Poëmes en prose (Louis de Lyvron)/La Chanson d’Arthur/I

Alphonse Lemerre (p. 51-54).



Faites silence, messire, et vous entendrez une glorieuse chanson.


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Un jour, Merlin dit à Arthur : « Si tu n’étais qu’un homme, tu aurais le droit de te reposer ; mais tu es un roi, Arthur, fils du nuage mystérieux. Tu te reposeras lorsque tu auras trouvé un barde capable d’écrire en vers immortels l’histoire de ta vie. Il faut que, dans la douleur, tes fils puissent chanter ta gloire ; il faut que, dans l’ivresse du triomphe, ils puissent chanter ta vertu.

– Où trouver ce barde ?

– Je ne sais trop. Les vrais bardes sont rares et ils se cachent, aimant mieux parler à l’oreille des bois qu’à l’oreille des princes. Au lieu de suivre le char des chefs, comme les roseaux vides qui croient chanter parce qu’ils ronflent, les vrais bardes ne suivent que la chevrette qui les regarde, que la mésange qui les écoute, que la femme qui les fuit.

– Je vais faire annoncer dans les pays où l’on parle gaël, qu’il y aura à Kerléon un combat poétique et qu’Arthur donnera un bouclier d’or au vainqueur. Le prix étant beau, tous les bardes viendront, et je dirai au plus habile : « Écris mon histoire ; tu auras pour chacun de tes vers une pièce d’or rouge. »

– Les vrais bardes ne chantent pas pour un bouclier d’or, ils n’échangent pas leurs vers contre des pièces d’or rouge ; les vrais bardes chantent parce qu’ils aiment le son de leurs voix. Que tes hérauts disent simplement : « Le roi Arthur veut laisser à l’avenir l’histoire du passé ; hommes savants dans l’art de poésie, soyez à Kerléon le jour de la pleine lune de juin. »

– Pourquoi choisir le jour de la pleine lune de juin ? La venaison n’est bonne qu’en septembre.

– Je voudrais assister au combat, et je dois te quitter la nuit de la Saint-Jean ; je l’ai juré à l’amie qui m’attend, sous le buisson d’aubépine. Ta vie a été belle, roi Arthur, tu trouveras un barde ; lorsque le Puissant forge une grande épée, il tend les cordes d’une harpe sonore.

– Je ferai comme tu le désires. »

Arthur était fils d’une vierge et d’un nuage. La terre tremblait lorsqu’il montait à cheval, et les cheveux de sa reine étaient si beaux que les chanteurs les comparaient à des fleurs d’ajonc. Il était savant comme une forêt, doux comme une prairie, fort comme un torrent.