires pour l’administration de cette école seulement, s’ils ne le sont pas déjà ». S. R. P. Q., article 2222.

Eh bien ! complétons la loi de manière à ce que le curé soit, de droit, président du bureau d’éducation de sa paroisse, si, toutefois, l’épiscopat y consent. Je le répète, il n’est pas certain que tous les curés voient cette mesure d’un bon œil. La plupart d’entre eux considèrent que leur influence est plus considérable en dehors qu’au sein de la commission scolaire, où souvent règne le désaccord à propos de taxes scolaires, construction d’écoles, choix d’emplacement, etc. Ce rapprochement du prêtre de l’école primaire est une des réformes que nous souhaitons le plus ardemment. À la réunion des instituteurs catholiques de Québec, le 30 septembre 1893, nous suggérions la création de bureaux paroissiaux dont la mission serait d’accorder des certificats d’études primaires. Voici ce que nous proposions :

« Les élèves pourraient subir l’examen du certificat d’études »[4] de 13 à 16 ans. Bien entendu que la loi s’appliquerait aux villes comme aux campagnes. Il y aurait trois sortes de certificats : 1er degré (école élémentaire), 2e degré (école modèle), 3e degré (école académique). De par la loi, le curé de chaque paroisse, et a défaut du curé, le vicaire serait président ex officio du bureau paroissial, qui se composerait comme suit : l’inspecteur d’écoles du district ou son délégué, le secrétaire-trésorier de la municipalité scolaire et deux notabilités instruites, de l’endroit, choisies par le curé, l’inspecteur et le secrétaire-trésorier.

« La création d’une telle loi d’éducation consoliderait notre admirable organisation paroissiale en faisant fleurir l’instruction et l’éducation au sein du peuple canadien. Directement intéressés, les parents des enfants feraient des efforts afin de bâtir des maisons d’écoles convenables et payer raisonnablement les instituteurs et les institutrices.

« Il est bien certain que MM. les curés accepteraient avec plaisir la présidence des bureaux ; le contraire serait très surprenant. L’époque de l’examen offrirait aux pasteurs des paroisses une excellente occasion de connaître intimement la partie la plus intéressante de leur troupeau ».

La présidence des bureaux d’examen n’offrirait pas les inconvénients de la présidence des commissions scolaires, qui subordonnent presque toujours les intérêts intellectuels aux intérêts matériels.

En créant le certificat d’études, tel que ci-dessus proposé, l’influence du prêtre sur l’école serait doublée.

M. Tardivel assimile la position du curé, comme visiteur des écoles de sa paroisse, à celle du maire, des juges de paix, etc., qui possèdent le même droit. Cependant, le rédacteur de la Vérité reconnaît « que le curé a aussi le droit de choisir les livres ayant rapport à la religion et à la morale », droit qu’aucun autre visiteur ne possède.

Vraiment, nous ne comprenons pas comment le confrère puisse confondre si facilement des rôles si différents. Évidemment, M. Tardivel fait peu de cas de cet article de la loi qui est de la plus haute importance. Quant à moi, je ne puis que louer les autorités civiles de mon pays d’avoir, en cette circonstance comme dans bien d’autres, reconnu à l’Église seule le droit de déterminer quels livres doivent être mis entre les mains des enfants, afin que les enseignements de la religion et de la morale arrivent à ces derniers dans toute leur intégrité.

Afin de faire connaître nos lois scolaires à ses lecteurs d’une manière complète, M. Tardivel, après avoir mentionné les droits que la loi d’éducation n’accorde pas entièrement à MM. les curés, aurait dû énumérer ceux que ces derniers possèdent en vertu de cette même loi. Par exemple, quelle lumière les faits suivants n’auraient-ils pas jetée sur le sujet actuel, si notre contradicteur en eût au moins fait mention dans son journal :

1° Aucun candidat n’est admis à subir un examen devant un bureau d’examinateurs s’il n’est muni d’un certificat de moralité et de sobriété signé du curé, d’au moins trois commissaires, syndics ou visiteurs d’écoles de sa paroisse et d’un certificat établissant qu’il est âgé de dix-huit ans, c’est-à-dire d’un extrait baptistaire (voir S. R. P. Q., article 1962 et Règlements du comité catholique, page 11, du code de l’Instruction publique de M. De Cazes).

2° Quiconque veut être admis à une école normale doit : 1° remettre au Principal un certificat d’âge (au moins 16 ans), un certificat de moralité signé par le curé, et, s’il désire obtenir une bourse, l’attestation du curé prouvant qu’il n’a pas les moyens de payer sa pension, etc., etc. (Voir Règlements du comité catholique du Conseil de l’Instruction publique, page 43 du code). Ces règlements ont été sanctionnés par le lieutenant-gouverneur en conseil le 17 juillet 1888. La partie de ces règlements qui concerne les écoles normales existe depuis 1857.

3° Pour être admis comme candidat aux fonctions d’inspecteur d’écoles il faut produire : 1° Un extrait baptistaire ; 2° Un brevet de capacité provenant d’une des écoles normales ou délivré par un bureau d’examinateurs établis dans la province ; 3° Un certificat du président et du secrétaire-trésorier, des commissaires ou syndics d’écoles de chacune des municipalités où il a enseigné pendant les cinq dernières années ; 4° Un certificat de bonne vie et mœurs portant les mêmes signatures que le précédent et de plus la signature du curé de chacune des municipalités où il a enseigné. Voir mêmes règlements que ci-dessus.

