Poissons d’eau douce du Canada/Apron

C. O. Beauchemin & Fils (p. 145-146).

L’APRON


Aspro vulgaris, Apre, Sorcier (France). — Garrocher, Rase-vase (Canada). — Alvordius Aspro (États-Unis).


C’est un de nos plus petits poissons de rivière, de la famille des percidés, que l’on retrouve dans presque tous les cours d’eau et ruisseaux du bassin du fleuve Saint-Laurent, depuis Montréal jusqu’aux grands lacs. Il se rapproche beaucoup de la perchaude par son aspect général, par le goût de sa chair, par les yeux et la rugosité des écailles, qui lui ont valu son nom d’apron ou d’apre ; il en diffère par la couleur de sa robe moins brillante, d’un gris sale, avec trois marbrures noirâtres partant du dos et descendant obliquement sur les flancs pour s’arrêter à la région ventrale, par la forme particulière de sa tête, large, un peu aplatie, écailleuse, à museau lisse et obtus, par sa bouche en retraite et en dessous, par son corps plus allongé, fusiforme par des nageoires d’une forme particulière qui surprend au premier coup d’œil.


Fig. 30. — L’APRON COMMUN (Aspro vulgaris.)


Les dorsales sont peu élevées et peu étendues ; la première, composée de neuf rayons épineux dont les plus longs occupent le milieu, décrit une courbe assez régulière ; la seconde, supportée par treize rayons, forme une ligne irrégulière dans toute son étendue ; les nageoires pectorales sont ovalaires ; les ventrales, très longues ; enfin, la caudale est taillée en forme de croissant.

Chez l’apron, les ovaires sont régulièrement développés et les œufs ont une grosseur supérieure à ceux de la perche, malgré sa petite taille qui atteint rarement huit pouces de longueur.

L’apron mord aux vers et aux insectes, en eau trouble aussi bien qu’en eau claire. Enfant, je l’ai pêché avec succès au moyen d’un fil armé d’une épingle recourbée. Capricieux, il mord à ses heures ; il s’avance par saccades vers l’esche qui le tente, s’en tient à une certaine distance ; mais si vous faites mine de la retirer, il s’en rapproche d’un mouvement rapide, et quelquefois la saisit et la secoue violemment. Dès qu’il est enferré il n’oppose aucune résistance.

D’après la description que fait Blanchard de ce petit poisson, l’apron de France et celui du Canada ne diffèrent aucunement entre eux. « L’apron se tient, dit-il, au fond de l’eau et ne nage guère en pleine rivière que par les mauvais temps, lorsque soufflent les vents du nord et de l’ouest, alors que les autres poissons se retirent dans les profondeurs. Cette circonstance a amené les pêcheurs de plusieurs localités à regarder l’apron comme le poisson maudit et ils s’en sont vengés en l’appelant le sorcier. »

La raison de la malchance des pêcheurs en ces cas-là était facilement explicable, puisqu’ils ne prennent dans leurs filets que les poissons voyageurs ou en maraude, et qu’en ces jours venteux les gros poissons se retirent dans les bas-fonds comme de bons bourgeois en temps d’orage restent au coin du feu, et que seuls les pauvres aprons, à l’instar de mendiants que la faim presse, ont le courage de se mettre en route.

Au-dessus de Montréal, on désigne l’apron sous le nom de garrocher parce qu’il vit dans des endroits caillouteux. Au-dessous de Québeç, on le prend assez souvent pour un brocheton, avec lequel pourtant il n’a pas le moindre point de ressemblance ; d’autres en font un doré ; enfin, sur l’Ottawa, on l’appelle rase-vase à cause de son habitude de se tenir au fond de l’eau.