Poissons d’eau douce du Canada/Ambloplites

C. O. Beauchemin & Fils (p. 87-90).


AMBLOPLITES




LE CRAPET VERT

Crapet vert. Crapet Mondoux. Brême. Rock-Bass


Corps oblong fortement comprimé ; tête forte ; profil légèrement déprimé au-dessus des yeux ; bouche très grande, le maxillaire s’étendant jusqu’à la partie postérieure de la pupille ; yeux très grands, branchies en petit nombre, dix seulement développées ; six séries d’écailles sur les joues ; préopercule dentelé près de l’angle. Couleur vert olive nuancé de brun, avec beaucoup de points noirs ; les jeunes sont irrégulièrement barrés et tachés de noir ; les adultes portent un point noir sur chaque écaille, formant des bandes noires régulières ; un point noir sur l’opercule ; des taches noires sur les adipeuses des dorsale, anale et caudale ; la dorsale beaucoup plus développée que l’anale ; des dents au vomer, au palatin, à la langue : dents pharyngiennes très aiguës.

Le crapet vert est un poisson très répandu dans les lacs, les cours d’eau, et même les petits ruisseaux de la province de Québec. Il recherche les eaux claires et les fonds rocheux, partageant souvent avec l’achigan une profonde retraite sous de gros cailloux ou un corps d’arbre renversé et en partie couvert d’eau, d’où ils guettent leur proie ; une fois piqué, pour peu qu’il soit de taille, il résiste, il lutte ; on dirait qu’il se piète sur le seuil de son gîte ; mais dès qu’il a lâché pied, il cesse toute résistance. Comme la plupart de ses congénères, il habite la région des grands lacs et la vallée du Mississipi, dans la circonscription de ses eaux claires. Sa chair est très recherchée dans l’ouest et le sud, surtout lorsqu’il a atteint tout son développement — de une livre à une livre et demie. Ici, il n’est pas classé dans les statistiques de pêche : sur nos marchés il figure avec le menu fretin ; il se vend au paquet avec la barbotte, le crapet jaune, la petite perchaude et les carpons, à cinq ou six ou dix sous le paquet, soit un sou la pièce. C’est un des premiers poissons que l’on prend, enfant, avec un hameçon d’épingle. Combien d’écoles buissonnières n’a-t-il pas sur la conscience !

Le crapet vert fraie à peu près vers le même temps que l’achigan et les autres crapets ; il se creuse un nid et prend le même soin de ses œufs et de ses petits. Dès que le nid est construit, le mâle rejoint la femelle, la fait appuyer de flanc à un caillou ou à un corps résistant et la frappe violemment du museau dans les flancs. Ce massage se continue pendant trois ou quatre jours, après lesquels la femelle fait sa ponte que le mâle féconde de sa laite. Au bout de huit ou dix jours les petits sont éclos, et pendant cinq ou six jours encore, les parents font sentinelle autour du nid et rafraîchissent l’eau en s’ébattant au-dessus de leurs petits.


Fig. 27.Crapet mondoux ou crapet vert, crapet noir dans le district de Montréal. — Brême, dans le district de Québec. — Rock-bass, nom anglo-américain.


Nonobstant cette vigilance, les autres crapets voisins, les brochets maraudeurs, et même les huahuarons (grenouilles vertes) en dévorent des quantités considérables. Il faut que la bourse des ovaires soit riche de bien des milliers d’œufs pour que l’espèce subsiste en dépit de saignées aussi nombreuses que violentes[1].

LE CRAPET JAUNE

The Sun Fish. — Lepomis gibbosus. — The Pumpkin seed.


À tout seigneur tout honneur ! N’est-ce pas le crapet jaune qui a valu aux centrarchidés le nom excentrique de sun-fishes, poissons-soleil ? Il est vrai que Louis XIV lui avait donné un fort joli exemple, en se faisant appeler le roi-soleil, juste au moment où ses armées se noyaient dans les eaux du pays batave, le pays harenger par excellence.