Ainsi, tous les membres laïcs du corps enseignant sont, au préalable, approuvés par l’Eglise, c’est-à-dire par ses représentants, les curés exerçant le ministère paroissial en vertu d’une autorisation de leur Ordinaire. Le choix des principaux officiers du département de l’Instruction publique, les inspecteurs d’écoles, sont également soumis, en premier lieu, au tribunal ecclésiastique. Ces sages dispositions de notre loi d’éducation ne mettent-elles pas virtuellement le choix du corps enseignant tout entier sous la dépendance de l’Église ? Et en rapprochant ces dispositions de l’article 1960 des S. R. P. Q., qui dit : « Tout prêtre, ministre du culte ou ecclésiastique, ou personne faisant partie d’un corps religieux institué pour les fins d’enseignement, et toute personne du sexe féminin étant membre d’une communauté religieuse, sont, dans tous les cas, exempts de subir un examen devant un bureau d’examinateurs », comme le rôle joué par nos législateurs en cette circonstance est digne d’admiration dans un siècle où les droits de l’Église sont presque partout foulés aux pieds ! Dans notre province, les pères de familles, protégés par l’État, abandonnent librement l’éducation de leurs enfants à des instituteurs choisis préalablement par les délégués des évêques.

L’école et le collège, chez nous, remplacent le père dans l’office d’enseigner aux enfants et de leur faire pratiquer la religion, et cet enseignement est donné et cette pratique accomplie sous la haute surveillance de l’Église. Le maître et le livre, n’est-ce pas là l’école ? Peu importe le site, les murs, les bancs et les pupitres de l’école, au point de vue religieux ! Eh bien ! le maître et le livre, quant aux qualités religieuses et morales, dépendent absolument de l’autorité ecclésiastique. N’est-ce pas là la mise en pratique du droit chrétien et catholique, le seul droit logique et véritable ? Cette prérogative de notre clergé ne vaut-elle pas infiniment mieux que le droit de s’occuper ex officio des détails administratifs d’une commission scolaire, besogne souvent ingrate et presque toujours la cause de plus de mal que de bien ? D’ailleurs, il est bon de remarquer que la loi actuelle met le curé de chaque paroisse sur le même pied que les pères de famille, quant à ce qui se rapporte au bureau des commissaires.

M. Tardivel confond, au grand avantage de sa thèse, les mots municipalité scolaire et municipalité locale. Voici comment il s’exprime :

« À l’heure qu’il est, malgré l’affirmation de M. Magnan, nos écoles ne sont nullement paroissiales ; elles sont quelque peu municipales, mais surtout provinciales.

Nous n’avons pas besoin d’insister sur la différence essentielle qui existe entre la municipalité et la paroisse. La première, créée exclusivement par l’État, est une corporation purement civile ; elle a pour centre l’hôtel de ville, la salle des délibérations du conseil ; la seconde a la religion pour base, l’église pour centre, le curé pour chef ; c’est une corporation surtout religieuse ; les questions matérielles y sont étroitement liées et rigoureusement subordonnées aux intérêts spirituels.

C’est de la paroisse, non de la municipalité, que l’école primaire devrait relever ».

Eh bien ! nos écoles ne dépendent en aucune façon de la municipalité « qui a pour centre l’hôtel de ville », mais relèvent entièrement de la municipalité scolaire qu’il ne faut pas confondre avec la municipalité locale. « Les mots municipalité scolaire, suivant l’article 1860 des S. R. P. Q., désignent tout territoire érigé en municipalité, pour le fonctionnement des écoles sous le contrôle des commissaires ou des syndics d’écoles ». Et quelles sont les attributions de ces commissaires, véritables mandataires des pères de familles puisqu’ils sont uniquement élus par eux et non nommés par l’autorité centrale ? Ces attributions sont presqu’illimitées. En voici quelques-unes : faire construire les maisons d’écoles, modifier l’évaluation du rôle municipal, quand ils le jugent à propos, faire un rôle d’évaluation, en certains cas, examiner et amender le rôle de cotisation, fixer le taux de la rétribution mensuelle, percevoir les taxes scolaires, faire des règlements pour la régie des écoles, fixer l’époque de l’examen annuel, établir des écoles de filles séparées, engager et destituer leurs instituteurs, etc., etc. La municipalité locale, c’est la paroisse érigée civilement « qui a pour centre la salle des délibérations du conseil ».

Il n’y a aucune parité entre cette corporation et la municipalité scolaire, car les deux sont absolument indépendantes l’une de l’autre.

Afin d’accorder aux pères de familles la plus grande liberté possible dans l’éducation de leurs enfants, les municipalités scolaires se subdivisent en arrondissements, décentralisant ainsi l’organisation scolaire jusqu’à sa plus simple expression. Si le mot paroissial a été remplacé par l’expression municipale, c’est qu’au début du fonctionnement de la loi d’éducation, la majorité des contribuables de presque toutes les paroisses du Bas-Canada refusait absolument de pourvoir à l’éducation de la jeunesse. L’opposition fut si vive « que l’archevêque de Québec, Mgr Signay, recommanda lui-même publiquement en chaire, dans une de ses visites pastorales, en 1842, la soumission à la loi des écoles primaires, indiqua les moyens propres à en tirer bon parti, exhorta le peuple à la mettre fidèlement en pratique, pour le bien de la patrie et celui de la religion[5] ».

