Théophile Berquet, Libraire (p. 35-38).

ÉGLOGUES.


Célimène.

Assise au bord de la Seine,
Sur le penchant d’un coteau,
La bergère Célimène
Laisse paître son troupeau.

Il descend dans la prairie,
Sans qu’elle daigne songer
Que le loup pourra manger
Sa brebis la plus chérie.

Le souvenir d’un berger
Que la fortune cruelle
Force à vivre éloigné d’elle
Dans un climat étranger
Cause la douleur mortelle
Qui lui fait tout négliger.


Tantôt, cédant à la force
De ses amoureux transports,
Elle grave sur l’écorce
Des arbrisseaux de ces bords :
Puisse durer, puisse croître
L’ardeur de mon jeune amant,
Comme feront sur ce hêtre
Ces marques de mon tourment !

Tantôt, mêlant sur le sable
Le nom d’Achante et le sien,
Elle trouve insupportable
Qu’un zéphyr impitoyable
En passant n’en laisse rien.

Quelle cruelle aventure,
Dit-elle avec un soupir,
Si ce que fait le zéphyr
M’est un véritable augure
Que de si tendres amours
Ne dureront pas toujours

Je briserais la musette
Que me laissa l’imposteur,
Et du fer de ma houlette

Je me percerais le cœur.
À ces mots elle repasse
Dans son esprit alarmé
L’air, les traits, l’esprit, la grâce
De ce berger trop aimé.

Les oiseaux de ce bocage
Se taisent pour écouter
Ce qu’ils entendent chanter
Du beau berger qui l’engage :
Ils voudraient le répéter ;
Mais leur plus tendre ramage
Ne la saurait imiter.

Jamais cette triste amante
Ne voit sur l’herbe naissante
Folâtrer d’heureux amans
Qu’elle ne se représente
Combien l’absence d’Achante
Lui vole de doux momens.

Jamais des bergers ne viennent
De ces bords délicieux
Où les destins le retiennent,
Que son amour curieux

Ne s’informe si ces lieux
Ont des nymphes assez belles
Pour faire des infidèles.

Enfin mille fois le jour,
Elle veut, elle appréhende
Tout ce que craint et demande
Le plus violent amour.

Qu’on doit plaindre une bergère
Si facile à s’alarmer !
Pourquoi du plaisir d’aimer
Faut-il se faire une affaire ?
Quels bergers en font autant
Dans l’ingrat siècle où nous sommes ?
Achante, qu’elle aime tant,
Est peut-être un inconstant
Comme tous les autres hommes.