Poésies (Quarré)/Une Visite au Cimetière




UNE VISITE AU CIMETIÈRE.




UNE VISITE AU CIMETIÈRE.



Salut ! champ des tombeaux ! terre paisible et sainte,
De larmes arrosée et d’espérance empreinte !
Qu’un autre en t’abordant pâlisse avec effroi,
Qu’il se trouble et s’enfuie, il peut trembler ; mais moi,
Moi dont la vie, hélas ! a perdu sa chimère,
Pour qui le pain est dur et l’espérance amère,

Dont le cœur, tout aimant, trahi dans son amour,
N’a plus de doux liens qui l’attachent au jour,
Et dont l’ame, en ces lieux étrangère, exilée
Comme l’aigle des monts captif dans la vallée,
Soupire avec ardeur vers un destin nouveau,
J’aime à venir ici rêver sur un tombeau.

Lit des morts bien-aimés, je me couche à ton ombre,
J’aime tes fleurs de deuil et leur feuillage sombre ;
Heureuse quand mon cœur, tranquille désormais,
Sous leurs rameaux pieux aura trouvé la paix,
Et que l’astre des nuits de sa douce lumière
Versera les rayons sur ma froide poussière !
Car, lasse de combattre, et lasse de souffrir,
Je n’ai plus qu’un seul vœu, qu’un seul espoir : mourir !

Mourir, laisser ce corps usé par la souffrance,
Abandonner enfin ces lieux que l’espérance
Naguère embellissait de son prisme enchanteur,
Mais où, vaine et trompeuse, elle a brisé mon cœur !

Oui, mourir ! m’élancer radieuse, immortelle,
Dans le sein rayonnant de la gloire éternelle,
Dans la Jérusalem dont la haine, l’orgueil,
Éloignés à jamais, n’ont pu franchir le seuil ;
Dans la cité des saints, qui, joyeuse et parée,
Me garde les amis dont je vis séparée,
Mais plus beaux, plus aimans qu’ils n’étaient ici-bas,
À l’heure où vint la mort les frapper dans mes bras ;
Car le maître est, là-haut, prodigue de largesses,
Et ses dons sont toujours plus grands que ses promesses.

Dans sa magnificence il les a revêtus,
Non de pourpre et d’azur, mais d’amour, de vertus ;
Car telle est la parure éclatante, infinie,
Que rien ne peut flétrir, qui jamais n’est ternie,
Que le monde méprise, et qu’admire le ciel.
Mais le monde est aveugle, et Dieu seul éternel.

Oh ! bienheureux celui dont les vertes années
Au soleil d’ici-bas n’ont pas été fanées,
Qui te porte, Seigneur, dans leur brillant espoir,
Ses hymnes du matin et ses rêves du soir !
Mais tu n’as pas voulu de mon ame encor neuve ;
Elle était destinée à subir son épreuve.
Sois-en béni, mon Dieu, toi qui sur les tombeaux
Mets des pensers plus saints et des songes plus beaux.