Poésies de Benserade/L’Amant indifférent

Poésies de Benserade, Texte établi par Octave UzanneLibrairie des bibliophiles (p. 159-164).



STANCES.

L’Amant indifférent.


Non, je ne monte point à ce point d’insolence,
Que d’oser sans raison, d’un courage effronté,
Soûtenir de mes mœurs la trop grande licence,
Et la lasciveté.

Je ne les cèle plus, mes vœux illégitimes,
Si la confession amoindrit le péché ;
Insensé que je suis, je découvre des crimes
Que tout autre eût caché.

Quoique je les haïsse, et que je les déteste,
Mon âme encor pour eux a des désirs puissans :
C’est un subtil venin, c’est une douce peste
Qui veut charmer mes sens.

Ah ! qu’il est difficile, et que l’on a de peine
À supporter un faix qu’on voudroit décharger !
Je nourris dans le cœur une espérance vaine
De m’en voir dégager.

Je combats vainement, ma passion trop forte
A réduit ma raison à ne plus résister,
Et ressemble au vaisseau que le courant emporte
Sans pouvoir s’arrêter.

Il n’est point de beauté ni de grâce certaine
Que je puisse nommer l’objet de mes amours ;
Toutes sortes d’appas, me causant de la peine,
Font que j’aime toûjours.

Si quelqu’objet sur moy jette des yeux modestes,
Sa pudeur me ravit, il devient mon vainqueur,
Et de si doux regards sont les flâmes funestes
Qui m’embrasent le cœur.

Si je trouve au contraire une Dame affétée,
Son langage un peu libre a pour moy des appas,
Et la place me plaît, qui peut être emportée
Sans beaucoup de combats.

Si j’en vois par hazard quelqu’une dédaigneuse,
D’une antique Sabine imitant le parler,
Je croy qu’elle le veut, mais qu’une âme orgueilleuse
La fait dissimuler.

Une docte me plaît, j’y trouve mille charmes,
J’adore incontinent ses rares qualitez :
Une innocente encor me fait rendre les armes
Par ses simplicitez.

S’il est quelque beauté si fort passionnée,
Que de n’estimer rien que les vers que je fais,
Aussi-tost sous ses loix mon âme est enchaînée,
Et j’aime à qui je plais.

S’il s’en rencontre aussi dont l’humeur plus sévère,
Blâme des vers qu’une autre aura trouvez charmans,
Je voudrois me venger d’un si doux adversaire
Par mille embrassemens.

L’une en se promenant chemine avec molesse,
Et d’un pied négligent elle forme ses pas ;
Son mouvement me plaît, et sa feinte paresse
A pour moy des appas.

L’autre d’un fier regard paroît inexorable,
Et d’un pas mesuré marche superbement ;
Mais elle pourra bien devenir plus traitable
Dans les bras d’un Amant.

Parce que celle-là, si l’on n’est une souche,
Avec sa douce voix nous sçait si bien charmer,
Je voudrois dérober des baisers à sa bouche
Sans la faire fermer.

Cette autre icy fait plaindre en cent façons nouvelles
Les cordes que ses doigts sçavent si bien toucher ;
Pour n’aimer pas des mains si doctes et si belles
Il faut être un rocher.

Celle-cy me ravit par un geste agréable,
Qui fait suivre à ses bras la mesure des sons,
Et fait tourner le corps d’un art émerveillable
En cent doctes façons.

Toy, qui peux égaler par ta haute stature
Ces femmes de Héros que l’Antiquité vit,
Tu peux par ces faveurs que t’a fait la Nature
Occuper tout un lit.

L’autre, quoiqu’un peu courte, a pourtant du mérite,
Elle en est plus subtile au lascif mouvement ;
L’une et l’autre me plaît, la grande et la petite
Me rendent leur Amant.

Elle n’a mis nul soin à laver son visage,
On ne remarque en elle aucun ajustement :
Aussi-tost mon esprit songe quel avantage
Donne cet ornement.

Cette autre plus parée a consulté sa glace,
Pour donner à ses yeux de nouvelles clartez :
N’est-ce pas un grand point de sçavoir avec grâce
Étaler ses beautez ?

La Blanche me remplit d’une ardeur non-commune,
Pour la Blonde aussi-tost je mets les armes bas,
Et mes yeux mêmement dedans la couleur brune
Rencontrent des appas.

Des cheveux noirs pendans dessus un col d’ivoire
Ont des attraits puissans qui peuvent tout charmer,
Et ce fut de Léda la chevelure noire
Qui la fit tant aimer.

S’ils sont dorez, l’Aurore en avoit de semblables,
C’est par ses seuls rayons qu’on la voit éclater ;
Enfin je m’accommode à tout autant de fables
Qu’on en peut inventer.

Dessus moy, la jeunesse a beaucoup de puissance ;
Un âge un peu plus meur a dequoy m’enflâmer :
L’une par sa beauté, l’autre par sa prudence,
Me peut aussi charmer.

Enfin, s’il est encor quelques beautez nouvelles,
Qui puissent dans les cœurs porter la passion,
Mon amour y prétend, et pour toutes les Belles
J’ay de l’ambition.



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