Poésies (Quarré)/Ode au Christ

Poésies d’Antoinette QuarréLamarche ; Ledoyen (p. 195-204).




ODE AU CHRIST.

Toute puissance est à vous pour l’exercer au jour de votre gloire.
(Ps.)


Ode au Christ.



Oui, son nom a vieilli, sa puissance est usée,
Mortels, il va tomber sous vos coups triomphans ;
Frappez, frappez encor, la victoire est aisée ;
Brûlez son Évangile, et de sa croix brisée
Dispersez les fragmens.

Dès qu’un homme a franchi les bornes du jeune âge,
Il grandit dans sa force avec un noble orgueil,
Et, des jouets d’enfans détournant son visage,
Les rejette et n’a plus pour leur vain assemblage
Qu’un dédaigneux coup-d’œil.

Ainsi l’humanité, par les siècles mûrie,
Se lève en rayonnant de son obscur berceau,
Et planant sur la croix, du haut de son génie,
De ses puissantes mains la renverse et s’écrie :
« Ce n’était qu’un roseau.

« À son ombre, jadis, les peuples dans l’enfance,
« Crédules et pieux, ont abrité leur front ;
« Mais nous qui sommes grands, plus de fausse croyance.
« Imposer son mystère à notre intelligence,
« N’est-ce pas un affront ?

« Quoi ! nous abaisserions devant un vain symbole
« De l’humaine raison la sublime hauteur ?
« Non, non, reste au passé tout ce culte frivole,
« Ainsi que Jupiter le Christ est une idole,
 « Un mensonge, une erreur.

« Sur ses autels minés devant nous il chancelle,
« Du colosse imposant par le temps affaibli
« Chaque instant qui s’écoule entraîne une parcelle ;
« Encore quelques jours, et sa gloire éternelle
 « Se perdra dans l’oubli.

« Réserve donc ta foi pour nos doctrines pures,
« Peuple, rougis enfin de ta crédulité,
« Aujourd’hui que, lassé des vaines impostures,
« D’un œil intelligent tu saisis et mesures
 « L’ombre ou la vérité. »

Et le peuple abusé court à ces faux prophètes
Qui du superbe archange ont respiré l’orgueil,
Et, sur ton front divin amassant les tempêtes,
Nouveaux pharisiens, voudraient avant leurs fêtes
Te plonger au cercueil.

Laisseras-tu, Seigneur, leur œuvre sacrilège
Comme aux jours de Pilate aller jusqu’à sa fin ?
Sans que ton bras vainqueur la garde et la protège ?
Ta foi, sacré flambeau, sous ce vent qui l’assiège
S’éteindra-t-elle enfin ?

Non, Christ, au fond des cœurs où tu la fis éclore
Nulle ombre n’atteindra ses rayons lumineux,
Et de ton saint amour, dont la flamme dévore,
Leur souffle destructeur ne doit servir encore
Qu’à raviver les feux.

Non, l’arbre qui porta pour le salut du monde
Entre le ciel et nous l’homme-Dieu suspendu,
Cet arbre, dont la sève est ton sang qui l’inonde,
A poussé trop avant sa racine profonde
Pour se voir abattu.

C’est en vain que l’erreur, levant sa tête altière,
Pense t’anéantir sous ses efforts puissans ;
Et, déployant partout sa fatale bannière,
De tes élus eux-même, ô douloureux mystère !
A décimé les rangs.

Si de ton firmament les étoiles pâlissent,
Si du temple immortel où reposent tes lois
Sous les arceaux déserts les colonnes fléchissent,
Et si d’un monde vain les chants qui retentissent
Ont étouffé ta voix,

Ô Verbe ! c’est qu’un mot de ta lèvre adorée
Peut, fécondant la poudre au seuil de tes parvis,
En tirer des soleils dont la flamme épurée
Versera tous les flots de sa clarté sacrée
Dans tes cieux rajeunis.

C’est que tu peux briser, Seigneur, dans ta colère,
Le marbre encor superbe en sa fragilité,
Et choisir dans les flancs d’une obscure carrière
Le bloc prédestiné, l’impérissable pierre
Soutien de ta cité.

Oui, sans avoir besoin d’évoquer les fantômes
Des apôtres divins, des saints aux lèvres d’or,
Parmi tous ces enfans prosternés sous tes dômes
Fais descendre l’Esprit ; des Pauls, des Chrysostômes
Vont se lever encor.

Et, pour couvrir les chants de cette aveugle foule,
Éternel, n’as-tu pas la voix de ton courroux,
Plus forte que le bruit d’un monde qui s’écroule,
Quand tu fais tressaillir sous ton pied qui les foule
Tous les cieux à genoux ?

Mais plutôt, garde-nous, Seigneur, de ta colère ;
Tu portes dans tes mains la foudre et le trépas ;
Si le néant t’outrage, épargne sa misère,
Et sous le juste poids d’un châtiment sévère,
Dieu, ne l’accable pas.

Pardon, pardon, Seigneur, pour la bouche insensée
Qui lance l’anathême et l’insulte à ton nom !
Par ta splendeur future et ta gloire passée,
Par toi-même, ô, du Père, éternelle pensée,
Pardon, Seigneur, pardon !

Oui, tu peux d’un seul mot faire éclater ta gloire,
Et, confondant l’orgueil et l’incrédulité,
Éteindre des pécheurs la vie et la mémoire.
Mais les sauver, mon Dieu, c’est la seule victoire
Digne de ta bonté.