Poésies (Quarré)/À M. F.-C. Busset
À M. F.-C. BUSSET.
Oui ! dussiez-vous sur moi fixer un œil sévère,
Charles, de vos amours je connais le mystère,
Et pourrais (mais comptez sur ma discrétion),
Nommer l’objet heureux de votre affection.
Ce n’est pas cependant que jamais cette belle
Docile à tous vos vœux, pour tant d’autres rebelle,
M’ait, sur le seuil obscur de son divin palais,
Laissé, même de loin, entrevoir ses attraits.
L’orgueilleuse, dit-on, de son sexe frivole
Dédaigne l’humble encens, mais du vôtre est l’idole.
Coquette, s’il en fut, pour s’attacher les cœurs
Elle a mille détours, et ses adorateurs,
Bien souvent poursuivis d’une idée importune,
De leurs tourmens secrets accusent la fortune ;
Puis, quand ils sont tout prêts à se désespérer,
D’un rayon imprévu les venant éclairer,
Elle approche et soulève à leur vue enivrée
Un coin du voile épais dont elle est entourée.
De ses divins appas, ô magique pouvoir !
Leur amour se rallume enflammé par l’espoir,
Et voilà de nouveau qu’à sa porte enchaînée
Leur foule est suppliante, émue, et prosternée.
Cependant elle est femme, et, dès-lors, il ne faut
Croire que sa rigueur jamais n’ait fait défaut.
Tandis qu’à soupirer se morfond le vulgaire,
Il est d’heureux élus qui, dans le sanctuaire,
S’enivrent à longs traits de bonheur et d’amour.
D’abord un favorable et coquet demi-jour
Laisse à leurs yeux charmés voir la forme indécise
De la divinité dont leur ame est éprise ;
Cet aspect les enflamme et trouble tous leurs sens,
Rien ne doit résister à leurs désirs puissans,
Et, fallût-il mourir pour ce moment d’ivresse,
Ils voudraient de ce prix payer une caresse.
Dans sa coquetterie elle sourit, alors
De leurs feux dévorans redoublent les transports,
Sur la gaze autour d’elle en nuage flottante
Se porte avec bonheur une main frémissante ;
Elle résiste en vain, il faut la conquérir.
À vos baisers ensuite elle viendra s’offrir.
Tel fut votre destin. Cette beauté si fière
À votre amour fidèle appartient tout entière ;
Tandis que cent rivaux blessés des mêmes traits
Adorent sans la voir l’ombre de ses attraits,
Sans voile, sans témoins, prodigue de ses charmes,
Sa farouche vertu vous a rendu les armes,
Et sur votre beau front, dans vos yeux rayonnans,
On lit votre victoire et ses enchantemens.
Vous le voyez, ami, je sais tout ; mais, discrète,
Ma muse gardera le secret de vos feux ;
Elle aime les amans, et la voix du poète
Chante sans le trahir un mystère amoureux.
Ne m’accusez donc pas si, malgré ma prudence,
Le feu qui vous enflamme éclate en vos discours,
Et, révélant l’objet de vos tendres amours,
Tout bas, en souriant, fait nommer ?… la Science.
- ↑ Auteur de la Musique simplifiée et d’un Mémoire sur l’enseignement des Mathématiques, qui vient d’être couronné par l’Académie de Rouen.