Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/L’Ami d’enfance

Pour les autres éditions de ce texte, voir L’ami d’enfance.

Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 25-26).


L’AMI D’ENFANCE.


Un ami me parlait et me regardait vivre.
Alors, c’était mourir… Mon jeune âge était ivre
De l’orage enfermé dont la foudre est au cœur :
Et cet ami riait, car il était moqueur.

Il n’avait pas d’aimer la funeste science.
Son seul orage à lui c’était l’impatience.
Léger comme l’oiseau qui siffle avant d’aimer,
Disant : « Tout feu s’éteint, puisqu’il peut s’allumer ; »
Plein de chants, plein d’audace et d’orgueil sans alarme,
Il eût mis tout un jour à comprendre une larme.
De nos printemps égaux lui seul portait les fleurs ;
J’étais déjà l’aînée, hélas ! par bien des pleurs.

Décorant sa pitié d’une grâce insolente,
Il disputait, joyeux, avec ma voix tremblante ;
À ses doutes railleurs je répondais trop bas….
Prouve-t-on que l’on souffre à qui ne souffre pas ?

Soudain, presque en colère, il m’appela méchante,
De tromper la saison où l’on joue, où l’on chante :

« Venez, sortez, courez où sonne le plaisir !
Pourquoi restez-vous là navrant votre loisir ?
Pourquoi déifier vos immobiles peines ?
Venez, la vie est belle, et ses coupes sont pleines !…
Non ? Vous voulez pleurer ? Soit ! J’ai fait mon devoir ;
Adieu ! — Quand vous rirez, je reviendrai vous voir. »

Et je le vis s’enfuir comme l’oiseau s’envole ;
Et je pleurai longtemps au bruit de sa parole ;
Mais quoi ? la fête en lui chantait si haut alors
Qu’il n’entendait que ceux qui dansaient au dehors.

Tout change. Un an s’écoule, il revient… Qu’il est pâle !
Sur son front, quelle flamme a soufflé tant de hâle ?
Comme il accourt tremblant ! Comme il serre ma main !
Comme ses yeux sont noirs ! Quel démon en chemin
L’a saisi ? C’est qu’il aime ; il a trouvé son âme.
Il ne me dira plus : « Que c’est lâche une femme ! »
Triste, il m’a demandé : « C’est donc là votre enfer ?
Et je riais… Grand Dieu ! vous avez bien souffert ! »


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