Un peu plus tard, en 1850, dit encore M. Meilleur, « lorsqu’on apprit que le gouvernement, se rendant à la demande pressante et menaçante de quelques membres du Parlement, était disposé à abroger la loi d’éducation passée en.1846, pour y substituer celle de 1832, Mgr Bourget, évêque de Montréal, et les membres de son clergé assemblés en grand nombre à l’évêché adoptèrent à l’unanimité une résolution par laquelle ils déclarèrent solennellement leur adhésion à la loi d’éducation qui était alors en force, la même qui l’est encore aujourd’hui, et leur opposition formelle à toute autre espèce de système d’éducation primaire, et cette résolution fut de suite publiée dans les journaux périodiques de l’époque ».

On vit même l’évêque catholique de Montréal interdire une paroisse, celle de St-Raphaël de l’île Bizard, et en retirer le digne curé, feu M. l’abbé Leblond, parce que les habitants, malgré les remontrances de celui-ci, s’étaient mis en opposition ouverte à la loi d’éducation.

Que l’on veuille bien remarquer qu’à cette époque de 1850, comme aujourd’hui, d’ailleurs, la loi des écoles de fabrique, loi presqu’identique à celle que demande notre confrère, était en pleine vigueur. Cependant, les évêques du temps lui préférèrent le système que nous avons aujourd’hui pour les raisons énumérées plus haut. Cette opposition formelle de la majorité d’un grand nombre de paroisses à la loi d’éducation décida le gouvernement à inviter les contribuables, qui voulaient faire instruire leurs enfants, à se former en municipalités scolaires. On vit alors dans chaque paroisse un certain nombre de pères de familles, se rendant aux conseils de l’évêque et du curé, demander conjointement au gouvernement d’ériger leur territoire en municipalité scolaire. Sans cet entêtement de la population, chaque paroisse serait devenue la municipalité scolaire. Aujourd’hui, grâce aux progrès qui se sont opérés, il n’y a plus guère que le tiers des municipalités dont les limites territoriales ne soient pas absolument les mêmes que celles de la paroisse. Enfin, nos écoles sont si peu municipales, qu’en vertu de la loi actuelle, « les fabriques ont le droit d’établir des écoles qu’elles dirigent elles-mêmes[6] ».

Suivant le directeur de la Vérité, « les municipalités scolaires elles-mêmes sont de création purement gouvernementale ». Encore ici, le confrère ne fait pas connaître la loi telle qu’elle existe. Il est bien vrai que toute érection de municipalité scolaire est sanctionnée par le lieutenant-gouverneur en conseil, mais là s’arrête l’intervention provinciale, comme le démontrent clairement les articles suivants :

« Les municipalités scolaires sont érigées à la demande des intéressés par arrêté du lieutenant-gouverneur en conseil, sur rapport fait à cette fin par le Surintendant de l’Instruction publique. (54 Vict., ch. 21, art. 2.).

« Les avis dans la Gazette Officielle (concernant les érections ou délimitations de municipalités scolaires) sont donnés par le Surintendant aux frais des personnes qui demandent ces changements, ces divisions ou ces établissements de municipalités. (S. R. P. Q., art. 1073, et 52 Vict., ch. 24, art. 2).

Et quels sont ces intéressés, ces personnes qui demandent ainsi d’ériger un territoire en municipalité ou de modifier la délimitation de cette dernière ? Evidemment, ça ne peut être que les propriétaires de ce territoire, c’est-à-dire les pères de familles. Ainsi donc, d’après la loi, un certain nombre de contribuables ou tous les contribuables d’une paroisse qui n’est pas déjà érigée en municipalité scolaire, désirant s’associer en vue de l’éducation primaire de leurs enfants, en donne avis au Surintendant qui publie la demande dans la Gazette Officielle deux fois de suite. Alors, mais alors seulement, le lieutenant-gouverneur intervient et donne force de loi à la décision des contribuables. Ce n’est pas tout, afin que la majorité de la paroisse n’ait point à souffrir injustement des démarches de la minorité, la loi dit, dans l’article 1973 que M. Tardivel n’a pas cité tout entier : « ces changements, divisions, etc., ne doivent avoir lieu que quinze jours après qu’un avis à cet effet aura été publié deux fois dans la Gazette Officielle de Québec, et après que les corporations scolaires affectées par les changements projetés ont été averties et que leurs observations ont été prises en considérations ».

