Poëmes en prose (Louis de Lyvron)/La Chanson d’Arthur/IX

Alphonse Lemerre (p. 80-85).
◄  VIII
X  ►

ix



Les vieillards, les femmes, les enfants sont réunis dans la plaine inclinée de Kerléon. Ils regardent vers le nord.

Ils ont regardé jusqu’au coucher du soleil, ils ont regardé jusqu’au lever de la lune ; maintenant ils sanglotent : « Arthur est mort ! »

Les vieillards arrachent leur barbe, les femmes pressent leurs nourrissons sur leur sein, et les enfants disent : « Pourquoi nos beaux cavaliers ne reviennent-ils pas ? »

Les vieillards arrachent leur barbe et sanglotent : « Notre armée est morte, et il n’y a pas un barde digne de chanter son chant funèbre. »

Alors une voix retentit dans le bois de chênes, – une voix éclatante comme la voix de la foudre, une voix pleine comme la voix du torrent. – Cette voix chante : « Enfant, il était déjà un homme. Enfant, il était déjà vaillant dans le combat. Enfant, il enfonça l’épée dans l’enclume. Il est tombé à Camlan.

Il ne quittait pas le champ de bataille tant que le sang coulait ; il fauchait les cuirasses, comme le moissonneur fauche le chaume ; il était sage au conseil. Il est tombé à Camlan.

Ses guerriers sont morts ; mais ils sont morts en braves. À midi leurs lances traçaient sur la terre un sentier sanglant ; à midi ils avaient ébréché leurs grandes épées. Ils sont tombés à Camlan.

Ils sont morts en braves. À midi leurs boucliers retentissaient comme le tonnerre ; à midi leurs grandes épées coupaient le cuir et le fer. Ils sont tombés à Camlan.

Les armées sont en bataille sur deux collines ; entre elles deux coule un ruisseau bordé de saules. Qui franchira le premier le ruisseau ?

Ce fut Arthur. Le premier il s’élance en criant : « Cœur pour œil ! tête pour bras ! » Sa cuirasse d’argent resplendit comme la gelée du matin.

Arthur s’élance le premier ; les boucliers tremblent sur la pointe de sa lance ; sous les boucliers en pièces le sol s’exhausse. Son choc est plus terrible que celui du sanglier ; il court comme un troupeau de bœufs sauvages, comme une bruyère enflammée.

Lorsque l’on parlera de la bataille de Camlan, les peuples pleureront.

Derrière Arthur, serrés comme les grains d’un épi, piquants comme un hérisson, s’avancent les chefs aux colliers d’or. Leurs épées ont des ailes.

Les Écossais de Médrod ressemblent aux flots que la tempête pousse. Ils roulent en vague sinueuses le long de la colline verte, ils roulent en vagues sombres jusqu’au ruisseau bordé de saules. Mais l’armée d’Arthur est un rocher, et le flot sombre jaillit en écume rouge.

Lorsque l’on parlera de la bataille de Camlan, les peuples pleureront.

Les vagues roulent le long de la colline verte… elles roulent jusqu’au soit ; mais chaque vague est plus courte que sa sœur, et, à chaque vague, le rocher se ronge.

C’est une belle bataille, une bataille d’hommes.

Le soleil se couche ; il n’y a plus à cheval qu’Arthur et que Médrod ; tous les autres sont morts ! Ils sont morts pour une femme, les guerriers vaillants !

Alors Medrod dit : « Baissons nos lances. » Mais Arthur crie : « Genièvre ! Genièvre ! » Et les lances volent en éclats. Ils tirent leurs épées tranchantes comme le vent du nord, lourdes comme la grêle, et ils les font tournoyer au-dessus de leurs têtes.

C’est un beau combat.

Les armures pétillent sous les coups comme le fer sur l’enclume ; le sang perle sur les mains ; les haleines font un brouillard, et les chevaux s’arrachent des lambeaux de poitrail.

C’est un beau combat.

Les deux chevaux s’abattent, et le guerrier, vigoureux comme l’ours, serre l’Écossais entre ses bras. Les deux cuirasses se fendent ; Médrod ouvre la bouche et tombe ; mais Arthur tombe aussi, la poitrine brisée. Ne cherchez pas le corps d’Arthur dans la vallée de Camlan ; ne cherchez pas son épée dans la vallée de Camlan : elle est, avec son corps, dans l’île ronde de l’Océan bleu. »