Poésies (Quarré)/Regrets d’une jeune Femme




REGRETS D’UNE JEUNE FEMME.




REGRETS D’UNE JEUNE FEMME.



Je suis jeune, et déjà le souffle du destin
A fait plier ma tête et flétri ma couronne ;
Du printemps de mes jours le pâlissant matin
Est triste et déjà sombre ainsi qu’un soir d’automne.

C’est en vain qu’on m’entraîne au milieu des concerts,
Des bals éblouissans, des pompes du théâtre ;

Les fêtes et les jeux en vain me sont offerts ;
Moi, je hais ces plaisirs que le monde idolâtre.

Mais je dois y paraître avec un front joyeux,
Mais je souris à tous, et pas un ne devine
Que, des fleurs sur la tête et des pleurs dans les yeux,
J’étouffe les sanglots qui gonflent ma poitrine.

Tu t’applaudis, ma mère, en ton superbe orgueil,
D’avoir jeté ta fille aux bras d’un noble maître.
De son cœur affligé que t’importe le deuil ?
Sous la pourpre et sous l’or, qui le verra paraître ?

En vain je t’ai priée, en vain, à tes genoux,
Pour un timide amour je t’ai demandé grace ;
Il a fallu céder à ton altier courroux,
Et de mes pleurs brûlans cacher jusqu’à la trace.


Tremblante, on m’a conduite au pied des saints autels,
Et, sur mon front paré des voiles d’hyménée,
Le prêtre a prononcé les accens solennels
Qui liaient à jamais ma triste destinée.

Ces accens consacrés dont la chaste douceur
Avait rendu souvent ma jeune ame jalouse,
Quand, livrée à l’espoir d’un innocent bonheur,
Je rêvais les doux noms et de mère et d’épouse.

Oh ! que j’étais alors crédule en l’avenir !
Comme, heureuse d’aimer, je riais à la vie,
Trompeuse, qui m’offrait des fleurs pour les flétrir,
Et d’un calice amer les bords pleins d’ambroisie !

Et que me font à moi les vains titres et l’or
De cet époux illustre à qui l’on m’a livrée,

Quand mon cœur palpitant garde et chérit encor
D’un amant jeune et beau l’image idolâtrée ?

Oui, j’ai dû t’obéir, j’ai dû courber mon front ;
Mais, ma mère, bientôt tu pleureras peut-être,
Et, redoutant des nuits le silence profond,
Tu craindras dans leur sein de me voir apparaître.