Par ce qui précédé, on peut juger de quelles précautions locales, mais non provinciales, les érections de municipalités scolaires sont entourées. La décentralisation scolaire est tellement complète en notre province, que les parents qui le désirent, nonobstant la création des municipalités et des arrondissements, peuvent établir des écoles séparées de filles dans la paroisse. Voici ce que dit la loi à ce sujet : « Les commissaires ou les syndics d’écoles peuvent établir dans leur municipalité une école de filles séparée de celle des garçons ; cette école de filles compte pour un arrondissement. S. R. P. Q., article 2076 ». Cette disposition de la loi d’éducation est basée sur le règlement disciplinaire adopté dans le 2e concile de Québec : « Les hommes ne doivent pas être chargés d’écoles de filles, ni les filles d’écoles d’enfants des deux sexes, sans la plus grande nécessité, et à moins qu’on ne prenne les précautions les plus sérieuses pour s’assurer de leur moralité ». L’État prêtant main forte à l’Église en matière d’éducation, tel nous semble le caractère général de nos lois, malgré leurs imperfections.

Un autre argument que M. Tardivel emploi à l’appui de sa thèse, c’est celui-ci :

« Les bureaux d’examinateurs pour les candidats à l’enseignement sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil, c’est-à-dire le pouvoir provincial ».

Par cette citation incomplète, l’écrivain de la Vérité laisse supposer à ses lecteurs que les membres des bureaux d’examinateurs sont choisis par le pouvoir provincial. Il n’en est rien cependant, car l’article 1940 des S. R. P. Q., dit : “ Les inspecteurs d’écoles, les professeurs, directeurs et principaux des écoles normales, les secrétaires, les membres des bureaux d’examinateurs, sont nommés ou destitués par le lieutenant-gouverneur en conseil, sur la recommandation de l’un ou de l’autre des deux comités du conseil de l’Instruction publique, selon que ses nominations ou destitutions concernent les écoles catholiques romaines ou protestantes

Il n’y a rien comme les citations complètes.

Maintenant, quels sont les membres du comité catholique qui, jusqu’aujourd’hui, ont l’habitude de recommander les candidats aux charges ci-dessus indiquées ? — NN. SS. les évêques. En effet, il est notoire que jamais, ou presque jamais, la nominations des professeurs des écoles normales, des inspecteurs d’écoles et des membres des bureaux d’examinateurs n’a été proposée, au comité catholique, par d’autres que par les évêques. Le gouvernement sanctionne le choix du comité catholique et c’est tout. Il faut bien remarquer que le lieutenant-gouverneur en conseil ne peut refuser cette sanction, à moins de violer ouvertement la loi. Ce que l’on n’a pas le droit de supposer. Actuellement, parmi les examinateurs, il y en a au moins la moitié qui sont des prêtres.

Un peu plus loin, voulant prouver coûte que coûte que notre système d’éducation est purement provincial, M. Tardivel cite l’article 1959 des S. R. P. Q., qui se lit comme suit :

« Les commissaires et syndics d’écoles, et toutes les personnes chargées de la régie des écoles, ne doivent employer que des instituteurs et des institutrices qui sont munis d’un brevet de capacité, sous peine de perdre leur part de l’allocation accordée pour l’encouragement de l’éducation », puis il s’écrie :

« Donc le choix des commissaires est limité par une loi provinciale. S’ils veulent avoir leur part de l’allocation votée par la législature, ils ne peuvent engager d’autres instituteurs que ceux qui ont reçu un brevet de capacité du pouvoir provincial, ou ceux à qui une loi provinciale accorde ce qu’on appelle l’équivalence ».

D’abord, que l’on veuille bien se rappeler qu’aucune personne, dans la province, ne peut obtenir un brevet d’enseignement sans avoir été, au préalable, recommandée par le curé de sa paroisse, disposition de loi qui est loin de sentir le provincial. C’est déjà beaucoup, et le confrère devrait admettre qu’une loi d’éducation qui recommande, mais n’oblige pas, comme nous le verrons dans un instant, les pères de familles à n’employer comme instituteur, que ceux qui ont une recommandation d’un curé en exercice, n’est pas ce que l’on peut appeler une loi draconienne. Les commissaires sont absolument libres d’engager des personnes qui n’ont pas de brevet. Seulement, dans ce cas, ils perdent l’allocation votée par la législature. Le gouvernement leur retranche une prime qu’ils ont refusé de gagner. Les commissaires administrent alors leurs écoles avec le produit de la rétribution mensuelle et de la cotisation scolaire, seules taxes que les pères de familles sont appelés à payer pour les fins d’éducation et dont ils font ce qu’ils veulent du revenu.

Que mon distingué confrère veuille bien me permettre ici de lui rappeler pourquoi l’article 1959, qu’il traite si lestement, se trouve dans nos Statuts. Dans le règlement disciplinaire adopté dans le 2e concile de Québec, nous lisons ce qui suit :

« Il est du strict devoir de tous ceux qui ont, devant Dieu et devant les hommes, la charge des écoles primaires, de ne les confier qu’à des instituteurs d’une cipacité reconnue.

« Les maîtres et les maîtresses qui n’ont pas la capacité requise pour l’enseignement, les commissaires qui les engagent, malgré leur incapacité notoire, pèchent contre la justice, et ne peuvent être admis à l’absolution ».

Ce devoir pour les commissaires et les chefs de maisons d’éducation primaire de ne confier les écoles qu’à des instituteurs d’une capacité reconnue, est répété avec encore plus de force dans le XVIe décret du 7e concile. L’autorité publique, comprenant toute l’importance et la sagesse de cette décision des Pères du 2e concile, lui donna force de loi par l’article 1959, article si détestable aux yeux de M. Tardivel, mais que je trouve fort admirable. Si les États calquaient toujours leurs lois sur les décrets des conciles, que tout irait bien dans le monde !

