Polémique à propos d’enseignement entre M. J.-P. Tardivel et M. C.-J. Magnan/Réplique à M. Magnan

À PROPOS D’ENSEIGNEMENT


réplique à m. magnan

(De la Vérité du 9 juin 1894.)

M. C.-J. Magnan, dans l’Enseignement primaire du 1er juin, consacre plus de dix pages à répondre à notre article du 12 mai. Il nous faudrait vingt pages pour réfuter tout ce qu’il nous dit. Nous tâcherons de nous en tenir aux points principaux.

Notre adversaire avait affirmé que notre « organisation scolaire est plutôt paroissiale que provinciale ».

À cela nous avons répondu que notre organisation scolaire est si peu paroissiale que le curé, chef de la paroisse, ne fait pas partie, ex officio, du bureau scolaire. S’il veut y entrer, il faut qu’il subisse les désagréments et les graves inconvénients d’une élection par les contribuables. Voici comment M. Magnan répond :

« Si MM. les curés ne sont pas membres ex officio du bureau des commissaires de leurs paroisses, c’est que la plupart d’entre eux ont toujours préféré exercer leur influence sur l’école hors de la commission scolaire. Les évêques de notre province n’ont, en aucun temps, manifesté le désir que chaque curé fût de droit membre du bureau d’éducation de sa paroisse. »

Il ne s’agit pas, ici, de savoir ce que MM. les curés préfèrent, — ; nous ne croyons pas M. Magnan plus en état de le dire que nous — ; il est uniquement question de la loi, de l’organisation scolaire telle qu’elle existe. Notre contradicteur est obligé d’admettre, en somme, que ce que nous avons dit est exact, savoir que le curé, chef de la paroisse, n’est pas même membre, de droit, du bureau scolaire de sa paroisse — encore moins en est-il le président. Dès lors nous ne voyons pas comment on peut appeler nos écoles des écoles paroissiales. Elles sont dans les paroisses, comme les beurreries et les fromageries le sont ; mais elles ne sont pas des œuvres paroissiales. Car pour être paroissiales elles devraient avoir pour directeur le chef de la paroisse et faire partie de l’organisation paroissiale et diocésaine. Cela nous paraît tellement élémentaire que nous ne croyons pas devoir insister davantage sur ce point. Evidemment, M. Magnan et nous ne parviendrons jamais à nous entendre sur ce qui constitue une œuvre paroissiale.

Toutefois, notre contradicteur, après avoir parlé de tout autre chose, veut bien dire ce qui suit :

« Complétons la loi de manière à ce que le curé soit de droit président du bureau d’éducation de sa paroisse, si, toutefois, l’épiscopat y consent ».

Voilà qui est parfait, et là-dessus nous sommes d’accord avec M. Magnan. Ce qui nous sépare, c’est que notre confrère trouve que nos écoles sont déjà paroissiales, tandis que nous soutenons qu’elles ne commenceront à l’être que lorsque la loi sera complétée de façon à faire entrer de droit dans le bureau d’éducation de chaque paroisse le chef de la paroisse.

M. Magnan fait une longue dissertation sur l’état de notre province, au point de vue scolaire, avant l’adoption de la loi de 1841 qui a introduit dans notre pays le système moderne, le système de l’Instruction publique, de l’éducation transformée en fonction de l’État. Naturellement tout allait mal alors, à ses yeux. Il dit :

« Sous la loi des écoles de fabrique, qui fut établie en 1824, loi à peu près semblable à celle que demande notre confrère, les habitants se montrèrent si peu disposés à seconder le curé en matière scolaire, que l’on comprit bien vite que, sans l’intervention de l’État, jamais le Bas-Canada n’arriverait à posséder un nombre suffisant d’écoles. En 1830, six ans après l’établissement de cette loi, il n’y avait que 68 écoles de fabrique en opération, quand la population du Bas-Canada était à cette époque d’au moins 500,000 âmes ».

Et il cite des extraits d’une lettre de Mgr  Signay, en 1836, stimulant le zèle de ses curés en faveur de l’œuvre et l’éducation. Puis il ajoute :

« Il y avait donc 12 ans que les écoles paroissiales avaient été établies en 1836. Cependant, à cette époque, on était encore à “ démontrer l’avantage de semblables établissements, ” malgré les efforts réitérés et conjoints de l’évêque et du clergé ».

Douze ans, ce n’est pas une époque bien longue dans la vie d’un peuple ! Qui nous dit que si l’on avait maintenu le système des écoles de fabrique, des écoles paroissiales jusqu’à nos jours, les évêques et les prêtres ne seraient pas venus à bout de réveiller suffisamment le zèle de nos populations ? Nous avons d’autant plus le droit de croire que le clergé aurait pu obtenir ce résultat, à la longue, qu’à l’époque dont il s’agit, le Canada français passait par une violente agitation politique qui devait nécessairement préoccuper les esprits et les empêcher de s’appliquer avec soin au développement des écoles.

