Poëmes en prose (Louis de Lyvron)/La Chanson d’Arthur/IV

Alphonse Lemerre (p. 69-72).
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iv



Arthur a pour amis deux oiseaux : un merle qui siffle si doucement que les fleurs lui disent leurs secrets, et un hibou dont la vue est si perçante qu’il voit l’âme des rochers. Le merle était sur une aubépine, le hibou sur un bouleau, lorsque Médrod enleva Genièvre. Ils crient si fort que Merlin s’éveille.

Merlin comprend la langue des oiseaux et il soupire : « La reine s’est enfuie avec Médrod ! Malheur ! malheur ! mon noble ami sera seul dans le danger, la dernière étoile m’emporte cette nuit. »

Il court à la chambre royale, soulève le rideau de cuir et tire Arthur par le bras.

« Genièvre, dit Arthur à moitié endormi, ma cour sera désormais une cour d’amour, et je ne te quitterai plus.

– Arthur, éveille-toi !

– Où est Genièvre ?

– Tu n’es pas un homme comme les autres hommes ; tu seras fort dans la douleur comme tu l’es devant la mort. La reine Genièvre ne dormira plus à ton côté.

– Mon épée !… » Et il s’élance hors de la salle.

« Je vois l’avenir, mais je ne peux rien changer à l’avenir, » soupire Merlin. Il dit cela, puis il prend la forme d’une hirondelle et s’envole du côté de la terre de Bretagne.

Arthur s’élance dans la cour, l’épée nue. Il appelle Glëouloued, le portier à la large main. « Pourquoi as-tu laissé partir la reine ?

– Père, je dormais derrière la porte. »

Alors le merle parle sur le buisson d’aubépine : « Le cheval de Médrod a franchi la haie de la prairie, il emportait la reine Genièvre. »

Le guerrier, vigoureux comme l’ours, s’assoit par terre et se met à pleurer. Il pleure la tête dans les mains, et Glëouloued, stupéfait, voit près de lui le barde gaulois. Le Gaulois dit à Arthur : « Pourquoi pleures-tu, roi des Gaëls ?

– Je pleure l’amour envolé et l’honneur mort.

– Rien ne peut tuer l’honneur de qui n’a pas failli, et personne ne sait quand l’amour s’envole. Prends ton épée, je combattrai près de toi.

– Compagnons ! sellez vos chevaux ! »

Les chevaliers s’éveillent, le guetteur allume, sur la colline, le feu du signal, le héraut frappe à coups de hache sur le bouclier aux bosses retentissantes.

« Où est Merlin ? » demande Arthur.

Personne ne l’avait vu sortir, ni Glëouloued au sommeil léger, ni Goudueï aux yeux de chat. Alors le hibou parle sur le bouleau : « Merlin est retourné dans la forêt d’Armorique.

– Oui, je me souviens, dit Arthur, il devait me quitter cette nuit ; je serai seul dans la douleur. Compagnons, sellez vos chevaux ! hommes de ma famille, vengez mon honneur ! »