Enfin, M. Tardivel termine sa preuve en affirmant que la construction des écoles, la création des arrondissements, et les cotisations scolaires sont soumises au bon plaisir du Surintendant, et que les sentences de ce dernier se rapportant à ces trois chefs sont finales. M. Tardivel confond ici des exceptions à la loi générale avec la loi elle-même. Il est dit à l’article 2032 des S. R. P. Q. : « Il est du devoir des commissaires d’acquérir et posséder pour leur corporation, à quelque titre que ce soit, des biens meubles ou immeubles, etc., etc., de bâtir, réparer, entretenir et renouveler les maisons d’écoles, terrains, etc., etc ». Puis l’article 2049 contient ce qui suit : “ S’il devient nécessaire d’acheter, de construire, de reconstruire, d’agrandir, de réparer, etc., une maison d’écoles, les commissaires peuvent, en tout temps, imposer pour cette fin soit l’arrondissement en particulier, soit la municipalité tout entière ». Nous ne voyons pas ce que le Surintendant a à faire ici. Seulement, M. Tardivel a cité ce qui suit :

« Dans sa sentence, qui est finale, le Surintendant peut ordonner que les commissaires ou les syndics fassent ce qui leur a été demandé ou ce qu’il ordonne de faire, ou s’abstiennent de le faire, ou ne la fassent qu’en tout ou en partie et aux conditions imposées par la sentence. S. R. P. Q., article 2055 ».

Malheureusement pour notre éminent contradicteur, ce qui précède n’est pas l’article 2055, mais bien la dernière partie de cet article qui n’est compréhensible qu’en autant qu’on en connaît le texte entier. Voici la première partie de cet article :

“ Lorsque l’emplacement d’une maison d’école est choisi par les commissaires ou les syndics, qu’un changement est fait dans les limites d’un arrondissement d’école, qu’un nouvel arrondissement est établi dans une municipalité scolaire, qu’un ou plusieurs arrondissements établis sont changés ou subdivisés, ou lorsque les commissaires ou les syndics refusent, ou négligent d’exercer ou remplir quelqu’une des attributions ou quelqu’un des devoirs que leur confèrent les articles 231 et 250 et suivants, les contribuables intéressés peuvent en appeler, en tout temps, au Surintendant, par requête sommaire ».

Et voilà ! Le Surintendant n’intervient dans la construction des écoles que sur la demande d’un certain nombre de contribuables intéressés, et pas autrement.

Si le législateur, en cette matière, a substitué les pouvoirs du Surintendant à ceux des tribunaux ordinaires, c’était afin de simplifier la procédure, d’éviter les procès ruineux qui sont une des principales plaies sociales de notre province, Bretons et Normands nous sommes, que voulez-vous.

Quant aux sentences prononcées par le Surintendant, il y en a bien peu qui soient finales, et encore ne se rapportent-elles qu’à des questions de détail. Règles générales, les intéressés ont le droit d’en appeler des décisions du Surintendant au conseil de l’Instruction publique, aux tribunaux, ou à l’un des comités de ce conseil. (Voir article 1934).

Le cas des cotisations scolaires est similaire à celui de la construction des écoles, c’est-à-dire que le Surintendant n’intervient qu’à la demande des intéressés ; ce procédé, comme nous l’avons vu plus haut, exempte les procédures longues et coûteuses. (Voir article 2052, S. R. P. Q.). Cependant, M. Tardivel semble croire que tout ce qui concerne ce chapitre de l’administration scolaire est soumis au bon plaisir du Surintendant. La différence est assez notable, il me semble, pour en tenir compte.

J’oubliais « le choix des livres qui est également limité par la loi ». Notre confrère n’admet-il pas que le choix des livres appartient de droit aux parents, mais à la condition que ces derniers se laissent guider par l’Eglise, en cette matière, dans la mesure nécessaire. Or, ici, les livres de classe sont d’abord soumis à un comité catholique où tous les évêques siègent de droit, et où ils exercent une influence prépondérante. Le gouvernement dit aux municipalités : « Si vous voulez avoir une part des sommes que la législature vote tous les ans pour l’encouragement de l’éducation, il vous faut choisir parmi les livres catholiques approuvés par le comité catholique du conseil de l’Instruction publique ». Elles sont libres cependant de ne pas accepter cette offre.

Mais dans les deux cas, que les commissaires se conforment à la loi ou qu’ils ne s’y conforment pas, le curé de la paroisse a, lui seul, le droit de choisir les livres qui regardent la religion et la morale. Plus que cela, en vertu de l’article 66 des règlements du comité catholique, règlements qui ont force de loi, « les élèves doivent se conformer aux instructions du curé en ce qui regarde leur conduite morale et religieuse » ; ainsi, le curé de chaque paroisse peut donc interdire l’entrée dans ses écoles à tout livre religieux ou profane qui constituerait un danger pour les élèves. Je suppose que le comité catholique ait approuvé une géographie contenant des choses contraires à la religion ou à la morale, ce qui est une impossibilité avec la constitution actuelle du conseil de l’Instruction publique, eh bien ! le curé, en vertu du droit ci-dessus mentionné, peut empêcher un tel livre d’entrer dans l’école. Il en serait de même d’un maître qui n’enseignerait pas la religion d’une manière satisfaisante ou enseignerait quelque chose de contraire à la morale ou à la religion. Sur ce chapitre du choix des livres encore, notre loi d’éducation est bien plus paroissiale que provinciale.

