Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Trop tard

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Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 27-28).


TROP TARD.


Il a parlé. Prévoyante ou légère,
Sa voix cruelle et qui m’était si chère
A dit ces mots qui m’atteignaient tout bas :
« Vous qui savez aimer, ne m’aimez pas !

« Ne m’aimez pas si vous êtes sensible ;
« Jamais sur moi n’a plané le bonheur.
« Je suis bizarre et peut-être inflexible ;
« L’amour veut trop : l’amour veut tout un cœur.
« Je hais ses pleurs, sa grâce ou sa colère ;
« Ses fers jamais n’entraveront mes pas. »

Il parle ainsi celui qui m’a su plaire…
Qu’un peu plus tôt cette voix qui m’éclaire
N’a-t-elle dit, moins flatteuse et moins bas :
« Vous qui savez aimer, ne m’aimez pas !

« Ne m’aimez pas ; l’âme demande l’âme ;
« L’insecte ardent brille aussi près des fleurs.
« Il éblouit, mais il n’a point de flamme ;

« La rose a froid sous ses froides lueurs.
« Vaine étincelle échappée à la cendre,
« Mon sort qui brille égarerait vos pas. »

Il parle ainsi, lui que j’ai cru si tendre !
Ah ! pour forcer ma raison à l’entendre,
Il dit trop tard, ou bien il dit trop bas :
« Vous qui savez aimer, ne m’aimez pas ! »


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