Théophile Berquet, Libraire (p. 39-42).

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Iris.

La terre fatiguée, impuissante, inutile,
Préparait à l’hiver un triomphe facile ;
Le soleil sans éclat précipitant son cours,
Rendait déjà les nuits plus longues que les jours,
Quand la bergère Iris, de mille appas ornée,
Et, malgré tant d’appas, amante infortunée,
Regardant les buissons à demi dépouillés :
Vous que mes pleurs, dit-elle, ont tant de fois mouillés,
De l’automne en couroux ressentez les outrages ;
Tombez, feuilles, tombez, vous dont les noirs ombrages
Des plaisirs de Tircis faisaient la sûreté,
Et payez le chagrin que vous m’avez coûté.

Lieux toujours opposés au bonheur de ma vie,
C’est ici qu’à l’Amour je me suis asservie.
Ici j’ai vu l’ingrat qui me tient sous ses lois ;
Ici j’ai soupiré pour la première fois :
Mais tandis que pour lui je craignais mes faiblesses,
Il appelait son chien, l’accablait de caresses :
Du désordre où j’étais, loin de se prévaloir,

Le cruel ne vit rien, ou ne voulut rien voir.
Il loua mes moutons, mon habit, ma houlette ;
Il m’offrit de chanter un air sur ma musette ;
Il voulut m’enseigner qu’elle herbe va paissant
Pour reprendre sa force un troupeau languissant ;
Ce que fait le soleil des brouillards qu’il attire :
N’avait-il rien, hélas ! de plus doux à me dire ?

Depuis ce jour fatal que n’ai-je point souffert !
L’absence, la raison, l’orgueil, rien ne me sert.
J’ai de nos vieux pasteurs consulté le plus sage ;
J’ai mis tous ses conseils vainement en usage :
De victimes, d’encens j’ai fatigué les dieux ;
J’ai sur d’autres bergers souvent tourné les yeux ;
Mais ni le jeune Atis, ni le tendre Philène,
Les délices, l’honneur des rives de la Seine,
Dont le front fut cent fois de myrtes couronné,
Savans en l’art de vaincre un courage obstiné,
Eux que j’aidais moi-même à me rendre inconstante,
N’ont pu rompre un moment le charme qui m’enchante.
Encor serais-je heureuse en ce honteux lien,
Si, ne pouvant m’aimer, mon berger n’aimait rien :
Mais il aime à mes yeux une beauté commune ;
À posséder son cœur il borne sa fortune :
C’est pour elle qu’il perd le soin de ses troupeaux ;

Pour elle seulement résonnent ses pipeaux ;
Et loin de se lasser des faveurs qu’il a d’elle,
Sa tendresse en reprend une force nouvelle.

Bocages de leurs feux uniques confidens,
Bocages que je hais, vous savez si je mens :
Depuis que les beaux jours, à moi seule funestes,
D’un long et triste hiver eurent chassé les restes,
Jusqu’à l’heureux débris de vos frêles beautés,
Quels jours ont-ils passés dans ces lieux écartés ?
Que n’y reprochiez-vous à l’ingrat que j’adore,
Que, malgré ses froideurs, hélas ! je l’aime encore !
Que ne lui peigniez-vous ces mouvemens confus,
Ces tourmens, ces transports que vous avez tant vus ?
Que ne lui disiez-vous, pour tenter sa tendresse,
Que je sais mieux aimer que lui, que sa maîtresse ?
Mais ma raison s’égare : ah ! quels soins, quels secours
Dois-je attendre de vous qui servez leurs amours ?
Les dieux à mes malheurs seront plus secourables ;
L’hiver aura pour moi des rigueurs favorables.
Il approche, et déjà les fougueux aquilons
Par leur souffle glacé désolent nos vallons.
La neige, qui bientôt couvrira la prairie,
Retiendra les troupeaux dans chaque bergerie ;
Et l’on ne verra plus sous votre ombrage assis,
Ni l’heureuse Daphné, ni l’amoureux Tircis.

Mais, hélas ! quel espoir me flatte et me console !
Avec rapidité le temps fuit et s’envole ;
Et bientôt le printemps, à mon âme odieux,
Ramènera Tircis et Daphné dans ces lieux.
Feuilles, vous reviendrez ; vous rendrez ces bois sombres ;
Ils s’aimeront encor sous vos perfides ombres ;
Et mes vives douleurs, et mes transports jaloux
Pour mon ingrat amant renaîtront avec vous.