Pour toutes les raisons que je viens d’énumérer, j’affirme de nouveau que notre système scolaire, malgré ses imperfections, est plutôt paroissial que provincial. C’est le point discuté actuellement, car, bien entendu, il ne s’agit pas ici d’établir si les droits de l’Église sont absolument respectés par notre loi d’éducation. Nous ne sommes nullement autorisé à trancher une question aussi difficile.


II


Dans notre article du 1er mai, tout incidemment, nous avons demandé à M. Tardivel « s’il serait opportun d’empêcher l’État, du moment qu’il est chrétien et catholique, de s’occuper en aucune façon de l’instruction publique ». À l’appui de cette demande, nous avons cité un extrait de la bulle « Immortale Dei », extrait que notre confrère trouve incomplet. Puis il profite de l’occasion pour exposer avec science et talent ses vues, quant aux rapports de l’Église et de l’État en matière d’Education. Voici comment, suivant M. Tardivel, nous aurions dû citer les paroles de Léon XIII :

« Il importe encore au salut public que les catholiques prêtent leur concours à l’administration des affaires municipales, et s’appliquent surtout à faire en sorte que l’autorité publique pourvoie à l’éducation religieuse et morale de la jeunesse, comme il convient à des chrétiens : de là dépend surtout le salut de la société. Il sera généralement utile et louable que les catholiques étendent leur action au delà des limites de ce champ trop restreint et abordent les grandes charges de l’État. »

C’est le rédacteur de la Vérité qui souligne. S’appuyant sur ce passage, M. Tardivel conclut à la théorie : l’État hors de l’École, l’État à côté de l’École, mais il ajoute : l’État soutenant, protégeant l’École. Le rapprochement de ces deux conclusions nous semble assez difficiles, pour ne pas dire plus. Comment, vous voulez que l’État soutienne et protège l’École, mais d’un autre côté vous lui dites : reste à la porte, tout comme à un serviteur indigne. La citation ci-dessus ne comporte nullement la séparation de l’Église et de l’État sur le terrain de l’Éducation. Loin de là, et la dernière partie souligné par M. Tardivel : « Il sera généralement utile et louable que les catholiques étendent leur action au delà des limites de ce champ trop restreint et abordent les grandes charges de l’État », n’indique-t-elle pas aux catholiques qu’ils doivent prendre part aux choses de l’État afin de christianiser les lois ; car, on ne saurait soutenir que Léon XIII désire que les catholiques s’occupent de politique dans l’unique but de profiter du patronage gouvernemental. Et de toutes les lois civiles, quelle est celle qui a le plus besoin de reconnaître et de respecter les droits de l’Église, sinon celle qui regarde l’éducation ? Dès lors, n’ai-je pas raison d’appliquer au pouvoir politique cette parole de Léon XIII : « Les catholiques doivent s’appliquer surtout à faire en sorte que l’autorité publique pourvoie à l’éducation religieuse et morale de la jeunesse ».

En interprétant ainsi la doctrine de Léon XIII, je puis me tromper. Mais dans ce cas, je suis en bonne compagnie. Voici comment Son Éminence le cardinal Taschereau s’exprimait, dans une lettre au premier ministre de la province de Québec, en date du 10 septembre 1886 :

« Je saisis cette occasion pour dire de nouveau combien notre système d’éducation a été admiré à Rome par les hauts personnages à qui j’en ai fait connaître les grandes lignes pendant mon séjour dans la Ville Éternelle, en 1881. Plusieurs m’ont dit qu’il serait à souhaiter que dans le monde entier les droits de l’Église, de l’État et de la Famille fussent aussi bien respectés que dans notre province. Ils ont aussi exprimé leur étonnement, quand je leur ai dit qu’il y avait des catholiques qui voudraient mettre l’État hors de l’Ecole et qui traitaient de maçonniques nos lois d’éducation ”.

Le 24 juin 1878, le R. P. Hamon, de la Compagnie de Jésus, prononçait un discours admirable à l’église Saint-Jean-Baptiste de Québec, à l’occasion de notre fête nationale. Dans un magnifique mouvement oratoire, le savant et distingué Jésuite s’écria :

« Jusqu’à ce jour, le Canada s’est glorifié d’être une nation chrétienne, c’est-à-dire, une nation dont la vie politique était en parfaite harmonie avec l’Eglise et sa doctrine. Cette alliance a fait la joie et la prospérité du pays. La famille, base de la société, est restée pure, les mœurs chrétiennes, l’autorité civile a toujours commandé le respect du peuple, parce que, tout en restant pleinement indépendante dans sa sphère propre d’activité, elle s’est inspirée dans ses institutions et dans ses lois de l’esprit de l’Eglise qui, selon les paroles de Léon XIII, est le garant et l’appui de toute autorité légitime ».

C’est nous qui soulignons.

