Poésies de Benserade/Sur l’amour d’Uranie avec Philis

Poésies de Benserade, Texte établi par Octave UzanneLibrairie des bibliophiles (p. 165-173).



Sur l’Amour d’Uranie avec Philis.

STANCES.


Je ne murmure pas, infidelle Uranie,
De vôtre trahison ;
Et je ne prétens point, dessous ma tyrannie,
Gêner vôtre raison.

Si pour un autre Amant vous aviez pris le change,
Je l’aurois enduré :
Je blâmois vôtre amour, et je trouvois étrange
Qu’il avoit tant duré.

Je n’ai rien de charmant, ni rien de comparable
À vos perfections ;
Et vous êtes d’ailleurs d’un sexe variable
En ses affections.

Mais quoi ! vôtre amitié, pour suivre une autre Amante,
Se sépare de nous !
Belle certainement, adorable, charmante,
Mais femme comme vous.

De céder la victoire il est assez infâme,
Quel que soit le Vainqueur ;
Mais d’être lâchement vaincu par une femme,
C’est double crêve-cœur.

Il faut le confesser, il est vrai qu’elle est belle,
Qu’elle est pleine d’attraits ;
Et que mal-aisément l’âme la plus rebelle,
Se défend de ses traits.

Pour elle tout languit ; pour elle tout soupire
Où que tournent ses pas ;
Les plus nobles Vainqueurs reconnoissent l’empire
De ses divins appas.

Des braves qui cent fois des flots et de l’orage
Méprisèrent l’orgueil ;
De fameux Conquérans, viennent faire naufrage
À ce fatal écueil.

Même en ce beau rivage, où la mer se couronne
De bouquets d’oranger,
On vit le Dieu des Eaux, quittant sceptre et couronne,
Sous ses loix se ranger.

Elle est, il est bien vrai, digne d’être admirée
De tous également ;
Mais sa divinité ne doit être adorée
Que de nous seulement.

Chacun serve ses Dieux ; les prêtres de Cibelle
Aux Autels de Vénus,
Leur offrande à la main, quoique pompeuse et belle,
Seroient les mal-venus.

Aussi, quoiqu’elle jure et quoiqu’elle vous mente,
Vous croyez vainement
Qu’elle ait jamais pour vous cette ardeur véhémente
Qu’on a pour un Amant.

Pour peu que de bon sens sa raison soit guidée,
Elle voit aisément,
Que vôtre passion n’est qu’une folle idée,
Ou qu’un déguisement.

Non, non, vôtre amitié, de quoi qu’elle se vante,
Ne sçauroit la toucher ;
Et celle qui pour nous est sensible et vivante,
Pour vous est un rocher.

Vôtre flâme est brillante, elle tonne, elle éclaire,
Mais elle est sans vigueur ;
Elle peut éveiller et jamais satisfaire
L’amoureuse langueur.

Vos baisers sont pareils à ces baisers timides
Qu’une mère a d’un fils ;
Au prix de nos baisers pressez, ardens, humides,
En sucre tout confits.

Le duvet d’un Amant, pique la bouche et l’âme ;
C’est un doux aiguillon
Qui d’un sang amoureux dans le cœur d’une Dame
Excite le boüillon.

Quand l’Astre du matin sollicite la Rose
D’un baiser amoureux,
D’aise elle épanouît sa feuille à demi close
À ses rais vigoureux.

Mais quand la froide Lune, à l’amour impuissante,
En pense faire autant,
Au contraire, sa fleur débile et languissante
Se resserre à l’instant.

Et ses rayons gelez, sa couronne incarnate,
S’étreint en peloton ;
Se cache sous l’épine, en ses feuilles se natte,
Et ferme son bouton.

Alors que vous pressez la bouche d’une Dame
De baisers trop ardens,
Et que vous pénétrez jusqu’à l’humide flâme
Qui s’enferme au dedans ;

Aux guespes des jardins vous devenez pareilles,
Qui sans faire du miel,
Picotent sur les fleurs le butin des abeilles
Et la Manne du ciel.

Voit-on les animaux, quelqu’ardeur qui les presse,
Ainsi s’apparier,
Et colombe à colombe, ou tigresse à tigresse
Jamais se marier ?

Quand le Palmier femelle à son mâle se mêle,
Il l’embrasse en amant ;
Mais on a beau le joindre à quelqu’autre femelle,
Il est sans mouvement.

Des plaisirs amoureux, ainsi qu’on le peut croire,
Vénus sçavoit le goût ;
À ce jeu toutefois il n’est point de mémoire
Qu’elle ait trouvé ragoût.

Si l’Amante pouvoit donner à son Amante
Les douceurs de l’amy,
Pour devenir garçon l’amoureuse Diante
N’auroit pas tant gémy.

Même, pour nous haïr, ces farouches guerrières
Ne s’entr’aimèrent pas ;
Mais d’un parfait amour alloient sur leurs frontières
Goûter les vrais appas.

Leur Reine généreuse, au conquérant d’Asie
Alla faire l’amour ;
Et tant qu’elle eut passé sa douce fantaisie
Demeura dans sa cour.

Amour est un brasier : ajoûter flâme à flâme,
Ce n’est que la grossir ;
Amour est une playe, et le jus du dictame
Le peut seul adoucir.

Amour est un désir : l’union et la joye
Est son terme et sa fin ;
Amour est un chasseur : il luy faut une proye,
Qu’il coure et prenne enfin.

Amour est un concert : il faut qu’il se compose
De différens accords ;
C’est un nœud mutuel qui veut et qui suppose
Un entrelas de corps.

Amour est un enfant : avecque la mammelle
Il luy faut le brouet ;
C’est un petit mignon qui bien souvent gromelle :
Il luy faut un jouet.

Vous estes nos moitiez, avec nous assorties
Vous formez un beau tout ;
Séparez-vous de nous, vous n’estes que parties,
Vous n’estes rien du tout.

Séparez-vous de nous, vous n’estes que des ombres
Sans force et sans pouvoir.
Vous estes les zéros, et nous sommes les nombres
Qui vous faisons valoir.

Je sçai que la beauté, par tout victorieuse,
Nous dompte et nous régit ;
Et que sur tous les cœurs sa force impérieuse
Également agit.

Hé bien, honorez-la, comme les autres choses,
D’un sentiment léger,
Comme on prise les lys, comme on chérit les roses
D’un parterre étranger.

Mais venir sur nos champs en faire des rapines
En insolent Vainqueur,
Ne méritez-vous pas d’y trouver des épines
Qui vous percent le cœur ?

Ah ! quittez désormais cette étrange manie,
Réglez mieux vos désirs ;
Et revenez goûter, adorable Uranie,
Les solides plaisirs.

Mais vous, fière beauté, que prétendez-vous faire ?
Voulez-vous me ravir
Un bien qui ne sçauroit que peu vous satisfaire,
Et peut bien me servir ?

Donnez-moy donc au moins une Amante pour l’autre,
Troquons, je le veux bien ;
Ou rendez-moy son cœur, ou donnez-moy le vôtre
À la place du sien.



Attention : la clé de tri par défaut « Sur l’amour d’Uranie avec Philis » écrase la précédente clé « sur l'amour d'uranie avec philis ».