Poésies (Quarré)/Le Pardon de l’Infidèle




LE PARDON DE L’INFIDÈLE.




Le Pardon de l’Infidèle.



 
« Quitte le ton plaintif ; il est temps, ô ma lyre,
 « D’essayer d’autres chants ;
« D’un amour malheureux tu te plais à redire
 « Les éternels tourmens.

« Va, c’est assez gémir, secoue enfin les chaînes,
 « Ô lyre ! éveille-toi ;

« Adieu les vains soupirs, adieu des plaintes vaines
 « Le langoureux émoi !

« Chantons ! chantons les jeux, les ris et la folie,
 « Les liens passagers,
« La foi jurée en vain qu’on a cent fois trahie
 « Et les propos légers.

« Viennent, viennent l’oubli, les festins et la joie,
 « Les femmes aux doux yeux,
« Et la bruyante orgie où le chagrin se noie
 « Dans le nectar des Dieux.

« Moi je veux être aimé, mais non pas pour la vie,
 « Seulement pour un jour ;
« Car, autant je chéris l’amoureuse folie,
 « Autant je hais l’amour.


« À moi donc le parfum de la rose embaumée
 « Dont se pare Eucharis,
« Et le baiser brûlant de ta lèvre enflammée,
 « Attrayante Naïs.

« Viens, Nina, que ta voix éclatante et sonore
 « Commence un chant joyeux ;
« Vois, pour te le payer, ma coupe est pleine encore
 « D’un vin délicieux.

« Jetez, jetez des fleurs, brûlez l’ambre et la myrrhe ;
 « Qu’étincelant de feux,
« Chargé de mille encens, l’air qu’ici l’on respire
 « Enivre et rende heureux.

« C’est bien, c’est bien, Nina, de ta voix caressante
 « Vive à jamais les chants !

« Et voyons si pour moi la corde frémissante
 « Garde encor des accens.

« Mais, quand je veux chanter, d’où vient que tu soupires,
 « Ô luth ! entre mes mains,
« Des sons tristes et lents, doux comme ces sourires
 « Qui de larmes sont pleins ?

« D’où vient que dans mon cœur les parfums et l’ivresse
 « Éveillent les échos
« De cette inconsolable et mortelle tristesse
 « Qui m’inonde à longs flots ?

« Image du plaisir, Eucharis, vois, la rose
 « Dont se parait ton sein,
« S’effeuillant dans la coupe où ta lèvre se pose,
 « Meurt avec le festin.


« Ainsi ma destinée en un jour s’est flétrie,
 « Quand j’ai vu, malheureux !
« Aux bras de mon amante infidèle et chérie
 « Un rival odieux.

« Percé d’un trait fatal, quelle est donc ma blessure,
 « Que les feux du plaisir,
« Ni mon jaloux orgueil, ni ton crime, ô parjure !
 « Rien n’a pu la guérir ?

« Par quel art, quels secrets enfans de la magie,
 « Quel philtre, quel poison,
« À ton funeste amour as-tu lié ma vie,
 « Et perdu ma raison ?

« Ah ! plus doux que le ciel, ton sourire ou tes larmes,
 « Tes refus, ta pudeur,

« Tes baisers, tes sermens, voilà, voilà les charmes
 « Qui t’ont donné mon cœur.

« Comment ne pas t’aimer, quand, d’une voix émue
 « Où tremblait le désir,
» Tu résistais en vain, rougissant à ma vue
 « De trouble et de plaisir ?

« De tes seize printemps la beauté virginale,
 « Dans sa naissante fleur,
« Brillait comme un rayon de l’aube matinale
 « Sur ton front séducteur.

« L’amour, en se jouant, de tes lèvres de rose
 « Entr’ouvrait le corail,
Bijou voluptueux, frais écrin où repose
 « Un double rang d’émail ;


« Et dans tes yeux voilés d’une langueur timide
 « Se peignaient tous ses feux,
« Comme on voit rayonner dans un cristal humide
 « L’éclat brillant des cieux.

« Et ton ame était pure, ô ma jeune maîtresse,
 « Comme un parfum divin
« Qui de l’urne des lys s’exhale avec ivresse
 « Au souffle du matin.

« Ah ! sans doute une erreur de mon rival complice
 « Aura trompé tes sens,
« Toi dont le chaste cœur ignorait l’artifice
 « Des mensongers accens.

« Non, tu n’es pas coupable, et tu pourrais encore,
 « Dans mes bras entr’ouverts,

« Effacer de ce cœur brisé, mais qui t’adore,
 « Les maux qu’il a soufferts.

« Oh ! rends-moi mon bonheur, oh ! rends-moi mon délire ;
 « Tendre comme autrefois,
« Viens, le pardon t’attend, et sur ma bouche expire
 « Le reproche sans voix. »

De celle qu’il aimait sa plainte est entendue ;
Elle était sur le seuil, l’écoutait, et soudain,
S’élançant d’un seul bond, palpitante, éperdue,
Les yeux baignés de pleurs, vient tomber sur son sein.