Maintenant, peut-on raisonnablement supposer que le R. P. Hamon, ayant à parler des rapports de l’Église et de l’État dans une circonstance aussi solennelle que la fête Saint-Jean-Baptiste, ne s’était pas donné la peine, avant cette date, de prendre connaissance ou de s’enquérir à bonnes sources du caractère de nos lois d’éducation ? Pour ma part, je ne suis pas prêt à injurier aussi gratuitement l’éloquent orateur qui a fait si souvent retentir les chaires de Québec de sa parole aussi harmonieuse qu’autorisée.

Dans le cours de l’année 1893, le R. P. Gohiet, O. M. I., donna une série de conférences aux ouvriers de St-Sauveur de Québec, dans leur église paroissiale. Une de ces conférences fut consacrée au sujet suivant : L’ouvrier et l’instruction. Après avoir démontré la nécessité de l’instruction pour tous, réfuté cette erreur : que plus les hommes sont instruits, plus ils sont méchants, et que l’Église est l’ennemi de l’Instruction, énuméré les jouissances que l’ouvrier instruit goûte à étudier la Bible, la Vie des Saints, l’Histoire de l’Église, etc., déclaré que si nous voulons assurer à la race française la suprématie absolue qui lui revient de droit dans ce grand pays laurentien, conquis et défriché par les sueurs et le sang de nos aïeux, nous ne devons pas nous contenter d’être seulement les plus nombreux, les plus religieux, les plus honnêtes, mais aussi les plus éclairés si nous voulons être les plus forts, il ajoute :

« L’instruction populaire devient une nécessité dans un pays de gouvernement constitutionnel, dans un pays où le peuple a voix dans la direction des affaires publiques. Donner le bulletin de vote à un peuple croupi dans l’ignorance, mes amis, c’est donner du feu à un enfant, un glaive à un maniaque. Oui, en dernière analyse, il n’y aura jamais qu’un homme intelligent qui puisse donner un vote intelligent. Il est certains votes, dont l’absurdité est renversante : non loin d’ici, on a battu un candidat en transformant son programme de réciprocité illimitée en celui de rapacité illimitée, et des électeurs ignorants l’ont cru ; on en a fait voter d’autres contre un candidat, ancien ministre du gouvernement, en faisant accroire aux foules que c’était un ministre protestant.

« Eh bien ! mes amis, pour cette cause et pour d’autres encore, nous reconnaissons à l’État le droit non seulement de favoriser l’instruction, de bâtir des écoles, de doter l’enseignement, de surveiller les écoles, mais encore et surtout de rendre l’instruction obligatoire pour tous, du moins pour ceux qui veulent jouir des droits de citoyen et d’électeur ! Car l’État a été fondé par Dieu pour promouvoir le bien du pays : eh bien ! le plus grand bien du pays, après la religion et la morale, c’est que le peuple soit instruit.

« Ici nous nous faisons l’écho de la doctrine admirablement soutenue et exposée par le Dr Bouquillon, professeur de théologie morale à l’université catholique de Washington. Voir son opuscule : Education to whom does it belong ? Si cette brochure a rencontré de vives animosités aux États-Unis et ailleurs, elle a eu de plus vives adhésions.

« Qu’on le remarque bien, du reste : l’instruction obligatoire ne rend pas obligatoire l’école de l’État ni ne consacre le monopole de l’État enseignant. Cela veut dire simplement : que la loi déclare qu’un certain minimum de connaissances élémentaires est requis de tous les citoyens. Maintenant, qu’on puise ce minimum soit dans la famille, soit dans une institution libre, soit dans l’école publique : c’est affaire à la liberté.

« De plus l’instruction obligatoire n’entraîne point nécessairement ni la neutralité religieuse de l’école, ni même la gratuité. La loi pourrait pourtant déclarer la gratuité dans certains cas exceptionnels. Au fond, le Canada a un admirable système, scolaire. Mgr Freppel l’a proclamé en plein Parlement français. Voici ce qu’il disait : “ Le Canada est le premier de tous les pays pour l’instruction primaire ”. (Discours du 13 juillet 1880). La loi reconnaît la nécessité de l’enseignement religieux, mais elle sauvegarde en même temps la liberté, en ouvrant des écoles séparées pour les catholiques et les protestants. L’instruction est donc confessionnelle, mais libre. — Eh bien ! que voulons-nous ? simplement qu’on ajoute à ce beau système scolaire le principe de l’obligation légale, afin que tous en jouissent, catholiques et protestants, — mais le pays surtout ».

Évidemment, le R. P. Gohiet, qui doit lire et comprendre les Encycliques, n’interprète pas ces documente de la même manière que M. Tardivel. Cette thèse du distingué Oblat que je viens de citer me semble parfaitement d’accord avec un passage du Droit ecclésiastique qui a pour auteur le docte Phillips, si souvent cité par le R. P. Liberatore dans son livre intitulé : L’Église et l’État ; voici ce que dit Phillips :

« La première condition d’une alliance efficace de la loi de l’État avec celle de l’Église, c’est l’application des moyens de coercition dont la première dispose, dans tous les cas où la peine spirituelle est insuffisante. La voix du pasteur n’a pas toujours assez de puissance pour éloigner les loups ravisseurs du troupeau de Jésus-Christ ; c’est alors au prince investi de l’autorité (Dans notre pays ce rôle est dévolu à l’autorité politique, c’est-à-dire à l’État qui est la société civile constituée en corps de nation,) du glaive, qu’il appartient de s’armer de sa force, pour réprimer et mettre en fuite tous les ennemis de l’Église ».