À l’examiner de près, le crapet jaune représente aussi bien que possible, — pour un poisson de sa taille, bien entendu — à la fois la figure et l’éclat du soleil. Il est presque circulaire dans sa forme, et ses couleurs brillent vraiment du plus vif éclat. Tout jeune, sous le voile brumeux de son berceau, au fond du nid, il ressemble déjà à un sequin d’or, et se comptant par familles de plusieurs milliers, ils forment une bourse assez ronde dans chaque nid. Avec l’âge le sequin grandit et passe vite à la guinée. Mais rendu là, plus d’illusion possible ; le poisson perd de sa beauté sans rien gagner en valeur, sa chair étant sèche, peu nourrissante et tapée comme son corps.

Tout de même, est-il le colonel du régiment des centrarchidés. Colonel ? Je le crois sans peine, du moment qu’il est originaire des États-Unis. Fût-il né en Europe, que je l’accepterais encore volontiers comme colonel des centrarchidés — à titre honorifique, cette fois, et pas plus — colonel à la façon de plusieurs princesses, reines et impératrices même, qui commandent des régiments par leur sourire, et les mènent à la victoire par leurs grâces et leurs charmes. Certes ! le crapet jaune est le plus beau, le plus gracieux des poissons de son espèce ; mais, ne vous en déplaise, le colonel actif du régiment des centrarchidés sera toujours le rude achigan, le vaillant, l’audacieux chevalier sans peur et sans reproche, bravant tous les coups, sous son armure de bronze, ne cédant un royaume que pour en conquérir dix autres.

La Pompadour trouva bon, un jour, d’échanger le Canada contre des poissons de Chine ; c’eût été bien plus simple et mieux avisé de sa part de prier son valet, le roi de France, de lui faire venir à Versailles des crapets jaunes, des sun-fishes du Canada, ses cousins germains peut-être à lui petit-fils du roi-soleil. Autrement gentils sont-ils que les épais cyprins dorés de la Chine.

Traçons le portrait de ce poisson essentiellement décoratif, tout à fait inoffensif et improductif.

Corps aplati et profond, comprimé, profil à angle droit, convexe ; angle dessiné ordinairement au-dessus de l’œil ; tête plutôt petite que grosse ; petite bouche, oblique, le maxillaire rejoignant à peine l’orbite de l’œil ; les rayons épineux de la dorsale très longs, aussi longs que la distance de l’orbite postérieur de l’œil, à l’extrémité du museau ;


Fig. 28. — CRAPET JAUNE (Lepomis gibbosus, Snn-fish, Pumpkin seed.)


les rayons mous encore plus grands ; pectorales longues ; écailles grandes ; quatre rangées sur les joues ; dents pharyngiennes tronquées, en pavé ; couleur vert olive en dessus, nuancée de bleu, les côtés marqués et nuagés d’orange, joues orangées traversées de bandes bleu marin : les nageoires inférieures orangées ; les nageoires supérieures bleuâtres et marquées de picots orangés ; le rebord de l’opercule étroit, portant à sa pointe une tache écarlate, un vrai ruban d’honneur à la boutonnière qui le distingue de tous ses congénères, quels que soient la richesse et l’éclat du costume qu’ils portent.

En faut-il plus pour plaire ?

Admirez-le, soit ! mais pas jusqu’à le croquer. Le brochet lui-même le renvoie en grimaçant, comme un chien qui met la dent dans un nid de guêpes. Il est tout épines ; c’est un crapet, vous dis-je !

  1. J’ai adopté le nom de crapet vert, comme étant le plus répandu et le plus justifiable. Je ne vois pas pourquoi on l’appellerait mondoux, encore moins brême, car ce serait créer une confusion facheuse avec la brême réelle qui existe dans nos eaux et qui n’a aucun point de ressemblance avec le crapet, l’un étant un cyprin et l’autre un percoïde, l’un acanthoptérygien et l’autre malécoptérygien.