Poissons d’eau douce du Canada/Éperlan

C. O. Beauchemin & Fils (p. 477-478).

L’ÉPERLAN


The American smelt — Osmerus viridiscens.


Ce petit poisson de six à douze pouces de longueur, un peu carré de corps, aux écailles quadrillées, dont la beauté le dispute à l’excellence de la chair, abonde sur les côtes du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, de la baie des Chaleurs et dans tout le golfe Saint-Laurent. On le pêche du haut des quais de la douane, à Québec ; il remonte même jusqu’aux Trois-Rivières. À l’époque de leur villégiature, les dames des États-Unis et d’Ontario le pêchent à la Malbaie, à la Rivière-du-Loup, entre deux mots de galanterie. Elles en rapportent moins de profit, cela va sans dire, que certaine maison de commerce de Boston, qui en débite pour une valeur de plus de vingt mille dollars, durant la saison de pêche,


Fig. 206. — L’ÉPERLAN.

commençant en octobre et finissant en mars. Ce poisson se capture au-dessus de Boston en remontant vers le nord jusqu’au golfe Saint-Laurent. Le long des rivières de la baie des Chaleurs il s’en prend de telles quantités, qu’un homme aidé d’un jeune garçon en capturera jusqu’à cent quarts dans une semaine, à l’embouchure de certaines rivières. On les emploie pour faire de l’engrais, et ils se vendent sur place, à raison de cinquante à soixante centins le baril, à Bathurst. Sur le marché de New-York, le prix courant de l’éperlan est de dix à quinze centins la livre.

Cependant, depuis plusieurs années, on fait beaucoup plus de cas de la chair savoureuse de l’éperlan, surtout en hiver, où elle a acquis un prix si élevé sur les marchés des provinces maritimes, que les rapports officiels de 1895 accusaient les chiffres suivants :


Éperlans.
Barils. $ cts.
Canada
9,022,157 451,108 00
Nouvelle-Écosse
473,035 23,652 00
Nouveau-Brunswick
7,641,300 382,065 00
Colombie anglaise
58,000 2,900 00
Québec
282,002 14,100 00
Île Prince-Édouard
567,820 28,391 00


Norris nous informe que des éperlans enfermés dans des étangs d’eau douce, en Angleterre, y ont prospéré, et s’y sont reproduit d’une façon merveilleuse. Ils y ont même prospéré au point d’y acquérir les qualités de taille et le bon goût que les poissons de mer, pour la plupart, acquièrent par leur acclimatation en eau douce. Ce fait s’est renouvelé subséquemment dans un étang de même nature, à Long-Island. Et là-dessus, l’auteur américain ne dissimule pas son enthousiasme ! N’y a-t-il pas lieu de se réjouir du fait qu’on pourrait ajouter aux plaisirs ichtyologiques de nos compatriotes celui de la capture prolongée, de l’automne jusqu’en hiver, d’un poisson aussi beau, aussi savoureux que l’éperlan ? Plus d’une fois, M. Norris a remarqué des écrevisses et des crevettes dans le corps des éperlans qui lui sont venus des marchés de Boston. Dès lors, il connaît l’esche convenable pour ce magnifique poisson qui sent le concombre comme le maskinongé sent le melon. Mais que va dire M. Norris lorsque je lui ferai part du fait assez curieux, mais d’une exactitude incontestable, qu’il existe dans le lac Kinogami, un peu en deçà du lac Saint-Jean, des éperlans autochtones, de la plus forte taille, du goût le plus délicat ? Ceux-là ont dû rester à une respectueuse distance du huananiche lorsqu’il se retira au lac Saint-Jean. Tous deux étaient de l’armée des salmonidés, le huananiche, comme général, l’éperlan comme colonel. Tous deux sont restés en braves sur les contreforts des Laurentides, sous leur armure d’or et d’argent.

Mon ami M. Gregory me causait récemment encore de l’excellent goûter qu’offre la chair de l’éperlan du lac Kinogami, et je fais part de sa satisfaction au brillant auteur américain, avec d’autant plus de plaisir que son article sur l’éperlan respire l’arôme d’un plat digne de Brillat-Savarin.