Poissons d’eau douce du Canada/Esturgeon spatulaire

C. O. Beauchemin & Fils (p. 221-222).

L’ESTURGEON SPATULAIRE


Le Polyodon-Feuille (Lacépède). — Paddle-Fish, Spatularia, (Shaw). Platirostra (Le Sueur). — Shoved nosed sturgeon (États-Unis). Bec-de-Rame (Canadien).


Polyodon veut dire mâchoire bien endentée : les branchies sont multiples, très minces, le bec spatulaire large et bombé ; à la caudale, on compte de 12 à 20 fulcres, de moyenne grandeur. Le polyodon drague, à son profit, dans le Mississipi et ses principaux tributaires. On le rencontre dans les grands lacs, dont il doit occuper les bas-fonds dans leur plus grande profondeur. Autant qu’il me souvient, l’exemplaire unique que j’ai jamais vu de cet enfant des ténèbres, qui figure sous sa forme naturelle, au Musée ichtyologique d’Ottawa, provient du lac Huron. Un navire y ayant sombré, des plongeurs essayèrent d’en pratiquer le renflouage. Ils descendirent dans des profondeurs écrasantes pour leur armure scaphandrique, atteignirent l’épave couchée sur un lit de vase d’où ils rapportèrent deux esturgeons spatulaires qui furent expédiés à Ottawa, à cause de leur étrangeté même, dont un seul se survit — mais empaillé — l’autre ayant péri naturellement, rongé par les vers.

C’est à la fois un ganoïde et un chondrostôme, sans qu’il ait de scutelles prononcées comme ganoïde, sans qu’il se rapproche des sturioniens autrement que par la forme de son corps, la couleur et le grain sélacien de sa peau. Si vous visitez le Musée d’Ottawa, arrêtez-vous devant la vitrine n° 199. Le sujet en vaut la peine. Ai-je besoin de répéter qu’il est unique au Canada ? Faut-il vous le décrire ? « Couleur olive un peu pâle ; opercule démesurément allongé en pointe, atteignant presque les ventrales ; spatule large ; le prémaxillaire s’étendant bien au delà des yeux minuscules ; peau chagrinée ou à peu près, avec des fulcres rhomboïdes sur les côtés de la queue ; ventrales rapprochées du milieu du corps ; dorsale un peu en arrière de celles-ci, et plus grande qu’elle, taillées en courbe ; les rayons des nageoires sont minces et les nageoires semblent formées d’un tissu de cordes filées ; isthme papillaire chez les jeunes ; la tête, y compris la spatule et les pointes operculaires, presque plus que la moitié de la longueur du corps ; la tête seule n’est égale qu’à la cinquième partie.

La famille des polyontidés ne comprend que le genre spatulaire avec deux espèces, la spatule (polyodon folium) et le glaive (polyodon gladius).

« L’espèce la plus anciennement connue, dit Brehm, est la spatule, étrange animal au corps allongé, un peu comprimé en arrière, au museau se prolongeant en un long rostre aplati, élargi à son extrémité et ressemblant exactement à l’ustensile d’où la bête a tiré son nom. La bouche placée en dessous est largement fendue, les yeux sont très petits.

« L’autre espèce, dont les formes générales sont les mêmes, s’en distingue par le museau, à forme conique, ressemblant à une épée à large base. Les fulcres du bord supérieur de la caudale sont très développés et forment de grandes plaques. En dessus l’animal est d’un gris ardoisé bleuâtre. Les nageoires sont d’un rose de chair.

« Les deux espèces de polyodon ont une curieuse distribution géographique. La spatule est cantonnée dans le Mississipi, dans ses tributaires et dans les grands lacs du plateau central de l’Amérique du Nord. C’est dans le fleuve Bleu ou Yang-tsé-Kiang, ce large fleuve de la Chine, que vit le Glaive ; c’est à Woosung, ville située sur le confluent du fleuve Bleu et de la rivière qui remonte à Shang-Haï, que Von Martens qui a fait connaître l’espèce, l’a trouvée chez un marchand de poisson, confondue dans une même corbeille avec des cyprins de différentes espèces.

« Le Glaive peut arriver à la taille de 20 pieds ; il est probable que son rostre, qui, sur l’animal en vie, est doué d’une grande flexibilité, lui sert à fouiller dans la vase et à en faire sortir ainsi les animaux dont il se nourrit ; le rôle du bec de la Spatule doit être le même ; car cet organe est merveilleusement disposé pour permettre à l’animal de remuer la vase. »

Sans être aussi délicate que celle de l’esturgeon, la chair du polyodon est néanmoins fort mangeable, surtout lorsqu’il vit dans des eaux profondes et relativement froides.