Poëmes en prose (Louis de Lyvron)/La Chanson d’Arthur/X

Alphonse Lemerre (p. 85-87).
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Arthur tombe sur l’herbe sanglante, et ses yeux se ferment.

Lorsqu’il les rouvre, la lune brille. Il se soulève sur le coude, il ne voit autour de lui que des cadavres et des corbeaux ; il laisse retomber sa tête sur l’herbe. Il songe à la reine Genièvre.

Une alouette chante. « Pourquoi cette alouette chante-t-elle ? se dit-il ; les alousettes sont donc comme les femmes ? » Mais l’alouette chante doucement, et il aperçoit une femme qui s’avance en regardant chaque cadavre. Les yeux d’Arthur sont troubles ; il la voit à peine au milieu des corbeaux. Elle s’approche lentement ; mais lorsqu’elle est près du ruisseau bordé de saules, Arthur murmure : « Genièvre !

– Arthur ! mon maître !…

– Genièvre, je t’aimais.

– Dès qu’il m’a assise sur la croupe de son cheval, j’ai voulu fuir…

– Mes chevaliers sont morts à cause de toi… Je te pardonne, et là haut je leur demanderai de te pardonner aussi. Ils t’aimaient tous, et moi… je t’aime encore.

– Arthur !… les lèvres de Médrod n’ont pas touché ma joue.

– Ne me dis pas si tu mens…

– Arthur ! Arthur ! » Elle dit cela, et sa belle tête blonde s’incline lentement, et ses yeux couleur de bluet se ferment, puis s’ouvrent pâles.

Une clarté illumine le couchant.

Arthur essaye de soutenir la tête aux cils d’or, qui glisse sur son épaule ; mais la main qui fendait les enclumes lorsqu’elle était encore la main d’un enfant, ne peut plus soulever une boucle de cheveux. Genièvre sourit ; mais chaque fois que ses yeux couleur de bluet se ferment, ils se rouvrent plus grands et plus pâles… Un souffle embaumé caresse les lèvres du roi ; l’âme de l’églantine blanche s’envole, Genièvre est morte.

« Je dois mourir debout ! » dit Arthur ; et il se lève.