Du reste, les Canadiens-français n’ont pas à rougir de cette époque. Les écoles étaient sans doute moins nombreuses alors, par rapport à la population qu’elles le sont aujourd’hui. Il y avait à cette époque plus d’illettrés que de nos jours, moins d'instruction profane ; mais il y avait infiniment plus d’hommes de caractère, plus de fierté nationale, plus de foi vive, plus de patriotisme, plus de politesse, plus de bonne éducation religieuse et domestique. En un mot, les Anciens Canadiens étaient supérieurs, sous tous les rapports, aux Canadiens modernes ; et nous ne pouvons nous empêcher de croire qu'il aurait été préférable de garder nos écoles paroissiales et de les développer, plutôt que de les abolir virtuellement, pour les remplacer par les écoles publiques modernes.

M. Magnat ne doit pas oublier qu’il a admis, dans son article du 1er  mai, que l’organisation diocésaine et paroissiale est « admirable en théorie ». Jadis nous avions cette organisation en pratique. On ne lui a pas donné le temps du produire tous ses fruits, mais une organisation qui est « admirable en théorie », surtout lorsque cette théorie est une théorie de l’Église, doit nécessairement donner d’excellents résultats si on l’applique dans les circonstances voulues.

Nous savons ce que M. Magnan répondra : le changement a été fait avec le consentement de l’autorité religieuse, et dès tors il n’y a plus rien à dire.

Il nous apprend dans son article du 1er  juin, que la loi de 1841 fut « saluée avec bonheur » par Mgr l’évêque de Québec, C’est possible. Mais l’histoire impartiale a le droit et même le devoir de se demander si les événements ont justifié le bonheur de l’évêque ! Toute la question est là.

Or cette loi qui causa le bonheur de l’évêque de Québec, il y a plus d’un demi-siècle, a-t-elle porté remède à l’état de choses qui, d’après M. Magnan, existait avant 1841 ? Evidemment non, puisque M. Magnan lui-même ne cesse de déplorer les maigres résultats de nos écoles. C’est à propos de ces plaintes que la discussion a commencé, Vers la fin de son dernier article il s’écrie encore :

« Que l’on veuille bien remarquer qu’en déplorant le peu de résultats que donnent nos écoles primaires, je n’ai nullement accusé la loi d’éducation d’en être la cause, mais bien l’esprit public. En appliquant sérieusement le système scolaire que nous possédons, nous pouvons arriver à des résultats magnifiques. Tant que nous bâtirons des écoles basses, étroites et d’aspect repoussant, que l’on n’aura pas le cœur de payer raisonnablement ceux qui entrent dans l’enseignement par vocation, que les enfants seront entassés dans des salles de classes de bien trop petites dimensions, que le personnel enseignant se renouvellera tous les trois ou quatre ans, ce qui ne cessera que le jour ou une carrière enseignante sera définitivement créée, aussi longtemps qu’un tel état de choses durera, aucun système d’éducation ne fera merveille ici. Voilà pourquoi, j’ai reproché si amèrement à mes compatriotes, qui jouissent d’une liberté pleine et entière en matière scolaire, de rester indifférents quand il s’agit des choses de l’éducation et de l’instruction ».

Parce que le système des écoles paroissiales n’avait pas donné des résultats satisfaisant » au bout de douze ans, à une époque de troubles civils et d’agitation politique, M. Maguan trouve que l’on a bien fait de le mettre de côté. Le système actuel fonctionne depuis un demi-siècle, et depuis un quart de siècle au milieu d’une paix profonde ; cependant notre contradicteur ne veut pas le tenir responsable du peu de résultats qu’il déplore ! Pourquoi cette rigueur excessive à l’égard du système des écoles paroissiales ? Pourquoi cette complaisance également excessive à l’endroit du système moderne ? Est-ce là juger les événement et les institutions avec impartialité ?

Admettons pour un instant que le système moderne ne soit pas la cause du mal ; au moins faut-il reconnaître qu’il n’a pas guéri le mal. C’est pourquoi nous prétendons que la logique veut qu’on fasse l’essai d’un autre système, du système diocésain et paroissial.

Car M. Magnan a beau dire et beau faire, c’est le système diocésain et paroissial qui est le système que l’Église nous propose comme modèle. Nous l’avons prouvé surabondamment, au cours de notre dernier article, en nous appuyant sur la constitution apostolique du 8 mai 1881.

C’est dans les constitutions pontificales, les encycliques et les décrets des saints conciles qu’il faut chercher la vraie doctrine de l’Eglise ; non dans les discours de celui-ci ou de celui-là, quelque respectable que puissent être ces personnages.

Or M. Magnan a trouvé plus commode d’ignorer entièrement cette constitution de Léon XIII qui est le fondement, la base même sur laquelle repose toute notre argumentation.