C’est nous qui soulignons.

Il n’y a de coercitif dans nos lois d’éducation que juste ce qu’il faut pour suppléer à l’insuffisance des peines spirituelles. Jusqu’à présent, l’État, chez nous, en matière d’éducation, « n’a fait qu’aider la dilatation du règne de Dieu », suivant l’expression de saint Augustin. D’ailleurs, « le pouvoir civil est établi de Dieu pour le bien de l’État, comme l’autorité paternelle pour le bien de la famille[7] ».

Ne voit-on pas de suite que l’État, afin d’atteindre les fins légitimes de la société qui la constitue, non seulement peut, mais doit veiller à ce que la jeunesse s’instruise, dès le bas âge, des connaissances indispensables à tout citoyen digne de ce nom, à la condition, bien entendu, que ces connaissances soient conformes à la religion et à la morale. C’est une erreur de croire avec Hégel « que la société est le dernier développement de l’être divin », car la venue de Jésus-Christ a changé les rapports extérieurs du pouvoir politique. Avant la Rédemption du genre humain, ce pouvoir se rapportait à la fin naturelle des individus, maintenant il se rapporte à la fin surnaturelle. Mais suit-il de là que la société n’ait plus à remplir le devoir de donner à l’homme la somme légitime de bonheur auquel il a droit même ici-bas ? L’Église ne l’a jamais prétendu, au contraire.

Or, que faut-il aux Canadiens-français pour vivre heureux sur cette terre d’Amérique ? Conserver leur langue et leur foi, propager le culte de leur histoire nationale, apprendre à cultiver avec le plus d’intelligence possible le sol de la patrie, et parvenir un jour à asseoir sur les bords du Saint-Laurent un État français et catholique, véritablement indépendant du reste de ce qu’il est convenu d’appeler la Confédération canadienne. Mais pour arriver à une fin aussi légitime, il faut de toute nécessité que l’État politique intervienne. Et comme le moyen le plus pratique de former le peuple au point de vue civil est l’école primaire, l’école de tous, il n’est donc pas raisonnable de jeter l’État hors de l’école. Il me semble que la théorie contraire : l’Église et l’État dans l’École, l’Église occupant la première place, l’État servant cette dernière, est plus rationnelle et plus conforme aux vues de l’Église.

Voilà pourquoi, malgré l’opinion de M. Tardivel, opinion que je respecte parce qu’elle est émise par un écrivain distingué et un chrétien convaincu, je persiste à croire qu’il ne serait pas opportun, dans notre province, d’empêcher l’État de s’occuper de l’instruction primaire, à la condition formelle que l’autorité civile respecte les droits des évêques en matière scolaire.


III


Mais, dit M. Tardivel, en terminant son article :

« De son côté, M. Magnan devra admettre qu’un demi-siècle du système actuellement en vigueur n’a pas fait disparaître l’indifférentisme qu’il déplore, le manque d’esprit public sur lequel il gémit. Pourquoi alors ne pas essayer le plan que nous avons proposé et qui est admirable en théorie ? »

Que l’on veuille bien remarquer qu’en déplorant le peu de résultats que donne nos écoles primaires, je n’ai nullement accusé la loi d’éducation d’en être la cause, mais bien l’esprit public. En appliquant sérieusement le système scolaire que nous possédons, nous pouvons arriver à des résultats magnifiques. Tant que nous bâtirons des écoles basses, étroites et d’aspect repoussant, que l’on n’aura pas le cœur de payer raisonnablement ceux qui entrent dans l’enseignement par vocation, que les enfants seront entassés dans des salles de classes de bien trop petites dimensions, que le personnel enseignant se renouvellera tous les trois ou quatre ans, ce qui ne cessera que le jour où une carrière enseignante sera définitivement créée, aussi longtemps qu’un tel état de choses durera, aucun système d’éducation ne fera merveille ici. Voilà pourquoi, j’ai reproché si amèrement à mes compatriotes, qui jouissent d’une liberté pleine et entière en matière scolaire, de rester indifférents quand il s’agit des choses de l’éducation et de l’instruction.

En terminant, je tiens à déclarer que le jour où nos évêques ne seront pas satisfaits, au point de vue des droits de l’Église, de la situation actuelle, je serai le premier à appuyer leurs revendications quelles qu’elles soient.

  1. Voir la circulaire de S. G. Mgr Signay, 30 décembre 1841
  2. Ecoles ouvertes sous les auspices de la loi de 1829.
  3. Circulaire du 30 décembre 1841.
  4. Subirait l’examen qui voudrait. Mais si les certificats d’études ainsi accordés avaient une valeur réelle, bien peu de familles, dans chaque paroisse, en priveraient volontairement leurs enfants.
  5. Meilleur, Mémorial de l’Education, p. 376.
  6. Voir Catéchisme des lois scolaires, par l’abbé Th.-G. Rouleau, p. 45.
  7. R. P. Schouppe, Cours de Religion.