Poésies (Quarré)/Le Palais de justice




LE PALAIS DE JUSTICE.




Le Palais de Justice.



Hier, hier encor de ce palais antique
J’admirais, en passant, la façade gothique,
Et ne voyais en lui qu’un ancien monument
Par l’œil du voyageur contemplé froidement.

La majesté du temps m’y semblait seule empreinte,
J’en effleurais le seuil sans tristesse, sans crainte,

Et mes regards jamais, sondant sa profondeur,
N’avaient de son mystère interrogé l’horreur.

Mais le soir descendu, ma journée accomplie,
Légère d’une tâche heureusement remplie,
Sur un bras appuyée et prolongeant le cours
De la route incertaine et des tendres discours,

Je vis, sous le perron, la vieille porte ouverte :
Un reflet de clarté de l’enceinte déserte
Éclairait à demi le fond lugubre et noir :
On entrait librement, je voulus aller voir.

Je ne sais quel effroi sur ma bouche rieuse
Vint glacer tout-à-coup la parole joyeuse ;
En traversant ce temple au redoutable aspect,
Mon désir curieux faisait place au respect.


Du sanctuaire enfin nos pas touchent l’entrée,
C’est là que la justice, imposante et sacrée,
Apparaît aux regards du crime épouvanté
Dans sa toute-puissance et dans sa majesté.

C’est en vain qu’il avait, comptant sur la nuit sombre,
Creusé pour l’innocent une fosse dans l’ombre,
Dit : « La tombe est muette, et ses hôtes jamais
« Ne viennent du passé révéler les secrets. »

Mais d’un rayon vengeur la sombre nuit s’éclaire,
La justice se lève, elle arrache à la terre
Ce cadavre meurtri, page livide, où l’œil
Lit en lettres de sang les secrets du cercueil.

Le meurtrier pâlit à cette horrible vue,
Il voudrait détourner sa paupière éperdue,

Tous ses sens sont glacés, il frissonne, il croit voir
Le néant s’animer et la mort se mouvoir.

C’est à lui, maintenant, d’implorer sa victime ;
Ce cadavre l’étreint, ce spectre dans l’abîme
Va le précipiter, et le poursuivre encor
Avec ses cris d’angoisse et son râle de mort.

Il ferme, il ferme en vain ses yeux pleins d’épouvante ;
Rien ne pourra calmer sa torture incessante,
Le remords dévorant dans son sein est caché :
C’est le vautour antique à sa proie attaché.

Quels sont donc aujourd’hui les débats qu’on soulève ?
Sur quel front, ô mon Dieu ! se balance le glaive ?
Se peut-il, juste ciel ! assise au banc fatal,
Une enfant pleure et tremble au pied du tribunal ?


Mais vous vous méprenez ; son sexe, sa jeunesse,
Sont ignorans du crime et faits pour la tendresse ;
L’amour seul doit régner dans ce cœur ingénu,
Créé pour le bonheur, la paix et la vertu.

Ah ! pourquoi frémit-elle à ces chastes paroles ?
Amour ! vertu ! bonheur ! vos saintes auréoles
Ne couronnent donc plus son front déshonoré ?
Vous avez fui d’un cœur lâche et dénaturé…

Hélas ! il est donc vrai, dans un moment d’ivresse,
À l’attrait du plaisir succomba ta faiblesse,
Et, pour cacher la faute objet de ta rougeur,
Tu la couvris d’un crime… effroyable pudeur !

Quoi ! cet enfant ta vie, et ton sang, et ton ame,
Ce tendre premier né, fruit d’un baiser de flamme,

Pour qui le Créateur dans le sein maternel
Mit des trésors d’amour à faire envie au ciel ;

Ce fils dont un regard, une larme, un sourire,
Dans le cœur palpitant d’une mère en délire
Font passer tour-à-tour d’ineffables tourmens,
Et des transports de joie, et des ravissemens ;

Cet enfant, dont l’amour sanctifie et couronne
Le front purifié sur lequel il rayonne,
Tu l’as pu, malheureuse ! au sortir de ton sein,
À cette aveugle honte immoler de ta main ?

Ah ! je comprends alors d’où vient que tu tressailles :
C’est ton sang révolté qui crie en tes entrailles,
Et sa voix déchirante est plus cruelle encor
Que celle qui lira ta sentence de mort.


Oh ! que tu dois souffrir dans tes nuits d’insomnie,
Dans ton sommeil fiévreux, douloureuse agonie,
Où tu crois d’un enfant sentir les bras glacés,
Comme un lien funèbre, à tes bras enlacés.

En sondant de tes maux le ténébreux abîme,
Mon cœur brisé s’éprend d’une douleur intime,
Et voudrait, de ta vie éclairant l’horizon,
Te verser, comme un Dieu, les bienfaits du pardon.

Si les jours ne sont plus, Seigneur, où ta sagesse,
De la femme adultère épargnant la faiblesse,
De ses juges mortels détourna le courroux,
Fais descendre, Jésus, ton esprit parmi nous.

Laisse-toi désarmer, rigoureuse justice,
Oh ! la miséricorde, et non le sacrifice !

De cet être fragile, hommes, prenez pitié ;
Par ses tourmens déjà son crime est expié.

Mais je supplie en vain, de sa tête coupable
Nul ne peut détourner l’arrêt inexorable,
Et dans ces cœurs, hélas ! tout prêts à s’émouvoir,
Rien ne doit balancer l’inflexible devoir.

À cette heure suprême où la terre te juge,
Courbe-toi devant Dieu, ton unique refuge ;
Lui seul peut désormais t’ouvrir encor son sein,
Et couvrir ton forfait de son pardon divin.

Et je sortis alors, emportant dans mon ame
L’effrayant souvenir de ce terrible drame,
Et croyant voir errer sous les murs ténébreux
Des fantômes sanglans et des spectres hideux.


Mais d’un beau soir d’été la majesté splendide,
Comme un ciel se mirant dans une onde limpide,
Vint réfléchir sa paix dans mon esprit charmé,
Et lui rendre bientôt son calme accoutumé.

Sois béni, m’écriai-je, ô Roi de la nature !
Qui des jours et des nuits fais la beauté si pure ;
Sois à jamais béni d’avoir gardé mon cœur,
Vierge encor, ô mon Dieu ! de coupable douleur.

Quels que soient de nos jours l’amertume ou les charmes,
Heureux qui, devant toi laissant couler ses larmes,
Accablé de tristesse ou bercé par l’espoir,
D’un sommeil innocent peut s’endormir le soir !