Quand M. Magnan se décidera-t-il à mettre sous les yeux de ses lecteurs les passages de cette constitution qui se rapportent au caractère que doit avoir l’école primaire ?

Cette constitution est parfaitement claire. Elle dit expressément que « l’éducation des enfants ainsi entendue — l’éducation chrétienne — doit être du nombre des devoirs imposés à l’évêque et que les écoles en question — les écoles du peuple — comptent parmi les œuvres dont la direction appartient à l’administration diocésaine ».

M. Magnan n’a qu’à citer cela pour régler la question. Nulle part il ne trouvera dans les enseignements de Léon XIII un mot qui reconnaisse à l’État un autre droit en matière scolaire que le droit de protéger l’école, de prêter main forte à l’Église et aux parents dans l’œuvre de l’éducation.

Notre confrère ne peut comprendre qu’on reconnaisse à l’État le droit de soutenir, de protéger l’école, tout en lui disant que sa place n’est pas dans l’école, mais à côté de l’école. Pourtant c’est bien simple. L’État a le devoir de protéger l’Église et la famille. Mais cela ne lui donne pas le droit de pénétrer dans le sanctuaire, de s’installer au foyer domestique. L’école n’étant, en droit, que le « vestibule du temple » et le « prolongement de la famille », le même raisonnement s’y applique parfaitement. .

Un dernier mot. M. Magnan, dans les efforts qu’il fait pour prouver que notre système scolaire est plutôt municipal que provincial, nous reproche d’avoir mal cité les statuts. Nous avons reproduit les dispositions de la loi que nous avons invoquées, d’après le Code de l’Instruction publique préparé par M. Paul de Cazes. Cet ouvrage doit être très exact. Nous ne prétendons pas avoir tout cité, mais nous n’admettons pas qu’on puisse nous accuser n’avoir attribué à l’autorité provinciale le moindre pouvoir que la loi ne lui accorde pas en réalité.

M. Magnan ne doit pas oublier que le Conseil de l’Instruction publique fait partie du pouvoir provincial, du pouvoir civil. C’est une institution créée par l’État et que l’État peut défaire demain. Sans doute, les évêques y siègent aujourd’hui, mais c’est en vertu d’une loi civile. Un « amendement » de deux lignes, de deux mots voté par la législature, peut leur fermer la porte de ce Conseil qui, c’est puéril de le nier, possède, avec le Surintendant, le contrôle pour ainsi dire absolu sur toutes les écoles de la province.

Les évêques siégeant au Conseil de l’Instruction publique avec un nombre égal de laïques et présidés par un laïque, sont toujours des évêques et ont droit au respect ; mais, enfin, ils n’y siègent pas en évêques, ils n’y exercent pas leur autorité épiscopale. Quand le comité catholique du Conseil de l’Instruction publique parle, ce n’est pas l’Église qui parle, mais un corps très respectable, si l’on veut, mais de création civile. Les lignes suivantes de M. Magnan sont donc tout à fait à côté de la question :

« J’oubliais “ le choix des livres qui est également, limité par la loi ”. Notre confrère n’admet-il pas que le choix des livres appartient de droit aux parents, mais à la condition que ces derniers se laissent guider par l’Église, en cette matière, dans la mesure nécessaire. Or, ici, les livres de classes sont d’abord soumis à un comité catholique où tous les évêques siègent de droit, et où ils exercent une influence prépondérante. Le gouvernement dit aux municipalités : “ Si vous voulez avoir une part des sommes que la législature vote tous les ans pour l’encouragement de l’éducation, il vous faut choisir parmi les livres catholiques approuvés par le comité catholique du Conseil de l’Instruction publique ”. Elles sont libres, cependant, de ne pas accepter cette offre ».

Oui, les parents doivent se laisser guider dans le choix des livres par l’Église. Mais le comité catholique n’est pas l’Église. Les évêques, confirmés par Pierre, agissant comme évêques dans leurs diocèses respectifs, ou réunis en concile, constituent l’Église enseignante. Présidés par M. Ouimet et votant à côté de MM. Masson et Langelier, ils forment partie d’un corps civil. Aujourd’hui, ce Conseil de l’Instruction publique, par sa composition, sans être l’Église, inspire de la confiance aux parents. Demain, il peut être composé tout autrement et devenir entre les mains du gouvernement un instrument d’odieuse persécution.

Il faut penser au lendemain. Pendant quelques années l’ingérance de l’État dans les questions scolaires n’a pas eu de trop graves inconvénients au Manitoba. Mais le faux principe était posé et accepté, le faux principe que l’organisation scolaire est une fonction politique. Voyez les résultats ! Eh bien ! le même faux principe produira infailliblement les mêmes désastres dans la province de Québec. M. Magnan ne mourra pas sans le voir, selon les probabilités humaines ; et selon les mêmes probabilités nous, qui sommes cependant plus âgé que notre contradicteur, serons témoin du même spectacle qui, tout en nous donnant raison contre lui, nous affligera autant que lui.